- Share this article
- Abonnez-vous à notre newsletter
Mise en pratique du « nexus » – l’aide humanitaire telle qu’elle est perçue par l’UE
Les actions de l’Union européenne visant à sauver des vies, éradiquer la pauvreté et réaliser les objectifs de développement durable ont évolué au cours des décennies, en répondant aux différents défis et en s’adaptant aux nouvelles réalités. Nous constatons que les crises humanitaires durent souvent plusieurs années, ont des retombées sur la région et obligent les populations à abandonner leurs foyers pendant de longues périodes. Parallèlement, la prévalence de la violence et des conflits alimente l’instabilité qui sape continuellement l’aide humanitaire et les efforts de développement.
La réalité montre par conséquent qu’une approche traditionnelle, essentiellement compartimentée, dans laquelle les actions humanitaires, de développement et de paix de l’Union européenne sont séparées les unes de autres, ne correspond pas aux difficultés auxquelles nous sommes actuellement confrontées dans notre voisinage, en Afrique ou dans le monde entier – partout où on rencontre des catastrophes anthropiques ou naturelles. Compte tenu de la durée des crises, les actions en faveur de l’aide humanitaire, du développement et de la paix se chevauchent souvent dans le temps. L’élément clé de la philosophie qui sous-tend le « nexus » consiste par conséquent à se montrer à la hauteur des défis actuels, à maximiser notre potentiel et à trouver des solutions durables aux crises de longue durée. Il vise à réunir toutes les parties prenantes à une crise – l’éventail allant de la réponse à la prévention.
Par définition, l’action humanitaire de l’UE est une action immédiate visant à atténuer la souffrance. Toutefois, notre action est en grande partie conditionnée par les causes profondes et les motivations des crises. Sans paix et sans stabilité, nos actions humanitaires et en faveur du développement sont souvent compromises. Le « nexus » consiste à tenter d’agir avec des objectifs stratégiques à court et à long terme, en ciblant les causes profondes de la fragilité, de la vulnérabilité et des conflits, en améliorant les moyens d’existence et, partant, en renforçant les capacités locales de réduction des risques, de résilience, de prévention des conflits et d’élaboration d’autres solutions durables.
D’une compréhension commune à une action coordonnée
Concrètement, cela signifie quoi ? Avant tout, un meilleur partage des informations entre les différents acteurs (politiques, action humanitaire et développement), des missions conjointes, des évaluations des besoins communs et de la vulnérabilité, une intégration accrue de la sensibilité aux conflits et plus de complémentarités dans les programmes. Cela pourrait se matérialiser par une perception commune des crises et une répartition subséquente des tâches selon les points forts de chaque acteur. Par exemple, en cas d’épidémies, pour la communauté humanitaire l’approche du « nexus » signifie s’engager plus dans l’anticipation ainsi que dans la préparation aux situations d’urgence et dans la rapidité de la réaction. Pour les acteurs du développement, cela implique de plus mettre l’accent sur l’analyse des risques et sur les adaptations du système après les interventions d’urgence.
C’est également une question d’efficacité. Si les acteurs du développement peuvent intervenir et s’appuyer sur des actions humanitaires existantes, cela évite automatiquement les actions redondantes. Et tout est bien plus simple lorsque les acteurs ont une perception commune de la crise, des besoins, des interventions existantes et de ce que font les autres. Cela adoucit également une éventuelle transition de l’action humanitaire à l’action pour le développement – sans laisser qui que ce soit pour compte.
C’est précisément ce que nous faisons dans notre approche pilote du « nexus » humanitaire – développement – paix avec les États membres de l’UE dans six pays – Soudan, Irak, Nigeria, Ouganda, Myanmar et Tchad – depuis le milieu de 2017. Nous œuvrons en étroite collaboration pour avoir une connaissance exhaustive des vulnérabilités dans certaines crises de longue durée et pour nous mettre d’accord sur des objectifs communs et des programmes complémentaires de divers États membres et services de l’UE, toujours dans le droit fil des missions de chacun. Cela a également renforcé notre coopération avec les États membres.
L’intégration de la sensibilité aux conflits dans toutes les actions externes de l’UE est essentielle à la mise en pratique du « nexus »
Dans le nord-est du Nigeria, par exemple, nous avons financé un programme de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sur les moyens d’existence, les intrants agricoles et les kits de démarrage d’activités de subsistance à petite échelle, en complément de l’assistance alimentaire offerte par le Programme alimentaire mondial (PAM) aux plus vulnérables pendant la saison sèche. Par exemple, ces kits de démarrage aident les gens à commencer à générer leur propre revenu et prévoient des formations. Les fonds de développement de l’UE (fonds fiduciaires de l’UE) aident également la FAO dans le cadre d’une action complémentaire à plus long terme pour un programme de création de moyens d’existence plus durables dans la même région.
