Panneaux solaires servant à alimenter les pompes d’irrigation en énergie électrique. Les agriculteurs rencontrent souvent des difficultés lors de la mise en œuvre d’une innovation nécessitant une réorganisation de leurs pratiques agricoles ou d’importants investissements comparativement à leurs moyens.
Photo: Jörg Böthling

Stimuler l’adoption de l’innovation par les petits exploitants agricoles africains

Le projet INTERFACES soutient quatre initiatives régionales gérées par le ministère fédéral allemand de l’Éducation et de la Recherche et visant à promouvoir une gestion durable des terres en Afrique subsaharienne. Il a pour mission d’élaborer des stratégies de changement visant à stimuler les processus d’innovation et de mise en œuvre.

L’élaboration et l’adoption d’innovations ont été les principaux moteurs de la croissance économique et d’autres avantages pour les populations et la durabilité de l’environnement ; mais il ne faut nier pour autant que certaines innovations ont eu des effets indésirables. Le développement de l’agriculture a progressé dans de nombreuses régions de la planète grâce à l’adoption d’innovations visant à améliorer la productivité, la résilience, la qualité et d’autres objectifs des agriculteurs et d’autres acteurs du système alimentaire tels que les transformateurs et les consommateurs. Cependant, les petits exploitants agricoles d’Afrique ont tendance à adopter les innovations avec bien moins d’enthousiasme que ceux d’autres régions de la planète – au détriment de leur situation, de leur société et de l’environnement.

Raison de la faible adoption des innovations

Les raisons du faible taux d’adoption sont multiples et se chevauchent souvent. On peut les classer en trois groupes. Une innovation peut exiger d’importantes ressources comparativement aux moyens des agriculteurs. Pour les petits exploitants agricoles, il est difficile d’adopter des innovations qui exigent plus de terres et plus d’eau, plus de capitaux et autres investissements, plus de soutien institutionnel, de main-d’œuvre et d’intrants – tels que les engrais et les pesticides – qu’ils n’en disposent ou peuvent se le permettre.

En outre, les agriculteurs sont souvent confrontés à des difficultés lorsque la mise en œuvre d’une innovation nécessite la réorganisation de leurs pratiques agricoles, l’utilisation d’intrants et de plus longues périodes de productivité que ce à quoi ils sont habitués. Sans compter les facteurs tels que l’environnement naturel (les conditions météorologiques, par exemple) et l’environnement structuré (tel que la main-d’œuvre qualifiée) dans les secteurs en aval et en amont, ainsi que l’accès aux marchés. Ces trois raisons d’un moindre taux d’adoption sont renforcées par des facteurs socioculturels liés à la communauté mais non pris en compte dans l’innovation et susceptibles d’affecter l’adoption.

Malgré ces difficultés et de nombreux échecs, la nécessité de stimuler l’innovation chez les petits exploitants agricoles africains n’a jamais été aussi forte que maintenant. L’Afrique a une population croissante mais est freinée par une faible production alimentaire, qui entraîne des problèmes de sécurité alimentaire exacerbés par le changement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes qui affectent déjà la productivité agricole. En revanche, les solutions naturelles d’atténuation du changement climatique et de gestion des ressources naturelles sont très demandées. Par conséquent, il est essentiel d’encourager le développement et l’adoption d’innovations chez les petits exploitants agricoles en respectant un équilibre délicat garantissant un développement économique, environnemental et socioculturel.

Facteurs encourageant l’adoption de l’innovation

Compte tenu des difficultés auxquelles il est fait allusion ci-dessus, le projet Interfaces – un projet d’accompagnement de quatre autres projets régionaux de recherche et de mise en œuvre financés par le ministère fédéral allemand de l’Éducation et de la Recherche (BMBF) pour stimuler le passage à une gestion durable des terres dans six pays subsahariens – organise plusieurs actions de recherche et plusieurs ateliers.

Ainsi, en 2023, lors de la 8e édition de la Semaine africaine de l’agrobusiness et de la science, à Durban, Afrique du Sud, il a organisé un événement parallèle consacré à la recherche d’idées sur les facteurs qui améliorent l’innovation chez les petits exploitants agricoles. Les discussions entre les chercheurs, les agriculteurs participants et des représentants d’organisations de vulgarisation agricole, d’organisations de la société civile, d’institutions financières et d’autres institutions locales, nationales et régionales ont donné lieu à des prises en considération majeures qui sont reflétées dans ce qui suit.

