De nouvelles opportunités d’emploi offertes aux femmes dans des sociétés d’exportation permettent aux femmes de contrôler une part plus importante du revenu familial.
Photo: Jörg Böthling

Exportations horticoles – une menace ou un coup de pouce pour la sécurité alimentaire ?

De nombreux pays devenus d’importants fournisseurs de produits horticoles sur les marchés mondiaux – par exemple le Kenya, l’Éthiopie, le Pérou et l’Inde – ont des taux élevés de pauvreté et d’insécurité alimentaire, notamment dans les zones rurales. Peut-on en déduire que les exportations ont un impact négatif sur la situation alimentaire de leur population ? Les auteurs ont cherché à savoir comment ces différents aspects sont liés les uns aux autres.

Au cours des deux dernières décennies, les exportations de produits horticoles (fruits, légumes et fleurs coupées, notamment) depuis des pays en développement ont fortement augmenté – comme on peut le voir dans la figure. Les exportations au départ de l’Amérique latine ont plus que triplé au cours des 20 dernières années, et celles de l’Afrique et de l’Asie ont plus que quadruplé. Les produits horticoles constituent même aujourd’hui la catégorie la plus importante de produits agroalimentaires exportés des pays en développement, les gains tirés de ces exportations ayant dépassé ceux qui le sont de l’exportation de denrées tropicales traditionnelles telles que le thé, le cacao et le café. Les produits horticoles sont essentiellement destinés aux pays à revenu élevé dans lesquels la demande de produits frais et de fruits tropicaux disponibles toute l’année suit une courbe ascendante.



Si ces exportations de produits horticoles contribuent à l’alimentation des consommateurs à revenu élevé, on peut se poser des questions quant à leurs conséquences sur la sécurité alimentaire dans leurs pays d’origine. Les exportations horticoles compromettent-elles ou améliorent-elles la sécurité alimentaire dans ces pays ? Il n’est pas facile de répondre à cette question dans la mesure où différents éléments interviennent sur la sécurité alimentaire et où les exportations horticoles peuvent avoir une incidence directe et indirecte sur la sécurité alimentaire. Cet article se penche sur ces différents effets en s’appuyant sur une analyse de la documentation scientifique et sur les preuves scientifiques disponibles quant aux conséquences de ces exportations au départ des pays en développement. Il examine quatre éléments différents de la sécurité alimentaire : disponibilité des aliments, accès aux aliments, utilisation et stabilité des aliments – et présente une synthèse de ces effets dans le tableau à la fin de l’article.

La disponibilité des aliments suppose un approvisionnement suffisant (en termes de quantité et de qualité) de produits alimentaires dans une zone donnée. On ne dispose actuellement d’aucune étude examinant l’impact causal des exportations horticoles sur la disponibilité des aliments dans un pays. Toutefois, les chiffres nationaux concernant ces exportations et l’approvisionnement alimentaire indiquent qu’il n’existe aucune corrélation négative, ce qui donne à penser que la progression des exportations dans ce domaine ne compromet pas nécessairement la production agricole alimentant les marchés locaux et assurant la disponibilité des aliments dans un pays. Les deux peuvent progresser en même temps.

Les exportations horticoles influencent la disponibilité des aliments de deux façons. Premièrement, elles peuvent améliorer la disponibilité des aliments en contribuant positivement aux recettes en devises et à l’équilibre commercial d’un pays et, de ce fait, en augmentant la capacité d’un pays à importer des produits alimentaires. Certains s’inquiètent toutefois de ce que l’augmentation des exportations horticoles entraîne une dépendance accrue aux marchés mondiaux et à la volatilité des prix des marchés internationaux.

Deuxièmement, elles peuvent réduire la disponibilité des aliments dans un pays en raison de la mise en concurrence des ressources nécessaires à la production destinée à l’exportation et la production alimentaire destinée au marché national. Lorsque plus de terres, de main-d’œuvre et de ressources en eau sont affectées à la production destinée à l’exportation, la production et l’approvisionnement alimentaires au niveau national peuvent reculer. Par contre, à condition de réinvestir les profits et les salaires tirés des secteurs d’exportation horticole dans la production alimentaire ou s’il existe un phénomène de retombées technologiques entre les secteurs de l’exportation et les secteurs alimentaires, il peut y avoir des complémentarités entre la production horticole destinée à l’exportation et la production alimentaire au niveau national. C’est ce qu’on constate au Sénégal, où les ménages agricoles utilisent les salaires qu’ils tirent de leur travail dans des sociétés d’exportation de légumes pour acheter les intrants dont ils ont besoin dans leur propre exploitation, et à Madagascar, où les agriculteurs fournissant des légumes aux sociétés d’exportation dans le cadre d’accords contractuels utilisent dans leurs propres rizières les techniques de fertilisation et de compostage que leur enseignent ces sociétés.

