Une redistribution mondiale du niveau d’intensité de la fertilisation, du Nord global vers le Sud global, est nécessaire.
Photo: Jörg Böthling

Des stratégies de fertilisation à long terme sont nécessaires pour assurer une durabilité agricole homogène

La planète connaît actuellement une crise alimentaire historique. Le problème est dû en partie aux prix élevés des engrais. En plus des mesures d’aide à court terme nécessaires, il faudrait tirer parti de la crise pour élaborer et mettre en œuvre des stratégies de fertilisation à long terme pour assurer la durabilité de la production agricole, et notamment une augmentation de la production des petits exploitants du Sud global.

Plus de 800 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire vivent majoritairement dans des ménages vivant du produit de petites exploitations agricoles. Tant que ces personnes ne pourront pas avoir des activités ne dépendant pas de l’agriculture, ce qui est peu probable pour la majorité d’entre elles dans un avenir prévisible, une augmentation de la superficie cultivée et de la productivité du travail reste l’approche la plus importante d’une amélioration des revenus et, par conséquent, de l’accès à la nourriture pour la majorité des personnes souffrant de la faim.

En même temps, l’intensification de l’agriculture à petite échelle contribue à une plus grande disponibilité alimentaire, une plus grande stabilité de la croissance économique, notamment dans les zones rurales, et une réduction de la pression exercée sur les terres dans les réserves naturelles. L’argument principal est que c’est le revenu et non pas la production alimentaire en tant que telle qui assure leur sécurité alimentaire. Bien sûr, pour assurer la résilience des moyens de subsistance, d’autres mécanismes jouent également un rôle, par exemple la diversification, l’accès aux services financiers et la stabilité des marchés alimentaires.

L’amélioration de la productivité agricole passe par une meilleure disponibilité des substances nutritives des plantes. Jusqu’à maintenant, dans l’agriculture moderne, les engrais minéraux ont joué un rôle prédominant dans ce domaine. Certaines estimations situent à environ 40 pour cent les augmentations de rendement mondiales attribuables uniquement à l’utilisation accrue de l’azote minéral, la plus importante substance nutritive des plantes.

Il est difficile de percevoir la contribution d’autres macronutriments – phosphate et potassium – et de micronutriments tels que le bore, le fer ou le zinc séparément de celle de l’azote, les micronutriments étant particulièrement importants pour les variétés de légumes et de fruits de plus grande valeur et plus vulnérables, ainsi que pour la qualité et la santé des plantes. Il y a aussi la chaux, qui est fréquemment ajoutée pour augmenter la valeur du pH et par conséquent la disponibilité des nutriments dans le sol. Au total, les engrais minéraux représenteraient jusqu’à 60 pour cent des progrès de la production moderne, généralement de pair avec l’utilisation de variétés végétales modernes nécessaires pour une meilleure absorption, pour leur utilisation dans les plantes et pour le changement concomitant de la santé des plantes.

Forte corrélation entre les prix des engrais et les prix alimentaires

Compte tenu de l’importance considérable des engrais minéraux, il n’est pas surprenant qu’il existe une forte corrélation entre les prix internationaux des engrais et des aliments. La crise actuelle des prix alimentaires a, elle aussi, une composante « engrais ». Au milieu de l’année 2000, c’est-à-dire avant la guerre en Ukraine, les prix des engrais avaient déjà fortement augmenté ; ils ont subi une autre forte hausse au début de la guerre et sont aujourd’hui, à la mi-mai 2023, de retour à leur niveau d’avant la guerre, mais malgré tout deux ou trois fois supérieurs à leur niveau d’avant 2020.

Il est difficile d’exprimer, en chiffres, l’importance réelle de la contribution des prix des engrais à l’accroissement des prix alimentaires et au problème de la faim, car cette relation dépend d’un grand nombre de facteurs qui interagissent. Le rapport coût-bénéfice de l’utilisation d’engrais varie selon le lieu, l’espèce végétale cultivée et le niveau de fertilisation.

Selon le principe de la diminution de l’augmentation du rendement, moins on utilise d’engrais, plus la baisse de rendement a tendance à être forte. En outre, d’autres prix changent également, notamment ceux de l’énergie, qui influent fortement sur les prix alimentaires dans différentes formes de production, de transformation, d’entreposage et de transport des engrais et des produits agricoles. Il existe une étroite corrélation entre les prix mondiaux de l’énergie, des engrais et des aliments.

Les fortes fluctuations des prix posent de gros problèmes aux agriculteurs. Après tout, ils doivent payer les engrais à l’avance, à un stade où ils ignorent quels seront les prix agricoles après la récolte.

