Les groupes multipartites nationaux (National Multi-Stakeholder Groups) doivent comprendre un nombre égal de représentants du gouvernement, du secteur des entreprises et de la société civile.
Photo: FiTI

La pêche durable a besoin de transparence

Au plan mondial, la pêche a mis du temps à adopter le principe de la transparence, mais le concept est aujourd’hui largement accepté comme composante fondamentale de la gestion durable de la pêche. Malgré tout, de nombreux gouvernements ne divulguent aucune information, même de base (recettes, données de captures, évaluations des réserves ou subventions) sur leur secteur de la pêche. L’Initiative pour la transparence des pêches (FiTI) cherche à résoudre ce problème.

La pêche maritime est devenue une ressource cruciale répondant aux besoins économiques, de sécurité alimentaire et de nutrition de millions de personnes partout dans le monde. Pendant des millénaires, ceux qui se consacraient à la pêche – soit pour nourrir leur famille, comme loisir ou comme activité commerciale – n’avaient pas à s’inquiéter de la durabilité de cette ressource naturelle. Les réserves de poissons se reconstituaient d’elles-mêmes sans problème. Mais ce n’est plus le cas.   

La pandémie mondiale de Covid-19 a frappé alors que les océans étaient déjà menacés de toutes parts, notamment par le changement climatique, la pollution et la surpêche. Selon le dernier rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur « La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture » (2020), plus de 34 pour cent des réserves halieutiques mondiales sont déjà pêchées à des niveaux biologiquement non durables – part qui a triplé au cours des 40 dernières années.

Sur une note plus positive, le même rapport indique également que « d’une manière générale, dans les zones de pêche faisant l’objet d’une gestion rigoureuse, on a constaté une réduction de l’intensité de pêche et une augmentation de la biomasse des ressources halieutiques, certaines atteignant même des niveaux biologiquement durables, alors que les zones de pêche moins bien gérées sont mal en point ».

De fait, ces dernières années, on a constaté une prise de conscience mondiale croissante concernant l’importance de garantir la durabilité de la pêche – c’est-à-dire une pêche environnementalement régénératrice, économiquement viable et socialement équitable. Malheureusement, une meilleure compréhension ne se traduit pas automatiquement par une amélioration des actes. Dans le monde entier, de nombreuses zones de pêche maritime sont encore mal gérées, et certaines ne sont même pas réglementées du tout.  

Pourquoi la transparence c’est important

L’amélioration de la gestion de la pêche et de la durabilité des produits de la mer nécessite de nombreuses interventions. L’une d’elle est essentielle : la disponibilité d’informations fondamentales crédibles. Il peut s’agir d’informations telles que l’état des stocks de poissons, le nombre de bateaux autorisés à pêcher, et dans quelles conditions, les quantités de poissons capturés, et la somme à payer pour le droit de pêcher, etc. L’absence de telles informations affecte la capacité des gouvernements à gérer efficacement et durablement la pêche, ainsi qu’à exercer une surveillance efficace, assumer ses responsabilités et établir un dialogue public.

C’est sans doute lorsque la FAO a publié son Rapport annuel sur la situation mondiale des pêches et de l’aquaculture, en 2010, qu’on a commencé à accorder plus d’intérêt à la transparence dans la gestion de la pêche. C’était la première fois que la FAO mettait en avant le fait que la transparence avait une importance centrale pour la résolution de divers problèmes rencontrés par la pêche maritime à l’échelle mondiale : « L’absence de transparence peut être perçue comme un élément fondamental de tous les aspects négatifs du secteur mondial de la pêche – pêche illicite, non déclarée et non réglementée, surpêche, surcapacité des flottes, subventions attribuées à tort, corruption, mauvaises décisions de gestion de la pêche, etc. Une plus grande transparence du secteur attirerait l’attention sur de telles activités chaque fois qu’elles se présenteraient – si bien qu’il serait plus difficile, pour les contrevenants, de se cacher derrière le voile actuel du secret – et exigerait que des mesures immédiates soient prises pour y remédier. »  

Toutefois, la transparence ne doit pas se limiter à mettre en lumière les activités des gouvernements ou des entreprises, pour s’attaquer à des questions telles que la pêche illicite ou la corruption. Une meilleure visibilité de l’ensemble du secteur de la pêche, y compris des acteurs qui sont souvent ignorés ou négligés, est une valeur relativement sous-estimée liée à l’amélioration de la transparence gouvernementale.