L’action humanitaire, de son côté, peut également bénéficier de liens plus étroits avec les actions de développement et d’instauration de la paix. L’intégration de la sensibilité aux conflits dans toutes les actions externes de l’UE est essentielle pour la mise en pratique du « nexus ». Les acteurs humanitaires pourraient donc développer leur propre capacité analytique, tout en profitant de l’expérience des acteurs non humanitaires, sur la façon dont les interventions pourraient être plus sensibles aux conflits. Les communautés et systèmes locaux ont un rôle à jouer à cet égard. De plus, la coordination humanitaire entre les secteurs civil et militaire peut potentiellement améliorer l’interaction entre les communautés humanitaires et sécuritaires, permettant un meilleur accès tout en renforçant la protection des plus défavorisés. Enfin, pour promouvoir le respect du droit humanitaire international, nous pourrions avoir à interagir plus, ou différemment, avec les acteurs politiques, diplomatiques, voire de la sécurité.
Qu’est-ce que cela signifie pour les principes humanitaires de l’UE ?
En tant qu’acteurs humanitaires, notre priorité numéro un est de protéger les personnes. Les principes humanitaires d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance guident notre action, sont notre évangile et notre meilleure chance de remplir notre mission. Ils sont garants de notre crédibilité et ne sont par conséquent pas négociables. Parallèlement, nous sommes tenus d’explorer des possibilités de collaboration de manière à être aussi efficaces que possible pour protéger et sauver des vies. La recherche d’une complémentarité avec les actions de développement et de paix – que ce soit parce que nous avons des évaluations communes de la vulnérabilité et des besoins ou une répartition des tâches identifiée – ne va pas à l’encontre de nos principes humanitaires. De plus en plus souvent, l’action humanitaire, l’action de développement et l’action pour la paix prennent place en même temps. Nous essayons donc de trouver des liens tout en préservant l’identité distincte de notre action et, bien entendu et surtout, l’indépendance de l’aide humanitaire.
Bien évidemment, le contexte a son importance et c’est lui qui définit l’importance de la coopération. L’aide humanitaire ne doit pas servir de vecteur aux efforts de stabilisation, mais il est important de clairement identifier les possibilités et les problèmes potentiels de son inclusion dans les efforts d’instauration de la paix. Après tout, l’absence de paix compromet non seulement la sécurité de nos personnels humanitaires sur le terrain, mais aussi tous les efforts que nous faisons pour sauver des vies.
Qu’est-ce qui va changer avec la réforme des Nations unies ?
L’idée que se fait António Guterres, Secrétaire général des Nations unies, de la réforme de l’organisation est claire et je la soutiens pleinement. Ce processus concerne plusieurs dimensions de l’activité des Nations unies, mais il vise à donner une importance structurelle à l’amélioration du continuum humanitaire-développement-paix. Ces importantes initiatives de réforme, qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2019, sont vastes et vont du repositionnement du système de développement des Nations unies, au réexamen de l’architecture de paix et de sécurité et à la gestion interne des Nations unies.
L’impact sur le domaine humanitaire devrait être considérable, mais nous devrons attendre la mise en œuvre de la réforme et la période de transition pour voir à quel point il sera profond. Il est primordial que nous utilisions cette période pour identifier les enseignements tirés de l’expérience et déterminer la marche à suivre. Pour cela, nous recueillons des exemples spécifiques auprès de nos bureaux sur le terrain afin de contrôler et d’évaluer la façon dont les réformes structurelles impactent nos activités quotidiennes.
Liens étroits avec les objectifs de développement durable
Les objectifs de développement durable (ODD) font partie de l’Agenda du développement durable qui demande à tous les pays de prendre des mesures pour améliorer l’existence des populations, partout dans le monde. Notre action humanitaire contribue grandement à la réalisation de plusieurs ODD – notamment ceux qui concernent l’éradication de la pauvreté et de la faim, l’accès à une éducation de qualité, les villes et communautés durables, la lutte contre les changements climatiques, et les partenariats. Parallèlement, les ODD sont au cœur de la politique de développement de l’UE dans son action à l’échelle mondiale.
De manière générale, environ un tiers du budget annuel de l’UE pour l’aide humanitaire est utilisé pour offrir une aide alimentaire d’urgence, ce qui fait de l’UE un des plus importants donateurs du monde dans ce secteur. L’UE offre une aide alimentaire humanitaire aux victimes des crises alimentaires, partout dans le monde, et investit massivement dans son action auprès de pays confrontés à un risque de famine (Nigeria, Somalie, Sud-Soudan et Yémen) dans le cadre d’une approche intégrée qui inclut notre action de développement.
