Photo : Cecilia Benda

Renforcer la résilience – plus facile à dire qu’à faire

Face au changement climatique, il devient de plus en plus important d’améliorer la résilience des ménages ruraux et des communautés locales. La pratique d’une agriculture climato-compatible et la mise en place de systèmes d’alerte rapide sont deux éléments employés dans ce contexte. Toutefois, leur mise en œuvre pratique montre vite ses limites. Sur la base d’expériences réalisées dans le cadre du programme de renforcement de la résilience au Tchad et au Soudan, mis en œuvre par Concern Worldwide, les auteurs présentent les facteurs de réussite et les obstacles.

Un accroissement des régimes climatiques imprévisibles, une montée des températures et une plus grande fréquence des phénomènes météorologiques extrêmes ont été constatés dans tout le Sahel. Il est essentiel de renforcer les capacités de la région à faire face à de tels changements pour améliorer la sécurité alimentaire et la résilience des ménages et des communautés aux effets du changement climatique. Pour adapter les systèmes de production alimentaire à ces tendances et faire en sorte qu’ils soient moins vulnérables à l’impact du changement climatique, Concern Worldwide a lancé le programme de renforcement de la résilience et de l’adaptation aux conditions climatiques extrêmes et aux catastrophes (Building Resilience and Adaptation to Climate Extremes and Disasters – BRACED) au Tchad et au Soudan.

« La résilience communautaire est la capacité, pour tous les ménages ou particuliers vulnérables constituant une communauté, d’anticiper les effets des chocs, d’y répondre, d’y faire face et de s’en remettre, et de s’adapter aux stress de manière efficace et en temps opportun, sans compromettre leur perspective à long terme de sortir de la pauvreté.  »

Définition principale de la résilience communautaire pour Concern

DES VARIETES RESISTANT A LA SECHERESSE AU DARFOUR OCCIDENTAL

L’agriculture climato-compatible (ACC) est une composante fondamentale du programme et un élément essentiel de la stratégie de résilience de Concern Worldwide. Elle utilise notamment des semences de haute qualité mieux adaptées aux changements des conditions climatiques. Dans le cadre de ce programme, Concern travaille en partenariat avec la Société soudanaise de recherche agronomique (ARC) depuis 2015 afin de promouvoir et d’accroître l’accès à deux variétés de millet et de sorgho (Ashana et Butana, respectivement) résistant à la sécheresse et à maturation rapide. Ces variétés mûrissent en 70 jours seulement, alors que les variétés traditionnelles mettent de 90 à 120 jours pour arriver au même stade de maturité.

Renforcer les capacités d’adaptation et d’absorption des ménages

L’exposition des agriculteurs à des pratiques d’agriculture climato-compatible telles que l’agroforesterie améliore leurs capacités d’adaptation, c’est-à-dire leurs capacités d’adapter des systèmes existants pour mieux faire face aux futurs chocs et stresses, en leur fournissant de nouveaux outils et des technologies innovantes permettant d’atténuer les risques liés au changement climatique. Les capacités d’absorption, c’est-à-dire « les capacités ‘d’absorber’ ou de faire face à un choc lorsqu’il se manifeste », généralement grâce à une meilleure anticipation, préparation et réduction de la vulnérabilité à ce choc spécifique, sont également encouragées grâce à l’augmentation et la diversification de la production et à d’autres possibilités de revenus tirés de la vente des excédents agricoles et des produits des arbres.


Dans la communauté de Bangadeed a été mis en place un système de banque de semences grâce auquel des semences-mères des variétés Butana et Ashana ont été fournies à 50 agriculteurs auxquels il a été demandé de les tester et de les multiplier en vue de les distribuer. Les agriculteurs ont été sensibilisés à l’importance de cultiver des variétés adaptées au changement climatique et à l’intérêt d’avoir, dans leur exploitation, un éventail de cultures afin de renforcer la résilience du système agricole. Des formations à la multiplication des semences et des démonstrations culinaires ont été organisées pour familiariser les personnes au goût et à la texture des nouvelles variétés. Après la première saison, les agriculteurs ont rapporté une certaine quantité de semences à la banque de semences pour faire en sorte que d’autres agriculteurs puissent bénéficier d’autres distributions. La saison suivante, Concern a acheté des semences Ashana et Butana à la banque de semences et les a distribuées aux agriculteurs vulnérables d’autres villages à l’occasion de foires aux semences. Cette approche a été considérée comme une réussite pour l’approvisionnement en temps opportun et propre à stimuler l’économie locale.