Cela est particulièrement le cas pour certains sous-secteurs de la pêche (p. ex. la pêche artisanale) ou certains groupes (p. ex. les femmes) qui jouent un rôle vital dans la garantie des moyens d’existence, de la sécurité alimentaire et de la culture, mais sont néanmoins souvent marginalisés ou sous-évalués dans les débats publics et l’élaboration des politiques. L’accent sera probablement mis sur l’absence persistante de telles informations en 2022, désignée par l’Assemblée générale des Nations unies comme Année internationale de la pêche et de l’aquaculture artisanales.

Cependant, aujourd’hui encore, dans l’ère de l’information, il reste bien des doutes et bien des secrets sur ce qui se passe dans le domaine de la pêche mondiale. Trop peu de gouvernements donnent des informations sur leurs secteurs de la pêche, qu’il s’agisse d’informations sur les lois, les permis, les accords de pêche et l’évaluation des réserves, les contributions financières, les données sur les captures ou les subventions. De même, trop peu d’entreprises déclarent de manière fiable leurs volumes de captures et leurs pratiques de pêche. De plus, les données rendues publiques sont trop souvent incomplètes, anciennes, non vérifiées et difficiles à comprendre pour le grand public.

Comment savoir si le secteur est géré de manière durable ?  

L’Initiative pour la transparence des pêches (FiTI) a été créée pour s’attaquer à ce problème à l’échelle mondiale. C’est une initiative volontaire en faveur de la transparence et de la collaboration dans la gestion de la pêche maritime. Au cœur de cette initiative, il y a la norme FiTI, seul cadre mondial déterminant quelles informations sur la pêche doivent être publiées en ligne par les autorités publiques. La norme FiTI a été élaborée en deux ans (2015–2017) dans le cadre une initiative multipartite mondiale à laquelle ont participé des représentants des gouvernements, de sociétés de pêche industrielle, d’associations de pêcheurs artisanaux, d’organisations de la société civile et d’organisations intergouvernementales telles que la Banque mondiale, la Commission européenne, la Banque africaine de développement et la FAO. La norme FiTI couvre douze domaines thématiques de gestion de la pêche :

Domaines thématiques de la norme FiTI

# 1Lois, règlements et documents stratégiques officiels applicables à la pêche
# 2Dispositions concernant les concessions de pêche
# 3Accords d’accès aux navires de pêche étrangers
# 4Situation des ressources halieutiques
# 5Pêche à grande échelle
# 6Pêche artisanale
# 7Secteur post-capture et commerce du poisson
# 8Application des lois sur la pêche
# 9Normes du travail
# 10Subventions à la pêche
# 11Aide officielle au développement
# 12Propriété véritable

En plus de définir pour la première fois ce qu’est précisément la transparence en matière de gestion de la pêche, la FiTI s’appuie sur plusieurs principes de base :

  • Pour que la transparence soit effective, elle a besoin de la confiance. Les informations doivent être considérées comme justes, non biaisées et ne servant pas des intérêts politiques ou commerciaux. C’est pourquoi la FiTI est un partenariat multipartite au sein duquel les représentants des gouvernements, des entreprises et de la société civile travaillent en collaboration.
  • La transparence est évolutive. La FiTI ne s’attend pas à ce que tous les pays disposent, dès le début, de données complètes pour chacun des 12 domaines. Les autorités publiques doivent au contraire communiquer les informations dont elles disposent et, en cas d’importantes lacunes, elles doivent prouver que la situation s’améliore avec le temps. Ainsi, tout pays peut mettre la FiTI en œuvre.   ­
  • La transparence a deux faces, comme une pièce de monnaie. L’impact de la FiTI ne se limite pas à augmenter la disponibilité publique d’informations gouvernementales (visibilité), il est également important pour garantir que ces informations permettent aux autres d’en tirer des conclusions (intelligibilité).

Premiers exemples notables en Afrique

Si la pêche a été lente à prendre la vague de la transparence, des progrès notables ont été réalisés ces dernières années. Par exemple, les Seychelles et la Mauritanie sont devenues les deux premiers pays à fournir ce qu’on appelle des rapports FiTI indiquant quelles informations sur la pêche ont été compilées par les autorités nationales et si ces informations sont facilement accessibles au grand public et considérées comme exhaustives.

Ces deux rapports ont eu pour effet que, pour la première fois, diverses informations antérieurement non publiées ont été rendues publiques par les autorités nationales. Ils ont été contrôlés par leurs groupes multipartites nationaux (National Multi-Stakeholder Group – NMSG) pour garantir leur crédibilité et leur fiabilité. Les deux groupes – composés en nombre égal de représentants du gouvernement, du secteur commercial et de la société civile – ont également formulé des recommandations claires pour l’amélioration progressive de la transparence dans leur secteur de la pêche.

