Le tremblement de terre d’Haïti a fait de gros dégâts. La plantation de jeunes arbres protégera la nature de l’érosion et de la dégradation et améliorera les services écosystémiques.
Photo : FAO Haïti

Retour à l’agriculture – le cas de Haïti

Les catastrophes naturelles sont la cause de crises et d’insécurité alimentaire. En janvier 2010, un tremblement de terre a bouleversé la vie à Haïti. Mais comment le pays a-t-il repris ses activités, notamment dans l’agriculture, pour nourrir sa population ? Après avoir examiné le secteur laitier et celui des semences, et proposé des mesures visant à réduire les risques de catastrophes ainsi qu’à atténuer le changement climatique et s’y adapter, l’auteur montre comment la vie a repris son cours à Haïti.

Laissant derrière lui environ 300 000 morts, plus d’un million de sans abri à Port-au-Prince – la capitale de Haïti – et plus de trois millions de personnes exposées à l’insécurité alimentaire dans le pays, le tremblement de terre de janvier 2010 a été une des catastrophes naturelles les plus meurtrières et impitoyables de l’histoire moderne. Dans la confusion laissée derrière elle par cette calamité, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a fait une priorité de la relance de l’agriculture et de l’accroissement de la production, pour que le pays réussisse à nourrir les survivants dans les mois et les années à venir. Par ailleurs, la FAO a reconnu la difficulté d’atteindre cet objectif compte tenu de l’exode de plus de 600 000 sans-abri ayant quitté la capitale frappée par le séisme pour aller dans des zones rurales pauvres, où régnait l’insécurité alimentaire et la malnutrition, et victimes de la dégradation des sols et de la déforestation des montagnes, de la destruction des routes, des ponts, des ports de pêche, de l’infrastructure d’irrigation et commerciale, en plus de la pénurie de ressources. Malgré l’ampleur des besoins et le peu de ressources financières, il a fallu prendre des décisions et définir des priorités. Des consultations intenses avec toutes les parties prenantes, à tous les niveaux, dans le secteur agricole et les secteurs connexes, ont permis de définir quatre grands axes d’orientation des interventions de la FAO dans le pays (voir encadré), comme décrit dans ce qui suit.

Domaines prioritaires pour l’intervention de la FAO à Haïti
1. Renforcer les capacités de formulation et de mise en œuvre de politiques et stratégies de sécurité alimentaire et nutritionnelle

2. Promouvoir les chaînes de valeur agricoles grâce à des investissements privés et publics et à des services de soutien agricole

3. Accroître les capacités de gestion des ressources naturelles et de résilience aux effets du changement climatique

4. Renforcer les capacités de réduction et de gestion des risques de catastrophes, y compris des crises alimentaires, en mettant l’accent sur la formulation d’un plan national pour le secteur agricole, sur le renforcement des capacités institutionnelles et sur l’accroissement de la résilience des communautés agricoles exposées aux risques

Encourager la sécurité alimentaire et nutritionnelle

L’objectif a été de s’assurer que les systèmes d’information sur la sécurité alimentaire et nutritionnelle étaient fonctionnels et que des interventions intersectorielles étaient intégrées et coordonnées. Les institutions publiques ont formé des cadres et mis en place des outils leur permettant d’assumer leurs missions. Des politiques et stratégies ont été conjointement élaborées par le gouvernement et d’autres parties prenantes, et des plans d’action connexes ont été mis en œuvre.

À cet égard, le Groupe technique pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, constitué de représentants du gouvernement, d’agences des Nations unies, de partenaires financiers et d’ONG nationales et internationales, se réunit régulièrement pour coordonner le secteur de la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Un document opérationnel – attendant d’être mis en œuvre – de système d’alerte rapide est en place. La FAO a aidé la Coordination nationale de sécurité alimentaire à organiser plusieurs ateliers de formation à différents aspects du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire et nutritionnelle, ateliers s’adressant aux personnels gouvernementaux, aux ONG et à d’autres parties prenantes dans le but d’améliorer la connaissance et l’analyse de l’insécurité alimentaire chronique et aigüe.

