On estime à 2,5 milliards le nombre de personnes qui occupent et exploitent des terres sur lesquelles aucun droit de propriété ne leur est garanti. Les populations autochtones sont particulièrement touchées par ce phénomène.

Faire en sorte que les ODD comptent pour les droits fonciers

Est-ce que l’inclusion des droits fonciers dans le programme de développement mondial peut potentiellement promouvoir la répartition sûre et équitable des droits fonciers ? Pour l’auteur, la réponse est « oui », à condition que ceux qui défendent les droits fonciers ne s’endorment pas sur leurs lauriers et s’attaquent vraiment aux aspects essentiels.

Lorsque les leaders mondiaux ont adopté les objectifs de développement durable (ODD) en septembre 2015, ils ont pris une décision audacieuse en reconnaissant la réalité selon laquelle « le développement durable » est complexe et multiforme. Si beaucoup ont critiqué la prolifération des cibles et indicateurs comparativement aux objectifs du millénaire pour le développement, leurs défenseurs font remarquer qu’il s’agit d’un programme commun dont l’étendue couvre mieux la réalité de ce qu’il est nécessaire de faire pour transformer positivement le bien-être humain et assurer la durabilité de l’environnement.

Les droits fonciers sont emblématiques de cette réorientation. Alors que la terre – et, de fait, la production agricole – était absente des préoccupations des OMD, les droits fonciers figurent en bonne place dans les ODD 1, 2 et 5 (voir l’encadré). Et à juste titre ; les droits fonciers sont absolument primordiaux pour un programme de développement durable de transformation. Pour les utilisateurs locaux, avoir la sécurité des droits de propriété sur les terres qui assurent leur nourriture et leur logement – l’essence même de la vie, à bien des points de vue – est indispensable à la réalisation de progrès dans pratiquement tous les ODD.

Les droits fonciers dans les ODD

Objectif 1 : Éliminer la pauvreté sous toutes ses formes et partout dans le monde, cible 1.4 : D’ici à 2030, faire en sorte que tous les hommes et les femmes, en particulier les pauvres et les personnes vulnérables, aient les mêmes droits aux ressources économiques et qu’ils aient accès aux services de base, à la propriété foncière, au contrôle des terres et à d’autres formes de propriété, à l’héritage, aux ressources naturelles et à des nouvelles technologies et des services financiers appropriés, y compris la microfinance.

Objectif 2 : Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable, cible 2.3 : D’ici à 2030, doubler la productivité agricole et les revenus des petits producteurs alimentaires, en particulier des femmes, des autochtones, des exploitants familiaux, des éleveurs et des pêcheurs, y compris en assurant l’égalité d’accès aux terres, aux autres ressources productives et facteurs de production, au savoir, aux  services financiers, aux marchés et aux possibilités d’ajout de valeur et d’emplois autres qu’agricoles.

Objectif 5 : Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles, cible 5.a : Entreprendre des réformes visant à donner aux femmes les mêmes droits aux ressources économiques,  ainsi que l’accès à la propriété et au contrôle des terres et d’autres formes de propriété, aux services financiers, à l’héritage et aux ressources naturelles, dans le respect de la législation interne.

Cela représente donc un grand pas en avant en termes de reconnaissance,  mais les défenseurs des droits fonciers qui ont uni leurs forces en préparation des ODD pour promouvoir ce changement d’orientation ne doivent pas pour autant se reposer sur leurs lauriers. Les enjeux à venir sont énormes.

Le Global Call to Action (l’appel mondial à l’action), campagne actuellement soutenue par 450 organisations du monde entier, estime que 2,5 milliards de personnes vivent sur des terres et les utilisent sans qu’aucun droit juridique ne leur soit garanti. La majeure partie de ces terres est exploitée par des communautés et revendiquée selon des principes coutumiers. De fait, les revendications foncières de communautés locales et de populations autochtones représentent 65 pour cent de la surface de la Terre alors que 10 pour cent seulement de ces revendications sont effectivement reconnues par leurs gouvernements. Cet énorme fossé illustre bien l’ampleur de la précarité et de la vulnérabilité liées à la non-garantie des droits fonciers, mais aussi la mesure dans laquelle des transformations sont possibles si les ODD sont adoptés par les gouvernements.

Jusqu’à quel point peut-on être optimiste ? Pour commencer – et c’est un point à ne pas sous-estimer – il y a le changement normatif potentiel que ces cibles annoncent. Si la cible voulant que tous les hommes et les femmes, en particulier les pauvres et les personnes vulnérables, aient … accès à la propriété foncière et au contrôle des terres devenait une assertion standard et acceptée dans différents pays, cela serait déjà un important changement de paradigme. Il ne faut toutefois pas sous-estimer le passage de l’aspiration à la réalité. L’équité en matière de propriété et de contrôle des terres et de leurs ressources naturelles est un coup porté au cœur du pouvoir politique et économique dans de nombreuses sociétés, notamment dans les sociétés agraires. Dans de nombreux pays et de nombreuses régions, pour atteindre cet objectif, il faut s’attaquer à de puissants individus et de puissantes corporations ayant eux-mêmes créé l’inégalité – et en ayant tiré bénéfice. Cette tâche n’est bien évidemment pas facile à réaliser et certains iraient jusqu’à dire qu’elle est tout bonnement impossible.