Le Sénégal, Cap-Vert et, plus récemment, Madagascar, se sont publiquement engagés à améliorer le niveau de transparence dans leur secteur de la pêche par l’intermédiaire de la FiTI. Le secrétariat international de la FiTI, organe exécutif de l’initiative – dont les opérations étaient localisées en Allemagne avant son installation aux Seychelles, en 2019 – collabore également avec les parties prenantes de plusieurs autres pays tels que le Pérou, l’Équateur, le Mexique, São Tomé-et-Príncipe, les Comores et le Bangladesh.

Cependant, pour transformer ces premiers exemples notables en norme mondiale, d’autres problèmes doivent être résolus, dont deux sont présentés ici. Premièrement, à eux seuls, les arguments traditionnels de « bonne gouvernance » peuvent ne pas traduire l’importance (et la priorité politique) à donner à la transparence pour améliorer la durabilité de la pêche maritime. Cela est particulièrement vrai à une période où de nombreux gouvernements mettent l’accent sur la reprise économique post-Covid-19. De même, il faut démontrer l’existence d’une plus forte corrélation entre l’amélioration de l’accès du public aux informations et la façon dont la transparence peut améliorer les performances de l’administration centrale (p. ex. grâce au recouvrement des recettes, à la réduction des dépenses) ainsi qu’aux programmes d’incitation basés sur le marché (p. ex. certifications des poissons et fruits de mer, stratégies d’approvisionnement, investissements sectoriels et accords commerciaux).

Deuxièmement, la transparence reste souvent mal perçue en tant que voie dans laquelle les gouvernements peuvent volontairement choisir de s’engager. La fourniture d’informations sur le secteur de la pêche maritime d’un pays est toutefois, de plus en plus, pour les gouvernements, une obligation juridique découlant, par exemple, des lois sur la liberté de l’information. Cela implique que le public a le droit d’obtenir des informations sur l’environnement (y compris sur le secteur de la pêche de leur pays), à quelques exceptions près explicitement définies découlant de revendications de confidentialité et de questions de sécurité.  

Les objectifs de développement durable (ODD) soulignent également l’importance de l’accès aux informations gouvernementales. La cible 10 de l’ODD 16 demande à tous les États d’adopter des lois ou d’appliquer des politiques garantissant le droit à l’information. C’est essentiel pour la réalisation de l’ODD 16, mais aussi comme moyen permettant de réaliser d’autres ODD.

Cependant, il est évident que de nombreux acteurs bénéficient encore d’un manque de transparence. Il faut savoir que s’il n’y avait pas de violations flagrantes des bonnes pratiques de gestion de la pêche, il n’y aurait pas besoin d’insister sur la transparence ! Ce qui veut dire qu’il reste beaucoup à faire. Par conséquent, la FiTI ne collabore pas seulement avec les gouvernements pour que les informations sur la gestion de la pêche soient rendues publiques ; elle collabore aussi avec des partenaires non gouvernementaux pour promouvoir un cadre favorable qui exige, comprend, utilise et encourage la transparence gouvernementale en ligne.

Les ressources de la mer appartiennent à tous, et la transparence est une première étape essentielle permettant de s’assurer que nos océans et la pêche restent une source de revenu, de subsistance, de loisir et d’émerveillement pour les générations et les années à venir. Pour cela, un effort immédiat, mondial et collectif est nécessaire. Comme l’a déclaré Jean-François Ferrari, ministre de la Pêche et de l’Économie bleue des Seychelles, dans son allocution d’ouverture lors de la publication du tout premier rapport de la FiTI : « [L’Initiative pour la transparence des pêches] est un outil du développement futur et nous devons avoir comme principe directeur de partager toutes les données et les informations disponibles sur les ressources, avec toutes les parties prenantes. »

Sven Biermann est directeur exécutif de l’Initiative pour la transparence des pêches (FiTI) dont le siège est aux Seychelles. La FiTI est un partenariat multipartite mondial cherchant à améliorer le niveau de la transparence gouvernementale dans le domaine de la pêche maritime.
Contact: sbiermann@fiti.global

Plus d’informations :

FiTI Website: https://www.fiti.global

The FiTI standard: https://www.fiti.global/fiti-standard

FiTi: Seychelles launches 1st FiTI Report ever! https://www.fiti.global/seychelles-launches-1st-fiti-report-ever

Rise up: Seychelles And Mauritania Submit World’s First Reports To Fisheries Transparency Initiative. https://www.riseupfortheocean.org/2021/06/seychelles-and-mauritania-submit-worlds-first-reports-to-fisheries-transparency-initiative/

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