Scène courante le long des routes africaines. Les femmes contrôlent une part importante du commerce des produits agricoles.
Photo : Jörg Böthling

L’agriculture africaine se conjugue au féminin

L'Afrique a une énorme opportunité de faire de l'agriculture son moteur économique. Toutefois, ce potentiel est loin d'être exploité de manière exhaustive, notamment parce que les femmes sont confrontées à des difficultés considérables dans leurs activités économiques. L'organisation AWAN Afrika cherche à changer cet état de fait.

Si vous roulez sur une grande route en Afrique, vous ne manquerez pas de remarquer les femmes qui s'entassent aux arrêts de bus pour essayer de vendre à des acheteurs potentiels les produits agricoles dont leurs bras sont chargés. Rien d’étonnant, car les femmes contrôlent une part importante du commerce des produits agricoles en Afrique, que ce soit au niveau de la production, où, selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), 50 pour cent de l'ensemble de la main-d'œuvre agricole est composée de femmes qui produisent près de 70 pour cent de la nourriture en Afrique et contribuent ainsi à environ 21 pour cent du produit intérieur brut (PIB) de l'Afrique subsaharienne.

Ces statistiques montrent clairement que les femmes contribuent à la sécurité économique et alimentaire de l'Afrique. Pourtant, les politiques des pays africains continuent de refuser aux femmes les pleins droits sur la terre qu'elles cultivent ou même sur les revenus qu'elles tirent de leurs produits. Selon le centre pour les droits des femmes à la terre (Center For Women's Land Rights), au Kenya, 65 pour cent des terres sont régies par le droit coutumier, qui donne aux hommes la priorité sur les femmes en matière de propriété foncière et s'applique sous diverses formes dans toute l'Afrique. Cela signifie que les femmes qui s'occupent de la terre ne peuvent pas l'utiliser comme garantie si elles ont besoin d'un prêt bancaire.

Par ailleurs, les femmes ne peuvent pas participer aux prises de décisions qui déterminent les droits fonciers ainsi que les politiques agricoles. Pourtant, de nombreux programmes de recherche ont montré que si les femmes avaient le même accès aux ressources que les hommes, les rendements agricoles en Afrique augmenteraient de 4 pour cent, ce qui réduirait de 17 pour cent le nombre de personnes souffrant de la faim. Bien qu'elle dispose de plus de 20 pour cent des terres arables du monde, les importations alimentaires de l'Afrique se chiffrent à 35 milliards de dollars US et devraient atteindre 110 milliards d'ici 2030. Au cours de cette décennie d'action, l'Afrique aura une énorme opportunité de faire de l'agriculture son moteur économique.

Les femmes représentent 70 pour cent des activités agricoles en Afrique, mais plusieurs obstacles entravent leur réussite dans l’agroalimentaire. Elles n'ont pas accès aux capitaux, aux intrants agricoles, ni aux connaissances des nouvelles technologies sur les pratiques agricoles durables et des tendances du marché local, régional et mondial, pour ne citer que quelques restrictions.

La valeur ajoutée n'est pas encore pleinement exploitée sur le continent – la plupart des pays africains continuent d'exporter leurs denrées alimentaires, par exemple le cacao, le thé et le café, sous forme de matières premières, puis de les importer sous forme de produits finis. Les marchés africains sont encore des bâtiments fixes qui, pour accéder aux agriculteurs, doivent utiliser un réseau routier médiocre, où les déplacements dépendent des conditions météorologiques, de sorte que beaucoup de denrées alimentaires n'atteignent pas les marchés et sont gaspillées dans des exploitations agricoles disposant d'infrastructures et d'installations de stockage médiocres.

Le commerce électronique gagne lentement du terrain sur le continent, mais il reste l'apanage de quelques agriculteurs férus de technologie, en particulier les jeunes, qui n'ont malheureusement pas accès à la terre et aux capitaux nécessaires pour créer des entreprises.

Le vent en poupe pour les entreprises agroalimentaires appartenant à des femmes ou des jeunes

En tant que réseau à but non lucratif à responsabilité limitée, le Réseau des femmes africaines pour l'agroalimentaire (AWAN Afrika) a été créé pour mettre en place une plateforme permettant aux femmes et aux jeunes africains travaillant dans l'agroalimentaire d'accéder aux financements, aux marchés et aux informations commerciales. Son objectif est de leur permettre de créer et de développer leurs entreprises en exploitant les opportunités disponibles sur les marchés régionaux, et de leur permettre de tirer parti de la zone de libre-échange continentale africaine (AfCFTA) nouvellement créée, ainsi que des marchés mondiaux. C’est un réseau qui comprend les entreprises de ses membres, qu’il s’agisse de producteurs, de transformateurs, d’agrégateurs, d’exportateurs et de fournisseurs d'intrants, entre autres, dans 38 pays d'Afrique.

Pour que l'agriculture soit rentable, il faut faire appel à la technologie. L'organisation met à la disposition des entreprises agricoles détenues par des femmes et des jeunes un "E-Hub", qui est un référentiel d'informations sur l'agriculture tout au long des chaînes de valeur et d'approvisionnement et qui facilite également l'accès aux nouvelles technologies agricoles. Les champions #AWANAfrikaUnder30 sont des jeunes Africains des deux sexes engagés dans l'agrobusiness. Depuis notre création, nous avons enregistré 1 500 entreprises et groupes de femmes et de jeunes dans notre réseau, dans 42 pays, et nous avons aidé plus d'un million de petites entreprises agroalimentaires appartenant à des femmes (mama fish, mama mboga), grâce à un encadrement régulier.