L’accès aux aliments suppose la capacité de se procurer des aliments et dépend des ressources disponibles, des marchés et des politiques en place. L’accès aux aliments peut être direct (par ex. grâce à sa production alimentaire propre – déterminée par l’accès à la terre, à l’eau et à d’autres ressources de production), ou indirect (par ex. sur le marché – en fonction du revenu et du pouvoir d’achat des ménages). Pour comprendre en quoi les exportations horticoles peuvent influencer l’accès des ménages agricoles aux aliments, il faut savoir où ils se situent dans les filières d’exportations horticoles. Cette situation se présente dans le cadre d’une activité agricole contractuelle avec les sociétés d’exportation ou dans le cadre d’un emploi salarié dans les champs et dans les centres de conditionnement des sociétés d’exportation.

Les secteurs d’exportation horticole peuvent être d’importantes sources d’emploi rural et comptent parfois des dizaines de milliers de salariés. Les accords contractuels entre les sociétés d’exportation horticole et les petits exploitants agricoles perdent de leur importance dans la mesure où des règlements rigoureux de sécurité et de qualité des aliments incitent les entreprises à exploiter leurs propres terres et à engager leur propre personnel. Les salariés des sociétés d’exportation horticole viennent souvent des ménages les plus pauvres et les travailleurs sont majoritairement des femmes (jusqu’à 90 % dans certains secteurs), alors que les agriculteurs sous contrat sont le plus souvent des hommes et s’en sortent relativement mieux.

L’accès indirect aux aliments peut s’améliorer si les agriculteurs sous contrat et les salariés du secteur horticole bénéficient de revenus plus élevés et de la réduction de la pauvreté, et si les augmentations de revenus entraînent une augmentation du pouvoir d’achat. De nombreuses études ont mis en évidence les effets bénéfiques de l’agriculture contractuelle dans les filières d’exportation sur l’amélioration des revenus et la réduction de la pauvreté. Certains auteurs ont montré que l’adoption de normes privées présente des avantages pour les petits exploitants agricoles (voir également l’article « Les petits exploitants agricoles profitent-ils des normes de durabilité ? »).
Toutefois, la preuve de l’avantage d’un emploi salarié dans les filières d’exportation est plus contestée. Si certains trouvent qu’il atténue considérablement la pauvreté, d’autres attirent l’attention sur les faibles salaires pratiqués et sur la précarité des contrats de travail et craignent que l’expansion des exportations horticoles accroisse la vulnérabilité des ménages pauvres. Ces différents résultats dépendent de contextes bien particuliers. Les études de cas réalisées pour les pays africains ont tendance à être plus positives que celles qui concernent l’Amérique latine, ce qui tient probablement à l’essor plus récent des exportations horticoles et au manque d’emplois en milieu rural dans les pays africains. De plus, les nouveaux emplois créés pour les femmes dans les entreprises d’exportation font qu’une part plus importante des revenus est contrôlée par elles. Cela peut améliorer l’accès des ménages aux aliments si on part du principe que les femmes sont plus portées à dépenser de l’argent en aliments (et surtout les aliments plus nutritifs) que les hommes – comme on a pu le constater au Kenya et au Népal.

Toutefois, ce n’est pas parce que les revenus sont plus élevés que l’accès aux aliments s’en trouve automatiquement amélioré. Le prix des aliments détermine également de façon importante la capacité des ménages à acheter des aliments. Lorsque, proportionnellement, les prix sont supérieurs aux revenus, le pouvoir d’achat des ménages diminue, tout comme diminue leur accès aux aliments. Les exportations horticoles peuvent contribuer à augmenter le prix des aliments lorsqu’elles réduisent la production alimentaire nationale en raison de la concurrence pour l’utilisation des ressources, de l’accroissement de la dépendance aux exportations de produits alimentaires dont les prix sont volatiles ou de la création d’externalités environnementales considérables. Ces effets ont une incidence néfaste sur l’accès des ménages aux aliments – même lorsque les revenus augmentent.

