« Jamais nous n’avons été dans une meilleure position pour mettre fin à la pandémie »
Rural 21: Ms Drysdale, what is the current trend globally concerning Covid-19 infection?
Carla Drysdale: Nous constatons une tendance constante au recul des nombres de décès hebdomadaires. Ainsi, au 22 septembre, ce nombre ne représente plus que dix pour cent de ce qu’il était en janvier 2021. À l’échelle mondiale, avec 3,2 millions de nouveaux cas déclarés, le nombre de nouveaux cas hebdomadaires est resté stable pendant la semaine du 12 au 18 septembre 2022, comparativement à la semaine précédente. Le nombre de nouveaux décès hebdomadaires (9 800 déclarés) a diminué de 17 pour cent comparativement à la semaine précédente. Au 18 septembre 2022, plus de 609 millions de cas confirmés et plus de 6,5 millions de décès ont été déclarés à l’échelle mondiale. Au niveau régional, le nombre de nouveaux cas hebdomadaires déclarés a diminué ou est resté stable dans les six régions de l’OMS. Dans de nombreux pays, les restrictions ont été levées, mais ne nous emballons pas et n’oublions pas qu’il y a encore 10 000 décès par semaine, une statistique qui donne à réfléchir. Surtout lorsqu’on sait que la plupart de ces décès auraient pu être évités.
L’OMS avait demandé qu’avant 2022 au moins 70 pour cent de la population mondiale soit vaccinée contre le corona. À quel point s’est-on rapproché de cet objectif ?
Carla Drysdale: Au 5 septembre 2022, 32 pour cent de la population mondiale n’avait toujours pas reçu la moindre dose de vaccin contre la Covid-19. Alors que 63 pour cent de la population totale des pays membres de l’OMS ont subi la primovaccination, cette proportion tombe à seulement 18 pour cent dans les pays à faibles revenus (PFR). Et sur les 194 États membres de l’OMS, onze ont vacciné moins de dix pour cent de leur population et 63 moins de 40 pour cent. Grâce aux vaccins administrés dans les États membres de l’OMS, on estime que 19,8 millions de décès ont été évités en 2021. Mais il reste beaucoup à faire. Dans le monde, trois quarts des professionnels de la santé et des personnes de plus de 60 ans ont été vaccinés, mais les chiffres mondiaux masquent d’énormes disparités entre les régions et les groupes de revenu. Les groupes les plus à risque ne bénéficient pas partout d’une protection optimale : par exemple, les PFR n’ont vacciné que 23 pour cent de leur population âgée et en moyenne, dans ces pays, seulement 37 pour cent des professionnels de la santé l’ont été.
Que faut-il faire dans ce cas pour améliorer la situation ?
Carla Drysdale: L’OMS demande à tous les pays n’ayant pas encore vacciné 100 pour cent des professionnels de la santé, des personnes de plus de 60 ans et de toutes les personnes exposées à des risque accrus de le faire de toute urgence et de s’assurer que ces populations reçoivent des doses de rappel conformément aux recommandations de l’OMS. C’est le moyen le plus efficace de sauver des vies, de renforcer l’immunité, de protéger les systèmes de santé et d’assurer une reprise économique durable. L’OMS demande également aux pays de vacciner ensuite tous les adultes de manière à accroître les avantages pour la santé et protéger les systèmes de santé et, par conséquent, faire en sorte de préserver le fonctionnement de la société et de l’économie. Enfin, l’OMS demande aux pays de poursuivre le renforcement de l’immunité de manière à atteindre l’objectif de protection de 70 pour cent de la population, à accroître la réduction de la maladie et la protection contre de futurs risques. Au-delà de l’objectif de 70 pour cent, il est essentiel que les pays continuent de maintenir des niveaux d’immunité globale afin de tenir leur population à l’abri. L’OMS demande à tous les pays n'ayant pas encore commencé à injecter les doses de rappel et les doses supplémentaires de le faire immédiatement. Les doses de rappel sont essentielles pour maintenir l’immunité des personnes vaccinées et sont particulièrement importantes pour les personnes à hauts risques telles que les personnes âgées, les professionnels de la santé, les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées. À l’échelle de la planète, l’OMS continue de soutenir une approche graduelle de déploiement des vaccins axée sur la population, méthode selon laquelle les adultes reçoivent les vaccins avant les jeunes. L’OMS actualise la stratégie mondiale de vaccination qui, publiée en octobre 2021, défendait les objectifs de 10 pour cent, 40 pour cent et 70 pour cent. La stratégie définira de nouvelles priorités et de nouveaux objectifs mondiaux pour orienter les pays, les décideurs, la société civile, les fabricants et les organisations internationales dans leurs efforts de lutte contre la Covid-19.
