Le rôle du commerce agricole pour la sécurité alimentaire est largement reconnu dans la région de la CEDEAO.
Photo: Fabian Pflume/ GIZ

Exploiter le potentiel du commerce agricole intrarégional en Afrique de l’Ouest

Il est essentiel d’améliorer le commerce agricole au sein de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour renforcer la résilience aux crises et faire en sorte que l’Afrique de l’Ouest bénéficie d’une plus grande sécurité alimentaire. La Commission de la CEDEAO a certes adopté des politiques favorisant le commerce intrarégional mais leur mise en œuvre dans les États membres reste difficile.

Dans le contexte de crises multiples, notamment de la pandémie de Covid-19, de conflits politiques et de guerres, de changement climatique et de dégradation de l’environnement, le commerce agroalimentaire a pris encore plus d’importance. En faisant passer les produits alimentaires de régions excédentaires aux régions déficitaires, le commerce est un outil essentiel pour contrebalancer les mauvaises récoltes et, par conséquent, améliorer l’accès à la nourriture, et faire en sorte qu’elle soit abordable et disponible.

La résilience des systèmes agroalimentaires dépend en partie de la façon dont différents systèmes et zones agricoles sont utilisés pour amortir les crises – de plus en plus fréquentes, semble-t-il. Au-delà de ces avantages sectoriels, le commerce et l’intégration régionale sont souvent allés de pair avec la mise en place de systèmes politiques et économiques plus stables.

Inflation des prix des produits alimentaires et sécurité alimentaire en Afrique de l’Ouest  

Si les prix mondiaux des produits alimentaires ont un peu baissé par rapport à leur niveau le plus haut au printemps 2022, les pays d’Afrique de l’Ouest n’ont pas constaté cette tendance sur leurs marchés intérieurs. Au Ghana et au Nigeria, par exemple, les taux d’inflation des prix alimentaires en glissement annuel sont respectivement de 48,7 et 24,6 pour cent. Même avant cette flambée des prix, les dépenses alimentaires représentaient déjà en moyenne 50 pour cent des dépenses totales des ménages ouest-africains. Cette situation, ainsi que la pandémie de Covid-19 qui a appauvri de nombreux consommateurs, accentue encore plus les problèmes rencontrés pour réaliser l’objectif de développement durable 2.

Après une période d’amélioration de la sécurité alimentaire, l’Afrique de l’Ouest connaît des difficultés depuis 2015. En 2021, pas moins de 247,4 millions de personnes représentant 60 pour cent de la population de l’Afrique de l’Ouest ont connu l’insécurité alimentaire qui les a contraints à faire un compromis entre qualité et quantité de leur consommation alimentaire. En même temps, la croissance démographique y est une des plus rapides du monde.

Les potentialités inexploitées de production agricole et l’insuffisance cruelle de l’investissement dans le secteur agroalimentaire sont une des raisons de la détérioration de la sécurité alimentaire. Cela se traduit par une dépendance de la région aux importations de denrées de base et d’intrants agricoles la rendant vulnérable aux insuffisances du marché mondial et aux fluctuations de ses prix. Motivée par la flambée des prix de l’énergie, la hausse vertigineuse des prix des engrais est devenue prohibitive pour de nombreux petits exploitants. Compte tenu des conflits armés dans la région et des niveaux élevés auxquels les prix alimentaires devraient continuer de se situer, l’insécurité alimentaire ne peut que continuer à augmenter.

Gains potentiels d’un commerce agricole plus libre

La région de l’Afrique de l’Ouest constitue un vaste marché susceptible de favoriser la croissance et la prospérité économiques à condition que soient supprimés les obstacles régionaux au commerce et que le commerce lui-même soit encouragé et facilité. Grâce à la plus grande liberté du commerce agricole inter-régional, les producteurs pourraient vendre leurs produits à meilleurs prix et améliorer leur productivité et leur compétitivité – par exemple en ayant accès à des intrants de production moins coûteux.

Entre autres avantages, les consommateurs pourraient disposer d’une plus grande diversité de produits alimentaires à des prix plus abordables. Par ailleurs, la taille du marché de chacun des États membres de la CEDEAO est souvent insuffisante pour tirer parti des économies d’échelle dans la transformation des produits agroalimentaires – une importante condition préalable à la mise en place d’un secteur agroalimentaire concurrentiel. Par contre, dans sa totalité, la région de la CEDEAO couvre un énorme marché, ce qui facilite l’accès des transformateurs aux matières premières.