Prises en considération de l’environnement physique

La majeure partie des petits exploitants agricoles dépendent, dans le cadre de leurs activités, d’éléments naturels tels que la pluie et le soleil. Par conséquent, les innovations s’accompagnant d’exigences sortant des conditions environnementales physiques, l’irrigation, par exemple, sont généralement difficiles à adopter. De plus, ils assument un rapport coûts/avantages élevé lorsqu’ils changent leur façon de faire car ils bénéficient d’un soutien minimal lorsque les choses vont mal. Cela les pousse naturellement à hésiter devant tout changement par rapport à leurs pratiques habituelles.

À défaut, des mesures parallèles de réduction des risques telles que l’utilisation de pesticides et de semences améliorées, les assurances contre les pertes de récolte et l’irrigation, peuvent réduire ces vulnérabilités. Cependant, ces mesures de réduction des risques sont souvent des innovations en elles-mêmes et l’adoption d’un tel ensemble complexe d’innovations exige souvent de nouvelles dispositions organisationnelles et peut poser de nouveaux problèmes aux agriculteurs.

Recherche et mise en œuvre participatives

Pour les raisons ci-dessus, le transfert linéaire des modèles de technologie selon lequel les chercheurs créent des institutions d’innovation et de vulgarisation qui communiquent l’information aux agriculteurs n’a pas été une réussite en Afrique, notamment chez les petits exploitants agricoles. À cela est venu s’ajouter le fait que l’agriculture est très diversifiée et ne connaît pas les cultures standards et les systèmes de culture qu’on trouve ailleurs.

Par conséquent, les approches participatives voulant que les agriculteurs participent à la création de l’innovation se traduisent souvent par une adoption. Il en existe quatre formes : elles peuvent être contractuelles, consultatives, collaboratives et collégiales. La forme collaborative, selon laquelle les agriculteurs et autres parties prenantes sont partenaires à part égale pendant tout le développement de l’innovation, est celle qui a été jugée la plus prometteuse.

Le processus collaboratif permet de découvrir les angles morts qui, sinon, seraient ignorés. Grâce à l’intégration des agriculteurs dès le début de ce processus, ce sont leurs besoins réels qui sont directement mis en avant et non pas ce que les chercheurs, leurs bailleurs ou d’autres parties prenantes considèrent comme essentiel pour eux.

Autre avantage : les compétences des agriculteurs, leur travail, les intrants et autres facteurs nécessaires à la mise en œuvre de l’innovation deviennent visibles. Les processus collaboratifs mettent au grand jour les questions et les normes socioculturelles susceptibles de freiner l’adoption de l’innovation si elles sont négligées, ainsi que les connaissances des autochtones qui aident à modifier les solutions encourageant l’adoption.

Accès à la terre, au crédit, au marché, aux informations et à la main-d’œuvre

La propriété et la facilité d’accès à des ressources spécifiques influencent la volonté des gens à investir dans les innovations et sont par conséquent primordiales pour l’adoption de ces innovations. L’identification de groupes cibles pour différents types d’innovations en fonction de l’accès aux ressources et à la propriété, ou l’élaboration et la diffusion de règles innovantes d’accès à la terre, aux intrants et à d’autres ressources facilitent l’adoption des innovations.

Ainsi, par exemple, il est peu probable que les agriculteurs qui ne possèdent pas les terres qu’ils travaillent investissent dans des innovations à long terme telles que la plantation d’arbres ou l’amélioration de la qualité du sol dont les retombées sont plus tardives. L’existence de facilités de crédit permet aux agriculteurs de prendre le risque d’acheter des intrants si un système de remboursement adapté à leur trésorerie saisonnière est disponible.

Là encore, l’existence de marchés pour les produits et l’accès à ces marchés et, par conséquent, la certitude d’avoir un revenu permettant de rembourser les crédits, sont essentiels. Des mesures de protection telles que l’agriculture sous contrat ou la commercialisation conjointe amélioreraient la fiabilité et réduiraient la variabilité de l’accès à la terre, au crédit et au marché.

L’accès à des informations fiables auprès de sources sûres est également primordial pour améliorer l’adoption d’une innovation. Les petits exploitants agricoles sont souvent à la recherche de moyens d’améliorer leurs pratiques agricoles. Dans ce domaine, les organisations d’agriculteurs se transforment fréquemment en outils essentiels.