Que va maintenant faire l’OMS ?
Carla Drysdale: L’OMS a maintenant deux objectifs : premièrement, aider les pays les plus en retard à transformer les vaccins anti-Covid-19 en vaccinations aussi rapidement que possible, en collaborant avec eux pour faciliter l’adoption du vaccin, en le mettant directement à la disposition de la population et en vaccinant de toute urgence, et complètement, ceux qui appartiennent aux groupes les plus prioritaires et très prioritaires. Par exemple, l’initiative COVAX (COVID-19 Vaccines Global Access) a livré 14 millions de doses de vaccin depuis le début du mois d’août. Deuxièmement, aider les pays à protéger les systèmes de santé primaires, et à contenir et réduire l’impact de la Covid-19 sur les systèmes de vaccination systématique. Les pays ont besoin d’utiliser toutes les plateformes de livraison disponibles, y compris les programmes de prévention des maladies chroniques non transmissibles (MCNT), de santé reproductive, maternelle, néonatale et infantile (SGMNI) et autres, pour intensifier la vaccination contre la Covid-19.
Parlons des effets secondaires sur d’autres maladies. Quel est l’impact de la pandémie de Covid-19 sur la gestion des autres maladies ?
Carla Drysdale: La Covid-19 a eu un impact considérable sur les soins de santé et sur d’autres maladies. Prenons le cas du paludisme. Selon le dernier Rapport mondial sur le paludisme, on estime que dans le monde, en 2020, il y a eu 241 millions de cas de paludisme entraînant 627 000 décès. Cela représente environ 14 millions de cas supplémentaires en 2020, comparativement à 2019, et 69 000 décès de plus. Environ les deux tiers de ces décès supplémentaires (47 000) étaient liés aux perturbations subies par le système de prévention, de diagnostic et de traitement du paludisme pendant la pandémie de Covid-19. La situation aurait toutefois pu être bien pire. Dans les premiers jours de la pandémie, l’OMS avait prévu que – en raison de graves perturbations des services – le paludisme pourrait potentiellement faire deux fois plus de morts en Afrique sub-saharienne en 2020. Heureusement, de nombreux pays ont pris des mesures urgentes pour renforcer leurs programmes de lutte contre le paludisme, ce qui a évité le pire des scénarios.
Y a-t-il d’autres impacts ?
Carla Drysdale: La pandémie a également été la cause du plus important recul des vaccinations en trois décennies. Il ressort des données publiées par l’OMS et l’Unicef en juillet 2022, que le pourcentage d’enfants ayant reçu trois doses du vaccin contre la diphtérie, le tétanos et la coqueluche (DTP3) – un marqueur de la couverture vaccinale à l’intérieur des pays et entre eux – a diminué de cinq points entre 2019 et 2021 pour atteindre 81 pour cent. Rien qu’en 2021, vingt-cinq millions d’enfants ont raté au moins une dose de DTP dispensée par les services d’immunisation systématique. C’est deux millions de plus qu’en 2020 et six millions de plus qu’en 2019, ce qui met en lumière le nombre croissant d’enfants menacés par des maladies dévastatrices mais pouvant être évitées.
Quelle en a été la raison ?
Carla Drysdale: Ce recul a été dû à de nombreux facteurs. Il y a bien entendu l’augmentation du nombre d’enfants vivant dans des régions fragiles et exposées à des conflits, dans lesquelles l’accès à la vaccination est souvent problématique, mais aussi l’accroissement de la désinformation et les questions liées à la Covid-19 telles que les perturbations des services et des chaînes d’approvisionnement, le détournement des ressources destinées à la lutte contre la maladie et les mesures de confinement qui ont limité l’accès aux services de vaccination et leur disponibilité.
Quels impacts la Covid-19 a-t-elle eus sur les systèmes de santé ?