Par contre, la croissance des exportations horticoles est souvent associée à des investissements dans l’infrastructure dans les zones de production horticole. Ces investissements réduisent les coûts de transaction et améliorent les liens des zones rurales (éloignées) avec les marchés, ce qui peut contribuer à accroître les revenus agricoles, à réduire les prix des aliments produits localement, à diversifier les aliments consommés dans les zones rurales et à améliorer l’accès aux aliments. Toutefois, aucune étude n’a cherché à savoir si la croissance des exportations horticoles pousse à la hausse ou à la baisse les prix intérieurs des produits alimentaires.

L’accès direct aux aliments peut diminuer lorsque les ménages réaffectent des terres, de la main-d’œuvre et des capitaux initialement utilisés pour la production alimentaire destinée à leur propre consommation, à la production horticole pour le marché de l’exportation. Ce qui ne veut pas dire que le passage de l’accès direct à l’accès indirect aux aliments est nécessairement mauvais pour la sécurité alimentaire des ménages ruraux. Si l’accroissement du pouvoir d’achat résultant de la participation aux filières d’exportation est suffisamment important, l’augmentation de l’accès indirect aux aliments contribuera à compenser la réduction de l’accès direct. Cela sera probablement le cas pour l’agriculture contractuelle, compte tenu de l’importance des effets estimés sur les revenus, mais le sera probablement moins pour les emplois salariés, compte tenu du fait que les effets estimés sur les revenus sont moindres et que les salaires réels peuvent augmenter plus lentement que le prix des aliments.

L’utilisation des aliments suppose un usage approprié des aliments permettant d’absorber des éléments nutritifs et fait référence à la qualité et la sécurité nutritionnelles, ainsi qu’à l’hygiène de consommation. Le développement des secteurs d’exportation peut stimuler le secteur national des fruits et légumes et entraîner un changement de l’alimentation au profit de produits horticoles plus frais. Par contre, l’emploi des femmes dans le secteur horticole peut avoir une incidence néfaste sur la nutrition. Comme ce sont les femmes qui, le plus souvent, assurent la préparation des aliments, l’accroissement de leur charge de travail en tant que salariées risque de réduire le temps qu’elles consacrent à la préparation des aliments. Cela peut entraîner l’utilisation de produits plus pratiques, tout prêts et moins nutritifs dans l’alimentation des ménages, mais on manque d’éléments probants à ce sujet. Par ailleurs, les secteurs horticoles doivent se conformer à des règles strictes de sécurité des aliments et à une réglementation (phyto)sanitaire non moins rigoureuse et, de plus en plus, à des normes privées encore plus exigeantes. Les bonnes pratiques agricoles et (phyto)sanitaires du secteur d’exportation peuvent avoir une influence sur les pratiques du secteur alimentaire national et améliorer les conditions de sécurité et d’hygiène de la production et la distribution alimentaires.

Les agriculteurs contractuels qui appliquent de bonnes pratiques agricoles dans les champs qu’ils cultivent pour l’exportation peuvent utiliser ces pratiques dans les champs qu’ils cultivent pour leur propre production. Par exemple, il a été démontré que l’utilisation des normes GlobalGAP par les maraîchers kenyans avait entraîné une utilisation moins dangereuse des pesticides. De même, les femmes qui travaillent dans des entreprises d’exportation et qui doivent se conformer à des pratiques d’hygiène sur leur lieu de travail peuvent transposer ces pratiques chez elles, ce qui contribue à améliorer les conditions d’hygiène de la préparation des aliments.

La stabilité alimentaire suppose la durabilité de la disponibilité et de l’accès alimentaires et elle a un lien avec la résilience alimentaire et la durabilité environnementale. La croissance des exportations horticoles peut influencer la stabilité de quatre façons.

Premièrement, les recettes des exportations horticoles contribuent à la capacité à long terme des pays à importer des denrées alimentaires. Ces recettes rendent les pays moins vulnérables aux chocs en matière de prix que les recettes tirées du commerce des produits tropicaux traditionnels car les prix sont plus stables et la diversité des produits est plus grande et tient compte des cultures annuelles permettant une réaction plus rapide aux chocs comparativement aux cultures pérennes. De plus, les filières horticoles sont caractérisées par des liens commerciaux directs, personnels et à long terme entre les exportateurs et les acheteurs étrangers, ce qui se traduit par une plus grande stabilité des exportations.