Malgré les avantages potentiels de l’accroissement du commerce agricole intrarégional, la croissance du commerce régional pause problème en raison de questions structurelles telles que l’inefficacité des institutions, l’insuffisance de l’infrastructure, l’inadéquation des marchés financiers, les obstacles administratifs et la politique. En fin de compte, la mise en œuvre et l’entrée en vigueur des politiques régionales se font au niveau des États membres et sont motivées par des intérêts nationaux et individuels plutôt que par des engagements régionaux.

Au carrefour de l’intégration régionale

L’ambition politique de renforcement des liens commerciaux entre les nations ouest-africaines et de progression de l’intégration régionale a abouti à la création de la CEDEAO en 1975. La CEDEAO est le plus ancien bloc infrarégional de l’Afrique ; elle comprend 15 pays et compte actuellement environ 400 millions d’habitants. Le secteur agroalimentaire, qui représente 66 pour cent de la totalité des emplois, est le plus important employeur de la région. Il a une valeur monétaire totale de 260 milliards de dollars US (USD), soit 35 pour cent du produit intérieur brut de l’Afrique de l’Ouest, PIB qui devrait atteindre 460 milliards de dollars US en 2030.

Le commerce intrarégional enregistré représente actuellement 12 pour cent des exportations totales – contre 59 pour cent en Asie et 69 pour cent en Europe – ce qui laisse une belle marge de progression. Cependant, des études de cas ont montré que lorsqu’on tient compte des volumes commerciaux non enregistrés, le commerce intrarégional est considérablement plus important que les chiffres officiels l’indiquent. Pourquoi ? Parce qu’en Afrique de l’Ouest, les coûts commerciaux sont extrêmement élevés.

Les politiques commerciales agricoles actuelles entre les pays de la CEDEAO ne sont pas pleinement mises en œuvre ou, lorsqu’elles le sont, c’est de manière non transparente ou incohérente. Les mesures commerciales non tarifaires, le dysfonctionnement des procédures de transit douanier et l’insuffisance des capacités logistiques entraînent de longues attentes lors du contrôle aux frontières, ce qui se traduit, en fin de compte, par une augmentation de 30 pour cent du prix final à la consommation. Cela est particulièrement vrai pour les denrées périssables telles que les légumes frais.

Les grandes étapes sur papier ne suffisent pas

Les membres de la CEDEAO ont convenu d’adopter plusieurs politiques régionales visant à encourager et faciliter le commerce alimentaire dans la région. Il s’agit, entre autres, de la politique agricole de la CEDEAO (ECOWAP), du programme de libéralisation des échanges de la CEDEAO (ETLS), du tarif extérieur commun (CET) et du protocole sur la libre circulation des personnes et la sécurité aux frontières.

Des progrès ont été réalisés pour surmonter des difficultés structurelles du commerce régional, par exemple la réalisation de projets d’infrastructure tel que le corridor Abidjan-Lagos, mais la mise en œuvre aux frontières continue de poser plusieurs problèmes : des restrictions commerciales sont imposées, le programme ETLS est insuffisamment mis en œuvre, et des obstacles non tarifaires ainsi que des protocoles tels que les normes phytosanitaires ne sont toujours pas harmonisés.   

Pour efficacement mettre en œuvre les politiques existantes, une coopération permanente entre la Commission de la CEDEAO et les ministères nationaux concernés des États membres est essentielle. En outre, il est nécessaire de disposer de lignes directrices exhaustives pour la mise en œuvre nationale harmonisée des politiques de commerce agricole, par exemple grâce à la publication de lignes directrices de mise en œuvre dans les régimes commerciaux de la CEDEAO.

Projet de commerce agricole GIZ CEDEAO

Afin d’aider la Commission de la CEDEAO et ses États membres dans leur volonté d’une plus grande intégration régionale, de développement économique, d’amélioration des conditions sociales et économiques des femmes, et de renforcement de la sécurité alimentaire grâce au commerce agricole, le projet de commerce agricole GIZ CEDEAO (ECOWAS Agricultural Trade – EAT) a été officiellement lancé par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH en mars 2023.