Carla Drysdale: En ce qui concerne les services de santé en général et d’après la troisième enquête Global Pulse de l’OMS, 90 pour cent des pays ayant participé à l’enquête ont fait état de perturbations continues. Ces perturbations concernaient les services de tous les domaines majeurs de santé (santé sexuelle, reproductive, maternelle, infantile, santé de l’enfance et de l’adolescence, immunisation, nutrition, traitement du cancer, troubles mentaux et neurologiques, toxicomanies, VIH, hépatites TB, paludisme, maladies tropicales négligées et soins aux personnes âgées). En outre, et malgré l’intensification de la vaccination contre la Covid-19, il a été fait état d’une augmentation des perturbations dans les services de vaccination systématique, non seulement chez les enfants, mais aussi chez les adultes. Les conclusions de cette dernière enquête réalisée à la fin de 2021 donnent à penser que les systèmes de santé, dans toutes les régions et tous les pays, indépendamment des niveaux de revenus, continuent d’être gravement impactés, avec peu ou pas d’amélioration depuis le début de 2021, lorsque l’enquête précédente a été réalisée.
Quelles différences constate-t-on entre les continents ?
Carla Drysdale: Si on revient au cas du paludisme, l’Afrique sub-saharienne reste la plus touchée puisqu’elle représentait environ 95 pour cent de tous les cas de paludisme et 96 pour cent de la totalité des décès en 2020. Dans la région, environ 80 pour cent des décès concernent des enfants de moins de cinq ans. En ce qui concerne les vaccinations, la couverture vaccinale a chuté dans chaque région, la région de l’Asie de l’Est et du Pacifique enregistrant la plus forte réduction de la couverture vaccinale DTP3 qui a reculé de neuf pour cent en deux ans. Et pour en revenir aux perturbations des services de santé essentiels, on a constaté quelques variations du pourcentage des services perturbés dans les régions et les groupes de revenus. Globalement, les pays de la région OMS des Amériques ont enregistré le plus fort pourcentage moyen de services perturbés dans chaque pays (55 pour cent dans 27 pays contre 28 pour cent dans 23 pays dans la région européenne) – mais ces résultats doivent être interprétés avec prudence compte tenu des variations des taux de réponse à l’enquête Pulse d’une région à une autre
Quels enseignements en ont été tirés concernant la pandémie de Covid-19 ? L’OMS envisage-t-elle de nouvelles approches ?
Carla Drysdale: Compte tenu de l’impact de la pandémie de Covid-19, les 194 États membres de l’OMS ont déterminé un nouveau processus de rédaction et de négociation de la préparation à la pandémie et de la lutte contre elle. Cette décision a été dictée par la nécessité de s’assurer que les communautés, les gouvernements et tous les secteurs de la société – à l’intérieur des pays et à l’échelle mondiale – sont mieux préparés et protégés, afin de prévenir de futures pandémies et d’y répondre. Les énormes pertes de vies humaines, les perturbations des ménages et des sociétés en général et l’impact sur le développement sont au nombre des facteurs cités par les gouvernements pour appuyer le besoin d’actions durables visant à empêcher la répétition de telles crises. Au cœur de l’accord proposé, il y a la nécessité d’assurer l’égalité d’accès aux outils nécessaires pour empêcher les pandémies – notamment les technologies telles que les vaccins, les équipements de protection individuelle, les informations et l’expertise – et aux soins de santé pour tout le monde.
Est-ce que tout cela n’exige pas un énorme effort financier, notamment pour les pays à faibles et moyens revenus ?
