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De l’eau pour tous – faire de l’ODD 6 une réalité
L’inégalité en matière de disponibilité, d’accès, d’utilisation et de stabilité des ressources en eau a des conséquences néfastes sur les moyens d’existence et la sécurité alimentaire des pauvres. La variabilité accrue des ressources en eau, les pénuries d’eau de plus en plus fréquentes et la croissance rapide de la pollution sont coûteuses, notamment pour ceux qui sont les premiers à ne plus y avoir accès et pour ceux qui, eux, n’ont jamais eu la possibilité d’avoir accès à de l’eau salubre pour le programme WASH (eau, assainissement et hygiène) ou à des fins productives. Ces inégalités sont dues aux exclusions pour des raisons de genre, de caste, d’ethnie, ainsi qu’aux inégalités de pouvoir, aux préjugés et aux échecs des politiques.
L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que les pertes associées à l’inadéquation de l’approvisionnement en eau et de l’assainissement s’élèvent annuellement à 260 milliards de dollars US, soit 1,5 pour cent du produit intérieur brut des pays concernés en termes de réduction des coûts de santé et économies de temps . D’autres avantages du programme WASH tels que la réutilisation potentielle des nutriments, un environnement globalement moins pollué et l’amélioration de la dignité humaine, n’ont pas été pris en compte dans cette analyse. L’Afrique sub-saharienne a besoin de plus d’un tiers de la totalité des investissements.
Mais on n’a pas besoin d’eau que pour boire et se laver. En Afrique de l’Est, l’épisode de sécheresse 2015/16 ENSO (El Niño/ oscillation australe) a mis en évidence l’importance de la stabilité de l’accès à l’eau à des fins productives. Ce phénomène a entraîné une chute de 10 pour cent de la production céréalière dans les basses terres très vulnérables d’Éthiopie et un recul de 23 pour cent de l’élevage de bétail. Le produit intérieur brut agricole a reculé de 3,6 pour cent, alors que le produit intérieur brut des basses terres exposées à la sécheresse, tous secteurs confondus, a plongé de plus de 11 pour cent.
L’objectif de développement durable (ODD) 6 sur l’eau et l’assainissement (« Garantir l’accès de tous à des services d’alimentation en eau et d’assainissement gérés de façon durable » »), cherche à assurer l’accès universel et équitable à de l’eau potable saine et abordable et à des services d’assainissement et d’hygiène adéquats et équitables pour tous, et à mettre fin à la défécation en plein air, en accordant une attention particulière aux besoins des femmes et des filles et des personnes en situation vulnérable (voir encadré).
L’ODD 6 met également l’accent sur l’amélioration de la qualité de l’eau et sur la protection des écosystèmes aquatiques. Cela devrait contribuer à lutter contre les inégalités d’accès à l’eau potable et contre la dégradation des écosystèmes dont quelques populations marginalisées dépendent pour leur subsistance – et qui constituent également la base de notre système alimentaire et agricole. Les ODD tentent de lutter contre l’inégalité en mettant l’accent sur l’universalité.
Mesure et contrôle des progrès réalisés dans l’accès des personnes marginalisées à l’eau
Toutefois, les indicateurs utilisés pour mesurer les progrès réalisés concernant les cibles de l’ODD 6 ne tiennent pas compte des améliorations dans les populations les plus marginalisées et les plus pauvres. Par manque de comptabilisation et de responsabilité, les progrès sont restés mitigés. Selon l’Unicef et l’OMS, en 2017, 2,2 milliards de personnes n’avaient pas accès à de l’eau potable conforme aux normes de sécurité et 4,2 milliards de personnes n’avaient pas accès à des services d’assainissement gérés en conformité avec les règles de sécurité.
Parallèlement, les niveaux de pollution de l’eau continuent d’empirer dans la majeure partie du Sud global car les investissements effectués dans le traitement et la gestion sont loin de répondre aux besoins alors que les écosystèmes aquatiques continuent de se dégrader. La variabilité et le changement climatiques exercent une pression supplémentaires sur les ressources en eau et assèchent les cours d’eau et les nappes phréatiques peu profondes utilisés par les populations les plus marginalisées et les plus pauvres, qui sont ainsi privées de sources d’eau pour leurs besoins quotidiens de production et de reproduction.
