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Exploitation du potentiel des systèmes agrivoltaïques
L’agrivoltaïsme est un concept basé sur une double utilisation des terres, principe selon lequel un même espace sert à la production agricole et à la génération d’électricité photovoltaïque (PV). Déjà mentionné en 1982, son développement n’a pris de l’importance que ces dernières années. En 2021, il y avait 14 gigawatts-crête (GWc) de capacité installée dans le monde.
Dans les systèmes agrivoltaïques, des panneaux PV sont montés sur une structure de soutien installée sur les terres agricoles. Ils produisent de l’électricité durable alors que la production agricole prend place sous ou entre les rangées de modules PV. Lorsqu’ils sont installés au-dessus, la hauteur accrue de l’installation offre suffisamment d’espace pour les activités agricoles en-dessous. Cela présente de nombreux avantages potentiels, notamment plus d’espace, en hauteur, pour exploiter les terres, sans compter que la production d’ombre et l’existence d’une couverture physique par les panneaux modifient le microclimat et protègent les cultures et le sol, entraînant éventuellement de meilleurs rendements et une meilleure qualité des récoltes.
Un essai de plein champ réalisé par l’Institut Fraunhofer des systèmes énergétiques solaires, en Allemagne, a montré que l’utilisation simultanée des terres peut se traduire par une amélioration de l’efficacité d’exploitation pouvant atteindre 84 pour cent (selon le type de culture) et peut par conséquent être considérée comme un moyen efficace d’améliorer la productivité du sol et la sécurité alimentaire.
Le projet APV-MaGa – associer la recherche traditionnelle et la recherche non traditionnelle
La plupart des systèmes agrivoltaïques actuels sont installés dans le Nord global, la première installation pilote ayant eu lieu en Allemagne, en 2016. Toutefois, les potentialités des systèmes agrivoltaïques sont extrêmement élevées dans le Sud global, ces régions présentant des avantages potentiels et des opportunités considérables (voir encadré ci-dessous). C’est dans ce contexte que le projet APV-MaGa (voir encadré à la fin de l’article) a été lancé en 2020. Il prévoit l’installation de cinq systèmes agrivoltaïques au Mali et en Gambie, deux pays avec lesquels les partenaires du projet coopèrent déjà dans le cadre du nexus eau-énergie-alimentation. Ils se situent tous les deux dans la région du Sahel, une des zones les plus vulnérables au changement climatique et les plus exposées à la sécheresse.
Eau, énergie, alimentation, revenu : potentialités des systèmes agrivoltaïques
Plus de 759 millions de personnes, dont la plupart vivent en Afrique subsaharienne rurale, n’ont pas d’accès permanent à de l’électricité abordable. Dans ces zones rurales hors réseau, les systèmes agrivoltaïques permettent d’avoir l’électricité et, par conséquent, d’améliorer la sécurité énergétique. L’électricité solaire peut être utilisée directement pour la consommation électrique des exploitations, ce qui contribue à réduire les coûts associés à l’utilisation d’autres formes d’énergie (générateurs diesel, par exemple), ou utilisée pour offrir des services énergétiques et, par conséquent, accroître la diversité des revenus.
En outre, sur la planète, environ 2,3 milliards de personnes vivent dans des pays où on manque d’eau, et la plupart des pays du Sud global ne sont pas sur la bonne voie pour réaliser les objectifs des Nations unies pour la gestion durable de l’eau. Par ailleurs, 72 pour cent des prélèvements d’eau sont à mettre au compte du secteur agricole, ce qui montre bien la nécessité d’accroître l’efficacité de l’utilisation de l’eau.
Les systèmes agrivoltaïques offrent la possibilité d’intégrer un système de collecte de l’eau de pluie sur les panneaux solaires et de plus, grâce à l’ombre projetée par les panneaux PV, il est possible de réduire les pertes d’eau par évapotranspiration des plantes. Ainsi, on peut diminuer la quantité d’eau utilisée et l’eau de pluie recueillie peut être utilisée pour une irrigation plus efficace, par exemple l’irrigation en goutte-à-goutte, ou à d’autres fins liées aux activités agricoles.
