- Share this article
- Abonnez-vous à notre newsletter
Donner de la dignité aux services d’assainissement pour les réfugiés Rohingya des camps de Cox’s Bazar
Fin août 2017, 730 000 réfugiés rohingyas ont fui les atrocités perpétrées à grande échelle (incendies criminels, massacres et viols collectifs) dans l’État de Rakhine, Myanmar, et que les Nations unies et les organisations de défense des droits de l’homme ont qualifiées de campagne de purification ethnique. L’arrivée rapide de réfugiés dans le district voisin de Cox’s Bazar, au Bangladesh, a exercé une pression énorme sur les ressources naturelles et les services de base. Le gouvernement du Bangladesh a désigné des sites en majeure partie accidentés, exposés aux inondations et à l’érosion, pour en faire des camps temporaires qui, d’après son plan d’action, devaient durer de deux à trois mois, espérant que la population de réfugiés repartirait.
Ayant clairement pour instructions de n’installer que des constructions temporaires, les acteurs de l’aide humanitaire se sont vu demander de répondre le plus efficacement possible aux besoins de la population en donnant la priorité aux besoins vitaux. Face à l’afflux des Rohingyas, la stratégie officielle du secteur WASH (eau, assainissement, hygiène) a instamment demandé aux acteurs « de fournir des installations permettant de cuisiner et de se laver les mains, ainsi que des équipements sanitaires, à des groupes de familles vivant dans des maisons de fortune, pour instaurer une certaine normalité et créer des espaces communs sûrs » (voir encadré). L’installation de latrines d’urgence et d’autres infrastructures WASH liées au logement dans les camps existants et d’autres camps improvisés prenant rapidement de l’expansion, a entraîné une importante déforestation, la destruction de l’habitat naturel, ainsi que l’épuisement et la contamination des eaux souterraines.
Les femmes et les filles déjà traumatisées étaient victimes de harcèlement et de violence lorsqu’elles allaient chercher du bois de chauffage. Diverses maladies respiratoires sont également montées en flèche en raison du faible espace disponible pour cuire les aliments et de l’exposition permanente à la fumée du bois et du charbon de bois.
Hygiène inclusive à Cox’s Bazar : principes essentiels de la stratégie sectorielle
Le secteur WASH (eau, assainissement, hygiène) a identifié quatre principes directeurs pour promouvoir une stratégie plus inclusive. Cette dernière devrait plus prendre en considération les différents besoins de la population concernée et les différents obstacles auxquels elle est confrontée, et par conséquent contribuer à éviter les conséquences négatives des interventions humanitaires sur sa santé, sa dignité, sa sécurité et sa qualité de vie.
Principe 1 – Placer les considérations de genre et d’inclusion au cœur des interventions du Gouvernement et du secteur WASH en reconnaissant que différentes personnes sont confrontées à différents obstacles pour faire valoir l’égalité de leurs droits à vivre en sécurité et dans la dignité
Principe 2 – Consulter et écouter des groupes reconnus tels que les représentants de la communauté (femmes, personnes handicapées, etc.)
Principe 3 – Donner la priorité à ceux qui ont le plus de difficultés à satisfaire leurs besoins WASH
Principe 4 – Améliorer l’efficacité en augmentant les connaissances, les capacités, l’engagement et la confiance
Une solution rapide – des installations sanitaires et de cuisson des aliments au biogaz
En 2018, Helvetas Swiss Intercooperation et son organisation partenaire de mise en œuvre locale NGO Forum ont installé quarante blocs de latrines comptant de cinq à huit cabines, chacun étant raccordé à douze ensembles de production de biogaz avec une cuisine. Ces centrales au biogaz comprennent un réacteur à biogaz, une chambre hydraulique et une fosse à lisier. La solution technique a été suggérée par NGO Forum sur la base de l’expérience positive connue dans d’autres camps voisins de Rohingyas les années précédentes. Il y a eu une autre raison au choix de cette technologie : elle pouvait contribuer à réduire la dégradation de l’environnement, les menaces à la sécurité des femmes et des filles, ainsi que le temps et les coûts consacrés à la collecte fréquente du bois de chauffage. Pour éviter les risques de conflits, les bénéficiaires des cuisines ont été choisis selon un processus de participation communautaire donnant la priorité aux veuves et aux ménages dirigés par des femmes. Des promoteurs de l’hygiène et des bénévoles dans les cuisines ont organisé des activités de sensibilisation visant à garantir l’utilisation appropriée des installations. Certains utilisateurs ont été formés et engagés comme nettoyeurs de latrines et vidangeurs de fosses des cuves de biogaz. Par ailleurs, la communauté a été équipée d’outils et formée à effectuer de petites réparations. Enfin, les installations sanitaires et de cuisson des aliments ont été remises au responsable du camp nommé par le gouvernement, l’agence servant de point de liaison avec WASH, et à la communauté.