Les petits exploitants agricoles réagissent de manière très sensible aux prix élevés et variables des engrais

Dans les pays en développement pauvres et chez les petits exploitants agricoles, la très forte augmentation des prix des engrais est aggravée par un certain nombre de facteurs. Même si les rapports de prix incitent à produire plus, les agriculteurs peuvent difficilement se permettre de payer les coûts élevés des engrais sur leurs propres réserves, et même s’ils ont accès au crédit, celui-ci est très coûteux. Par ailleurs, pour diverses raisons, les petits exploitants sont particulièrement hostiles aux risques, et les assurances et les garanties de prix sont pratiquement inexistantes dans les pays en développement.

Ainsi, en moyenne, les petits exploitants prennent moins de risques et il est probable qu’ils appliquent moins d’engrais lorsque les prix grimpent. Leur utilisation d’engrais étant généralement très faible (par exemple, la moyenne africaine est inférieure à 20 kg/ha, alors que la moyenne mondiale est d’environ 140 kg/ha), les baisses de rendement qui accompagnent la moindre utilisation d’engrais sont particulièrement fortes. Cela explique pourquoi, en mai 2022, le président de la Banque africaine de développement a prévenu que les pénuries d’engrais pouvaient entraîner une réduction de 20 pour cent de la production alimentaire sur le continent.

Pour tenter d’évaluer l’actuelle crise des engrais malgré la complexité du sujet évoquée plus haut, il est fait référence dans ce qui suit à une étude publiée dans la revue spécialisée Nature Food. Elle essaie d’isoler les effets des coûts des engrais et les restrictions commerciales dans un modèle de calcul  : « Nous montrons que, combinés, les coûts des intrants agricoles et les restrictions des exportations alimentaires pourraient accroître les coûts alimentaires de 60 à 100 pour cent en 2023, comparativement au niveau de 2021, ce qui pourrait entraîner la sous-alimentation de 61 à 107 millions de personnes en 2023 et le décès supplémentaire annuel de 416 000 à 1,01 million de personnes si les modes d’alimentation associés sont maintenus. En outre, l’intensification réduite de l’utilisation des terres résultant des coûts plus élevés des intrants entraînerait une expansion des terres agricoles et la perte associée de carbone et de biodiversité. »

Le débat concernant les engrais minéraux

Les gouvernements et la communauté internationale ont eu recours à un large éventail de mesures pour atténuer l’actuelle crise alimentaire. En avril 2022, la Banque mondiale a annoncé « qu’elle mettait jusqu’à 30 milliards de dollars à disponibilité, sur une période de 15 mois, y compris 12 milliards pour la réalisation de nouveaux projets. À cette fin, en plus du soutien offert par les lignes de financement existantes, le Fonds monétaire international (FMI) a mis en place une nouvelle « fenêtre de financement d’urgence dédiée à la lutte contre l’insécurité alimentaire ». 

Cependant, la crise actuelle a également exacerbé les débats déjà animés sur la transformation de la production agricole et même « du » système alimentaire (mondial). Cela concerne tout particulièrement le rôle des engrais externes. Pour les détracteurs, l’application de taux très élevés d’engrais est synonyme d’agriculture « industrielle » non durable du point de vue écologique – associée à l’eutrophisation des masses d’eau, à la violation des frontières planétaires, aux émissions de gaz à effet de serre et à la dégradation de la qualité des sols. Pour les partisans de ce type d’agriculture, l’utilisation d’engrais externes est un moyen d’obtenir des rendements élevés, mais en plus, elle sert à limiter la dégradation des terres agricoles due à l’épuisement des sols et l’expansion des terres cultivées. Elle contribue ainsi à préserver la biodiversité en dehors de ces terres.


Herbicides, semences et engrais sur un marché, à Gaoua, Burkina Faso. Photo: Jörg Böthling

Les deux points de vue ont de bons arguments à faire valoir, mais scientifiquement, pour qu’une production agricole soit durable, il faut que les nutriments prélevés du sol par la récolte lui soient restitués, soit naturellement, grâce à l’érosion du sol, aux sédiments et à l’atmosphère, soit grâce à l’action de l’homme, avec des engrais organiques et/ou minéraux.

Cette équation comporte de nombreuses variables qui changent d’un endroit à un autre  : qualité du sol et mobilisation de nutriments, intrants externes provenant de l’atmosphère ou de l’environnement naturel grâce à l’élevage de bétail, enrichissement en azote grâce aux légumineuses provenant de l’agriculture ou de l’agroforesterie, degré de circularité des nutriments dans les exploitations agricoles, mais aussi pertes dues à la fixation de matières insolubles dans le sol, au lessivage et aux dégagements gazeux.

