Les femmes sont devenues indispensables à la vie publique du Népal.
Photo: giz

Briser le silence

Pendant dix ans, les népalais ont affronté les népalais dans un conflit qui a divisé le pays et laissé des traces de destruction et de pauvreté, particulièrement en zones rurales. Dans les districts de Rukum et Rolpa, les rebelles maoïstes ont établi un gouvernement parallèle, tandis que le gouvernement officiel a été cantonné dans les quartiers généraux des districts. Les gens se méfiaient les uns des autres. Dans un contexte si fragile, un projet allemand de coopération internationale peut-il être mené à bien?

La société népalaise a toujours été caractérisée par la forte marginalisation économique, sociale, et géographique d'une grande partie de sa population. Les gouvernements centraux à Katmandou ont toujours négligé la population vivant en zones rurales. De ce fait, les infrastructures ainsi que l'accès aux services de l'État sont restés marginaux de tout temps.

Dans son ensemble, la société népalaise est régie par des normes et des valeurs patriarcales. De ce fait, la majorité des femmes de toutes les castes et ethnies sont traditionnellement exclues et s’en trouvent marginalisées. En 2011, le Global Gender Gap Report (rapport mondial sur l’inégalité des genres) issu du Forum économique mondial (World Economic Forum) place le Népal au 126e rang sur 135 pays. Les castes dites inférieures sont également exclues de la vie publique.

Les différentes manifestations de l'exclusion, les taux élevés de pauvreté et de chômage qui en résultent ainsi que la répartition inégale des ressources et l'insuffisance alimentaire ont été les causes profondes de la guerre civile entre 1996 et 2006. Selon l'indice de développement humain (IDH) de 2011, le Népal est classé 157e  et est l'un des pays les plus pauvres au monde.

Le cœur de l'insurrection

Ce n'est pas un hasard si l'insurrection a débuté dans les districts de Rukum et Rolpa. Ils ont été spécifiquement choisis par les maoïstes lorsque ces derniers ont parcouru le pays dans le but de propager leurs idées avant de passer à la clandestinité. Toutes les causes profondes du conflit y étaient particulièrement présentes et les objectifs des maoïstes y étaient en grande partie accueillis avec sympathie. En même temps, les gens n'avaient pas d’autre choix que de subir toutes les difficultés dues aux hostilités entre les maoïstes et les forces gouvernementales.

La simple mention de Rukum et Rolpa déclenchait la peur dans la capitale et dans de vastes régions du pays. Les médias contrôlés par le gouvernement et le roi ont de surcroit renforcé leur image négative.

Pendant le conflit, l'atmosphère dans les districts a été caractérisée par la méfiance généralisée et le mutisme de la population. Beaucoup de familles ont été divisées et déchirées alors que certains de leurs enfants étaient recrutés soit par les maoïstes, soit par les forces gouvernementales opposées. Par ailleurs, les insurgés ont également souvent forcé des enfants à se battre pour leur cause. Les maoïstes ont établi un gouvernement parallèle appelé le Gouvernement du Peuple (People’s Governement) et ont déclaré Rukum et Rolpa comme la nouvelle région autonome de Magarat. Le rayon d'action des institutions officielles de l’État népalais a été réduit à une zone close dans la capitale du district.

Les conséquences sociales et économiques dans les zones de conflit ont été énormes. Les districts ont été isolés par le gouvernement, aucune livraison de marchandise n’y était autorisée, et il n’y avait ni services sociaux, ni services économiques. Pendant la durée du conflit, la situation alimentaire s'est radicalement aggravée, et l'infrastructure déjà rudimentaire a été en grande partie détruite ou endommagé, limitant ainsi davantage l’accès aux marchés et aux services.

