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Une énergie de première classe pour des éoliennes de deuxième main
Dans la nacelle de la première éolienne d’Afrique de l’Ouest, à trente mètres au-dessus du sol, tout va bien. Un vent léger souffle au-dessus du village de Batokunku, en Gambie. Les pêcheurs font avancer leurs pirogues en ramant parallèlement à la côte et jettent leurs filets dans l’espoir d’attraper des barracudas ou des vivaneaux. Vu de là-haut, le paysage faiblement boisé de cette région côtière à forte densité de population paraît plus vert qu’il ne l’est réellement au début de la saison sèche.
De la musique assourdie s’échappe du pick-up Nissan garé au pied de l’éolienne. Cet utilitaire appartient à une petite entreprise baptisée Global Energy, un grand nom du secteur énergétique. C’est à elle qu’a été attribué le contrat de service de cette éolienne de 150 kW initialement fabriquée par Bonus Energy, un des premiers fabricants d’éoliennes du Danemark aujourd’hui rattaché au conglomérat Siemens, et installée ici il y a trois ans. Un vrai défit dans la mesure où l’entretien des éoliennes est quelque chose d’entièrement nouveau dans cette région de l’Afrique de l’Ouest. D’autant plus que cette éolienne installée à Batokunku a déjà offert de bons et loyaux services en captant la force du vent à Nysted, au Danemark, pendant de nombreuses années avant d’être chargée dans un container et envoyée en Afrique pour y vivre une seconde vie.
«Nous aimons ce travail,» déclare Milko J. Berben, le technicien néerlandais de l’entreprise, qui vit et travaille en Gambie depuis plus de dix ans. Avant, son équipe de monteurs entretenait essentiellement des moteurs diesel, réparait des machines de navires et assurait d’autres travaux d’installation, mais aujourd’hui, elle travaille de plus en plus dans le secteur de l’énergie éolienne. Cette première éolienne sera bientôt accompagnée de deux autres unités d’occasion originaires d’Allemagne, d’une capacité de 450 kilowatts et dont l’installation est prévue dans les mois à venir dans le village côtier de Tanji, à quelques kilomètres seulement au nord de Batokunku, un défi que les techniciens de Global Energy relèvent avec plaisir.
L’engagement privé face à l’obstruction de l’État
Le point de départ de cette initiative remarquable en Gambie, pays d’un million et demi d’habitants, tient à l’engagement d’un particulier. «Peter a tellement fait pour nous,» déclare Ebrima Touray, membre du comité du village de Batokunk, en faisant allusion aux efforts de Peter Weissferdt. Il y a quelques années de cela, cet ingénieur électricien de 70 ans originaire de Kiel, en Allemagne, est venu s’installer en Gambie avec son épouse, Gitta. Bien connu dans le secteur de l’énergie éolienne en Allemagne, Peter n’a pas tardé à s’intéresser au moyen d’exploiter l’énergie éolienne dans le pays d’Afrique de l’Ouest dans lequel il a choisi de vivre.
Lorsque la première éolienne recyclée a été installée au début de 2009, cette idée est devenue réalité – après des années de planification difficile et d’interminables négociations avec la Nawec, fournisseur public d’énergie. Il aura fallu l’intervention de la PURA (Public Utilities Regulatory Authority), nommée pendant ce processus par le Parlement de Gambie, pour faire pencher la balance et passer outre l’attitude obstructionniste de la Nawec à l’égard du projet d’énergie éolienne. La PURA a ainsi obligé la Nawec à accepter le raccordement au réseau électrique et l’exploitation d’un réseau local. «La Nawec est une de ces entreprises publiques types qui, en Afrique, emploient de nombreux bureaucrates de la vieille école qui ont tout simplement peur de prendre des décisions sur tout ce qui est nouveau,» explique Peter Weissferdt au sujet du monopole qui, jusqu’à maintenant, contrôle le secteur public de l’énergie et de la distribution d’eau en Gambie. Cette entreprise publique se signale toutefois par sa grande inefficacité; les pertes d’électricité, sur le réseau de la Nawec, sont scandaleusement élevées. Les experts considèrent qu’environ 40 pour cent de l’électricité fournie est perdue rien que dans le réseau, essentiellement en raison de câbles défectueux, mais le vol d’électricité est également important car nombreux sont ceux qui se branchent au réseau sans passer par un compteur électrique. De plus, dans les zones urbaines, seulement un résident sur deux est raccordé au réseau, alors qu’en zone rurale, la proportion est de un sur quatre.