Carla Drysdale: Pour obtenir de tels résultats, un soutien financier est bien entendu essentiel. Le nouveau Fonds financier intermédiaire (Financial Intermediary Fund – FIF) pour la prévention, la préparation et la réponse (PPR) à la pandémie assurera un financement spécial, additionnel et à long terme, destiné à renforcer les capacités PPR des pays à faibles et moyens revenus et à combler des insuffisances critiques grâce à des investissements et à l’appui technique au niveau national, régional et mondial. Le fonds tirera parti de la puissance et des avantages comparatifs des institutions clés engagées dans la PPR, assurera un soutien complémentaire, améliorera la coordination entre les partenaires, encouragera l’accroissement des investissements des pays, servira de plateforme de mobilisation et contribuera à fixer et soutenir l’attention de haut niveau nécessaire au renforcement des systèmes de santé. Ce fonds est un élément clé destiné à combler les lacunes majeures des défenses mondiales contre les épidémies et les pandémies. Dans son rôle de leader technique, l’OMS conseillera le conseil d’administration du FIF sur les investissements les plus efficaces à faire pour protéger la santé, notamment dans les pays à faibles et moyens revenus. Le FIF a été créé avec le soutien important des membres du G20 et d’autres pays. Plus de 1,4 milliard de dollars US d’engagements financiers ont déjà été annoncés, et ce montant devrait augmenter dans les mois à venir. À ce jour, des engagements ont été pris par l’Australie, le Canada, la Chine, la Commission européenne, la France, l’Allemagne, l’Inde, l’Indonésie, l’Italie, le Japon, la République de Corée, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, Singapour, l’Afrique du Sud, l’Espagne, les Émirats arabes unis, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Fondation Bill et Belinda Gates, la Fondation Rockefeller et Wellcome Trust.
Tournons-nous vers l’avenir. Comment l’OMS évalue-t-elle les nouveaux développements concernant la pandémie ?
Carla Drysdale: Le Plan stratégique de prévention, de préparation et de réponse de l’OMS visant à mettre un terme à la situation d’urgence mondiale face à la Covid-19 en 2022 propose trois scénarios possibles de la façon dont la pandémie pourrait évoluer cette année. Dans le pire des scénarios, un variant plus virulent et hautement transmissible apparaît et la protection des personnes contre les manifestations graves de la maladie et la mort, en raison de la vaccination ou d’une infection antérieure, diminuera rapidement. Pour faire face à cette situation, il faudrait considérablement modifier les vaccins actuels et s’assurer que les plus vulnérables en profitent. Mais compte tenu de ce que nous savons déjà, le scénario le plus probable est que le virus continue à évoluer et que la gravité de la maladie dont il est la cause s’estompe dans le temps, parallèlement à l’accroissement de l’immunité due à la vaccination et à l’infection. Des pics périodiques de cas et de décès peuvent se produire à masure que l’immunité diminue, ce qui pourrait nécessiter l’injection périodique de rappels pour les populations vulnérables. Dans le scénario le plus favorable, on pourrait rencontrer des variants moins graves et le recours aux injections de rappel ou à la formulation de nouveaux vaccins ne serait pas nécessaire.
Concrètement, que reste-t-il à faire pour que la pandémie s’arrête ?
Carla Drysdale: Pour aller de l’avant et mettre fin à la phase aigüe de la pandémie cette année, il faut que les pays investissent dans cinq importants domaines. Premièrement, il faut accroître la surveillance, les capacités des laboratoires et les renseignements sur la santé publique. Deuxièmement, la vaccination, la santé publique, les mesures sociales et l’engagement des communautés restent vitaux. Troisièmement, les soins cliniques pour les personnes atteintes par la Covid-19 et la résilience des systèmes de santé doivent être assurés. Quatrièmement, Il faut poursuivre la recherche et le développement et assurer un accès équitable aux outils et aux fournitures, et cinquièmement, la coordination doit être assurée dans la mesure où la réponse à la maladie passe du traitement d’urgence à la gestion d’une maladie respiratoire de longue durée. Si ces mesures sont prises à un niveau suffisant à l’échelle mondiale, ce que le directeur général Tedros Adhanom Ghebreyesus a déclaré le 14 septembre pourrait arriver : « Nous n’avons jamais été dans une meilleure position pour stopper définitivement la maladie. Nous n’en sommes pas encore là, mais la fin est en vue. Si nous ne saisissons pas maintenant l’occasion qui se présente, nous courons le risque de devoir faire face à plus de variants, plus de décès, plus de perturbations et plus d’incertitudes. »
Carla Drysdale est responsable des médias et porte-parole de l’OMS. Depuis son arrivée à l’OMS, en 2018, elle travaille également comme responsable des communications pour la stratégie de mobilisation des ressources de l’OMS, le programme mondial de lutte contre le paludisme et au service des communications.
Contact: cdrysdale(at)who.int
Interview: Patricia Summa
Ajoutez un commentaire
Commentaires :