- Share this article
- Abonnez-vous à notre newsletter
Lutter contre la vulnérabilité
Global Risks 2012, le dernier rapport du Forum économique mondial donne de très importantes informations sur l’évaluation des risques globaux. Sur un total de 50 risques couverts dans cinq catégories, à savoir les risques économiques, environnementaux, géopolitiques, sociétaux et technologiques, plusieurs mentionnés dans le groupe de tête sont particulièrement pertinents pour le développement dans les régions rurales du monde. Ces risques sont, en particulier, les crises d'approvisionnement en eau, les crises de pénurie alimentaire, l’instabilité extrême des prix énergétiques et agricoles, l'échec de l'adaptation au changement climatique, la croissance démographique insoutenable, et la mauvaise gestion des terres.
Risque et vulnérabilité
Toutefois, les évaluations des risques mondiaux de ce genre occultent souvent le fait qu'il existe, à travers le monde, de grandes variations dans la vulnérabilité à ce type de catastrophe. Un pays comme le Japon peut faire face aux conséquences d'un séisme d'une certaine ampleur beaucoup plus efficacement qu’Haïti; la sécheresse à long terme affecte les populations du Sahel beaucoup plus durement que les populations d’Australie, et l’impact d'une forte augmentation des prix des denrées alimentaires est beaucoup plus durement ressenti par les pauvres des pays en développement que par les clients moyens d’un supermarché dans une région riche du monde.
Afin de dresser un tableau réaliste des risques politiques, économiques, sociétaux et naturels auxquels sont exposés les particuliers et les communautés, il ne suffit pas de prendre un ensemble de critères objectifs – tels que la magnitude d'un tremblement de terre, la durée d'une période de sécheresse ou une hausse des prix alimentaires – comme base d’évaluation de l’impact d'un événement dommageable; les différents niveaux de vulnérabilité doivent aussi être pris en compte. La vulnérabilité est calculée comme la fonction de trois facteurs: la susceptibilité, c'est-à-dire la probabilité qu’une population a de souffrir; le manque de capacités à réagir, c’est-à-dire de capacités de répondre directement à l'impact d’une catastrophe donnée et d’en réduire ses conséquences négatives; et le manque de capacités d'adaptation, qui renvoie aux stratégies à long terme visant à prévenir les risques et les dommages (cf. WorldRiskReport 2011).
La carte ci dessus est celle de l’indice mondial des risques (WorldRiskIndex). Le concept de cet indice est basé sur la notion fondamentale de risques liés aux catastrophes naturelles (tremblement de terre, inondation, tempête, sécheresse, élévation du niveau de la mer). Cependant, en principe, ce concept peut également s’appliquer à des risques d’autres catégories, notamment aux risques économiques et sociaux. En raison de leur très forte exposition aux catastrophes naturelles, les pays d'Asie et d'Amérique latine – y compris les Philippines, le Bangladesh, le Timor-Leste (Timor oriental), le Cambodge, le Guatemala, le Costa Rica et le Salvador – ont un risque de catastrophes très élevé (voir tableau). Trois États insulaires – le Vanuatu, les Îles Tonga et Salomon – sont parmi les 15 pays ayant le risque de catastrophes le plus élevé. Il semble que cela tienne essentiellement à la très forte exposition de ces pays car, en termes de vulnérabilité, ils ont des résultats nettement supérieurs à ceux de bien d'autres pays. Cependant, leurs capacités de réaction et d'adaptation ne sont pas encore suffisantes pour réduire considérablement leur risque de catastrophe. En revanche, le Japon, le Chili et les Pays-Bas – appartenant tous aux 15 pays les plus exposés aux catastrophes naturelles – sont équipés de systèmes de préparation aux catastrophes, avec des capacités de réaction et d'adaptation très développées, de sorte qu’ils se classent respectivement 35ème, 25ème et 69ème sur le WorldRiskIndex (cf. WorldRiskIndex 2011).
Se concentrant uniquement sur la vulnérabilité – un des facteurs utilisés pour calculer l’indice mondial des risques et défini comme une fonction de la sensibilité, des capacités de réaction et d'adaptation – l'Afghanistan a le plus mauvais résultat, suivi d’un certain nombre de pays africains et d'Haïti (voir tableau et carte ci dessous).