Une technologie fiable et respectueuse de l’environnement
Les utilisateurs, surtout des femmes, ont réagi très positivement à la disponibilité des nouvelles installations. Ils apprécient les latrines qui préservent une certaine intimité (toutes les latrines peuvent être verrouillées), offrent une certaine sécurité (dans chaque bloc, deux latrines bénéficient d’un éclairage solaire) et sont facilement accessibles. Les utilisateurs des cuisines apprécient le fait que la cuisson des aliments ne produit aucune fumée. Enfin, l’éclairage améliore également la sécurité, une fois la nuit tombée.
La production de biogaz contribue à réduire le besoin de bois de chauffage. Cela est particulièrement intéressant compte tenu de l’impact négatif de l’abattage de bois et de l’utilisation du bois de chauffage (risque de harcèlement, d’érosion et de production de fumée pendant la cuisson des aliments). Cette solution doit cependant être évaluée compte tenu de la stratégie actuelle du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et de l’Organisation internationale pour les migrations consistant à distribuer du gaz de pétrole liquide (GPL). Il est ressorti de discussions avec la population rohingya que la quantité de GPL distribuée ne couvre pas leurs besoins ; la disponibilité supplémentaire de gaz pour cuire les aliments grâce aux installations de biogaz est par conséquent appréciée. De plus, il reste à voir si la distribution de GPL est une stratégie durable à long terme.
Par ailleurs, la digestion des boues dans la cuve de biogaz facilite considérablement le traitement plus poussé des boues, par exemple sur un lit de séchage. Les boues provenant d’autres installations d’assainissement sur site sont bien plus difficiles à traiter (en raison de caractéristiques de déshydratation différentes). Compte tenu du problème que pose l’amélioration de l’efficacité de traitement des boues fécales dans les camps, cet avantage est considérable. Les points faibles sont le plus grand espace nécessaire à la technologie de la cuve de biogaz, ce qui la rend moins adaptée dans les parties plus denses des camps, et les coûts d’investissement plus élevés comparativement aux solutions d’assainissement non collectives. Toutefois, le besoin d’espace et les coûts doivent être évalués en tenant compte de l‘ensemble de la chaîne d’assainissement, des toilettes à la réutilisation ou l’élimination des boues.
On estime par conséquent que les installations sanitaires et de cuisson au biogaz, ainsi que la mise en œuvre du projet, sont largement suffisantes pour répondre aux besoins de la population. Toutefois, quelques adaptations pourraient améliorer leur adéquation. Compte tenu du besoin urgent d’installations permettant de se laver, notamment pour les femmes, la conception des latrines pourrait être adaptée en intégrant un cabinet de toilette dans chaque bloc de latrines. Un espace réservé au séchage des serviettes hygiéniques permettrait de mieux prendre en considération les besoins des femmes en termes de gestion de l’hygiène menstruelle. Par ailleurs, une latrine par bloc pourrait être adaptée à son utilisation par des enfants.
Un modèle favorable à la durabilité ?
Les éléments suivants du modèle d’assainissement et de cuisson des aliments au biogaz (y compris les aspects techniques, institutionnels et financiers) vont dans le sens de la durabilité. Les installations (latrines à biogaz, réservoirs de biogaz, cuisine) sont assez robustes et pourraient durer plusieurs années à condition d’être bien entretenues. Les utilisateurs, notamment les nettoyeurs de latrines et les vidangeurs de cuves de biogaz, ont été formés non seulement pour assurer l’entretien des latrines et le vidage des cuves, mais aussi pour effectuer de petites réparations. Ils disposent ainsi des compétences et des outils nécessaires pour contribuer à la fonctionnalité des équipements.