« La législation nationale est une source de droits, mais le droit coutumier, le droit religieux et le droit international peuvent également être importants, notamment en ce qui concerne l’accès à l’eau. »
Aujourd’hui, notamment en Afrique sub-saharienne, plus de 200 millions de personnes mettent plus de 30 minutes pour aller chercher de l’eau potable à une source. Ce sont les femmes (et dans certains cas les enfants) qui assument cette charge de manière disproportionnée, ce qui les empêche de s’occuper des enfants, de recevoir une éducation ou de gagner un revenu. Un soutien suffisant est nécessaire pour que tous les pays puissent contrôler les changements survenus pour les femmes et d’autres groupes marginalisés dans les principales cibles liées à l’eau, notamment celles qui sont décrites dans l’ODD 6. En l’absence de systèmes de comptabilité et de reddition de comptes, les gouvernements donneront vraisemblablement la priorité d’accès à ceux qu’il est le plus facile d’atteindre, par exemple les habitants des zones urbaines et les riches, alors que les populations rurales et les pauvres continueront d’être oubliés.
Reconnaissance du lien entre le droit à l’eau et le droit à l’alimentation
En 2010, l’Assemblée générale des Nations unies et le Conseil des droits de l’homme de l’ONU ont déclaré que l’accès à l’eau potable et à l’assainissement était un droit de l’homme, alors que le droit de l’homme à l’alimentation avait déjà été reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948. Des progrès considérables ont été réalisés au cours des dix dernières années, mais à l’échelle mondiale, un grand nombre de femmes et d’hommes vulnérables sont régulièrement privés de leurs droits fondamentaux d’accès à l’eau et à l’assainissement.
Au niveau local, l’eau, la terre et l’alimentation sont particulièrement importantes pour les moyens de subsistance et les stratégies de survie des populations locales et sont étroitement liées – aspect que le cadre des droits de l’homme ne reflète pas, si bien que d’importants domaines d’action au profit des populations pauvres et marginalisées sont absents.
En cas de manque d’eau et de pénurie alimentaire, les familles doivent souvent faire des choix difficiles. Vaut-il mieux consacrer son temps à collecter de l’eau ou à produire des aliments ou vaut-il mieux utiliser les rares ressources financières disponibles pour obtenir de l’eau potable pour les enfants ou pour répondre à leurs besoins alimentaires ? Dans de tels cas, un, voire les deux droits de l’homme susmentionnés sont violés.
Une plus large conceptualisation du droit à l’eau indiquerait comment l’eau est perçue et intégrée dans la vie quotidienne des populations locales du monde entier. L’intégration de l’eau dans la satisfaction des besoins alimentaires et nutritionnels individuels et du ménage augmenterait les obligations des États à respecter prioritairement les droits des pauvres et des personnes marginalisées à l’eau et l’alimentation.
Reconnaissance des droits à l’eau, notamment pour les pauvres
Dans de nombreuses parties du Sud global, il existe des systèmes pluriels de droits à l’eau formels et informels, juridiques et coutumiers, qui se chevauchent et sont parfois contradictoires. La plupart des pays d’Afrique sub-saharienne se caractérisent par des pratiques essentiellement informelles d’utilisation de l’eau. Les éleveurs nomades, les aquiculteurs et pêcheurs en eau douce ou les agriculteurs traditionnels fonctionnent généralement selon un mélange de dispositions informelles et formelles d’accès à l’eau et de son utilisation, de nombreuses sources remplissant de multiples fonctions.
Les procédures de formalisation des droits à l’eau ignorent souvent les droits coutumiers, si bien que dans bien des cas, notamment en Afrique sub-saharienne, les petits utilisateurs ne peuvent pas juridiquement protéger leur droit à l’eau. De plus, les droits d’utilisation de l’eau dépendent souvent de l’accès à la terre, si bien que les régimes de propriété foncière sont un déterminant clé de l’accès à l’eau.