Un village prospère – grâce à sa propre initiative
Weissferdt a incité la collectivité villageoise de Batokunku à prendre son destin en main et à poser son propre réseau de câbles électriques et de canalisations d’eau dans le cadre du projet d’installation d’une centrale éolienne. Le réseau électrique, le réseau d’approvisionnement en eau et l’éolienne de 150 kW sont aujourd’hui autogérés par le conseil local et l’organisation non gouvernementale Batokunku Rural Electrification. Un comité de cinq membres contrôle l’éolienne et les réseaux du village, et c’est lui qui prend toutes les décisions d’ordre opérationnel. «Cela nous a permis d’éclairer nos maisons, d’acheter des réfrigérateurs et d’ouvrir un cinéma; par ailleurs, des entrepreneurs ont acheté des machines à coudre et d’autres exploitent des presses à huile électriques. Notre vie a changé du tout au tout,» déclare Touray, un membre du comité du village. «C’est pourquoi nous avons également l’espoir d’avoir bientôt une école.» L’argent nécessaire sera recueilli par la centrale éolienne: pendant cinq ans, l’entreprise d’électricité publique a accepté de payer 80 pour cent du tarif appliqué aux consommateurs pour chaque kilowattheure produit: actuellement, cela représente environ 18 centimes d’euro. Le «père» de la première centrale éolienne de Gambie se réjouit ouvertement de ce tarif. «Les sous s’accumulent petit à petit dans notre fonds villageois,» déclare en souriant Peter Weissferdt.
Pour les deux nouvelles éoliennes qui sont sur le point d’arriver, les tarifs ne sont pas tout à fait aussi bons. Gamwind Ltd., la future entreprise d’exploitation, a négocié séparément un contrat avec la Nawec et recevra l’équivalent de 14 centimes d’euro par kilowattheure pendant les cinq premières années d’exploitation. «Ce n’est pas tout à fait autant que nous l’espérions, mais c’est quand même très bien,» déclare Björn Schäfer de l’entreprise Windstrom Service SH, du Schleswig-Holstein, en Allemagne, qui possède 51 pour cent de Gamwind Ltd. Windstrom Service SH, entreprise de taille moyenne spécialisée dans la réparation et l’entretien des modèles anciens d’éoliennes, a déjà participé à l’installation de la centrale Bonus de 150 kW. Elle participera à l’exploitation des deux centrales Bonus de 450 kW et, à ce titre, coordonnera à nouveau les travaux d’installation en collaboration avec l’équipe de Milko J. Berben. Pour Schäfer, les missions en Gambie constituent un fantastique dépaysement. Il est favorablement impressionné par l’élan positif du pays: « Même le président soutient l’énergie éolienne!»
La technologie appropriée
Pour Schäfer, l’utilisation d’éoliennes d’occasion dans des pays tels que la Gambie est tout à fait logique. Son raisonnement est tout simple: «À quoi bon une centrale high-tech dont personne ne pourra localement assurer la maintenance?» «De toute façon, seuls les parcs éoliens de dix mégawatts ou plus peuvent sans problème se procurer des pièces de rechange pour les nouvelles installations.» Comme cela a été le cas lors de l’installation de la première éolienne il y a deux ans, on le trouvera probablement tard le soir dans la mini sous-station, à se demander comment résoudre les problèmes affectant les commandes des éoliennes remises en état.
Une chose est certaine : avec ses deux nouvelles éoliennes, la Gambie va franchir le cap du mégawatt de capacité de production d’énergie éolienne, ce qui lui donnera plus d’indépendance par rapport aux importations coûteuses de pétrole et, de plus, en fera le porte-drapeau de l’énergie éolienne dans toute la région.
L’énergie éolienne en Afrique
À l’échelle mondiale, la capacité installée de production d’énergie éolienne a franchi le cap des 200 000 mégawatts en 2011. La Chine, les États-Unis, l’Allemagne et l’Espagne sont les leaders du marché mondial. À ce jour, les progrès réalisés dans ce domaine en Afrique sont, au mieux, modestes. D’après les chiffres fournis par l’association mondiale de l’énergie éolienne (World Wind Energy Association – WWEA), la capacité installée sur l’ensemble du continent africain «était exactement de 906 mégawatts à la fin de 2010. Trois pays seulement se taillent la part du lion : l’Égypte, le Maroc et la Tunisie, dont la capacité cumulée est de 890 mégawatts. La capacité restante de 16 mégawatts est partagée entre l’Afrique du Sud, le Nigeria, Cap Vert, l’Éthiopie, la Namibie et maintenant la Gambie, mais la WWEA s’attend à une capacité supplémentaire de 700 mégawatts d’ici à la fin de 2013. Ce qu’il faut, notamment dans les pays subsahariens, c’est une refonte complète du cadre des politiques énergétiques permettant à l’énergie éolienne, y compris avec des installations à petite échelle, de réellement décoller dans les zones rurales.
Dierk Jensen
Journaliste indépendant
Hambourg, Allemagne
Dierk.Jensen@gmx.de
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