Il en va de même pour la facilitation de l’accès au crédit et à de nouveaux marchés. Il est donc essentiel de renforcer les organisations d’agriculteurs pour améliorer l’acceptation de l’innovation. Lorsque les agriculteurs ne peuvent pas facilement disposer d’une main-d’œuvre qualifiée et d’intrants agricoles, il est important de considérer l’accès à ces ressources et l’abordabilité de leurs coûts comme des catalyseurs essentiels de l’adoption.

Réplication et intensification des innovations fructueuses

Il est faux de penser qu’une innovation qui a donné de bons résultats pour une personne ou une communauté aura automatiquement la même efficacité pour d’autres. Des différences d’ordre social, économique, écologique, organisationnel et géographique peuvent avoir une incidence négative sur l’adoption d’innovations ayant prouvé leur efficacité lorsqu’on veut appliquer ces dernières sans procéder auparavant à une recherche adaptative. Il est par conséquent important de proposer de répliquer et d’étendre ces « domaines de recommandations » pour éviter d’offrir des solutions inadaptées à d’autres juridictions et d’alimenter le scepticisme des agriculteurs face à l’innovation.

Certaines innovations ne peuvent produire tous leurs bienfaits que lorsqu’elles sont intensifiées ; il est donc primordial d’envisager les moyens d’intensifier les innovations. L’amélioration de la qualité ou l’addition de certains facteurs à l’innovation afin d’améliorer ses avantages doivent être assujetties à un examen préalable approprié. Cela peut nécessiter une restructuration institutionnelle des services de vulgarisation et l’approfondissement des recherches, qui peuvent donner lieu à leurs propres innovations.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, une meilleure adoption des innovations chez les petits exploitants agricoles d’Afrique subsaharienne dépend de la résolution de divers problèmes. Il faut ainsi tenir compte de l’environnement physique dans lequel l’activité agricole a lieu, s’assurer que les agriculteurs participent dès le début au processus de développement d’innovations et veiller à ce que l’innovation ne s’écarte pas trop des pratiques actuelles et tienne compte de l’accès à la terre, au crédit, au marché, à l’information, à la main-d’œuvre et aux intrants.

En outre, la recherche adaptative effectuée avant la diffusion des innovations concluantes dans de nouvelles communautés peut être primordiale. Avec les projets régionaux, le projet Interfaces a l’intention de continuer à travailler sur ces priorités pour améliorer le développement durable des terres en Afrique subsaharienne.

Le rôle de l’équité de genre et sociale est un autre problème important qui est au cœur du projet. Les femmes, les jeunes, les minorités ethniques et les personnes handicapées sont souvent moins pris en considération dans les activités de recherche et développement et dans les efforts de mise en œuvre.

Le projet va continuer de s’efforcer de comprendre et promouvoir la prise en considération des questions de genre et des besoins des groupes marginalisés dans le domaine de l’adoption des innovations chez les petits exploitants agricoles tout en identifiant les moyens de mettre les résultats de la recherche et les informations à la disposition de toutes les parties prenantes de manière personnalisée et spécifique au contexte.

 

Depuis octobre 2022, le projet INTERFACES appuie quatre projets régionaux financés par le BMBF dans leur initiative visant à entraîner le changement vers une gestion durable des terres en Afrique subsaharienne : COINS (codéveloppement d’innovations pour une gestion durable des terres dans les systèmes agricoles des petits exploitants d’Afrique de l’Ouest) ; DecLaRe (soutien décisionnel pour le renforcement de la résilience des terres face aux problèmes mondiaux) ; InfoRange (efficacité accrue des chaînes de valeur de l’élevage de parcours grâce à l’apprentissage machine et aux technologies numériques) et Minodu – encourager le développement durable local grâce à la recherche et à la technologie.


Emmanuel Theodore Asimeng est chercheur dans le programme de transformation des systèmes économiques et sociaux à l’Institut allemand de développement et de durabilité (IDOS) à Bonn, Allemagne. Il est titulaire d’un PhD de l’université technique de Berlin. À L’IDOS, ses travaux sont axés sur l’élaboration et l’adoption d’innovations/ de technologies.
Contact:  theodore.asimeng@idos-research.de