Un bon accueil, grâce à une réussite évidente

Après quelques réticences initiales, le taux de remboursement des semences est actuellement élevé (97 pour cent), ce qui témoigne de l’engagement des agriculteurs en faveur du système de banque de semences. Après deux années de promotion des nouvelles variétés, les agriculteurs commencent à les adopter et à apprécier  le goût, la couleur et la qualité globale de la farine obtenue. Ils ont constaté des rendements plus élevés avec les nouvelles variétés, notamment après le passage d’El Niño, en 2016, qui a écourté la saison des pluies. Seuls ceux qui utilisaient des semences améliorées ont eu des récoltes correctes, alors que les variétés locales n’ont pratiquement rien donné.  Après avoir récemment augmenté leur production de céréales, les agriculteurs ont conscience d’avoir amélioré leur sécurité alimentaire. Ils ont déclaré avoir eu, plus longtemps, suffisamment à manger à la maison. De nombreux ménages ont même réussi à vendre l’excédent de leur production.

Grâce aux activités de sensibilisation, le sorgho a connu un regain de popularité et le nouvel intérêt qu’il suscite favorise la diversification de l’alimentation des ménages. Ayant eu connaissance des nouvelles variétés, de nombreux habitants d’autres villages sont allés demander des semences à la banque de semences et ceux qui n’avaient pas les moyens de payer ont pu échanger des céréales contre des semences. Les variétés Butana et Ashana ont fait leur apparition sur les marchés voisins, mais en petites quantités compte tenu de la faiblesse de l’offre. Ce qui n’empêche pas qu’elles atteignent des prix élevés et qu’elles se vendent rapidement en raison de leur popularité croissante.

Futures étapes

Les agriculteurs font souvent confiance au grain « normal » acheté sur le marché, plutôt qu’aux semences de haute qualité pour les semis. Le programme s’efforce actuellement d’obtenir une certification de qualité pour les semences produites par les agriculteurs, et de mettre au point un système de conditionnement des semences, avec logos appropriés, numéros de lot et de certification. Cela améliorera la visibilité, offrira une garantie de qualité aux agriculteurs, les encouragera ainsi à se procurer des semences améliorées et accentuera leurs chances d’accéder aux acteurs du marché, par exemple les fournisseurs de produits agricoles et les négociants. Le comité de gestion de la banque de semences va également renforcer ses capacités en matière de gestion commerciale, afin d’améliorer sa capacité à gérer l’entreprise de manière durable. Ce sont là autant de mesures nécessaires pour tirer le meilleur parti de ce qui a été réalisé à ce jour et pour s’assurer que les résultats positifs obtenus en matière de sécurité alimentaire et d’accès des ménages pauvres à des semences de haute qualité pourront perdurer.

SYSTEMES AGROFORESTIERS POUR LA REGION DU SILA, AU TCHAD

Dans la région du Sila, au Tchad oriental, Concern Worldwide s’efforce de trouver des solutions d’urgence à la suite du conflit du Darfour et des crises d’insécurité alimentaire qui ont suivi. Après le retour à un calme précaire dans la région, en 2012, Concern s’est attaquée aux causes de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition en mettant en œuvre le programme Résilience communautaire à la malnutrition aigüe intégrant les questions de santé et de nutrition, d’eau, d’assainissement et d’hygiène, de sécurité alimentaire, de réduction des risques de catastrophes et de genre. Depuis 2015, le programme BRACED promeut la résilience et renforce la composante « agriculture climato-compatible » pour l’adapter à la tendance actuelle des régimes de pluviométrie imprévisibles, à l’élévation des températures et à la dégradation des terres dans toute la région. À cette fin, un partenariat a été créé avec le Centre international pour la recherche en agroforesterie (ICRAF). Les arbres sont des « cultures » vivaces qui, une fois bien établies, ont de meilleures chances de résister aux pluies imprévisibles et aux variations climatiques annuelles que les cultures annuelles ; ils favorisent ainsi des productions plus stables et des revenus diversifiés tirés de la vente de leurs produits. L’agroforesterie entre donc dans le cadre de l’agriculture climato-compatible (ACC).

Au Tchad, les interventions de l’ACC mettant essentiellement l’accent sur l’agroforesterie et l’agriculture de conservation (AC) couvrent 65 villages (voir figure). Il a été tiré parti du savoir-faire technique de l’ICRAF, par ex. pour créer des pépinières ; le personnel de Concern et les membres de la communauté ont été formés aux techniques d’agroforesterie et l’accès aux matériels génétiques d’arbres améliorés a été favorisé (par ex. arbres résistant mieux aux parasites et aux maladies, ou réduction du délai de production de fruits), tout comme l’a été l’accès à la domestication d’essences autochtones déjà adaptées à l’environnement local. Différents arbres fruitiers exotiques et autochtones ont été « élevés » dans les pépinières communautaires, parmi lesquels le moringa ; le Citrus spp. ; la mangue ; la goyave ; la papaye ; Balanites aegyptiaca ; Ziziphus mauritiana ; le tamarin ; Acacia spp. et le marula. Les pépinières communautaires ont produit plus de 5 000 plants la première année. Ces plants ont été achetés par Concern et distribués aux membres de la communauté.

