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La révolution des supermarchés et les petits exploitants agricoles
Des recherches récentes ont mis l’accent sur le secteur des exportations. Mais les chaînes d’approvisionnement intérieures changent également, souvent du fait des supermarchés et de leurs chaînes d’approvisionnement. Dans de nombreux pays en développement, les supermarchés connaissent une expansion très rapide qui fait que l’on parle parfois de « révolution des supermarchés ».
Nous avons analysé les impacts de cette évolution dans le secteur des petites exploitations agricoles kenyanes dans un projet financé par la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). Nous avons collecté des données auprès de 400 ménages qui ont été sélectionnés de façon aléatoire dans le district de Kiambu, où les deux principales chaînes de la grande distribution kenyane, Nakumatt et Uchumi, se ravitaillent en légumes pour approvisionner leurs magasins à Nairobi. À ce jour, les chaînes de supermarché étrangères jouent encore un rôle négligeable au Kenya. Notre échantillon incluait des agriculteurs qui vendent leurs légumes aux supermarchés de même que des agriculteurs qui écoulent leurs produits par les circuits traditionnels.
Les agriculteurs produisent des légumes à feuilles parmi lesquels on trouve notamment des légumes exotiques, tels que les épinards et le chou fourrager, ainsi que des espèces indigènes, telles que l’amarante et la morelle noire de l’Est. Traditionnellement les ventes sont des transactions de marché au comptant effectuées entre des agriculteurs et des commerçants sans qu’un accord ait préalablement été conclu. Selon la situation de l’offre et la demande, les prix sont sujets à de fortes fluctuations. Par opposition, les supermarchés ont conclu avec les agriculteurs des accords contractuels qui fixent les prix, la qualité, l’hygiène et la continuité de l’approvisionnement. Les prix sont généralement plus élevés et plus stables que dans les circuits traditionnels, mais les supermarchés ne paient qu’une fois par semaine et refusent les livraisons des agriculteurs qui ne sont pas capables d’assurer un approvisionnement régulier ou qui ne satisfont pas aux exigences contractuelles.
Impact positif sur la productivité agricole …
Notre analyse montre que la participation aux circuits de la grande distribution a un impact positif sur la productivité agricole. Des prix à la production plus élevés et des débouchés sûrs augmentent la capacité et la disposition des agriculteurs à améliorer leurs technologies, ce qui inclut notamment l’utilisation de semences de qualité et davantage d’engrais organique, ainsi que leur matériel d’irrigation. La participation aux circuits des supermarchés augmente également l’efficience d’échelle : en raison d’un risque de commercialisation moindre, les agriculteurs tendent à se spécialiser, ce qui permet d’exploiter les économies d’échelle. Nous avons également examiné les impacts sur les conditions de vie des ménages. La participation aux circuits de la grande distribution est source de gains moyens qui relèvent de près de 50 pour cent le revenu par habitant et réduisent ainsi de 20 pour cent les taux de pauvreté parmi les producteurs fournissant les chaînes de supermarché.
… et l’emploit rural
Les supermarchés ont également des effets positifs sur l’emploi rural. Les exigences spéciales des supermarchés obligent à intensifier la production et la transformation post-récoltes, ce qui a pour effet d’accroître la demande de travailleurs salariés émanant des agriculteurs. La participation aux circuits de la grande distribution augmente de plus de 60 pour cent la demande de travailleurs salariés. Les femmes, en particulier, trouvent davantage d’emplois, les travailleurs féminins étant préférés pour certaines opérations telles que le nettoyage et le conditionnement des haricots. L’accès des femmes à un emploi rémunéré tend à accroître leur indépendance économique et leur contrôle sur les revenus. Ces conclusions donnent à penser que la « révolution des supermarchés » peut contribuer à l’expansion du secteur agricole dans le secteur traditionnel et, de façon plus générale, au développement rural. Cependant, les circuits d’approvisionnement des supermarchés au Kenya continuent d’évoluer. Il conviendra d’effectuer des recherches supplémentaires pour savoir si ces bénéfices sont durables ou non. En outre, l’extension géographique de ces développements risque de laisser pour compte les ménages défavorisés. Des agriculteurs plus instruits et mieux formés pourront vraisemblablement s’intégrer plus facilement dans les circuits de la grande distribution. Une bonne infrastructure de même que l’accès à des transports publics et au crédit sont d’autres facteurs facilitant la participation. Il faudra néanmoins pallier les contraintes typiques limitant l’accès au marché afin d’éviter des effets sociaux indésirables.
À Kiambu, une ONG internationale a encouragé l’action collective parmi les agriculteurs en leur proposant notamment une formation spéciale sur les exigences de la grande distribution, un système d’avances spécifiques et un soutien institutionnel approprié. Ces activités réduisent les coûts de transaction et contribuent à faire des agriculteurs des partenaires commerciaux plus fiables pour les supermarchés. De tels efforts devraient être soutenus et renforcés à plus grande échelle afin de mieux intégrer les petits exploitants dans les chaînes de valeur émergentes.
Références de lecture :
Rao, E.J.O., B. Brümmer, M. Qaim (2012) : Farmer Participation in Supermarket Channels, Production Technology, and Efficiency : The Case of Vegetables in Kenya. American Journal of Agricultural Economics 94: 891–912.
Rao, E.J.O., M. Qaim (2011). Supermarkets, Farm Household Income, and Poverty : Insights
from Kenya. World Development 39: 784-796.
Prof. Dr Matin Qaim
Université de Göttingen, Allemagne
mqaim@uni-goettingen.de
Dr Elizaphan J.O. Rao
ILRI, Nairobi, Kenya
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