Réduire l’exposition aux risques: une tâche pour les décideurs mondiaux
L’exposition aux risques met la vie et la sécurité physique des gens en péril. Des événements dommageables – pouvant être dus à des processus à long terme de dégradation et de déstabilisation progressives, ainsi qu’à des catastrophes soudaines et des «chocs» – peuvent entraver ou inverser le développement. Des inondations dévastatrices telles que celles qu’a connues le Pakistan peuvent réduire à néant des années de durs efforts de développement et priver la population de toute perspective de développement pendant de nombreuses années. Pour cette raison, les politiques de développement doivent viser à minimiser les risques et mettre en œuvre des mesures appropriées de préparation à ces situations. D’une manière générale, cela revient à réduire l’exposition aux «risques» d’une part et la «vulnérabilité» d’autre part.
Concrètement, il est pratiquement impossible d’avoir une influence sur les risques «classiques». Les communautés humaines ont toujours été exposées aux forces de la nature. Les sécheresses et les inondations sont citées dans la Bible et sont présentées comme des catastrophes naturelles résultant d’une volonté divine. Cependant, grâce à la marche en avant du progrès, l’homme a créé ses propres dangers potentiels qui ont des implications d’une portée considérable. La déforestation à grande échelle en amont des cours d’eau a accru le risque d’inondations désastreuses et la mauvaise gestion des régions arides a aggravé la désertification. Et bien sûr, les émissions de gaz à effet de serre induites par les hommes entraînent un changement climatique qui se manifeste par une fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes, avec toutes leurs conséquences, et par la fonte des calottes glaciaires entraînant une élévation du niveau des mers. Les risques induits par les hommes sont par conséquent de plus en plus importants et viennent s’ajouter aux risques naturels. C’est aux décideurs mondiaux qu’il incombe maintenant de trouver des moyens de réduire ces risques induits par les hommes, non seulement parce que, s’ils ne le faisaient pas, il y aurait des conséquences irréversibles s’accompagnant de nouveaux risques incalculables, mais aussi parce que ces risques auront un impact de plus en plus grave sur des populations et des communautés déjà vulnérables.
De nouveaux risques «induits par les hommes» sont également apparus en dehors du milieu écologique. Une plus grande division spatiale de la main-d’œuvre et l’intégration dans l’économie mondiale a eu des conséquences majeures, notamment un accroissement considérable de la prospérité, et a donné un élan majeur au développement. Toutefois, comme le montre la récente crise alimentaire qui a entraîné une extrême volatilité des prix, cela a créé de nouveaux risques auxquels de nombreuses personnes sont exposées sans défense (cf. von Braun et Tadesse 2012). Là également, les décideurs mondiaux ont un rôle à jouer pour diminuer ces risques et faire en sorte que les marchés régionaux et mondialisés deviennent une opportunité et non pas une menace pour les personnes et les communautés vulnérables.
Les défaillances des États: un facteur de risque
Les effets des nouveaux risques «induits par les hommes» se ressentent à l’échelle mondiale. Par conséquent, pour éviter ces menaces, il faut que la communauté internationale adopte une approche concertée. Le rapport Global Risks 2012 désigne par conséquent les défaillances de la gouvernance mondiale – à savoir la faiblesse ou l’insuffisance des institutions mondiales combinées à la divergence des intérêts nationaux et politiques – comme un des risques transversaux particulièrement importants pour l’avenir. Par contre, la réduction de la vulnérabilité et le renforcement de la résistance relèvent essentiellement des États. Si les pays n’ont pas les capacités nécessaires, la communauté internationale intervient pour apporter son aide, notamment en réponse à des catastrophes. La coopération au développement peut, à son tour, assurer un soutien supplémentaire pour améliorer les capacités d’entraide générale et réduire les vulnérabilités (= renforcement des capacités).