La remise officielle des installations à la direction de la communauté et du camp est une première étape importante. De plus, l’accord passé avec une ONG WASH (gérant un site de traitement des boues fécales dans le voisinage) pour assurer l’enlèvement des boues des réservoirs de biogaz et le traitement des boues, représente une perspective prometteuse à moyen terme.
Toutefois, un certain nombre de problèmes persistent en ce qui concerne le passage en douceur à des solutions efficaces et durables à long terme. Qui sera responsable du nettoyage des latrines, et qui en paiera le coût ? Comment les chaînes d’approvisionnement, par exemple pour le savon ou les pièces de rechange des installations d’assainissement et de cuisson des aliments, seront-elles mises en place ? Comment remettre en question le système de gouvernance traditionnel afin d’améliorer la participation des femmes, les mécanismes de responsabilisation et l’appropriation par la communauté ? Comment réduire les risques (par exemple érosion ou glissements de terrain) susceptibles de menacer les cuves de biogaz ? Et comment limiter la contamination bactériologique et les épidémies résultant de l’inefficacité du traitement des boues fécales ?
Contexte et tendances actuels du secteur WASH à Cox’s Bazar
L’accès à l’eau potable reste un besoin crucial ayant un impact sur la santé et la nutrition. Conformément à l’adoption progressive de solutions à long terme, des réseaux d’adduction d’eau comprenant un traitement de l’eau sont actuellement en cours de réalisation. Bien que la plupart des aquifères souterrains ne présentent aucun danger, une contamination secondaire reste possible lors de la collecte et du stockage de l’eau. Les mesures de changement de comportement visant à améliorer la qualité de l’eau sont par conséquent essentielles. De nombreuses latrines et un certain nombre de sites de traitement des boues fécales ont été construits. Toutefois, un concept global de chaîne d’assainissement totale continue de faire défaut. La nouvelle stratégie sectorielle élaborera des normes minimales en tenant compte de la totalité de la chaîne d’assainissement. Par ailleurs, il devient urgent de s’attaquer au problème de gestion des déchets solides. Les déchets finissent souvent dans des égouts à ciel ouvert et entraînent des obstructions et des débordements. Il existe un certain nombre de possibilités liées aux déchets solides, par exemple le compostage, qui peut être utilisé pour le jardinage, la stabilisation végétale ou le plantage d’arbres dans les camps. Il existe apparemment un marché des produits recyclables à Cox’s Bazar et dans les zones marchandes, sur la route reliant Cox’s Bazar aux camps. La vente de produits recyclables pourrait donner lieu à des activités rémunératrices pour les réfugiés et constitue un moyen d’établir un lien avec le secteur privé local. Il est clair que le changement de comportement sera également essentiel pour la mise en place d’un système performant de gestion des déchets solides.
Tendances actuelles
Pour résoudre ces problèmes de manière appropriée, il est important de les analyser à la lumière des évolutions les plus récentes (voir encadré). Les acteurs de l’aide humanitaire s’accordent à dire que la phase d’urgence est passée et qu’il est temps de mettre en place des solutions à long terme contribuant à maintenir les services vitaux et à améliorer la robustesse et la qualité des installations et de ces services. Il faut mettre plus l’accent sur l’amélioration du respect de la dignité de la population. Cela implique non seulement de mettre l’accent sur la protection et les considérations de genre, mais aussi sur l’amélioration des moyens d’existence, par exemple sous forme de développement des compétences et de possibilités de revenus. Actuellement, l’accent est mis sur la promotion de la cohésion sociale, non seulement chez les réfugiés mais aussi dans les communautés d’accueil. La mise en place d’une gouvernance efficace et représentative est complexe, compte tenu de l’hétérogénéité des communautés dans les camps, qui résulte de leur déplacement, du système traditionnel de leadership dominé par les hommes, des normes culturelles et de la dynamique du pouvoir. Il est nécessaire de promouvoir de manière sensible le leadership et la représentation égale des femmes et des filles en les incluant dans les structures de gouvernance et en renforçant leurs capacités. Enfin, il est urgent de tenir compte des risques considérables en termes de protection, de catastrophes naturelles (inondations, glissements de terrain) et d’épidémies.