Cette autre forme d’approvisionnement en eau et la réduction de l’utilisation d’eau qu’elle entraîne peuvent par conséquent diminuer la surexploitation des ressources en eau souterraine. La réduction des coûts d’irrigation, l’augmentation des rendements agricoles grâce à la protection contre la sécheresse, la vente d’électricité aux communautés voisines et l’accroissement des revenus grâce à l’amélioration de la qualité des récoltes sont parmi les atouts financiers des systèmes agrivoltaïques.
Les niveaux élevés de rayonnement solaire et la dépendance de la population à l’agriculture accroissent encore le besoin d’une gestion durable de l’eau, surtout quand on sait que les terres arables fertiles sont de plus en plus rares. Compte tenu de l’impact croissant du changement climatique sur l’agriculture et de l’accroissement de la demande d’énergie, ces deux pays ont besoin de solutions énergétiques novatrices et durables et d’améliorer leur sécurité alimentaire. Les systèmes agrivoltaïques doivent fournir des aliments, de l’eau et de l’électricité aux communautés locales et, simultanément, accroître la résilience du secteur agricole aux effets du changement climatique.
Il est prévu de construire un système de 200-kilowatts-crête (kWc) au Mali d’ici la fin de 2023, ainsi que quatre systèmes moins puissants, jusqu’à 62,5 kWc, en Gambie, d’ici la fin du premier trimestre 2024. Alors qu’au Mali le système sera installé sur le terrain de l’Institut polytechnique rural de formation et de recherche appliquée, à Katibougou, les systèmes installés en Gambie devraient l’être dans l’université de Gambie, sur une petite exploitation agricole privée et sur les sites de deux exploitations communautaires. Le mélange de différents types d’exploitations agricoles permettra d’effectuer une recherche scientifique traditionnelle, dans laquelle le contrôle des conditions est plus strict, et une recherche non traditionnelle dans le cadre de laquelle la participation communautaire exigera une approche scientifique plus souple (par exemple, les pratiques agricoles locales seront mises en œuvre, il sera tenu compte de l’interaction sociale avec le système, etc.).
Les modules photovoltaïques (PV) doivent être installés à 2,5 mètres de hauteur, pour permettre l’utilisation de matériel agricole sous le système et d’obtenir plus d’énergie grâce aux modules PV bifaces utilisés (modules produisant également de l’électricité sur leur face arrière). L’ensemble peut comprendre un système de récupération de l’eau de pluie dans lequel cette dernière est recueillie dans une gouttière, entre les modules, et stockée dans des réservoirs à environ cinq mètres de hauteur. Des pompes solaires seront utilisées pour la distribution de l’eau dans les zones cibles.
Il est prévu d’utiliser l’électricité produite par les systèmes pour alimenter des équipements complémentaires tels que des chambres froides, des équipements de transformation post-récolte et des systèmes d’irrigation, qui seront construits dans le cadre du projet. Les plantes cultivées sous les systèmes agrivoltaïques doivent inclure celles qui sont couramment cultivées par les agriculteurs locaux (par exemple oignons, tomates, pommes de terre, okra et haricots verts) ainsi que des plantes à haute valeur économique (fraises et brocolis) qu’il n’était peut-être pas possible de cultiver auparavant compte tenu des conditions climatiques plus rigoureuses.
Les données de recherche seront collectées et fournies par les partenaires locaux au-delà de la durée du projet, ce qui permettra de disposer de données à long terme, celles-ci étant essentielles pour évaluer avec précision l’impact des systèmes agrivoltaïques dans les conditions climatiques et socio-économiques locales.
À quels effets doit-on s’attendre ?
Sur le plan économique, il faut s’attendre à des effets multiples à court et long terme. Par exemple, les revenus des agriculteurs peuvent généralement augmenter grâce à la vente de récoltes bénéficiant d’un meilleur rendement et d’une meilleure qualité, ainsi qu’à une meilleure gestion du calendrier permettant de vendre les récoltes conservées en chambre froide à un prix plus élevé lorsque la demande est forte ou que l’offre est limitée.