Premiers succès

Les avantages que l’agroforesterie peut apporter aux ménages vulnérables doivent encore se concrétiser car les arbres sont encore jeunes et n’ont pas encore commencé à produire. Néanmoins, quelques gains rapides ont déjà été constatés. Par exemple, la plantation du moringa, arbre à croissance rapide produisant des graines et des feuilles très nutritives moins d’un an après sa plantation, a été encouragée.  L’initiative « Arboloos » a prévu un moringa par ménage, avec plantation des arbres fruitiers sur des latrines fermées dans le cadre de l’approche d’assainissement total piloté par la communauté (Community-Led Total Sanitation – CLTS) dans le but d’associer l’assainissement et la nutrition. Des démonstrations culinaires ont été réalisées avec des groupes d’aide pour encourager la consommation de moringa, et depuis, les femmes ont commencé à préparer des repas avec des feuilles de moringa. La régénération naturelle gérée par les agriculteurs (RNGA), pratique agroforestière encourageant la protection et le renouvellement des arbres dans les exploitations agricoles, se répand rapidement chez les agriculteurs qui commencent à se rendre compte de la valeur des arbres en matière de biomasse et de bois de chauffage.

Pour faire en sorte que les mesures soient durables, BRACED a collaboré avec des innovateurs locaux, des agriculteurs de premier plan et des experts agricoles reconnus ayant une bonne capacité d’enseigner aux autres, prêts à prendre des risques pour se lancer dans de nouvelles pratiques. En faisant participer ces « précurseurs » aux formations et à des essais de recherche participative dans des exploitations, on encourage le transfert de connaissances et on incite d’autres agriculteurs à essayer des technologies innovantes et les adopter, pour assurer la poursuite des activités après BRACED.

La problématique de l’eau

Toutefois, la réussite de l’agroforesterie passe par la résolution du problème de l’eau. Pour les agriculteurs, l’accès à l’eau est un facteur qui limite leur capacité à poursuivre ou étendre l’activité agroforestière, et il faut envisager des investissements dans l’infrastructure d’approvisionnement en eau, par exemple dans l’amélioration des puits et dans les systèmes de collecte de l’eau de pluie. Concern a construit des puits protégés dans chaque pépinière communautaire et œuvre actuellement en faveur d’autres infrastructures d’approvisionnement en eau.

Les communautés sont préoccupées par la durabilité financière des pépinières communautaires ; c’est pourquoi une étude de chaîne de valeur et de marché sera réalisée pour identifier les opportunités de génération de revenus et ainsi motiver les communautés à devenir autonomes. Le Tchad n’a pas de politique agroforestière spécifique et le manque de connaissance institutionnelle limite considérablement les ressources affectées à sa promotion dans tout le pays.  Un dialogue avec les institutions publiques concernées a été engagé pour s’assurer que l’agroforesterie sera incluse dans les futures politiques environnementales et agricoles, ainsi que pour réduire, au niveau local, les obstacles à sa mise en œuvre. Il faudra intensifier les activités de promotion pour atteindre ces objectifs.

SYSTEMES D’ALERTE RAPIDE AU TCHAD : PREVISION DE LA SECURITE ALIMENTAIRE

L’alerte rapide est une composante clé de préparation et de déclenchement d’une réponse en temps opportun à une période de sécheresse pour protéger les vies et les moyens de subsistance avant qu’ils ne soient menacés. À cette fin, depuis 2012, le Centre international Feinstein collabore avec Concern Worldwide à l’élaboration et à l’essai d’un modèle utilisant les données de pluviométrie locales et historiques dans le département du Kimiti, au Tchad, pour prévoir la future production agricole dans le cadre de la sécurité alimentaire. Notre approche de modélisation emprunte au domaine de l’apprentissage machine et utilise des données pluviométriques historiques acquises par télédétection  (données fournies par satellites pour la région locale de 2000 à 2016). Nous combinons ces données avec les données de productivité des cultures fournies par les services agricoles de l’administration du département du Kimiti pour la période de plantation (juin à septembre) pour prévoir la future productivité du millet (kg/ha). Dans le modèle, nous utilisons le millet comme indicateur car c’est la principale culture céréalière du Kimiti.