A la recherche d’une ouverture

Compte tenu de la crise alimentaire aggravée lors du conflit, le gouvernement allemand, en coopération avec la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) était prêt à soutenir le peuple de Rukum et Rolpa à partir du Fonds d’aide d’urgence et de transition    (Emergency and Transition Aid Fund). La base minimale nécessaire pour tenter de travailler à Rukum et Rolpa devait résulter d’une entente avec le gouvernement à Katmandou (information uniquement, pas de coopération) et d’un accord des rebelles maoïstes. La tendance manifeste des rebelles était plutôt de diminuer l'influence extérieure et d’en chasser tous les acteurs. Par conséquent, le responsable du programme et un membre du personnel népalais se sont rendus à Rolpa afin d'obtenir l'approbation des dirigeants maoïstes.

Après quatre jours de marche et de discussions avec des grades inférieurs, Santosh Buda, l’officiel du district en charge de la région autonome de Magarat, s’est tout à coup présenté dans leur chambre d'hôtel à Thabang. Cet entretien devait décider de la survie ou non du projet. Mettant l'accent sur la lutte contre la faim et l’amélioration des infrastructures, la modeste présentation des buts du projet a finalement convaincu M. Buda et a ainsi donné à la GIZ la chance de faire ses preuves. Manifestement, une grande pression repose sur nos épaules, celle d’apporter des résultats rapides.

Définition du cadre

Les bureaux n’étaient pas situés à l’intérieur des capitales de district closes, mais directement dans la zone du projet, de sorte que le groupe cible et les cadres maoïstes pouvaient y accéder à tout moment. Des visites fréquentes au gouvernement du district et aux forces de l’ordre ont établi une communication équilibrée. Pratiquement tous les employés étaient affectés sur le terrain et logeaient chez l’habitant.

Il était impensable de vouloir réaliser une enquête de base durant le conflit. Dès le début, le projet a été basé sur des indicateurs flexibles, car étant donné les circonstances du conflit, ce qui pouvait être réalisé n'était pas clairement défini. Selon son champ d'application, le projet s’étendait des activités sociales aux activités techniques. Les maoïstes considéraient la mobilisation sociale comme leur propre domaine. La GIZ a été considérée comme fournisseur de « matériel ». Par conséquent, la première activité a été la construction de routes, où des centaines de personnes ont immédiatement reçu des vivres et de l'argent en contrepartie de leur travail. Toutefois, l'élément « immatériel » fourni en même temps a été l'introduction de règles démocratiques fondamentales, des audits publics et une politique salariale égalitaire au sein des équipes de travail. Grâce aux audits publics, la GIZ a pu faire assurer une transparence complète concernant l'utilisation des fonds, ce qui a par la suite, été très apprécié des maoïstes.

La communication est la clé

Chaque pas de l'équipe en charge du projet a été surveillé soit par les maoïstes, soit par les forces de l’ordre. Ainsi, chaque mot prononcé, ou même chaque expression faciale, pouvait avoir des conséquences irrémédiables pour le projet ou la personne. Une importante communication continue était le principal instrument pour prévenir les dommages dans ce fragile environnement conflictuel. Du responsable de programme au messager, tout le personnel devait connaitre clairement les choses « à faire et à ne pas faire », en raison de l'absence totale d’installations téléphoniques qui entravait la coordination spontanée entre les membres du personnel. La formation à la communication a contribué à intégrer la stratégie. Les lignes directrices et les lieux d'échange permanent étaient les suivants :

  • temps de communication partagé équitablement entre les parties en conflit ;
     
  • terminologie déjà revendiquée par les maoïstes remplacée (utilisation de superviseur au lieu de mobilisateur, règlement des problèmes locaux au lieu de résolution des conflits, etc.) ;
     
  • réunions internes régulières du personnel afin de réfléchir et revoir la stratégie ;
     
  • plans de travail mensuels obligatoires transmis aux forces de l’ordre, au gouvernement et aux maoïstes pour garantir la transparence ;
     
  • système de messagerie mis en place pour le personnel entre des sites de travail proches ; Mises à jour effectuées tous les deux jours ; Notes et messages souvent passés (et lus ?) par les villageois ;
     
  • rapports des responsables de district au gouvernement du district et aux acteurs du développement lors de réunions mensuelles ;
     
  • livraison des marchandises obligatoirement acheminées par l'intermédiaire d'une commission des forces de l’ordre, de l'armée et du ministère du Développement local à Katmandou. Uniquement dans ce cas les camions étaient autorisés à passer aux postes de contrôle ;
     
  • rétablissement étape par étape des discussions ouvertes grâce aux audits publics.