Une étape notoire a été la création d’un Front parlementaire contre la faim à Haïti (FPFH). Cette plateforme inclusive et intégrée réunit des parlementaires et des sénateurs de tous bords politiques ayant pour objectif commun de réfléchir et de s’attaquer aux principales questions liées à la sécurité alimentaire et nutritionnelle et au droit à l’alimentation dans le pays. Le FPFH a pour objectif particulier de faire en sorte que le gouvernement affecte suffisamment de ressources à la formulation et la mise en œuvre de lois, de politiques publiques et de programmes pertinents visant à faciliter l’accès de la population à une nourriture saine et suffisante et à éradiquer la faim et la malnutrition dans le pays. Le FPFH travaille déjà à des projets de lois sur la souveraineté alimentaire, l’alimentation scolaire, l’agriculture familiale, les semences et la protection de variétés végétales. Ce sont là des outils stratégiques visant à pousser la réalisation du programme de la FAO dans le pays et à faire un jour d’Haïti un pays qui ne connaîtra pas la faim.

Accroître la production et la commercialisation du lait

Un élément important de l’intervention de la FAO visant à relancer l’agriculture après le séisme a été de promouvoir les chaînes de valeur agricoles. Ces dernières sont gravement sous-développées compte tenu, entre autres, du manque d’installations  de transformation et de stockage qui entraîne de très fortes pertes post-récolte estimées à 35 à 40 pour cent dans certains secteurs. De plus, les marchés locaux sont peu développés et, en raison surtout du manque de compétitivité et d’hygiène auquel vient s’ajouter l’insuffisance des contrôles sanitaires et phytosanitaires des produits locaux, les producteurs ont un accès très limité aux marchés internationaux. À partir de 2011, l’aide de la FAO vise à augmenter la productivité et la production de plusieurs produits agricoles tels que le manioc, l’arachide, les fruits et les produits laitiers. Dans le secteur laitier, par exemple, l’objectif était de stimuler la production laitière, d’améliorer l’hygiène du lait, de diversifier et d’améliorer les normes des produits laitiers et d’accroître les revenus et le niveau de vie des producteurs, notamment des petits producteurs laitiers. Pour atteindre cet objectif, plus de 800 producteurs de lait (regroupés en 13 associations de producteurs laitiers – APL) ont reçu une formation pratique sur les techniques d’amélioration de la production de lait de qualité et sur les meilleures pratiques d’élevage. Treize compagnies laitières gérées par les APL ont amélioré la qualité du lait et ont doublé la quantité de produits laitiers vendus sur les marchés locaux. Elles sont devenues des micro-entreprises autonomes qui maîtrisent la collecte, les tests et la transformation du lait, ainsi que leur propre gestion.

Pour améliorer la santé des animaux, nous avons créé des cliniques vétérinaires mobiles (CVM) et avons formé et équipé 10 techniciens vétérinaires. Rien qu’en 2017, ces derniers ont donné des soins de santé préventifs et curatifs à 2 943 animaux, dont 1 512 vaches, 860 chèvres, 156 équidés, 351 porcs, 26 poulets et 38 moutons appartenant à 1 147 familles. Grâce aux CVM et à l’adoption de bonnes pratiques, y compris la production et l’utilisation de fourrage sous la forme de foin et d’ensilage, la production de blé a doublé. Les laiteries ont motivé les éleveurs à appliquer de bonnes pratiques dans la mesure où elles constituaient un marché garanti pour le lait et les éleveurs ont constaté un lien direct entre les laiteries qui fonctionnent bien et leurs niveaux de revenu. Avant l’établissement de laiteries performantes, les éleveurs vendaient leur lait sur le marché informel à raison de 50 gourdes (0,70 USD) le gallon et étaient payés tout de suite ou plus tard. Grâce aux laiteries, le prix du lait est passé à 125 gourdes et le vendeur reçoit systématiquement son argent à la fin du mois. Ces laiteries sont devenues un symbole de fierté et de réussite pour les éleveurs.