Dans les exploitations agricoles, le niveau de commercialisation est également très important. Plus de fruits et légumes partent d’une exploitation agricole et pénètrent sur le marché, plus la circularité dans cette exploitation est perturbée et plus il faut ajouter de nutriments externes pour compenser les pertes. Cependant, pour les petits exploitants agricoles, la production marchande est un élément essentiel permettant de sortir de la pauvreté et de disposer de revenus supérieurs assurant une qualité de vie acceptable. Par exemple, en Afrique subsaharienne, le rendement est généralement de 70 à 80 pour cent inférieur à celui qu’on obtient avec de bonnes pratiques agricoles, et même avec ce faible niveau de productivité, le bilan nutritif est généralement négatif (épuisement du sol).

Ainsi, à l’exception des sols très fertiles et profonds, plus le niveau de productivité et le degré de commercialisation augmentent, plus l’apport de nutriments externes devient essentiel. Toutefois, l’importance de cet apport et l’origine des nutriments peuvent faire une grosse différence, pour la durabilité des apports provenant de l’agriculture, et par conséquent pour la résilience locale, mais aussi pour les coûts et, donc, la compétitivité des exploitants agricoles.

Ouvrir la voie à une stratégie durable d’utilisation des engrais

Pour une agriculture durable à long terme, une fertilisation orientée sur l’extraction nette de nutriments avec un minimum de pertes est souhaitable, au même titre que l’amélioration des rendements et la productivité du travail des petits exploitants agricoles. Pour atteindre ce résultat, il faut prendre les mesures suivantes :

Redistribuer le niveau d’intensité de la fertilisation et mettre en place une industrie (propre) des engrais. Pour une extraction de nutriments ne pouvant être compensée par les pratiques décrites dans ce qui suit, les engrais de synthèse (c’est ainsi qu’on appelle souvent les engrais azotés obtenus industriellement à partir de l’azote atmosphérique) et engrais minéraux (autres engrais produits par exploitation minière des ressources naturelles du sol et mélange de ceux-ci avec de l’azote de synthèse) resteront nécessaires.

Alors que les quantités produites sont bien trop élevées dans de nombreux pays industrialisés et dans certaines régions d’économies émergentes, elles sont généralement trop faibles dans les pays pauvres et chez les petits exploitants agricoles. Une redistribution mondiale du niveau d’intensité de la fertilisation, du Nord global vers le Sud global, est par conséquent nécessaire. Pour en savoir plus sur l’origine souhaitable des engrais azotés de synthèse, voir ci-dessous.

Afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre des engrais azotés, notamment, des efforts pourraient être consacrés à l’élaboration d’une synthèse d’hydrogène vert à long terme, bien que les méthodes nécessaires soient encore considérablement plus coûteuses, même quand on tient compte des prix actuels du gaz.

Toutefois, s’il faut encourager l’application d’engrais minéraux dans le Sud global, il faut également promouvoir sa production. La crise a montré que la dépendance à une poignée de pays fournisseurs est trop forte. Actuellement, des initiatives sont prises pour créer une industrie des engrais indépendante en Afrique et utiliser les ressources naturelles locales, notamment le gaz et les phosphates bruts.

Accroissement de l’efficacité énergétique. En pratiquant une rotation des cultures bien pensée, en choisissant le bon moment d’application des engrais organiques et minéraux et en les faisant correctement pénétrer dans le sol, on peut réduire les pertes de nutriments. De sérieux espoirs reposent sur l’adoption ou l’amélioration de l’agriculture de précision qui consiste à placer précisément l’engrais sous la surface du sol conformément aux besoins des plantes.

Dans de vastes exploitations agricoles mécanisées, on peut, pour cela, faire appel à la haute technologie capable d’assurer le pilotage par satellite et par ordinateur ; dans les petites exploitations agricoles, on peut faire une application manuelle d’engrais pendant et après l’ensemencement. L’enrobage ou la modification chimique et biologique des engrais dans le but de retarder la diffusion des nutriments et d’améliorer leur absorption contribuent à réduire les pertes et à gagner en efficacité.   

Amélioration de la qualité du sol. Pour optimiser l’utilisation des nutriments du sol et de ceux qui y sont ajoutés, il est crucial d’activer la vie du sol et d’augmenter les quantités de matières organiques qu’il contient. Certains sols tropicaux absorbent complètement les engrais sans mesures supplémentaires, alors que dans la plupart des autres sols cela améliore l’apport de nutriments et leur stockage. On peut pour cela temporellement et/ou spatialement décaler la culture de différentes espèces végétales, intégrer la culture et l’élevage, ajouter des substances biologiques (matières résiduelles), etc.

