Khushi, douze ans, gagne de l’argent en ramassant du mica dans le nord-est de l’Inde.
Photo: terre des hommes

Les enfants perdent espoir

La pandémie de Covid-19 alimente le cercle vicieux de la pauvreté, la faim et l’exploitation auquel des millions d’enfants étaient déjà exposés avant l’imposition du premier confinement. L’autrice fait état de ce que nous savons (et de ce que nous ne savons pas) sur l’incidence de la pandémie sur les conditions de vie de millions d’enfants et indique pourquoi il est urgent de changer de cap, y compris en ce qui concerne la coopération au développement.

Cute avait 16 ans lorsque le premier confinement est venu bousculer sa vie dans la petite ville de Seke, au Zimbabwe. « Du jour au lendemain, plus d’argent ne rentrait à la maison, » se souvient-elle. « Ma mère vend des légumes sur un petit marché, et c’est de ça que nous vivions. Puis le marché a été fermé. » Cute participe activement au projet Citizen Child Youth Media. Avec le soutien de l’organisation d’aide à l’enfance Terre des hommes, le projet donne la parole aux enfants et aux jeunes et leur permet de défendre leurs intérêts.

Cute a rendu compte de sa situation pendant deux ans. Fin 2021, elle a écrit que rien n’avait changé depuis le premier confinement de l’année. « Pendant les périodes de confinement, les écoles étaient fermées, » rapporte-t-elle. « Tout le monde parlait de cours en ligne. Mais pour cela il faut un smartphone et de l’argent pour payer l’accès à Internet. Pour moi et mes camarades de classe, ce n’est qu’une illusion, et je sais qu’ici la plupart des jeunes sont dans la même situation. On n’a tout simplement pas les moyens. Une année est passée et, pour la plupart d’entre nous, les cours en ligne restent inabordables. »

Au lieu d’étudier, Cute participait aux tâches quotidiennes ; par exemple elle allait chercher de l’eau. Elle se levait à quatre heures du matin pour faire la queue devant le puits. Elle et ses amies avaient peur d’attraper des maladies avec tous ces gens autour d’elles. Mais à Seke, c’est le seul moyen d’avoir de l’eau. Les gardes profitent de la situation. « Les hommes qui surveillent les queues nous demandent souvent des faveurs sexuelles, à nous, les filles, » déclare Cute. « Si vous acceptez, vous pouvez gagner des places dans la queue. Celles qui refusent n’ont plus qu’une solution : dépenser le peu d’argent qu’elles ont pour acheter de l’eau au lieu de la nourriture. »

Elle fait état d’un autre sujet qui rend la vie difficile aux filles. Lorsqu’il n’y a plus d’argent à la maison, les filles ne peuvent plus acheter de protections hygiéniques. « Lorsque mes amies m’ont dit qu’elles ne pouvaient pas acheter de protections hygiéniques, j’ai lancé une petite étude, » explique Cute. « J’ai constaté que neuf filles sur dix n’avaient pas les moyens d’acheter ces protections. Faute de mieux, elles utilisaient des chiffons de toutes sortes – rien que des solutions malsaines. On peut trouver méprisable le fait de signaler ce problème au monde entier, mais pour les filles qui grandissent, les protections hygiéniques sont une nécessité absolue. »

La faim est devenue le plus gros problème en quelques jours seulement


Cute a fait l’expérience que pendant la pandémie, les périodes de confinement aggravaient les problèmes existants en quelques jours seulement. « Notre situation est désespérée et la plupart des enfants ont perdu tout espoir, » dit-elle. « Partout dans le monde on entend les gens dire que le confinement est un moyen d’éviter l’infection, voire la mort. Mais qu’est-ce que cela veut dire pour les enfants qui ne savent pas s’il y aura encore quelque chose à manger le lendemain et qui ont peur de mourir de faim ? »

La crise de la Covid-19 est venue aggraver une situation dans laquelle des milliards de personnes n’ont pas de quoi se protéger contre les chocs économiques, ne serait-ce que pendant quelques jours. La Banque mondiale estime que dans les pays en développement et les économies émergentes, la moitié des ménages n’ont pas les moyens de faire face aux coûts de la nourriture, de l’eau et du logement pendant plus de trois mois lorsqu’ils n’ont plus de revenus. Mais dans les familles pauvres qui n’avaient déjà pas de quoi vivre avant la pandémie, la faim s’est installée au bout de quelques jours seulement.

Les travailleurs migrants, les journaliers, le personnel domestique et les femmes travaillant en usine ont perdu leur emploi du jour au lendemain. Les petites exploitantes agricoles ne pouvaient plus vendre leurs produits car les marchés étaient fermés et les transports interdits. Et on ne pouvait pas non plus compter sur l’aide de membres de la famille travaillant en grande ville ou à l’étranger. Seule une minorité de personnes peut compter sur l’aide apportée par l’allocation chômage ou sur une assurance couvrant les dépenses de santé. Cinquante-trois pour cent de la population mondiale, soit plus de quatre milliards de personnes, ne bénéficient d’aucune sécurité sociale. Aucune d’entre elles n’avaient quoi que ce soit pour faire face à l’impact économique de la pandémie.