Le fait d’être observé constamment a amené plusieurs possibilités d’envoyer des messages de manière triangulaire. Lâcher le bon commentaire à la bonne personne au bon moment s’avérait parfois plus efficace que de s’adresser à une personne directement, laissant à cette dernière la liberté de réagir ou d’occulter un problème. La communication a été la clé qui a permis de dissiper en continu les tensions bouillonnantes et qui a favorisé l’ouverture d’esprit et des cœurs de la population.

Gestion des risques

Le projet a eu une aide précieuse du Bureau de gestion des risques (Risk Management Office, RMO), créé en 2002. Financé par la GIZ et le Département pour le développement international (Department for International Development , DFID) du Royaume-Uni, il a été le premier bureau de ce genre, souvent copié par la suite.

Le RMO fournissait de précieux renseignements au personnel de terrain grâce à des rapports quotidiens sur l'évaluation des risques, à la communication et à la formation en gestion des risques de ce même personnel ainsi que des chauffeurs. Il posait fréquemment des questions relatives au projet, sur les dons et la mise en place de procédures via le développement de procédures opérationnelles normalisées et sur les directives de fonctionnement de base signées par divers donateurs.

L’implication du RMO avait pour avantage de lever les menaces ressenties par chaque membre du personnel travaillant sur et au sein même du conflit, aussi bien à un niveau individuel qu’à un niveau collectif. Il a aidé la GIZ à mettre en place les actions et à gagner de la puissance en agissant, au sein du projet, dans un esprit d’union et en conformité avec d'autres acteurs.

Sélection du personnel – respecter les principes propres à chacun

La qualité d’exécution dépendait de la capacité et de la sensibilité du personnel. Aussi, le processus de sélection était délicat. La composition devait refléter les principes du projet, à savoir, être équilibrés en termes de genre, de caste et d'ethnies et intégrer la population locale. Dans le même temps, il aurait été fatal d’embaucher du personnel politiquement infiltré. Dans un premier temps, les consultants étaient embauchés pour étudier le tracé routier. Par la suite, un contrat était proposé aux techniciens compétents et loyaux.

La mobilisation sociale a tout d’abord été menée par une ONG locale, mais après de fréquents heurts avec les maoïstes, le contrat a été résilié et les maoïstes ont ensuite expulsé l'organisation. Rétrospectivement, la coopération avec cette ONG a augmenté les risques liés au projet et a finalement menacé le succès de celui-ci car la discipline et la communication du personnel de l’organisation n'ont pas pu être harmonisées de la même façon que celles du personnel interne au projet. Néanmoins, certaines personnes affiliées au parti ont réussi à intégrer l'équipe. Lorsque celles-ci étaient repérées, elles étaient remplacées de façon diplomatique, afin d’éviter le risque extrêmement élevé de diffamation du projet.

Au début, le potentiel des membres du personnel – principalement celui des femmes locales – n'a pas été pleinement étudié, et surtout, les membres restaient discrets. Leurs responsabilités se sont lentement accrues grâce au plan de travail mensuel pour lequel ils étaient tenus de faire un rapport. Ces responsabilités les ont rendus plus forts, plus assurés et plus volubiles.

Travailler pour la GIZ était risqué pour les locaux, les maoïstes devaient donner leur consentement et les surveillaient avec méfiance. De plus, ils étaient exposés aux bombardements et fusillades et ne pouvaient même pas contacter leurs familles. Le téléphone public le plus proche se trouvait en dehors de la zone du projet, et ils devaient faire la queue pendant des heures pour un bref appel.