Lutter contre la dégradation de l’environnement

La dégradation extrême de l’environnement faisant suite à la déforestation massive et à la détérioration sans précédent d’autres ressources naturelles est incontestablement une des menaces les plus immédiates qui pèsent sur Haïti. Le problème existait déjà, mais le tremblement de terre a exacerbé la situation dans la mesure où les Haïtiens surexploitaient déjà les ressources naturelles au nom de la survie du pays, en général, et aussi pour l’agriculture. Moins de 1,5 pour cent seulement du couvert forestier initial d’Haïti reste intact. En conséquence, 25 à 30 pour cent des bassins versants nationaux sont complètement dégradés ou altérés. Les ressources hydriques prêtes à l’emploi se font rares dans le pays et la plupart des habitats naturels ont été détruits ou gravement endommagés. Dans tout le pays, les sanctuaires de biodiversité sont devenus très vulnérables et beaucoup sont près du seuil d’extinction. Dans de nombreuses parties du pays, la terre arable est appauvrie par l’érosion et la plupart des terres agricoles sont pratiquement devenues improductives. La sécheresse qui perdure, une série d’ouragans dévastateurs, les pratiques agricoles néfastes et l’abattage des arbres pour gagner sa vie en produisant du charbon de bois et du bois de chauffage comme sources d’énergie ne font qu’empirer la situation et exposent des millions de personnes à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle.

Après le séisme du 12 janvier 2010, la FAO, le gouvernement d’Haïti (notamment le ministère de l’Environnement et celui de l’Agriculture) et d’autres parties prenantes ont travaillé main dans la main pour préparer des instruments précieux de politique environnementale tels que le Programme d’action national d’adaptation (PANA) au changement climatique et les plans municipaux de gestion des risques de catastrophes. La FAO et ses partenaires ont également incité les communautés à identifier, adopter et diffuser des pratiques agricoles et agroforestières résilientes au changement climatique, ainsi que des pratiques de contrôle de l’érosion et de gestion des ressources naturelles. Récemment, c’est ce qui a été fait dans le cadre du projet « Action contre la désertification » financé par l’Union européenne, la Belgique et l’Espagne et mis en œuvre dans le département de Grand’Anse par la FAO et le ministère de l’Environnement. Ce projet se proposait d’aider à lutter contre la dégradation des sols et d’améliorer l’état et la productivité de certains paysages fragiles. Son approche consistait à mettre la population au centre des interventions et des prises de décisions par l’intermédiaire d’écoles pratiques d’agriculture. 

Le projet a donné des résultats probants et a notamment contribué à renforcer la capacité des communautés locales à créer et gérer des pépinières et des micro-captages d’eau. Les communautés ont ainsi créé 30 pépinières, produit et planté 1,7 millions d’arbres (fruitiers, à bois, fourragers, à haies, forestiers et agroforestiers multi-usage) provenant de ces pépinières, et ont restauré 395 ha de terres dégradées. Toutefois, la réalisation la plus admirable est peut-être le changement de comportement des membres des organisations communautaires de base (OCB) et l’impact sur les membres des communautés.