Ce que nous savons de la façon dont la pandémie affecte les enfants …


Comme dans toute crise, les groupes les plus vulnérables de la population sont ceux qui sont le plus durement touchés : les pauvres, les victimes de discrimination, les réfugiés et les personnes déplacées, les personnes âgées et les personnes handicapées. Les enfants sont encore en cours de développement physique et mental ; ils dépendent plus de soins fournis par d’autres et sont donc particulièrement vulnérables. La Covid-19 a plus rarement touché gravement les enfants et les jeunes. Selon le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef), à l’échelle mondiale, 17 200 enfants et jeunes de moins de 20 ans sont morts de la Covid-19. Cela représente 0,4 pour cent des cas de mortalité dus au coronavirus sur un total de 4,4 millions de personnes concernées. Cependant, les conséquences sociales et économiques de la pandémie ont plus touché les enfants que les adultes. À l’heure qu’il est, presque tous les indicateurs faisant référence à la situation des enfants plongent de manière spectaculaire :  

  • Avant la pandémie, déjà, les enfants – entendons ici toutes personnes de moins de 18 ans – étaient de manière disproportionnée très touchés par la pauvreté. Ils représentent un tiers de la population mondiale mais aussi plus de la moitié des personnes extrêmement pauvres, celles qui doivent vivre avec moins de 1,90 USD par jour. Suite à la pandémie de Covid-19, le nombre d’enfants vivant dans l’extrême pauvreté a augmenté d’environ 150 millions pour atteindre 725 millions (garçons et filles confondus). ­
  • En plus des soucis économiques et de l’isolement dû au confinement et aux mises en quarantaine, le stress a également progressé dans les familles. Dans tous les pays du monde, les violences domestiques contre les femmes et les enfants ont augmenté. Pour les victimes, il était difficile d’obtenir de l’aide car les refuges et les services de conseils étaient fermés. ­
  • Les services de santé publique, déjà insuffisants, notamment dans les zones rurales, n’étaient plus accessibles pour beaucoup. Cela a eu des conséquences dramatiques et à long terme. Les femmes enceintes et les nourrissons n’ont pu bénéficier des soins nécessaires et les campagnes de vaccination contre la polio et la rougeole ont été suspendues. ­
  • Selon l’Unesco, en 2022, pendant le pic du confinement, 1,5 milliard d’enfants ont été dans l’incapacité d’aller à l’école. Environ 463 millions d’entre eux n’ont pu bénéficier des service de télé-enseignement. Pour 365 millions d’écoliers, les fermetures d’écoles ont entraîné la suspension de la restauration scolaire gratuite offrant souvent le seul repas nourrissant de la journée. Les familles dans le besoin doivent alors faire avec les moyens du bord, aux dépens des enfants qui doivent alors travailler avec les autres. Les filles sont mariées plus tôt, dans l’espoir qu’elles seront mieux dans la famille de leur mari.

Les familles dans le besoin doivent alors faire avec les moyens du bord, aux dépens des enfants qui doivent alors travailler avec les autres. Les filles sont mariées plus tôt, dans l’espoir qu’elles seront mieux dans la famille de leur mari.

  • En juin 2020, l’Organisation internationale du travail (OIT) a constaté qu’après deux décennies de progrès et de diminution du nombre d’enfants qui travaillent, un nombre considérablement plus grand d’enfants doivent aujourd’hui travailler. La multiplication des guerres et des conflits et l’impact de la pandémie de Covid-19 sont responsables de cette situation. Actuellement, des études sur la situation au Ghana, en Ouganda, au Népal, en Afghanistan, au Bangladesh, en Inde et au Myanmar montrent que pendant les périodes de confinement un nombre considérablement plus élevé d’enfants travaillaient et que beaucoup ne sont pas retournés à l’école. Les filles et les garçons qui avaient déjà contribué aux revenus de la famille avant la pandémie ont souvent vu leurs conditions de travail empirer. Par exemple, comme le montre le Rapport sur le travail des enfants 2022, ils doivent travailler plus longtemps, ou plus fort. Plus d’enfants sont victimes du travail forcé, de l’esclavage ou de la prostitution. En mai 2020 déjà, pendant les premiers stades de la pandémie, des organisations partenaires de Terre des hommes aux Philippines signalaient que la demande de jeunes filles pour la prostitution d’enfants sur webcam était à la hausse. Parallèlement, Europol faisait savoir que la demande pornographie enfantine sur Internet avait considérablement augmenté depuis le début des périodes de confinement.   
  • L’Unicef estime qu’en raison de la Covid-19, le nombre de filles mariées de force avant leur 18e anniversaire avait augmenté de 10 millions pour atteindre un total de 100 millions.   