Deuxièmement, la stabilité de la participation des agriculteurs et des travailleurs aux filières d’exportation horticole – et la façon dont elle est garantie dans les accords contractuels – a son importance dans la mesure où elle détermine leur pouvoir d’achat et leur accès à long terme à la nourriture. On peut douter de la participation continue et stable des petits agriculteurs contractuels aux filières d’exportation car les entreprises produisent de plus en plus sur leurs propres terres et excluent les petits agriculteurs de la chaîne d’approvisionnement. Ceux qui travaillent dans le secteur de l’exportation n’ont souvent pas de contrat de travail stable et permanent. La garantie d’un salaire minimum et de conditions acceptables de travail dans le secteur des exportations horticoles reste un point à surveiller par la législation nationale de nombreux pays.

Troisièmement, la future production alimentaire de certains pays et communautés dépend de la disponibilité de ressources naturelles. C’est pourquoi la durabilité de l’exploitation des ressources dans le secteur horticole a de l’importance pour la stabilité de la sécurité alimentaire. La production agricole destinée à l’exportation, en général, et les grosses entreprises d’exportation, en particulier, sont souvent accusées de surexploitation des ressources en eau et en nutriments du sol, et de pollution du sol et de l’environnement en raison de l’utilisation excessive d’engrais chimiques et de pesticides. Si les preuves dont on dispose réfutent en grande partie les inquiétudes liées à l’utilisation des engrais et des pesticides et à la surexploitation des nutriments du sol, les preuves concernant la surexploitation de l’eau sont plus mitigées.  Des études se sont inquiétées de la surexploitation de l’eau pour la production horticole destinée à l’exportation, notamment dans les zones de production pauvres en eau, par ex. au Pérou et au Kenya.

Quatrièmement, en plus de l’incidence qu’elles ont sur la stabilité alimentaire interannuelle et à long terme, les exportations horticoles ont également une influence sur la sécurité alimentaire intra-annuelle. Lorsque les exportations horticoles sont réalisées lors de la basse saison de production alimentaire intérieure, les recettes tirées de l’activité contractuelle ou de l’emploi salarié dans le secteur horticole complètent fortement les revenus agricoles. Par contre, lorsque la saison d’exportation coïncide avec la principale campagne agricole, la production horticole entre en concurrence avec la production intérieure pour l’utilisation des ressources en sol, en eau et en main-d’œuvre. Dans ce cas, la nature saisonnière de la consommation alimentaire peut se dégrader, même si, parallèlement, l’accès interannuel des ménages à la nourriture peut s’améliorer.



En conclusion, on dispose de très peu d’éléments probants concernant l’impact de la croissance des exportations horticoles sur la sécurité alimentaire. L’examen des divers types d’impact montre que les exportations horticoles ne compromettent pas nécessairement la sécurité alimentaire et peuvent même contribuer à améliorer l’accès aux aliments, ainsi que leur disponibilité et leur utilisation. En particulier, le développement des marchés du travail dans les zones rurales et l’accès des femmes à des emplois rémunérés dans des entreprises horticoles peuvent contribuer à améliorer la sécurité alimentaire. Toutefois, en ce qui concerne la stabilité de la sécurité alimentaire, d’importants problèmes restent à résoudre, par exemple l’offre d’emplois sûrs et rémunérés par les entreprises d’exportation et l’utilisation durable des ressources en eau.

Goedele van den Broeck & Miet Maertens
Division de bioéconomie, département des sciences de la Terre et de l’environnement
Université catholique néerlandophone de Louvain, Belgique
Goedele.Vandenbroeck@kuleuven.be
Miet.Maertens@kuleuven.be


Références et autres lectures :

  •  Van den Broeck, G., Maertens, M. (2016), Horticultural Exports and Food Security in Developing Countries. Global Food Security 10, pp 11-20.
  • Van den Broeck, G., Swinnen, J. and M. Maertens (2017). Global value chains, large-scale farming, and poverty: Long-term effects in Senegal. Food Policy 66, pp 97-107.
  • Van den Broeck, G; Van Hoyweghen, K. and M. Maertens (2016). Employment Conditions in the Senegalese Horticultural Export Industry: A Worker Perspective. Development Policy Review 34(2), pp 301-319.
  • Maertens, M. and J. Swinnen (2012). Gender and Modern Supply Chains in Developing Countries. The Journal of Development Studies 48(10), pp 1412-1430.
  • Maertens, M., Minten, B. and J. Swinnen (2012). Modern Food Supply Chains and Development: Evidence from Horticulture Export Sectors in Sub-Saharan Africa. Development Policy Review 30(4), pp 473-497.

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