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Protéger les écoles, les enseignants et les étudiants des attaques
Dans les zones de conflit à travers le monde, les écoles, les étudiants (en particulier les filles) et les enseignants sont délibérément pris pour cible par des groupes armés et les forces de l’ordre gouvernementales. Les plus connus sont les terribles attaques en Afghanistan, où des hommes à moto ont mitraillé des élèves et aspergé des écolières avec de l'acide pour les empêcher d'aller à l'école. Les attaques contre le secteur de l'éducation dans d'autres conflits ont été moins médiatisées. Par exemple, en Somalie, le groupe militant islamiste al-Shabaab a transformé des écoles en champs de bataille, utilisant les bâtiments et enceintes scolaires en activité pour tirer sur les forces d'opposition, la vie des étudiants et des enseignants étaient délibérément mise en danger, bien souvent à cause des tirs à l’aveugle venant des ripostes. Dans certains cas, le groupe a bombardé les établissements scolaires, tuant des étudiants, des enseignants et des passants. Il a également utilisé les écoles dans le but de recruter des étudiants en tant que combattants mais aussi enlever des jeunes filles et des jeunes femmes pour les violer et les marier de force.
Al-Shabaab a également imposé son interprétation radicale de l'islam dans les écoles des zones qu’il contrôle, interdisant ainsi l'anglais, les sciences et autres matières jugées inconvenantes. Il a aussi appliqué des restrictions sévères quant à la tenue vestimentaire des filles et à leurs interactions avec les étudiants de sexe masculin. Le groupe a menacé et même tué des enseignants qui s’opposaient à ses méthodes.
Les paroles d’une mère dont la fille de 17 ans a été enlevée par al-Shabaab dans une école en Somalie : « J’étais toujours inquiète quand ils étaient à l’école. À la fin de la journée, tu avais toujours peur de voir si ton fils avait été recruté ou ta fille kidnappée. Chaque jour où tu récupères ton enfant, tu es reconnaissant. Tous les jours, il y avait des incidents rapportés par l’école. »
Quelles sont les raisons des attaques ?
Selon l'UNESCO, à l'échelle mondiale, plus de 40 pour cent des 67 millions d’enfants non scolarisés et en âge de fréquenter l'école primaire vivent dans des pays touchés par un conflit. Entre 2006 et 2011, des écoles ont été attaquées ou utilisées à des fins militaires dans les pays suivants : Afghanistan, Birmanie, République centrafricaine, Tchad, Colombie, Côte d'Ivoire, République démocratique du Congo (RDC), Géorgie, Inde, Iraq, Israël et territoires occupés palestiniens, Libye, Népal, Pakistan, les Philippines, Somalie, Sud-Soudan, Soudan, Syrie, Thaïlande et Yémen.
Les motifs varient. Des groupes rebelles perçoivent les écoles et les enseignants comme des symboles de l'État, des cibles « sensibles » très populaires qu'ils peuvent utiliser pour attirer l'attention des médias et saper la confiance portée au contrôle gouvernemental. Certains groupes s’opposent au contenu des programmes, décriés comme étant des choses laïques ou « occidentales », ou à ceux qui en bénéficient, les filles notamment. D’autres recherchent des écoles dans le but d’endoctriner les enfants, de les recruter, ou de les enlever pour les violer ou les marier de force. Certaines attaques ne sont pas idéologiques, comme celles relatives à des querelles locales ou à des sujets criminels cherchant à évincer l'autorité. L'emplacement, la structure solide, et les installations prêtes à l’emploi des écoles suscitent souvent l’intérêt des forces de l’ordre gouvernementales et des groupes armés non étatiques. Ils les utilisent alors comme bases militaires, abris, cachettes d'armes et avant-postes.
Peu importe la raison, les attaques sont extrêmement préjudiciables. Les étudiants et les enseignants peuvent être traumatisés, blessés, ou tués. Les attaques se traduisent souvent par une diminution spectaculaire de la fréquentation scolaire, particulièrement celle des filles. Les bâtiments et les matériels éducatifs peuvent être endommagés ou détruits. Les classes peuvent être suspendues pendant des jours voire des mois ; dans les cas les plus graves, des centaines d'écoles peuvent rester fermées. Les attaques peuvent également avoir un effet de répercussion sur les écoles des régions voisines, chassant ou réfrénant les ONG et autres prestataires de services éducatifs non gouvernementaux.
L'éducation est universellement reconnue comme essentielle au développement intellectuel et social de l'individu, et dans les situations de conflit, elle peut à la fois sauver des vies et maintenir en vie. Lorsque le milieu scolaire est sécurisé, il peut donner aux enfants un sentiment de normalité dans une situation autrement instable. Les écoles peuvent fournir des informations vitales et des prestations, par exemple en sensibilisant aux mines terrestres. L'éducation est également au cœur de la concrétisation d’autres droits humains, comme la liberté d'expression, d'association et de réunion ; la pleine participation à la vie communautaire ; l'absence de discrimination, d'exploitation sexuelle, et des pires formes de travail des enfants. En effet, l'exercice de ces droits peut aider les pays à surmonter et à se relever d'un conflit. L'éducation des filles apporte un bénéfice particulier au développement global d'un pays, allant de la réduction de la mortalité maternelle et infantile jusqu’à la stimulation de la croissance économique.