Des lois statutaires sur l’eau, avec des systèmes de permis à l’échelle nationale, ont été adoptées dans plusieurs pays africains dans les années 1990. Toutefois, les systèmes de permis, qui remontent à la période coloniale, ont accentué les inégalités d’accès à l’utilisation productive de l’eau pour des millions d’utilisateurs et d’irrigants à petite échelle sur le continent. Il faudrait un système hybride qui reconnaisse le droit coutumier tout en réservant les permis aux utilisateurs d’eau commerciaux à fort impact et à grande échelle, pour améliorer l’égalité d’accès à l’eau pour chacun.
Une approche basée sur les droits de l’homme met l’accent sur l’égalité « substantive », ce qui veut dire que les personnes, indépendamment de leur race, leur classe sociale, leur genre ou d’autres différences, doivent pouvoir jouir des droits humains fondamentaux qui sont les leurs. Une approche axée sur les droits de l’homme autorise donc une discrimination positive en faveur des plus vulnérables. Les États sont tenus de prendre des mesures ciblées pour tenir leurs engagements en faveur des droits de l’homme.
Toutefois, la détermination des droits à l’eau est loin d’être simple et la procédure elle-même peut être à l’origine de conflits, notamment lorsque les droits statutaires ne sont pas compatibles avec les droits coutumiers ou religieux. Les droits à l’eau déterminent les incitations et l’autorité à gérer les ressources naturelles. Par exemple, un groupe d’irrigants dont les droits d’accès à une source d’eau sont garantis a plus de chances de pouvoir créer et faire appliquer des règles de partage équitable de l’eau qu’un groupe dont les droits d’accès à l’eau ne sont pas reconnus.
Les aspects uniques de l’eau, par exemple sa mobilité et sa nature vitale pour toute forme de vie, peuvent compliquer le fait d’exclure d’autres personnes de l’accès à l’eau et de son utilisation. Ces caractéristiques différencient les droits à l’eau des droits à la terre et compliquent leur application.
La détermination de droits à l’eau bien définis peut réduire les conflits et les incertitudes, accroître l’efficience économique, et éviter les situations de dégradation environnementale et de gaspillage supposés. La reconnaissance de tels droits peut, à son tour, faciliter la gouvernance efficace de l’eau qui garantit des processus équitables et exempts de discrimination de genre pour les prises de décisions et les questions d’attribution concernant l’eau.
Investir dans la sécurité hydrique
Donner aux personnes les plus pauvres et les plus marginalisées un accès à l’eau dans le cadre du programme WASH et à des fins productives nécessite des investissements en faveur des pauvres qui soient liés à des conditions favorables, par exemple des systèmes efficaces de droit à l’eau permettant aux petits exploitants agricoles et à d’autres petits utilisateurs d’accéder à des ressources en eau de plus en plus contestées.
Lorsqu’il est possible de stocker l’eau de pluie à des fins agricoles, la collecte des eaux de pluie, qui réduit le ruissellement de l’eau de pluie et lui permet de s’infiltrer dans le sol où elle peut être utilisée par les végétaux, est une intervention essentielle qui non seulement contribue à la production alimentaire mais lutte également contre l’érosion du sol. Dans d’autres régions, les technologies d’irrigation à faible coût, par exemple les pompes manuelles et, de plus en plus, les motopompes, y compris les pompes d’irrigation solaires ainsi que les outils de programmation de l’irrigation peu coûteux tels que les détecteurs de front mouillant, peuvent aider les agriculteurs à accéder aux ressources en eau et à les gérer.