Prochaines étapes : opérationnalisation et maintien d’une chaîne complète de services
Sur la base de cette analyse, Helvetas propose d’aborder ces questions en améliorant le respect de la dignité, en offrant des perspectives aux jeunes, en améliorant la situation des réfugiés et des communautés d’accueil, tout en réduisant les risques.
Aujourd’hui, les acteurs de l’aide humanitaire gèrent généralement les services d’assainissement directement. La question qui se pose est donc de savoir comment les acteurs locaux tels que les autorités locales, les communautés, les ONG et le secteur privé peuvent progressivement jouer un rôle plus important dans les prestations de services et comment les acteurs de l’aide humanitaire peuvent graduellement assumer un rôle d’animation et d’encadrement. Cela faciliterait le passage à un modèle municipal, de service d’utilité publique ou du secteur privé à longue échéance. Plus concrètement, l’idée est de piloter un modèle intermédiaire de prestation de service d’assainissement. La structure intermédiaire s’appuierait sur les autorités locales (gestion du camp) et la communauté par l’intermédiaire des comités de blocs. Cela faciliterait la création d’une nouvelle structure de gouvernance plus ouverte aux femmes (chaque comité de bloc serait composé de représentants de la communauté, dont 50 pour cent de femmes, et une femme en serait présidente ou vice-présidente).
Compte tenu de la capacité limitée de gestion du camp et du fait que les comités de blocs n’ont pas encore été créés, il faut considérer que ce sera là un processus à long terme qui nécessitera un soutien considérable de la part des acteurs internationaux. Les autorités locales et la communauté seraient progressivement responsabilisées et participeraient au fonctionnement et à l’entretien. Cela inclurait également l’amélioration du traitement des boues fécales afin de réduire le risque de contamination en améliorant d’une part le système de traitement et en optimisant d’autre part le fonctionnement et l’entretien. De plus, la transformation des déchets solides offrirait des possibilités d’acquisition de compétences et de revenus. En plus de servir pour le jardinage, le compost pourrait éventuellement être vendu à une entreprise de production d’engrais.
Le prestataire de services favoriserait par ailleurs un changement de comportement basé sur des déterminants de changement de comportement identifiés et contribuerait à l’amélioration de la qualité de l’eau au point d’utilisation, au lavage des mains au savon, au tri des déchets et au compostage/recyclage des déchets. Cela contribuerait efficacement à réduire les risques de transmission de maladies et à créer des moyens d’existence. Des messages sur la nutrition, par exemple sur l’hygiène alimentaire et la diversité de l’alimentation, pourraient être intégrés dans les messages de changement de comportement en matière d’hygiène. Enfin, la structure intermédiaire intégrerait la protection, améliorerait la stabilisation des terrains en pente et élaborerait des plans d’urgence communautaires. Compte tenu de la rapidité des changements dans ce contexte, il est proposé d’adopter une approche progressive comportant de courtes étapes (trois à quatre mois) pour piloter le modèle de prestation de ce service intermédiaire, qui inclurait une planification adaptative basée sur un contrôle régulier des résultats et sur une évaluation du contexte et des tendances.
Malgorzata Kurkowska, coordinatrice des mesures d’urgence chez Helvetas Swiss Intercooperation, chargée de superviser l’intervention d’urgence à Cox’s Bazar.
Agnès Montangero, cheffe de l’équipe Eau & Infrastructure chez Helvetas Swiss Intercooperation.
Andrea Cippà, spécialiste des interventions d’urgence WASH, consultant pour Helvetas Swiss Intercooperation.
Contact: malgorzata.kurkowska@helvetas.org
Les auteurs sont reconnaissants du soutien financier de Swiss Solidarity, de la Fondation Medicor et de la Fondation Stanley Thomas Johnson pour la mise en œuvre des installations d’assainissement et de cuisson des aliments dans les camps de Cox’s Bazar, en 2018.
Ajoutez un commentaire
Soyez le premier à faire un commentaire