Mais même dans des contextes où les attaques dans le milieu de l'éducation sont reconnues comme une tactique du conflit, les gouvernements et les acteurs extérieurs peuvent négliger le lien entre la sécurité et l'éducation, préférant se concentrer uniquement sur les stratégies militaires. Cela est particulièrement vrai dans les États fragiles et touchés par un conflit où le gouvernement n’assure pas son rôle fondamental, y compris les fonctions principales telles que la dispense de l'enseignement. Dans ces cas, la sentence tombe, et le soutien de donateurs internationaux est particulièrement critique.
Abdi S. décrit ce qui s’est passé mi-2010 à son école en Somalie: « Al-Shabaab est venu dans l’enceinte de l’école et nous a dit de rester en classe. Il était midi, ils ont installé [une aire de lance-roquette] et ils ont commencé à tirer depuis l’intérieur de l’école. Ils se sont installés dans la zone de « jeu »… Quelques élèves ont essayé de sortir de l’enceinte mais ils ont été refoulés par al-Shabaab. Nous avons été pris au piège pendant deux heures… Des tirs revenaient dans notre direction. Cinq roquettes ont atteint les alentours de l’école. L'une d'entre elles a atterri pendant que nous étions libérés et a tué huit élèves. »
Comment protéger l’éducation en temps de conflit armé ?
Sans minimiser l'importance d’aborder les problèmes de sécurité – effectivement, un minimum de sécurité est nécessaire pour que les enfants et les enseignants puissent se rendre et apprendre dans les écoles en toute sécurité – tous les acteurs politiques devraient considérer la relation fondamentale entre la sécurité, la fragilité de l’État, et l'éducation. Il est reconnu qu’à travers le monde, des attaques ciblées sur les écoles, les enseignants et les élèves sont souvent perpétrées pendant les conflits. C'est pourquoi, les gouvernements, les donateurs internationaux et la société civile devraient assurer une meilleure protection des milieux scolaires présents dans les zones conflictuelles en veillant aux quatre aspects suivants :
- la surveillance et le signalement des attaques ;
- les mesures programmatiques pour prévenir et répondre aux attaques ;
- la protection juridique ; et
- l'obligation pour les auteurs des faits de rendre des comptes.
Tous les niveaux d’éducation, incluant l’enseignement secondaire et universitaire, de même que pour les filles, devraient être pris en considération.
Premièrement, une surveillance et information opportunes et précises des attaques contre l’éducation est primordiale pour répondre à ces attaques et obliger les auteurs de celles-ci à rendre compte de leurs actes mais aussi pour tenter d’éviter qu’elles soient commises. Pourtant fiable, l’information directe peut être difficile à recueillir étant donné que les zones les plus vulnérables aux attaques peuvent être les moins accessibles du fait de leur insécurité et faible infrastructure. Celles ayant le plus grand accès à l’information ou étant en charge de la surveillance peuvent manquer de compétences, de ressources ou de motivation dans l’exécution de cette surveillance. Elles peuvent également rencontrer de sérieuses menaces envers leur propre sécurité ou celle des témoins. Les systèmes de rapports peuvent être faibles ou non existants ou non liés à des réactions efficaces.
Les gouvernements, les organes des Nations unies appropriés, les ONG et autres devraient tous surveiller, rapporter et répondre aux attaques ciblant l'éducation. Par exemple, le Mécanisme de surveillance et de communication de l’information concernant les enfants et les conflits armés (Monitoring and Reporting Mechanism on Children and Armed Conflict, MRM) dirigé par l'ONU et actuellement présent dans 15 pays, est explicitement habilité à surveiller les attaques contre les écoles, les enseignants et les élèves, ainsi que l'utilisation militaire des écoles. Se basant sur cette information, le Conseil de sécurité des Nations unies peut prendre de fortes mesures envers les parties attaquantes.
L'accès à l'éducation doit aussi être considéré comme un indicateur non militaire de la sécurité : si une zone est trop dangereuse pour que les étudiants et les enseignants puissent se rendre à l'école en sécurité, cette zone ne devrait pas être considérée comme sûre. L’indicateur de l'accès à l'éducation est une référence pragmatique du fait qu'il est souvent le point d’interaction le plus fréquent entre les individus et leur gouvernement, offrant des données concrètes, mesurables et axées sur les résultats.