En outre, l’irrigation plus efficace et l’accroissement de la disponibilité d’électricité autoproduite réduisent les dépenses à faire pour gérer l’exploitation. À long terme, des revenus supplémentaires peuvent permettre d’investir et de vendre sur des marchés non locaux. L’équipement supplémentaire connecté au système agrivoltaïque permet également aux agriculteurs et aux communautés agricoles de diversifier les revenus et de les augmenter grâce à la vente de services aux communautés environnantes.
La réalisation d’une approche communautaire, notamment en Gambie, est un aspect important du projet. Elle a de multiples implications, à commencer par une communication active avec les partenaires locaux et les membres de la communauté. Des formules participatives et des études d’acceptation sont utilisées pour évaluer cet échange. Deuxièmement, l’équipe du projet prévoit des discussions de groupe avec les agriculteurs locaux et d’autres parties prenantes potentielles pour prendre connaissance des idées et des besoins individuels et en tenir compte. Ainsi, le savoir-faire technique et l’engagement des agriculteurs peuvent également être intégrés dans le projet.
Un atelier de conception participative avec d’importantes parties prenantes sera organisé pour s’assurer que le système est adapté aux facteurs régionaux. L’objectif est d’élaborer un modèle commercial durable pour la réussite à long terme des systèmes agrivoltaïques. En outre, une organisation locale sera mise en place dans les deux pays pour inclure des acteurs financiers et des membres de la communauté dans le processus décisionnel. Ces organisations s’occuperont de la maintenance à long terme des systèmes.
L’enjeu du financement durable
Alors que le projet en est encore au stade de la planification, le financement s’est avéré poser un problème considérable. Un des objectifs est de faire appel aux contributions financières des partenaires locaux. L’idée est d’inclure à la fois un financement public et un financement privé et de s’écarter du modèle traditionnel basé sur les fonds de bailleurs avec un faible apport des partenaires locaux dans la mesure où cela conduit souvent à des problèmes à long terme ou à l’échec des projets.
La contribution en nature (main-d’œuvre, équipement, utilisation de l’infrastructure existante, etc.) du partenaire local est également considérée comme une forme de financement. Mais comme le projet APV-MaGa est un projet de recherche et développement, les entreprises privées sont peu disposées à investir. Ces intérêts conflictuels entre bailleurs de fonds privés et publics exigent énormément de communication. Le projet vise à combler le fossé entre ces deux groupes d’intérêts au profit d’une approche de financement plus intégrative et durable, conformément à l’objectif général du projet. Sur la base de leurs expériences avec des projets antérieurs ayant échoué, les partenaires locaux sont d’accord pour dire que cette approche pourrait être un moyen d’atténuer les problèmes et, par conséquent, ils souhaitent explorer d’autres moyens d’apporter leur contribution, en numéraire ou en nature.
Les potentialités des systèmes agrivoltaïques pour l’hémisphère sud sont élevées, mais on manque encore beaucoup de données de recherche. Dans le secteur de l’agriculture, cela vaut pour l’impact de l’ombre sur le microclimat existant sous les modules PV, l’incidence ultérieure sur les cultures et les cultures les mieux adaptées à ces conditions. Comme le coût initial de ces systèmes peut faire obstacle à leur mise en œuvre à grande échelle dans le Sud global, des études sont également nécessaires sur les solutions susceptibles de réduire les coûts et/ou d’assurer un retour sur investissement positif.
Des modèles financiers et commerciaux appropriés doivent être examinés, certains d’entre eux pouvant éventuellement être transférables depuis d’autres endroits. Pour le contexte africain, les modèles décrits, par exemple par Horvath (« host-owned » ou « community-owned », mais aussi « pay-as-you-go », pour n’en citer que quelques-uns) pourraient convenir. L’utilisation de matériaux de construction alternatifs (par exemple le bambou et le bois) et l’efficacité d’utilisation des matériaux grâce à des innovations, y compris l’intégration de la récupération de l’eau de pluie dans la sous-structure, sont d’autres exemples d’objectifs de recherche actuelle ou future.