Certains des principaux obstacles à l'agrobusiness africain que j'ai mentionnés plus haut seraient levés si les femmes et les jeunes avaient accès au financement et aux services financiers. Or, les femmes et l'agriculture sont encore considérées comme un risque par la plupart des banques et des prêteurs, qui ne leur proposent pas de prêts pour l'agriculture. Chez AWAN Afrika, nous collaborons avec des institutions financières qui proposent des modèles de financement innovants pour nos membres, qu'il s'agisse de prêts numériques ou de l'utilisation d’autres possibilités que la terre comme garantie. Nous faisons également pression sur les gouvernements pour qu'ils travaillent à une politique qui leur permette de soutenir plus facilement les prêteurs qui donnent la priorité aux femmes et aux jeunes dans l'agrobusiness.

En outre, nous formons nos membres à la nécessité d'une agriculture axée sur le marché, ce qui leur garantit des marchés prêts pour leurs produits. Cela est lié aux deux autres piliers de notre organisation que sont la technologie et la facilitation des échanges, dans le cadre desquels nous veillons à ce que nos membres se tiennent au courant des informations agricoles par l'intermédiaire de notre centre d'information agricole en ligne, qui les informe sur les échanges, y compris les accords entre les blocs commerciaux, ainsi que sur les normes et les certifications. Il leur fournit également les informations les plus récentes relativement aux échanges commerciaux sur différents marchés. Pour l'instant, nous nous efforçons de faire en sorte que nos membres ne soient pas exclus de la zone de libre-échange continentale africaine, qui offrira un marché plus vaste et une chance aux Africains de commercer davantage entre eux.

Nous sommes en voie de finaliser une plateforme qui sera connectée à notre plateforme numérique continentale dans le but de mettre en relation les agroentreprises féminines avec des acheteurs, des exportateurs, des investisseurs, des entreprises agritech et d'autres acteurs de la chaîne de valeur afin de faciliter une participation inclusive sur les marchés continental et mondial.

Aller de l’avant

Nous n'avons fait qu'effleurer la surface, et il reste encore beaucoup à faire pour que les femmes puissent bénéficier de leur travail dans l'agriculture. En collaboration avec les partenaires du développement, les gouvernements africains doivent introduire d’une manière ciblée une formation sur l'ensemble de la chaîne de valeur agricole, visant les femmes et les jeunes.

Il est clair que l'agriculture sera le prochain employeur des jeunes. Mais sur les onze millions de jeunes qui entrent sur le marché du travail chaque année en Afrique, seuls trois millions sont en mesure d'obtenir un emploi rémunéré. Les gouvernements et les partenaires du développement devraient soutenir des initiatives comme AWAN Afrika pour intensifier les activités en faveur d’un plus grand nombre de femmes et de jeunes.

Qu’en est-il du COVID-19 ?

Enfin, alors que l'Afrique connaît sa première récession depuis 25 ans, en raison des effets de la pandémie de COVID-19, la solidarité internationale avec le continent est nécessaire pour maintenir les entreprises à flot. Les premières victimes des mesures de confinement et de restriction de la circulation mises en place pour contenir la propagation du Coronavirus sont les petites exploitantes agricoles et les startups d'agripreneurs. Les femmes sont touchées jusqu'au niveau du ménage en raison du travail supplémentaire qu'elles doivent effectuer suite au confinement.

La COVID-19 a été une catastrophe pour la communauté internationale et les prêteurs traditionnels devront faire face à leurs propres problèmes nationaux. Les grandes entreprises décrieront le manque de mesures de relance, mais pour les commerçants informels et les petits exploitants agricoles, ces mesures risquent de ne rien résoudre. Nous devons chercher des solutions qui auront un impact sur la vie de millions de familles d'agriculteurs vulnérables.

AWAN Afrika finalise une enquête sur l'impact de la COVID-19 sur les petites et moyennes entreprises. Nous cherchons à comprendre leurs mécanismes d'adaptation et à savoir ce que seront leurs activités dans huit mois. Les femmes vont essuyer un double coup dur, car aujourd’hui, en plus de perdre des revenus, elles doivent s'occuper de leurs enfants, qui sont à la maison car les écoles sont fermées ; elles manquent de main d'œuvre pour gérer leurs exploitations, et les violences conjugales sont en augmentation.

L'initiative AWAN Afrika demande le soutien de son projet, qui est basé sur un modèle économique à la recherche d’un financement flexible pour aider ses petites et moyennes entreprises à survivre aux chocs économiques de la COVID-19. Les entreprises ont besoin de liquidités et les femmes n'ont pas accès aux sources de financement. Comme beaucoup de ces femmes nous l'ont dit, elles ont plus à craindre de la faim que de la COVID-19.

IMPACT DE LA COVID-19 SUR L’AGRIBUSINESS

Il est à craindre que la production chute dans les différents secteurs. Une grande partie de la production agricole africaine est manuelle, et le confinement et les restrictions de circulation en cours risquent de réduire l'offre de main-d'œuvre, mais aussi les récoltes et les approvisionnements. Les perturbations ont également affecté la chaîne de valeur, car les acteurs de l'agroalimentaire ne sont pas en mesure d'accéder aux marchés.

Contrairement aux pays riches, les acteurs africains de l'agroalimentaire n'ont pas les ressources nécessaires pour protéger leurs entreprises contre les effets des fermetures et des confinements prolongés. C'est pourquoi il est nécessaire d'intervenir financièrement de toute urgence pour les aider à renforcer la résilience de leurs entreprises et à se remettre des effets de la pandémie de coronavirus.

Beatrice Gakuba est la directrice exécutive du réseau Africa Women Agribusiness Network (AWAN Afrika), une organisation panafricaine à but non lucratif basée au Kenya.
Contact: beatrice@awanafrica.com

Remarque de la rédaction: l'article original est paru le 17 juin 2020 dans l'édition imprimée de Rural 21.

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