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Préparer un meilleur avenir pour les communautés de pêcheurs du littoral africain
Au niveau mondial, les captures de poisson stagnent, malgré le déploiement de flottes de pêche de plus en plus importantes dans les océans. Cette situation est due à la surexploitation des ressources halieutiques. Depuis les années 1950 et la fin de la seconde guerre mondiale, dans tous les pays du monde, c’est la course à l’industrialisation de la pêche. En Europe, en Russie, en Amérique du Nord, et plus récemment en Asie, ce mouvement a été encouragé par des programmes massifs de subventions. Ces flottes industrielles pêchent aujourd’hui dans tous les océans, y compris dans les eaux territoriales des pays africains.
Actuellement, des bateaux de plus en plus nombreux et de plus en plus grands, utilisant des méthodes de pêche parfois très destructrices, comme le chalutage de fond, capturent de moins en moins de poissons. Et pour essayer d’augmenter leurs captures, les bateaux industriels se dotent d’instruments de plus en plus sophistiqués pour localiser et capturer ceux qui restent. Cette situation menace non seulement les stocks de poissons qui n’arrivent plus à se reconstituer, mais également les communautés côtières de pêche artisanale qui génèrent, dans le monde, les deux tiers des prises destinées à la consommation humaine directe et 90 pour cent des emplois du secteur.
CAOPA – une forte auto-organisation du secteur de la pêche artisanale en Afrique
Afin d’offrir un avenir aux communautés côtières qui dépendent de la pêche artisanale pour vivre, comme en Afrique, il est essentiel de changer de modèle de développement de la pêche. Depuis sa création en 2010, la Confédération africaine des organisations professionnelles de pêche artisanale (CAOPA) prône un modèle de développement centré sur la pêche artisanale durable, qui met en avant la participation informée des femmes et des hommes des communautés de pêche.
L’Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales, décrétée par les Nations unies pour 2022, donne l’occasion aux décideurs de répondre aux besoins et aux difficultés de la pêche artisanale, qui constitue une source cruciale d’emploi, de moyens d’existence, d’alimentation et de nutrition pour des millions de familles et de communautés côtières. Cette importance de la pêche artisanale a encore été démontrée durant la pandémie de Covid. Malgré les restrictions qui ont durement touché, et continuent de toucher, la pêche artisanale africaine, cette crise a mis en lumière la capacité des communautés de pêcheurs à continuer de fournir un aliment essentiel aux populations.
Cette démarche de promotion de la pêche artisanale durable suit les Directives volontaires de la FAO visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté. Ces directives privilégient une approche fondée sur les droits humains, qui, au-delà de la chaîne de valeur de la pêche, tient compte des questions de genre, de développement social, de transparence, de réchauffement climatique et de commerce.
Ce qu’il faut faire
Pour atteindre cet objectif de mise en place d’une pêche artisanale durable, il faut des actions concrètes. Pour la future Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales, les représentants des associations africaines de pêcheurs et de femmes qui travaillent dans la transformation et le commerce du poisson, organisées au sein de la CAOPA, ont identifié trois domaines d'action prioritaires :
Accès prioritaire aux zones de pêche. La première priorité, c’est de garantir un accès sûr aux ressources pour la pêche artisanale africaine. Tout ce qui peut être pêché durablement par la pêche artisanale, pour l’alimentation des populations, doit être laissé à la pêche artisanale. Ceci est particulièrement important pour des ressources de pêche stratégiques pour la sécurité alimentaire, comme les petits poissons pélagiques en Afrique de l’Ouest.
L’octroi, par les États, de droits de pêche exclusifs aux pêcheurs artisanaux dans les zones côtières est un moyen de leur garantir l’accès au poisson. Pour assurer la gestion durable de ces zones côtières, il faudrait qu’elles soient cogérées par l’État et les pêcheurs artisanaux et que soient appliquées des mesures appropriées de conservation des écosystèmes, comme la gestion des aires marines protégées en concertation avec les communautés dépendantes de la pêche.
Un autre aspect qui peut améliorer l’accès des pêcheurs au poisson, c’est le renforcement de la sécurité à bord des petits bateaux de pêche artisanale. La pêche en eau profonde a toujours été une des activités les plus dangereuses du monde. Aujourd’hui, la raréfaction du poisson, mais aussi le réchauffement de la planète, qui entraîne certains poissons plus au large vers des eaux plus froides et cause des conditions météo plus difficiles pour la navigation, sont des facteurs qui rendent le métier de pêcheur artisanal encore plus dangereux. La signature et la mise en œuvre par les pays africains de la convention 188 de l’OIT devraient permettre d’améliorer la sécurité en mer des pêcheurs. La formation des capitaines de petits bateaux, l’utilisation de nouvelles technologies (géo-localisation, etc.), la sensibilisation des pêcheurs au port du gilet de sauvetage sont des enjeux de sécurité essentiels.
Renforcer le secteur de la transformation dominé par les femmes dans la pêche artisanale. La reconnaissance et la valorisation du rôle des femmes dans la pêche artisanale africaine sont une autre priorité. Les femmes sont présentes à toutes les étapes de la chaîne de valeur de la pêche artisanale des pays africains : financement des sorties de pêche, préparation du matériel de pêche, réception et transformation du poisson. Elles sont aussi le pilier des familles et un maillon essentiel pour acheminer le poisson vers les consommateurs locaux et régionaux, voire internationaux. Beaucoup de femmes du secteur de la pêche artisanale travaillent dans des conditions intolérables, certaines respirent la fumée plus de dix heures par jour et travaillent sans accès à l’eau potable, à l’électricité ou aux sanitaires, et cela pour un revenu de misère.