En utilisant une approche multiniveau et pluridisciplinaire en collaboration avec la Commission de la CEDEAO et ses membres, le secteur privé et la société civile, le projet met l’accent sur trois points essentiels : conseil en matière de politiques, facilitation du commerce et promotion du commerce. Il favorisera l’élaboration de politiques sur la base d’éléments concrets et collaborera avec des organisations locales et régionales, avec le soutien du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO), du secrétariat de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du Centre du commerce international.

Grâce à une approche ascendante pragmatique, le projet EAT vise à faciliter les flux commerciaux en réunissant les responsables des orientations politiques, le personnel en poste aux frontières et le secteur privé tout en mettant particulièrement l’accent sur les femmes dans le commerce. Cela afin de permettre aux groupes marginalisés de tirer plus d’avantages tangibles du commerce régional. De plus, EAT mettra l’accent sur le potentiel inexploité du commerce non enregistré, le renforcement des capacités commerciales pour faire face aux contrôles et inspections aux frontières, et sur l’amélioration de l’accès aux marchés transfrontaliers.

En outre, le projet renforcera les communautés commerciales, par exemple en favorisant l’accès des petits commerçants au financement, en améliorant les compétences commerciales et en résolvant des problèmes techniques tels que le respect des normes, la traçabilité et les exigences de conditionnement. En parallèle avec d’autres programmes financés par des donateurs, EAT cherche à promouvoir l’intégration régionale grâce au commerce agricole, en mettant l’accent sur les approches « aval » dans la chaîne de valeur, le consommateur et les solutions axées sur la sécurité alimentaire et basées sur des modèles commerciaux viables pour les petites et moyennes entreprises (PME).

En tirant parti des approches et connaissances existantes, EAT s’efforcera d’améliorer et d’ajouter de la valeur grâce à une combinaison de renforcement des capacités, d’infrastructure immatérielle, de conseils en matière de politique et de dialogue. Avec les partenaires régionaux et nationaux, il faudra mettre l’accent sur les bonnes pratiques et les solutions permettant au commerce agricole transfrontalier d’améliorer la sécurité alimentaire régionale.

À titre d’exemples, citons la formation des négociants de denrées alimentaires à se conformer aux normes nationales lors du franchissement de frontières, la simplification des procédures de contrôle douanier pour les denrées périssables, et les voies rapides pour les commerçants individuels aux frontières. Enfin, il est indispensable de soutenir et de protéger les commerçantes pour assurer leur autonomisation économique. On peut pour cela créer des espaces sécurisés le long des couloirs commerciaux, informer les femmes et les aider à faire valoir leurs droits.

Vent arrière pour la ZLECAf

La ratification de la Zone de libre-échange du continent africain (ZLECAf) a donné un nouvel élan aux efforts de facilitation du commerce selon une perspective continentale globale. La CEDEAO joue un rôle essentiel dans la réussite de la mise en œuvre de la ZLECAf. Le CET a servi de base aux négociations tarifaires des États membres de la CEDEAO en vertu de la ZLECAf. Par ailleurs, la CEDEAO coordonne les négociations de la ZLECAf et assure une médiation en cas de désaccords entre États membres. Cependant, la vraie valeur des accords commerciaux réside dans leur capacité à assurer des améliorations et des résultats tangibles sur le terrain. Par conséquent, l’objectif suprême est axé sur la mise en œuvre et l’harmonisation nationales de ces accords dans différents pays.   


Kristina Mensah est consultante indépendante en matière de politique agricole et commerciale. Elle a obtenu son BSc en nutrition et en sciences de l’alimentation, ainsi que son MSc en agriculture et en économie alimentaire à l’université de Bonn, Allemagne.

Jonas Wittern est conseiller à la GIZ dans le projet sectoriel Agriculture. Il est titulaire d’un BSc en sciences agricoles et d’un MSc en économie agricole obtenus à l’université Humboldt de Berlin, Allemagne.

Arne Schuffenhauer est responsable du projet EAT et est basé au Nigeria. Il est ingénieur diplômé en agronomie internationale et a travaillé en Afrique du Sud, au Cameroun et en Afrique de l’Ouest.
Contact: arne.schuffenhauer(at)giz.de

Références:

Kareem, Olayinka Idowu and Wieck, Christine (2022). Mapping agricultural trade within the ECOWAS : structure and flow of agricultural products, barriers to trade, financing gaps and policy options. A research project in cooperation with GIZ on behalf of BMZ.

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Commentaires :

  • user
    Esther Ibrahim December 14, 2023 A 3:07 pm
    Great article. It helped me answer questions on intra regional trade I was looking for answers to.