Vue aérienne de la rivière Monboyo et de la forêt tourbeuse du Parc national de la Salonga en République démocratique du Congo (RDC).
Photo: ©Daniel Beltrá/Greenpeace

Les tourbières – points de bascule du climat

Lorsque les marécages tourbeux s’assèchent, ils peuvent libérer d’énormes quantités de gaz à effet de serre. Parce qu’ils réagissent de manière très sensible aux changements climatiques, ce sont d’importants points de bascule. Une étude publiée dans la revue Nature cherche à savoir à quel point le carbone stocké dans la tourbe est sensible aux changements environnementaux.

Les mers et les océans stockent le carbone puisé dans l’atmosphère, mais ils ne sont pas les seuls, les tourbières aussi. On considère que ces dernières contiennent les plus importantes réserves de carbone de la Terre. Les résidus végétaux, et par conséquent du carbone, qui se décomposent dans des zones couvertes d’eau sont stockés dans des conditions pauvres en oxygène tant que la tourbière reste couverte d’eau.

Les tourbières ne peuvent donc fonctionner comme des puits de carbone que si les marécages ne se dessèchent pas, par exemple en raison du changement climatique ou d’activités humaines telles que l’agriculture, l’extraction de la tourbe ou la construction de routes.

Le Bassin du Congo est un des plus vastes bassins fluviaux du monde. Il se caractérise essentiellement par des forêts tropicales, mais dans le bassin central, qu’on appelle la Cuvette, ce sont des forêts marécageuses qui prédominent.   

Jusqu’en 2000, on croyait que la zone n’était couverte que par la forêt tropicale. Toutefois, des observations par satellite ont montré que sous les arbres, le sol était couvert d’eau. Une cartographie réalisée en 2017 a établi que cette zone de plus de 167 600 kilomètres carrés renfermait le plus grand complexe tourbeux du monde.

Le Dr Enno Schefuß, du MARUM – Centre des sciences de l’environnement marin de l’université de Brême, en Allemagne, étudie depuis longtemps le Bassin du Congo et son importance pour le cycle du carbone dans le monde. Au printemps 2022, il a dirigé une expédition de prélèvement d’échantillons dans la région. Le projet de coopération Allemagne/France en cours est en partie financé par la Fondation allemande pour la recherche (Deutsche Forschungsgemeinschaft – DFG). Avec ses collègues, il étudie actuellement la sensibilité de cet écosystème bien particulier au changement climatique. « On ne sait pratiquement rien de l’origine et de l’histoire de cette zone tourbeuse, ou de sa dynamique du carbone, » déclare Enno Schefuß, un des principaux auteurs de l’article publié en novembre dans Nature . « Mais ces connaissances sont essentielles pour évaluer la susceptibilité de l’écosystème au changement climatique et acquérir des informations sur les impacts de l’exploitation forestière, la prospection pétrolière et l’agriculture. »

La datation des carottes de tourbe révèle un schéma qui se répète régulièrement dans la région. Il y a entre 7 500 et 2 000 ans de cela, il y a eu une phase pendant laquelle la tourbe a été fortement condensée. Des analyses géochimiques ont montré que la tourbe s’est déposée à cette époque, mais qu’elle s’est décomposée et qu’elle a perdu la majeure partie de son carbone. La tourbe qui existe actuellement n’est qu’un vestige de la tourbe d’origine qui faisait plusieurs mètres d’épaisseur.

Le cycle mondial du carbone
 

En même temps, des parties réfractaires, c’est-à-dire non dégradées, de l’ancienne tourbe se sont déposées dans les sédiments marins au large des côtes du fleuve Congo. Cet apport, par les cours d’eau, de matière organique terrestre dans l’océan est une importante composante du cycle mondial du carbone, qui est un axe de recherche dans le cadre du Cluster d’Excellence « Fond océanique » (Ocean Floor) du MARUM.

Que s’est-il passé ? « Nous avons utilisé la technique de la reconstruction paléohydrologique, qui permet d’inférer les conditions de précipitation dans le passé, pour conclure que le marécage s’est asséché pendant cette phase, » déclare Enno Schefuß. « Nous avons pu estimer les quantités de pluie avant, pendant et après la phase de décomposition. » Il est intéressant de noter que la décomposition a affecté la tourbe formée pendant cette période, mais également les anciennes couches de tourbe se trouvant en dessous.

En s’appuyant sur des données climatiques modernes, la répartition précise de la tourbe et de la reconstruction des régimes de pluie, Enno Schefuß et ses collègues ont été en mesure de déterminer les conditions de formation de la tourbe, les conditions de décomposition et la situation actuelle.

Pendant la période de décomposition, les chutes de pluie ont été en moyenne d’un mètre inférieures à la moyenne chaque année. Il n’y a qu’environ 2 000 ans que la situation s’est suffisamment stabilisée pour que la tourbe recommence à se former. Cependant, aujourd’hui, les marécages tourbeux d’Afrique tropicale connaissent des conditions climatiques considérablement plus sèches que celles qu’on trouve dans d’autres marécages tropicaux. Les auteurs de l’étude concluent donc qu’on se trouve dangereusement près d’un point de bascule.

« En tant que chercheurs nous nous devons de produire des données fiables qui permettront aux décideurs de protéger les écosystèmes vulnérables tout en favorisant le développement durable, » explique Enno Schefuß. « Nos résultats montrent que dans le Bassin du Congo tropical la tourbe est proche du point de bascule entre puits à carbone et source de carbone, mais aussi qu’elle est résiliente et que, dans des conditions favorables, elle peut se rétablir. »  


(University of Bremen/wi)

 

Publication originale :

Yannick Garcin, Enno Schefuß, Greta C. Dargie, et al.: Hydroclimatic vulnerability of peat carbon in the central Congo Basin. Nature 2022. DOI: https://doi.org/10.1038/s41586-022-05389-3

Plus d’informations :

Pour en savoir plus sur le groupe de travail « Molecular Paleoclimatology » 

 

 

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