Le modèle examine la quantité et la répartition des pluies pendant les cinq principales phases de croissance du millet car les besoins d’eau, de nutriments et de soleil varient pendant chaque phase. De plus, il utilise une date de départ flottante permettant de tenir compte de l’importante variation des périodes de semis en fonction des premières pluies. Les données acquises par télédétection sont particulièrement précieuses car elles sont disponibles en temps réel et peuvent par conséquent donner une indication initiale de la qualité de la récolte quelques mois avant les prévisions nationales officielles. De leur côté, les données de productivité du millet peuvent servir d’indicateur de la sécurité alimentaire car la plupart des ménages pratiquent surtout l’agriculture pluviale et ont un accès limité aux intrants agricoles. Nous considérons que dans un contexte où, selon les résultats de notre étude, 89 pour cent de la population dépendent directement ou indirectement de l’agriculture comme source de nourriture ou de revenu, et où la majorité de la population (75 pour cent) consomme ce qu’elle récolte et a peu d’autres possibilités d’emploi, la production céréalière peut être un indicateur approprié de la disponibilité des aliments et de l’accès potentiel à ces derniers.

Le modèle s’est montré relativement performant, mais certaines limitations subsistent.

  • Lors de l’élaboration des modèles, plus on dispose de données, plus les modèles sont précis. Les modèles de prévision nécessitent par conséquent des centaines, voire des milliers de données. Dans ce cas, plus on dispose d’années de données sur la pluviométrie et la production des cultures, plus le modèle peut être précis. Nous ne disposons actuellement que de 14 années de données. Pour résoudre ce problème, nous utilisons une technique statistique dite de validation croisée répétée, qui nous a permis de créer de « nouvelles » données et d’augmenter notre nombre total d’observations. Comme nous continuons d’ajouter des données tous les ans, les informations devraient devenir plus précises et plus fiables.
     
  • Le modèle n’est pas applicable à tous les ménages. Par exemple, ceux qui ont accès à des jardins maraîchers ou des parcelles de céréales situés à proximité de rivières saisonnières sont moins affectés par les déficits en eau de pluie. Les éleveurs, qui se procurent essentiellement leurs céréales sur les marchés, sont moins touchés par les baisses de la production locale, mais ces déficits de production n’en auraient pas moins une incidence sur l’approvisionnement et les prix. Nous améliorons les aspects techniques du modèle, mais il faut garder à l’esprit que le contexte politique et économique dans lequel le modèle est utilisé joue un rôle important dans l’interprétation des prévisions et la façon d’y réagir. Le modèle doit être utile pour un large éventail d’utilisateurs potentiels, y compris pour les communautés locales et les décideurs au niveau départemental, régional et national, afin de déclencher une réponse appropriée à une urgence potentielle.  

Le modèle a été enregistré comme source officielle d’information du ‘Cadre Harmonisé’ (CH), un cadre régional visant à empêcher les crises alimentaires en identifiant rapidement les populations touchées et en offrant des mesures appropriées pour améliorer leur sécurité alimentaire et nutritionnelle. Le CH utilise des indicateurs de résultats en matière de sécurité alimentaire et nutritionnelle, corroborés par des facteurs pertinents, pour déterminer la localisation des zones en insécurité alimentaire et nutritionnelle au Sahel et dans les pays d’Afrique de l’Ouest.

A propos du BRACED et du BRICS

Financé par le Département du développement international (DFID) du gouvernement du Royaume Uni, le programme BRACED vise à renforcer la résilience de plus de cinq millions de personnes vulnérables aux conditions climatiques extrêmes et aux catastrophes. Ce programme comprend 108 organisations constituant 15 consortiums qui mettent en œuvre 15 projets dans 13 pays du Sahel, d’Afrique de l’Est et d’Asie. Parmi les consortiums du BRACED, le programme BRICS (renforcement de la résilience au Tchad et au Soudan) est appliqué par Concern, en partenariat avec l’ICRAF (Centre international pour la recherche en agroforesterie) au Tchad, le Centre international Feinstein de l’université Tufts au Tchad et au Soudan, et l’Organisation caritative Al Massar comme sous-partenaire au Soudan.

Cecilia Benda est conseillère en gestion des ressources agricoles et naturelles chez Concern Worldwide depuis juin 2016 et aide les pays dans lesquels Concern intervient, au Sahel et dans les régions de la Corne de l’Afrique. Contact : cecilia.benda@concern.net

 

Anastasia Marshak est chercheuse au Centre international Feinstein, université Tufts, États-Unis.


References and further reading

http://sdwebx.worldbank.org/climateportal/countryprofile/home
Concern 2017, Community Resilience: A Concern Guidance Note

http://www.worldagroforestry.org/about/agroforestry-our-role
ODI 2016, Tracking the 3As across BRACED
Concern 2016, Concern’s Approach to DRR
 

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