Le laboratoire d’innovation pour l’irrigation à petite échelle (Innovation Laboratory for Small-Scale Irrigation – ILSSI), une initiative du programme « Feed the future » du gouvernement des États-Unis, a élaboré une série d’outils et de pratiques d’aide aux petits exploitants agricoles. Le soutien des approches peu coûteuses de gestion de l’eau destinée à l’agriculture exige également un investissement accru dans la recherche agricole et le développement d’innovations techniques et institutionnelles qui préservent des conséquences néfastes des exigences accrues en eau agricole dues au changement climatique, à l’accroissement du stress dû à la chaleur et la sécheresse et à des précipitations plus concentrées et de moindre durée, qui sont responsables de crues soudaines, de l’érosion du sol et de la réduction du stockage de l’eau dans le sol. Pour que l’une quelconque de ces mesures réponde aux besoins d’agriculteurs vulnérables et marginalisés, l’engagement communautaire, et tout particulièrement la participation des femmes et des hommes vivant en milieu rural, sera essentiel.
L’investissement continu, la reconnaissance de facteurs et de besoins culturels locaux, ainsi qu’un changement des comportements sont tout aussi importants pour améliorer l’accès des personnes pauvres et vulnérables au programme WASH. Les technologies coélaborées par ceux qui sont chargés de fournir l’eau à usage domestique et qui sont peu coûteuses, accessibles pendant toute l’année et fournissent de l’eau salubre, sont celles qui ont le plus de chances d’entraîner un changement durable. En ce qui concerne l’assainissement et l’hygiène, les interventions d’apprentissage social qui contribuent à modifier les modèles mentaux des coûts et avantages de l’amélioration de l’assainissement et de l’hygiène se sont montrées très prometteuses.
L’ODD 6 peut-il se transformer en réalité ?
De nombreux pays du Sud global ne disposent pas des données nécessaires pour contrôler de manière adéquate les changements en matière d’eau potable et d’assainissement et évaluer les progrès réalisés dans la réalisation de l’ODD 6. Selon ONU-EAU, seulement 20 pour cent des États membres des Nations unies ont fourni des données sur l’indicateur de la qualité de l’eau ces cinq dernières années et les informations recueillies sur les écosystèmes liés à l’eau sont actuellement insuffisantes pour avoir une idée précise des changements de la qualité des écosystèmes.
Nous considérons que l’universalité de l’accès n’est possible que grâce à des interventions en faveur des pauvres. Dans cet ordre d’idée, la mesure et le contrôle des progrès réalisés en faveur des marginalisés, la reconnaissance qu’une plus large conceptualisation du droit à l’eau est un vecteur du droit à l’alimentation, la reconnaissance du droit à l’eau pour les pauvres et les personnes marginalisées et la réalisation d’investissements pour la sécurité hydrique des personnes défavorisées peuvent mettre un terme aux tensions croissantes concernant la rareté et la dégradation de l’eau.
Claudia Ringler est directrice adjointe de la division environnement et technologie de production à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) de Washington D.C., États-Unis.
Lyla Mehta est professeure à l’Institut des études sur le développement (IDS) à l’université du Sussex, Royaume-Uni.
Barbara Schreiner est directrice exécutive du Réseau d’intégrité de l’eau à Berlin, Allemagne.
Theib Oweis est conseiller au Centre international de recherche agricole dans les zones arides (ICARDA) au Liban.
Shiney Varghese est analyste principale des politiques à l’Institut de politique agricole et commerciale (IATP), États-Unis.
Contact: c.ringler@cgiar.org
References:
HLPE. 2015. Water for food security and nutrition. A report by the High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition of the Committee on World Food Security, Rome.
Mehta, L., T. Oweis, C. Ringler and S. Varghese. 2019. Water for Food Security, Nutrition and Social Justice. New York: Routledge. www.bookdepository.com/Water-for-Food-Security-Nutrition-Social-Justice-Lyla-Mehta/9781138729162
United Nations Standing Committee for Nutrition (UNSCN). 2020. Water and Nutrition Harmonizing Actions for the United Nations Decade of Action on Nutrition and the
United Nations Water Action Decade. Rome: UNSCN.
UNICEF and WHO. 2019. Progress on household drinking water, sanitation and hygiene 2000-2017: Special focus on inequalities. New York.
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