C’est pourquoi, à l’occasion de l’Année internationale, les États devraient investir dans les services et infrastructures nécessaires à l’amélioration des conditions de travail des femmes de la pêche artisanale. Certaines actions, comme la possibilité de réfrigérer le poisson capturé ou la fourniture de fours de fumage améliorés utilisant l’énergie solaire, amélioreront aussi l’approvisionnement des femmes en matière première de qualité, et leur permettront d’avoir de meilleurs produits transformés, avec un revenu décent à la clé.
Les Africaines du secteur de la pêche artisanale sont également impliquées dans la pisciculture artisanale qui est un bon moyen de compléter leur approvisionnement en matières premières, mais aussi de faire face à des périodes d’arrêt de la pêche (repos biologique, par exemple). Les États devraient donc soutenir les initiatives dans ce secteur, comme l’amélioration de l’accès à la terre et au crédit pour les équipements nécessaires, ou encore l’aide à la recherche et au développement d’une pisciculture intégrée.
La survie des communautés côtières avant les intérêts des industries extractives et touristiques. Mais aucune de ces actions ne portera de fruits si la pêche artisanale reste un secteur marginalisé dans l’économie nationale. L’inquiétude de la pêche artisanale africaine aujourd’hui, c’est non seulement la concurrence avec la pêche industrielle, mais aussi et surtout la concurrence avec d’autres secteurs des stratégies « d’économie bleue », financièrement et politiquement plus puissants, comme l’exploitation de pétrole et de gaz, le tourisme, les usines de transformation de poisson en farine, qui mettent en péril l’avenir de la pêche artisanale.
Pour la CAOPA, le développement de l’économie bleue doit être prudent. Les États doivent réaliser des études indépendantes d’impacts sociaux et environnementaux, dans la plus grande transparence et avec la participation des communautés côtières concernées. Aucune nouvelle activité d’utilisation des océans ne devrait être permise, ni soutenue par des bailleurs de fonds, si elle impacte négativement les écosystèmes marins (pollution pétrolière, par ex.) et les activités des communautés de pêcheurs qui dépendent de ces écosystèmes pour vivre. Il est également important que les États mettent en place des mécanismes transparents de consultation et de résolution des conflits entre les usagers des espaces maritimes, avec une participation informée et active des communautés de pêcheurs concernées.
Enfin, il faut souligner que la pollution des écosystèmes marins et côtiers par les activités humaines, y compris par le plastique, est un fléau pour les communautés. Il est important de promouvoir l’utilisation de matériaux biodégradables, d’interdire l’utilisation des plastiques à usage unique qui polluent nos océans, d’investir dans le traitement des déchets qui jonchent nos plages et nos eaux, y compris en soutenant des initiatives citoyennes de nettoyage des espaces côtiers.
De meilleures perspectives pour les jeunes des deux sexes
L’avenir sera plein de défis pour les communautés africaines de pêcheurs artisanaux, notamment avec les effets du réchauffement climatique qui se font déjà ressentir sur nos activités : conditions de navigation en mer plus difficiles, érosion des côtes, déplacement des ressources plus au large. Mais le principal défi pour l’avenir de nos communautés, c’est de donner aux jeunes femmes et jeunes hommes la perspective de trouver dans la pêche artisanale des conditions de vie et de travail décentes, pour éviter, comme c’est trop souvent le cas aujourd’hui, qu’ils ne tombent dans la criminalité, ou partent sur les routes dangereuses de l’émigration clandestine.
La meilleure façon pour les États africains de donner un avenir au secteur, c’est de reconnaître l'importance de la pêche artisanale et de la mettre au centre de la politique maritime, du développement rural et de la sécurité alimentaire, en élaborant des plans d’actions nationaux transparents, participatifs et sensibles aux enjeux de genre, pour la mise en œuvre des directives de la FAO pour une pêche artisanale durable. Nous espérons que l’Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales sera le point de départ de ce mouvement en Afrique.
Gaoussou Gueye a suivi une formation de navigateur, a travaillé sur des navires de pêche industrielle et des plateformes pétrolières, et a créé un réseau d’intermédiaires de commerce des produits de la pêche dans le but de garantir de meilleurs prix pour les poissons fins, surtout dans le commerce international. Il a par ailleurs joué un rôle actif dans le Conseil interprofessionnel de la pêche artisanale au Sénégal (CONIPAS) dont il a été vice-président jusqu’en 2009. Il est membre du conseil d’administration de l’Initiative pour la transparence des pêches (Fisheries Transparency Initiative – FiTI).
Contact: caopa.peche@gmail.com
Francisco Marí représente Brot für die Welt aux conseils d’administration du Conseil consultatif de pêche lointaine (EU Long Distance Action Committee – LDAC) et de l’Initiative pour la transparence des pêches (FiTI), au conseil consultatif de la Coalition pour des accords de pêche équitables (Coalition for Fair Fisheries Agreements – CFFA), au Forum des parties prenantes de l’Alliance allemande pour la recherche marine, et au Conseil international du Forum social mondial.
Contact: francisco.mari@brot-fuer-die-welt.de
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