Nous avons donc une aspiration dont l’élan va croissant, mais qui est confrontée à la brutale réalité voulant que les chances s’accumulent pour nous empêcher de la réaliser à grande échelle. Cependant, en s’appuyant sur l’optimisme qui a caractérisé les ODD et le même optimisme qui a poussé 206 organisations à se fédérer pour envisager des transformations dans le cadre de la Coalition internationale pour l’accès à la terre, je suis persuadé que les ODD peuvent être à l’origine d’un changement en matière de droits fonciers.

Comment allons-nous nous y prendre ? Notre capacité à donner corps à ce que représentent réellement les cibles en pratique sera un facteur clé de réussite. Le seul risque plus important que le fait de maintenir le statu quo en matière de droits fonciers serait de commettre une erreur quelque part et de concrétiser la dépossession et l’inégalité. Des cibles succinctes permettent aux partisans et opposants de donner les détails, si bien que la balle est dans notre camp pour commencer à donner des orientations claires sur la façon d’obtenir ce que nous voulons obtenir.

Les membres de la Coalition internationale pour l’accès à la terre (International Land Coalition – ILC) ont adopté le large concept  de « gouvernance foncière responsable » couvert par les Directives volontaires des Nations unies pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicable aux terres, aux zones de pêche et aux forêts, adoptées au niveau international, et ont défini les aspects clés auxquels prêter une attention soutenue pour que la gouvernance foncière réponde aux besoins de ceux qui vivent sur les terres concernées (voir l’encadré). Ces engagements permettent d’orienter les efforts là où le changement est difficile et constituent un cadre servant à mesurer la portée réelle du changement souhaité.

Dix engagements pour une gouvernance foncière axée sur la population

• Garantie des droits de propriété
• Robustesse des systèmes agricoles à petite échelle
• Diversité des régimes fonciers
• Égalité des droits fonciers pour les femmes
• Garantie des droits territoriaux pour les populations autochtones
• Gestion locale des écosystèmes
• Inclusivité du processus décisionnel
• Transparence des informations
• Efficacité des mesures s’opposant à l’accaparement des terres
• Protection des défenseurs des droits fonciers

Différents acteurs invoqueront différents cadres, mais c’est dans les détails que réside le potentiel de transformation. Par exemple, dans la cible 1.4, les engagements 3 et 5 soulignent que « les hommes et les femmes » ne fait pas seulement référence à des individus, ni même à des ménages, mais aussi à des « communautés », reconnaissant l’aspect collectif de la propriété, l’accès, l’utilisation et la gestion de divers types de terres et de ressources naturelles pour une grande partie du monde. Ils soulignent également que « la propriété et le contrôle » peuvent être des formes importantes de régime foncier, mais pas les seules, et que les programmes officiels d’octroi de titres peuvent pérenniser les inégalités autant que les réduire. L’engagement 4 souligne que la tâche ne consiste pas seulement à faire une ventilation par genre, mais qu’elle vise également à assurer une véritable justice de genre en matière de gouvernance foncière.

À plus forte raison, le suivi des progrès vers la réalisation des objectifs aura un impact considérable sur ce sur quoi les efforts seront concentrés. En raison du manque de données sur la gouvernance foncière en général, le risque est que les priorités – exprimées par les indicateurs – dépendent de la disponibilité de données plutôt que de la réalité ou de la recherche de ce qui fera la différence. Pour ceux d’entre nous qui travaillent dans le secteur foncier, cela offre la possibilité de clairement définir le changement que nous souhaitons évaluer, puis d’enrichir la base de données et d’éléments factuels – tout particulièrement grâce à la collecte de données citoyennes, aspect sur lequel un certain nombre d’organisations ont déjà entrepris des travaux très intéressants.

Il est indubitable que la prise en compte historique des droits fonciers par le programme de développement mondial marque une nouvelle ère pour ceux qui œuvrent pour la sécurisation des droits fonciers. Le signal envoyé par la modification des normes garantit lui-même la légitimité de ceux qui demandent le changement, notamment des utilisateurs des terres eux-mêmes. Le passage de l’aspiration à une véritable transformation pose un problème immédiat : avec quelle efficacité et quel pouvoir de persuasion allons-nous intégrer ces nouvelles informations dans la détermination de ce qu’il faut faire pour atteindre les cibles. Étant optimiste de nature, je constate que leur actuelle ambigüité ouvre un espace démocratique élargi aux acteurs du secteur foncier qui peuvent présenter leurs arguments sur la définition à donner, tout en continuant d’en apporter la preuve dans leurs travaux quotidiens.

La Coalition internationale pour l’accès à la terre (ILC) a été créée en 1995. C’est une alliance mondiale de 206 organisations intergouvernementales et de la société civile qui unissent leurs efforts pour « mettre l’être humain au cœur de la gouvernance foncière ». Le secrétariat de l’ILC est installé dans les locaux du Fonds international de développement agricole (FIDA), à Rome. Pour en savoir plus sur la Coalition internationale pour l’accès à la terre, voir : www.landcoalition.org ; pour en savoir plus sur le Global Call to Action, voir :  www.landrightsnow.org
 

Michael Taylor
Directeur
Coalition internationale pour l’accès à la terre
Rome, Italie
M.Taylor@landcoalition.org

 

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