Il va sans dire que les mesures de gouvernance, soutenues par la coopération au développement, peut considérablement renforcer la résistance humaine et communautaire, mais un important facteur entrave grandement ce processus, à savoir que la vulnérabilité humaine est étroitement liée à la faiblesse de l’État. Presque tous les 15 pays les plus vulnérables identifiés dans le tableau « Les pays les plus vulnérable »s se situent très haut dans divers tableaux de fragilité. Ces pays se caractérisent par leur mauvaise gouvernance, la faiblesse de l’autorité publique et un faible niveau de légitimité. Par-dessus tout, leur capacité à fournir les services de base (protection sociale, éducation et santé) est limitée ou nulle et ils sont peu aptes à garantir l’État de droit. De plus, ils sont généralement incapables de collecter les impôts (ou peu disposés à le faire) à l’échelle nécessaire pour effectuer les investissements d’infrastructure dont ils ont tant besoin et mettre en place une administration efficace.
Renforcer la résistance: rôle du développement rural
La récente famine qu’a connue la Corne de l’Afrique a clairement témoigné de la complexité des facteurs qui contribuent à la forte vulnérabilité de la population locale. Les longues périodes de sécheresse intense, qui entraînent une réduction dramatique des récoltes, ainsi qu’un manque d’eau et d’aliments pour les animaux, sont au nombre des facteurs qui ont déclenché la crise. Mais pourquoi la sécheresse a-t-elle des effets aussi dévastateurs? Quels sont les facteurs responsables de la vulnérabilité humaine dans cette région? Les réponses à ces questions tiennent à un ensemble de circonstances profondes: la dégradation des ressources (qui est souvent déclenchée par une croissance démographique insoutenable), les restrictions faites à la mobilité des communautés nomades, un manque de réserves de capitaux, l’absence d’autres moyens de gagner sa vie pour les ménages, la flambée des prix des denrées alimentaires à l’échelle internationale et le dysfonctionnement des marchés, la durée des conflits politiques (notamment en Somalie), le sous-investissement agricole dans l’ensemble de la région ajouté à un manque de liens économiques et commerciaux au niveau régional, le désintérêt général pour les régions rurales, et la mise en œuvre de politiques de développement centralistes.
La sécheresse est essentiellement un phénomène naturel qui, de ce fait, a peu de chance de disparaître, mais le changement climatique induit par l’homme est un facteur aggravant. Une sécheresse est une catastrophe naturelle alors qu’une famine due à la sécheresse n’en est pas une. Une famine peut être maîtrisée; mieux, même, elle peut être évitée. Ce n’est là qu’un exemple, mais il est typique des problèmes qui ne manquent pas de se poser pour éviter les risques et les crises. Une politique qui non seulement met l’accent sur la gestion des crises mais qui adopte également une approche préventive en s’attaquant aux diverses causes de l’extrême vulnérabilité de la population dans une région donnée en vue d’améliorer sa résistance à la crise doit s’attaquer à tous ces facteurs causaux. Cependant, des mesures isolées ne sont pas suffisantes pour trouver une solution. Ce qu’il faut, c’est intégrer les diverses politiques sectorielles dans une stratégie holistique régionale ayant pour objectif d’améliorer la résistance humaine et communautaire à la crise.
C’est-là que le développement rural, dans le cadre d’une approche multisectorielle et territoriale, a un rôle important à jouer. Les approches d’intégration du développement rural ont souvent échoué dans le passé – peut-être en raison de leur propre complexité, d’une trop forte sollicitation des capacités locales, et de l’optimisme excessif manifesté quant à la mesure dans laquelle les processus peuvent être planifiés. Toutefois, plus rationnellement, il est aujourd’hui reconnu que les politiques sectorielles isolées s’étant présentées comme des formes d’intégration du développement rural n’ont pas entraîné une amélioration des résultats du développement durable dans les régions concernées, pas plus qu’elles n’ont amélioré la résistance des communautés locales à la crise. Ce qu’il faudra à l’avenir, c’est un effort nouveau d’intégration d’une plus grande complexité dans une approche intégrée au niveau spatial. Il faudra pour cela une bonne dose de courage, un certain réalisme et un sens des proportions. Dans ce contexte, deux grandes questions se posent:
- Quelles contributions spécifiques le développement rural, en tant que concept, peut-il faire pour renforcer la résistance?