… et ce que nous ne savons pas


On ne peut toutefois démontrer que partiellement comment, et dans quelle mesure, la pandémie a un impact sur les enfants car les données dont on dispose sont insuffisantes. Il y a à cela plusieurs raisons ; l’une d’elle tient au fait que pour recueillir des données il faut avoir les moyens et le savoir-faire nécessaires, ce qui est rarement le cas. Une autre vient de ce que les enfants ne sont pas le centre d’intérêt de la société et de la politique. Cela vaut en particulier pour les enfants des familles pauvres et issus de groupes marginalisés et discriminés, vivant en zones rurales et dans des régions exposées à la guerre et en crise, ainsi que pour les enfants réfugiés ou déplacés.

Par ailleurs, les enfants sont souvent exclus des collectes de données – pas seulement lorsque les statistiques ne sont pas ventilées en groupes d’âge, mais aussi parce que les entretiens suivent souvent un schéma préétabli. Ce sont les chefs de famille – souvent les hommes – qui sont interrogés et il n’est pas tenu compte du point de vue des enfants. Par exemple, en raison du manque de données, on ne sait pas très bien si, et comment, l’effondrement des systèmes de santé dû à la pandémie a une incidence sur la mortalité des enfants (mortalité des nouveaux nés et des enfants de moins de cinq ans). Selon l’Unicef, deux tiers des pays en développement et des économies émergentes ne peuvent pas fournir de données fiables sur la mortalité des enfants.

Les conséquences à moyen et long terme de la pandémie ne seront apparentes que dans les prochaines années. Par exemple, comment les effets de la sous-alimentation pendant les périodes de confinement se manifesteront-ils ? La faim et la malnutrition des femmes pendant la grossesse, ainsi que des bébés et des nourrissons, ont souvent des conséquences néfastes sur la vie entière des enfants car elles affectent le développement du cerveau, retardent la croissance et favorisent l’émaciation.

Est-ce que les enfants qui ont connu la pauvreté et la violence, ou qui ont perdu leurs parents ou des membres de la famille pendant la pandémie, seront capables de grandir et prendre leur vie en mains de manière créative dans des conditions difficiles ? Est-ce que le fait d’être en retard dans ses études aura des conséquences pour les enfants ? Constatera-t-on une augmentation des maladies mentales ? Combien de familles se sont endettées pour payer le médecin et les médicaments ? Qui va pouvoir payer ses dettes à une époque où, en raison de mauvaises récoltes, à la suite d’inondations ou de périodes de sécheresse ou du fait des conséquences de la guerre en Ukraine, les prix des denrées alimentaires sont montés en flèche ?

Mettre les enfants au centre des politiques publiques


Cute, jeune zimbabwéenne, demande une éducation de qualité et gratuite pour tous les enfants, des emplois sûrs pour les adultes et un meilleur approvisionnement en eau potable. Ses exigences ne pourront être satisfaites qu’au prix d’une réorientation fondamentale de la politique et de l’économie. La communauté internationale doit investir plus, et de toute urgence, dans des domaines d’une grande importance pour les enfants et qui peuvent grandement améliorer leur situation : sécurité alimentaire, soins de santé, eau potable, éducation et protection contre la violence et l’exploitation. La création de systèmes de sécurité sociale est cruciale pour que les familles soient plus résilientes aux crises.

Les enfants et les jeunes représentent 30 pour cent de la population mondiale et 2,35 milliards de personnes ont moins de 18 ans. Dans de nombreux pays en développement et de nombreuses économies émergentes, les enfants constituent les plus grands groupes démographiques. La communauté internationale a souvent promis d’importantes améliorations pour les enfants. Il est grand temps d’écouter les enfants, de les faire participer aux décisions et de mettre leurs intérêts au premier plan.

Où sont inscrits les droits des enfants
La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (CNUDE) a été adoptée en 1989 et ratifiée par tous les pays du monde à l’exception des États-Unis. Cette Convention définit les droits de l’enfants à la protection, au soutien et à la participation. Des conventions supplémentaires stipulent les droits des enfants dans les conflits armés et la protection contre la traite et l’exploitation sexuelle des enfants, ainsi que les procédures de plaintes individuelles. À intervalles réguliers, le Comité des Nations unies sur les droits des enfants examine dans quelle mesure les gouvernements se conforment à la convention et fait des recommandations en conséquence.
La protection des enfants contre l’exploitation est définie dans la Convention 182 de l’OIT sur les « pires formes de travail des enfants » pour les États membres de l’OIT. 


Barbara Küppers est sociologue et journaliste et travaille comme directrice des affaires publiques pour l’organisation d’aide à l’enfance Terre des hommes. Basée à Osnabrück, Allemagne, cette organisation soutient des projets s’adressant aux enfants dans 43 pays. 
Contact: b.kueppers@tdh.de 

References

World Development Report 2022
WDR 2022 Chapter 1. Introduction (worldbank.org)

World Social Protection Report, 2020–22, ILO, Geneva 2022
www.data.unicef.org/topic/child-survival/covid-19

Child Labour Report 2022
Child Labour Report 2022 – Building Back Better after COVID-19 – together with children as protagonists (tdh.de)

Europol. How criminals exploit the COVID-19 crisis, March 2020: 4
COVID-19: A threat to progress against child marriage - UNICEF DATA

Levels and trends in child mortality - UNICEF DATA

https://www.unicef.org/child-rights-convention

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