Le coût initial élevé et l’incertitude quant aux effets de l’ombre sur les cultures sont les principaux points qui s’opposent aux systèmes agrivoltaïques dans les régions cibles. Compte tenu des taux extrêmement bas d’accès à l’électricité, il est difficile de justifier des coûts plus élevés pour ces systèmes, alors que toutes les cultures ne réagissent pas positivement à l’ombre et au changement du microclimat, si bien que les rendements pourraient baisser au lieu d’augmenter. Enfin et surtout, un des facteurs clés de la réussite du système consiste à obtenir plus d’informations sur son acceptation par la population locale.
Des systèmes agrophotovoltaïques pour le Mali et la Gambie : le projet de production d’électricité durable grâce à des systèmes intégrés alimentation-énergie-eau (APV-MaGa) a été lancé en août 2020. Ce projet sur quatre ans est financé par le ministère fédéral allemand de la Recherche dans le contexte de « Client II – Partenariats internationaux pour des innovations durables » et 15 partenaires de la recherche, de la politique et du secteur privé y participent. Il comprend cinq systèmes agrivoltaïques d’une capacité totale installée de 400 à 450 kWc.
Henriette Stehr étudie les sciences de l’environnement et de la durabilité à Fribourg, Allemagne. Elle travaille dans l’Agri-PV Group à l’ISE Fraunhofer et est membre d’une petite équipe dont les travaux sont axés sur les projets agrivoltaïques en Afrique.
Nora Adelhardt est chercheuse ; ses travaux sont axés sur l’économie du développement à la Wilfried Guth Endowed Chair for Constitutional Political Economy and Competition Policy à l’université de Fribourg et elle est chercheuse invitée à l’ISE Fraunhofer.
Brendon Bingwa est chargé de projet dans le groupe AgriPV à l’ISE Fraunhofer et il s’intéresse tout particulièrement aux projets de recherche agrivoltaïque en Afrique.
Susanne Wolf est étudiante en sciences agricoles ; elle rédige actuellement sa thèse à l’ISE Fraunhofer.
Contact: brendon.bingwa@ise.fraunhofer.de
Références:
ATLAS (2017): Climate Change Risk Profile West Africa Sahel. Regional Fact Sheet. ATLAS (Climate Change Adaptation, Thought Leadership and Assessments).
Bingwa, Brendon (2022): Informational Report for agrivoltaics and photovoltaic greenhouses in Africa.
Cheo A; Adelhardt N; Krieger T (2022): Agrivoltaics across the Water-Energy-Food-Nexus in Africa. Opportunities and challenges for rural communities in Mali.
Elamri; Cheviron; Lopez; Dejean; Belaud (2018): Water budget and crop modelling for agrivoltaic systems: application to irrigated lettuces. In: Agricultural Water Management (208), S. 440–453. Available online at:
https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0378377418309545
Fraunhofer ISE (2020): Agrivoltaics: Opportunities for Agriculture and the Energy Transition.
Fraunhofer ISE (2022): Agri-Photovoltaik: Chance für Landwirtschaft und Energiewende.
Glendenning, C. J. (2012): Balancing watershed and local scale impacts of rain water harvesting in India. In: Agricultural Water Management (107), S. 1–13. DOI: 10.1016/j.agwat.2012.01.011.
Harinarayana, T.; Vasavi, K. Sri Venkata (2014): Solar Energy Generation Using Agriculture Cultivated Lands. In: SGRE 05 (02), S. 31–42. DOI: 10.4236/sgre.2014.52004.
Malu, Prannay R.; Sharma, Utkarsh S.; Pearce, Joshua M. (2017): Agrivoltaic potential on grape farms in India. In: Sustainable Energy Technologies and Assessments 23, S. 104–110. DOI: 10.1016/j.seta.2017.08.004.
UN-Water (2021): SDG 6 Summary Progress Water and Sanitation for all.
Valle, B.; Simonneau, T.; Sourd, F.; Pechier, P.; Hamard, P.; Frisson, T. et al. (2017): Increasing the total productivity of a land by combining mobile photovoltaic panels and food crops. In: Applied Energy 206, S. 1495–1507. DOI: 10.1016/j.apenergy.2017.09.113.
World Bank (2021): Mali Vulnerability. World Bank Group. Available online at:
https://climateknowledgeportal.worldbank.org/country/mali/vulnerability
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