Récemment, l’activation microbienne du sol et l’interaction plante-sol ont fait l’objet de nombreuses expériences. Toutefois, de nombreuses méthodes exigeant de grandes quantités de matières organiques nécessitent leur conversion dans les systèmes agricoles et impliquent des investissements qui n’ont rien d’anodin.

Pour les grandes exploitations, la mécanisation est une condition préalable. Pour les petites exploitations, il faut avoir recours aux méthodes manuelles qui doivent toutefois tenir compte des pics de main-d’œuvre et de la charge de travail, car même les plus petites exploitations agricoles connaissent à certains moments des problèmes de main-d’œuvre. Pour les méthodes faisant appel au fumier de bétail, le nombre d’animaux et leur alimentation sont une condition préalable.


Un agriculteur du comté de Kakamega, Kenya, utilise les restes de fermentation d’une petite installation de biogaz comme compost pour améliorer la qualité du sol.  Photo: Jörg Böthling

Culture de légumineuses. La culture de légumineuses est une forme fréquemment citée de substitution aux engrais minéraux et d’amélioration de la vie du sol. Grâce à l’action de bactéries, ces cultures peuvent fixer l’azote atmosphérique et, selon le mode de culture, elles sont également de précieuses cultures de subsistance et cultures commerciales, ainsi que d’importantes sources d’aliments pour les animaux.

Toutefois, il n’est pas toujours facile d’intégrer les légumineuses dans les exploitations agricoles. Elles sont souvent sensibles à la maladie et difficiles à stocker et, sous la forme d’arbres et d’arbustes, elles entrent souvent en concurrence avec d’autres cultures pour l’eau, la lumière et les nutriments alors que leur masse verte doit être enfouie dans les champs ou qu’elles doivent être transportées dans l’exploitation, sachant que leur commercialisation entre en concurrence avec des produits importés, notamment le soja.

Dans un lointain avenir, on peut concevoir que la fixation de l’azote dans les plantes non légumineuses sera possible grâce au génie génétique, ce qui faciliterait l’adaptation mais poserait des problèmes en termes de biosécurité et d’autorisation.

Fertigation. En horticulture, combiner l’irrigation et l’application d’engrais soluble est une méthode de diffusion des nutriments dont l’efficacité a été démontrée, mais qui suppose également des investissements considérables et entraîne des problèmes de prélèvement et de pollution de l’eau. Cette méthode aura donc tendance à rester une solution de niche (à grande échelle).

Développement de l’économie circulaire. À long terme, il faudra s’efforcer d’améliorer non seulement les cycles des nutriments au sein des exploitations, mais aussi de permettre la restitution au sol des nutriments qui quittent l’exploitation agricole lorsque la production est commercialisée. Cela n’est pas anodin non plus, car les obstacles sanitaires, hygiéniques, logistiques, économiques, juridiques et psychologiques sont nombreux.

En effet, la majeure partie des nutriments sont contenus dans les fèces humaines. Celles-ci sont enrichies de substances nocives, dégagent de mauvaises odeurs, suscitent le dégoût, sont aqueuses et volumineuses à transporter à l’état frais. Il faut trouver des moyens de séparer et d’enrichir les substances, et de fabriquer des produits acceptables. Cela peut se faire au niveau local sous la forme d’engrais organiques qui ne peuvent restituer que de l’azote et des matières organiques au sol. Il reste encore d’importants obstacles à franchir en ce qui concerne les éventuels risques pour la santé, et une solution partielle pourrait consister à restreindre son application aux cultures non alimentaires.

La concentration en nutriments doit être accrue pour des itinéraires de transport plus longs, par exemple via l’extraction biologique et chimique de chaque nutriment. Ces dernières années, ce résultat a déjà été atteint à grande échelle technologique dans le cas du phosphate, les progrès étant, dans ce cas, motivés par les craintes que ce soit la première substance à devenir rare au niveau mondial. Ces craintes se sont depuis dissipées et c’est-là une des raisons pour lesquelles les méthodes ne sont pas encore économiques.

Création de systèmes financiers, élimination des subventions

Comme nous l’avons vu, les différentes stratégies de fertilisation qui sont durables à long terme doivent être adaptées aux caractéristiques du lieu et ne peuvent pas être mises en pratique du jour au lendemain. De multiples mesures adaptées aux systèmes agricoles individuels exigent encore de nombreuses recherches et une adaptation locale, en coopération avec les agriculteurs eux-mêmes. Pour beaucoup d’entre elles, les marchés doivent être exploités et des chaînes d’approvisionnement créées, ce qui nécessite un travail en étroite collaboration avec le secteur privé.