- Compte tenu du fait qu’il est particulièrement nécessaire d’améliorer la résistance dans les États fragiles, comme nous venons de le voir, comment le concept de développement rural peut-il être efficacement mis en œuvre compte tenu des conditions défavorables existant dans ces États fragiles?
Longtemps négligé, le développement des régions rurales aura besoin de réformes dans quatre secteurs (cf. BMZ 2011): la redynamisation de l’économie rurale, la gestion et l’utilisation durable des ressources naturelles, la fourniture de services sociaux et la mise en place d’une infrastructure, et l’amélioration générale des conditions politiques et institutionnelles. Ces processus de réforme ont pour objet d’obtenir des améliorations dans les domaines particuliers qui sont cruciaux pour réduire la vulnérabilité et accroître la résistance (voir le tableau ci-dessous).
Comme indiqué dans le tableau, les mesures à prendre dans la plupart de ces régions seront d’autant plus efficaces qu’elles seront mises en œuvre par des structures de gouvernance performantes. Les conditions qui règnent dans les États défaillants entravent considérablement les efforts d’amélioration de la résistance mais ne les condamnent pas nécessairement à l’échec. Dans les États faibles ou défaillants, il est essentiel de renforcer les mécanismes sociaux qui, malgré cette faiblesse (ou peut-être même en raison d’elle), permettent aux communautés affectées d’acquérir ne serait-ce qu’un minimum de capacité d’entraide (cf. GTZ 2008). Ces mécanismes prennent essentiellement la forme de réseaux sociaux (soutien communautaire, groupes de personnes apparentées et types de réseaux qui passent à l’action lorsque surviennent des catastrophes et aident à atténuer leurs effets néfastes. D’une manière générale, l’interaction complexe entre gouvernance et société civile doit être un mécanisme d’amélioration de la résistance (cf. WorldRiskIndex 2011).
Les concepts multisectoriels de développement rural nous sont familiers à tous. Après une longue période de désintérêt, ils regagnent, fort heureusement, du terrain dans la coopération au développement. La mise en œuvre de ces concepts est une pratique courante dans les États qui fonctionnent bien, mais les efforts nécessaires pour engager des mesures de développement rural dans les conditions qui sont celles d’un État fragile supposent d’entrer en territoire inconnu et imposent un processus de tâtonnement, du moins pendant un certain temps. Les approches éprouvées d’amélioration de la sécurité alimentaire telles que celles qui sont généralement adoptées pendant les crises, les catastrophes et les conflits, seront un élément et un point de départ importants pour ces efforts. Toutefois, pour l’objectif plus large de la préparation, le développement rural doit toucher un plus vaste public.
Une autre difficulté tient au fait que la mise en œuvre de ces concepts nécessite de la patience dans la mesure où elle entraîne des interventions structurelles; il ne faut donc pas s’attendre à des résultats rapides. Néanmoins, cela ne doit pas empêcher d’utiliser des mécanismes de développement rural dans le cadre d’une stratégie à long terme d’amélioration de la résistance humaine et communautaire comme élément clé de la prévention des crises et des catastrophes. Après tout, il ne semble pas y avoir d’autre solution.
Stefan Schmitz
Chef de division: Développement rural
et sécurité alimentaire mondiale
Ministère fédéral allemand de la Coopération
économique et du Développement (BMZ)
Bonn, Allemagne
Stefan.Schmitz@bmz.bund.de
References
BMZ Bundesministerium für wirtschaftliche Zusammenarbeit und Entwicklung: Entwicklung ländlicher Räume und ihr Beitrag zur Ernährungssicherung. Bonn 2011
Global Risks 2012. Seventh Edition. An Initiative of the Risk Response Network. Hrsg.: World Economic Forum. Genf 2012
WeltRisikoBericht 2011. Hrsg.: Bündnis Entwicklung Hilft. In Kooperation mit: Universität der Vereinten Nationen. Institut für Umwelt und menschliche Sicherheit, Bonn (UNU-EHS). Berlin 2011
Ajoutez un commentaire
Soyez le premier à faire un commentaire