Améliorer la résilience des petits exploitants agricoles

Ce principe fondamental mettait l’accent sur le renforcement de l’interface entre l’adaptation au changement climatique et la gestion des risques de catastrophes comme moyen d’atténuer les risques et les vulnérabilités et de renforcer la résilience des petits exploitants agricoles. La FAO a ainsi activement participé à l’élaboration « d’une politique et d’une stratégie nationales de souveraineté alimentaire et de sécurité alimentaire et nutritionnelle à Haïti » et a dirigé l’examen du plan national de sécurité alimentaire. De plus, elle a supervisé la préparation d’un plan pluriannuel de gouvernance sectorielle, d’analyse de la sécurité alimentaire, de partenariat et de coordination, et d’élaboration de plans d’action départementaux et municipaux pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle. Dans les fermes-écoles, les agriculteurs familiaux ont testé un certain nombre de pratiques et technologies de résilience au changement climatique, telles que l’utilisation de variétés de semences tolérantes à la sécheresse, l’agriculture de conservation, l’agroforesterie, la plantation d’arbres, la culture suivant les courbes de niveau et la pente et d’autres techniques de préservation du sol et de l’eau. Une expérience particulière mérite d’être partagée...

...la relance du secteur des semences

Après le tremblement de terre, de nombreuses parties prenantes se sont lancées dans la distribution de semences importées, avec le risque d’introduire des semences de mauvaise qualité et des variétés inadaptées à Haïti. Confrontés à cette situation, le ministère de l’Agriculture (par l’intermédiaire du Service national des semences) et la FAO se sont mis d’accord pour intensifier les activités de renforcement des capacités et de soutien technique des groupes locaux de producteurs de semences (Groupements de production artisanale de semences – GPAS) pour la production et la commercialisation de semences de qualité conformes au système QDS (Quality Declared Seeds). Ainsi, 150 GPAS de partout dans le pays ont reçu une formation, ainsi qu’un équipement de conditionnement et de stockage. Ils ont une capacité de production annuelle de plus de 1 000 tonnes de semences (céréales et légumineuses) et de 20 millions de plants (patate douce, manioc, igname et banane).

En renforçant la capacité opérationnelle des GPAS, la FAO a contribué à améliorer la disponibilité et l’accessibilité de semences et de plants de bonne qualité, résilients au changement climatique, pour les agriculteurs familiaux régulièrement touchés par les impacts négatifs du changement climatique. Contrairement à ce qui s’est passé dans la période qui a suivi le tremblement de terre, les semences et les plants utilisés par différentes parties prenantes, dont les acteurs de l’aide humanitaire, viennent en grande partie des GPAS. Parallèlement, pour encourager la production locale de semences, la FAO a introduit l’approche « foires aux semences » selon laquelle un marché temporaire est mis en place pour permettre aux petits exploitants agricoles, grâce à un système spécial de coupons, d’avoir accès, à prix subventionnés, à des semences de différentes espèces/variétés adaptées à leur localité et produites par les GPAS. Depuis 2011, plus de 65 000 ménages vulnérables ont acquis des semences de qualité lors de « foires aux semences » organisées par la FAO et ses partenaires. L’utilisation de semences de qualité provenant de « foires aux semences » améliore les rendements d’au moins 30 pour cent comparativement aux rendements obtenus avec des semences de qualité inconnue vendues sur les marchés locaux par des producteurs non déclarés. Cette approche a également contribué à améliorer les économies locales.

Pour assurer la durabilité du secteur des semences, la FAO a également renforcé la capacité du personnel du ministère de l’Agriculture en matière de contrôle et de certification de la qualité des semences et de production de semences de prébase et a aidé ce dernier à formuler une politique nationale sur les semences adaptée au contexte du pays.

Depuis le tremblement de terre de 2010, Haïti a réalisé d’importants progrès dans la relance de son agriculture, mais ce secteur reste très vulnérable aux catastrophes d’origine humaine ou naturelle. Une combinaison de programmes d’aide humanitaire à court terme et de programmes de développement agricole à long terme, exhaustifs, robustes, efficaces, améliorant la production agricole, créant des emplois et réduisant la pauvreté, pourrait être la marche à suivre pour mettre un terme à l’insécurité alimentaire et nutritionnelle chronique du pays, mais cela nécessite un effort collectif de la communauté internationale.

Nathanael Hishamunda est le représentant de la FAO à Haïti.
Contact : Nathanael.Hishamunda(at)fao.org
 

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