Pour les engrais et les nouveaux intrants, ainsi que la main-d’œuvre, les exploitants agricoles doivent beaucoup investir à court terme, tout comme ils l’ont fait pour la mécanisation et la conversion de leur exploitation à long terme. Pour cela, ils ont besoin de capitaux (emprunts) et, pour se protéger des risques dans la mesure du possible, d’assurances et de solutions d’épargne. À ce stade, un soutien est nécessaire pour faire en sorte que les systèmes financiers ruraux fonctionnent mieux.

Du point de vue économique, et dans la mesure du possible, il faudrait ne pas recourir à des subventions à long terme qui sont généralement autant de mauvaises mesures incitatives et constituent des coûts et des risques considérables pour le budget de l’État. C’est ce qui ressort actuellement des subventions accordées pour les engrais minéraux, formule qui a été adoptée dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, suite à l’exemple donné par le Malawi au début des années 2000 (voir également l’article « Volatilité des prix des engrais à l’échelle mondiale – approches visant à réduire la vulnérabilité des pays de l’hémisphère sud». Dans ces pays, jusqu’à 20 pour cent du budget de l’État leur sont parfois consacrés.

Compte tenu des niveaux actuellement élevés des prix, les gouvernements ne peuvent pas maintenir les subventions et même en temps normal celles-ci absorbent tellement d’argent qu’il ne reste pratiquement rien pour la recherche et les investissements consacrés aux problèmes susmentionnés et à d’autres défis auxquels se heurte le secteur agricole. De plus, bon nombre des engrais subventionnés bénéficient plus aux riches exploitations agricoles grâce au marché noir car, en raison de problèmes urgents de liquidité, les plus pauvres les vendent souvent rapidement. Cependant, si les subventions à long terme ne sont pas viables dans la période actuelle de prix élevés, les subventions à court terme conviennent pour faire face à la crise de façon transitoire.

La crise actuelle offre la possibilité d’élaborer des stratégies d’utilisation des engrais qui mettent l’accent sur les solutions à long terme et qui, alors qu’elles augmentent les subventions non durables à court terme lorsque c’est nécessaire, les réduisent à long terme. C’est maintenant aux pays d’Afrique subsaharienne d’utiliser ces moyens aussi efficacement et effectivement que possible. Ils n’ont pas la possibilité qu’ont les riches nations industrielles d’appliquer de coûteuses stratégies de subventionnement. L’UE devrait soutenir de telles stratégies locales plutôt que de transférer ses propres problèmes de durabilité aux pays en développement de manière irréfléchie.

Le refus de l’Union européenne de soutenir une industrie locale des engrais en raison du changement climatique tout en cherchant, simultanément, à accéder à des ressources énergétiques et naturelles à l’échelle mondiale, ne peut être perçu, dans le Sud global, que comme de l’hypocrisie. Après tout, dans cette partie du monde, les différents acteurs et pays ont des niveaux d’émission de gaz à effet de serre qui, jusqu’à maintenant, sont très inférieurs à la moyenne mondiale, et les raisons de leurs émissions sont probablement les plus justifiées du monde. Dans la revue Foreign Policy, Saloni Shah note que « même Mary Robinson, ancienne envoyée spéciale des Nations unies pour les changements climatiques, en est venue à accepter l’idée que les pays africains devraient tirer parti de leurs réserves de gaz naturel pour faire face à leurs besoins énergétiques. »

L’élaboration de stratégies de fertilisation à long terme est un exercice complexe et exigeant, certes, mais qui en vaut certainement la peine. Relativement à l’économie dans son ensemble ou à l’emploi, les secteurs agricoles sont considérablement plus importants pour les pays pauvres que ne le sont les secteurs industriels pour les pays riches.  


Michael Brüntrup est ingénieur en agronomie ; il a obtenu son doctorat sur la culture du coton au Bénin/Afrique occidentale. Depuis 2003, il travaille pour ce qui est aujourd’hui l’Institut allemand du développement et de la durabilité (IDOS) à Bonn, Allemagne (anciennement l’Institut allemand du développement – DIE), où il s’occupe généralement des questions de politique agricole et de sécurité alimentaire en Afrique subsaharienne. Ses travaux actuels portent sur l’agro-industrie et le développement rural, la gestion de la sécheresse et le rôle des connaissances dans le développement agricole.
Contact: michael.bruentrup(at)idos-research.de

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