Après les difficultés initiales, la composition du personnel a finit par refléter les principes du projet. Le nombre d’hommes et de femmes était équitable, les castes inférieures et d'autres groupes marginalisés étaient fortement représentés et étaient devenus membres à part entière de l'équipe.

La société civile stimule le développement

Après la fin du conflit, le maintien durable de la paix était d’une importance capitale pour l’intégration des ex-combattants et pour l'équilibre social au sein des communautés rurales. L'épine dorsale du processus de mobilisation sociale était formée par un réseau d'utilisateurs nouvellement créé, de groupes d'entraide avec des règles démocratiques fondamentales, et des membres élus du comité de direction. Ces groupes et comités de direction étaient composés d’au moins 50% de femmes. De plus, 20% des membres faisaient partie de la caste inférieure des Dalits.

Les Centres d'apprentissage participatifs (Learning Centers, LCs) se sont avérés être des instruments très efficaces pour stimuler l'inclusion sociale et ainsi contrer l’une des causes profondes du conflit. Ils ont répondu aux besoins des groupes marginalisés tels que les femmes, les castes inférieures ou les personnes handicapées et leur ont offert des opportunités de responsabilisation sociale et économique. Les participants ont appris à lire et écrire, ils ont également reçu une formation à des activités génératrices de revenus (par exemple l'agriculture) et ont utilisé les centres d'apprentissage participatifs comme plateformes de discussion et de résolution des problèmes sociaux. De plus, ces centres ont mené des campagnes sociales et d'hygiène, mais aussi des campagnes contre la violence domestique, l'alcoolisme et la discrimination. Grâce à leurs nouvelles aptitudes, les participants ont commencé à gagner de l'argent, et une partie de celui-ci a été reversée aux régimes d'épargne et de crédit des centres. À la demande des villageois,  ils ont commencé à intervenir dans les conflits locaux et ont reçu une formation affinée grâce au projet. Les participants de ces centres d’apprentissage sont aujourd'hui des membres respectés de la société rurale et continuent de motiver leurs compatriotes à s’engager pour le développement.

La mise en place de la libre expression et de la discussion – à l'opposé de la culture de mutisme qui était si commune durant le conflit – dans tous les groupes d'entraide a été d’une importance capitale.

Réalisations solides dans un environnement fragile

Après que la crise alimentaire d'urgence a été atténuée dans le cadre des mesures Food and Cash for Work (vivres et rémunération contre travail), des opérations sociales et économiques durables ont pu être menées. Grâce à la construction de routes, d’écoles, de centres de services, et grâce à l'approvisionnement en eau et l'irrigation, l'accès aux services et aux marchés ainsi que la sécurité alimentaire et la situation en matière de santé se sont considérablement améliorées.

L’équilibre social en termes de genre et de caste était fondamental. Dans toutes les activités du projet – et particulièrement dans les centres d’apprentissage et les groupes d'entraide – les groupes marginalisés étaient surreprésentés. Ils ont rapidement été identifiés comme des forces principales pour le développement et ont reçu un soutien absolu.

Les centres d’apprentissage ont contribué à améliorer le statut social et économique des groupes marginalisés de la société qui ont alors perçu des revenus par eux même et acquis l'indépendance. Ils continuent de défendre les personnes défavorisées et le développement.

Aujourd'hui, les populations de la zone du projet ont surmonté la discrimination des castes ; les castes inférieures et supérieures mangent, travaillent et vivent ensemble (évaluation 2009 des centres d'apprentissage participatifs). Cette nouvelle solidarité et le courage de faire entendre leur voix leur donnent la force de relever de nouveaux défis et de mettre le gouvernement du district devant ses responsabilités – tout comme la société civile est censée le faire.

L'équipe du projet reste toujours en contact étroit avec la plupart des personnes avec qui elle a travaillé, et nous sommes confiants quant à leur réussite !

Claudia Maier
Responsable de programme
Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH
Katmandou, Népal
Claudia.maier@giz.de

Dominik Langen
Consultant
Katmandou, Népal
Dominik.langen@gmx.net

 

 

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