Deuxièmement, les prestataires de services éducatifs, y compris les ONG, les agences des Nations Unies et les gouvernements, soutenus par des donateurs internationaux, peuvent développer plus de programmes ciblés visant à prévenir les attaques et à y répondre. Les domaines d'intérêt possibles comprennent entre autres les systèmes d'alerte précoce, la protection physique des écoles, la participation communautaire, la livraison alternative et les négociations avec les groupes armés. Une coalition entre les ONG et l'ONU pour la protection de l’éducation contre les attaques, la Global Coalition to Protect Education from Attack (GCPEA), a commencé à recueillir des informations sur diverses stratégies mises à l'essai sur le terrain, mais d'autres recherches sont nécessaires afin de connaitre ce qui fonctionne dans tel ou tel contexte et pourquoi.
Troisièmement, les gouvernements devraient renforcer les protections juridiques pour les écoles. Ceci est important, non seulement pour les pays actuellement en conflit, mais aussi pour ceux qui souhaitent faire preuve de leadership et mettre en place de bonnes pratiques étatiques. Le droit humanitaire international (« les lois de la guerre ») interdit les attaques sur les écoles et autres structures d'enseignement qui ne sont pas utilisés à des fins militaires. Cependant, dans leur droit pénal, de nombreux États ne fournissent aucunes protections particulières aux écoles au-delà de celles généralement accordées aux biens civils, qui généralement, ne tiennent pas compte de la grande incidence des dommages ou de la destruction d’une école. Ce groupe inclue la majorité des 116 États faisant partie du Statut de Rome, le traité international instituant la Cour pénale internationale, qui prévoit que les attaques internationales sur des bâtiments consacrés à l'éducation sont un crime de guerre. Les gouvernements devraient donc rendre explicite dans leurs lois pénales et militaires que les attaques intentionnelles sur les bâtiments scolaires, non utilisés à des fins militaires lors d'un conflit armé, constituent des crimes de guerre.
De plus, l'utilisation des institutions éducatives par les militaires et groupes armés au cours des situations de conflit et d'insécurité peut perturber ou complètement empêcher l'enseignement à la fois sur le court et le long terme. Selon une enquête récente par Human Rights Watch, actuellement sur 56 pays, seuls sept interdisent ou limitent clairement l'utilisation des bâtiments scolaires par leurs forces armées. Cependant, ce petit nombre comprend l'Inde, les Philippines et la Colombie, des États tous impliqués dans un conflit armé interne prolongé, ce qui démontre la conviction qu'une telle utilisation n'est pas nécessaire pour combattre efficacement. Les gouvernements devraient interdire l'utilisation des écoles par les forces armées. Les ONG devraient plaider en faveur de ces protections, et les gouvernements donateurs devraient les promouvoir.
Un enseignant d'Afghanistan : « Je dormais et j'ai été réveillé par le bruit. Nous sommes sortis et avons vu que le bâtiment de l’école des filles était détruit, le toit s’était effondré, la porte était brûlée... Il y avait beaucoup de flammes et de fumée. J'ai eu un peu peur quand j'ai vu ça ! Ça aurait pu être une bombe télécommandée... Après cela, pendant une semaine seules quelques filles sont venues, puis nous les avons encouragées à venir. Mais certaines ne sont jamais revenues du tout... Une fille de ma famille est allée à cette école. Bien qu’inquiets à son sujet, nous ne lui avons pas interdit d'y aller car c'est son avenir, mais je me sens toujours inquiet. Je sens qu'il y a un problème de sécurité. Mais maintenant nous sommes des veilleurs – nous avons fait un calendrier et chaque personne a une nuit. »
Enfin, rendre responsable ceux qui attaquent des écoles, des enseignants et des étudiants est crucial, en utilisant les informations recueillies par une surveillance efficace et les protections du droit pénal. Cependant, lorsque les lois locales et les systèmes judiciaires ne sont pas fonctionnels, la société civile peut avoir besoin de recourir à des méthodes de reddition de comptes plus informelles, y compris à travers la stigmatisation publique (en augmentant le prix des attaques aux yeux de l'opinion publique). La Cour pénale internationale est également compétente pour les attaques en temps de guerre sur des bâtiments consacrés à l'éducation, même si personne n'a encore été inculpée en vertu de cette disposition et le tribunal ne peut juger que très peu de cas. D'autres gouvernements peuvent aider par des interdictions de voyager, des gels financiers et autres formes de pression. Les organes des Nations unies, du Comité des droits de l'enfant au Conseil de sécurité de l'ONU, peuvent aussi augmenter la perception du « prix » des attaques.
Parmi les gouvernements donateurs, les agences des Nations unies et les organisations non gouvernementales, il est de plus en plus admis que davantage doit être fait pour protéger les écoles, les enseignants et les élèves des attaques ciblées en temps de conflit. Ces domaines – la surveillance et le rapport, la réponse programmatique, la protection juridique et la responsabilité – fournissent une base fertile pour passer à l’action.
Zama Coursen-Neff
Directeur adjoint de la Division des droits de l’enfant
Human Rights Watch
New York, États-Unis
neffzc@hrw.org
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