L’éradication de la pauvreté et de la faim repose en grande partie sur la capacité des populations à supporter et surmonter les dévastations dues aux catastrophes anthropiques ou naturelles. Il est primordial de renforcer la résilience des populations – y compris dans les zones urbaines – de sorte qu’elles ne repartent pas de zéro après une catastrophe, pour leur donner une chance de s’en sortir, de survivre et, finalement, de prospérer. Cela va au-delà de la fourniture d’un abri, de nourriture et d’un accès à des systèmes d’aide sociale. Cela inclut le renforcement des compétences, le développement d’infrastructures, l’adoption de stratégies d’urbanisation durable, la planification et la préparation à la réduction des risques de catastrophes, avec l’apport utile des acteurs à la fois de l’aide humanitaire et du développement.
L’éducation dans les situations d’urgence est une grande priorité de notre action humanitaire. Au cours des quatre dernières années, nous avons augmenté huit fois le budget humanitaire affecté à cette question et cette année, nous consacrons dix pour cent du budget de l’UE affecté à l’aide humanitaire à la réalisation de projets mettant l’accent sur l’éducation dans un contexte d’urgence. Cela veut dire offrir aux groupes d’enfants non scolarisés, déplacés et vulnérables, une protection et la possibilité de continuer d’apprendre pendant une crise, de manière à les protéger du travail forcé, des conflits, de la violence sexuelle, des mariages forcés et de la radicalisation, tout en s’assurant qu’ils poursuivent leur éducation lorsque la situation le permet – dans leur pays d’accueil ou leur pays d’origine. Notre action humanitaire dans ce domaine est complétée par l’aide au développement de l’UE affectée à l’éducation, comme indiqué dans le Consensus européen sur le développement (voir encadré).
Le Consensus européen pour le développement
Le Consensus européen sur le développement intitulé « Notre monde, notre dignité, notre avenir » a été adopté en juin 2017. Il est la pierre angulaire de la politique de développement de l’UE ; il constitue un cadre commun global pour la coopération européenne au développement, en harmonisant celle de l’UE avec l’Agenda 2030 pour le développement durable. Le Consensus de 2017 remplace le premier Consensus de l’UE adopté en 2005 et formulé dans le contexte des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
Pour plus d’informations, voir : Journal officielle de l'UE
Parallèlement, l’UE, en tant que principal bailleur de fonds pour l’action humanitaire et le développement, est un élément clé du renforcement des partenariats et de l’action collective, multilatérale, face aux défis mondiaux tels que la lutte contre le réchauffement climatique, les réfugiés, les crises liées à la migration et les conflits.
Nécessité d’une plus grande flexibilité de financement
Grâce à la nature de nos actions humanitaires – nécessité de réagir rapidement aux catastrophes –l’aide humanitaire de l’UE peut compter sur une certaine souplesse de financement pour répondre à de nouveaux besoins. Toutefois, le financement du développement par l’UE ne prétend pas à une même souplesse dans la mesure où il s’appuie sur des perspectives à plus long terme. En même temps, la période moyenne de déplacement étant nettement supérieure à 17 ans, une bonne partie de l’aide humanitaire est effectivement consacrée aux crises de longue durée, ce qui compromet nos capacités dans d’autres crises humanitaires. Une partie du processus du « nexus » consiste à examiner la flexibilité et la complémentarité du financement, en faisant en sorte que les instruments non humanitaires assument une part plus grande des crises de longue durée.
La flexibilité est un élément essentiel du prochain cadre financier pluriannuel de l’UE qui couvre la période de 2021 à 2027. L’objectif n’est pas seulement de soutenir les actions de l’UE au moyen des fonds nécessaires et suffisants, mais aussi de contribuer à mobiliser et encourager les fonds privés et d’autres acteurs. Cela nécessite une plus grande complémentarité des objectifs, mais aussi de nouveaux outils de financement du développement tels que l’assurance, les prêts concessionnels et les fonds de prévoyance, et la collaboration avec les acteurs du secteur privé.
Parallèlement, il est important de garantir la disponibilité d’un financement prévisible pour des interventions rapides au niveau local. De même, une marge de manœuvre doit être prévue pour des actions préventives dans des situations jugées appropriées et justifiées, afin d’éviter les souffrances liées aux moyens d’existence – par exemple, pour les paiements saisonniers dans les régions exposées à la sécheresse.
Repenser les instruments existants
La stratégie globale de l’UE prévoit une approche conjointe pour sa coopération au développement et son aide humanitaire, chaque fois que ce sera possible, pour « lutter contre la pauvreté et les inégalités, élargir l’accès aux services publics et à la sécurité sociale, et soutenir les possibilités de travail décent, notamment pour les femmes et les enfants ». La Commission a donné les grandes lignes de sa vision d’une coopération améliorée et de son intérêt pour le renforcement de la résilience et de la lutte contre la fragilité et les crises de longue durée dans une série de communications dans lesquelles la complémentarité et la cohérence de ses actions humanitaires, pour le développement et pour la paix, sont primordiales.
Plus particulièrement, la Communication conjointe du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) 2017 et de la Commission a proposé de revoir la façon dont nos instruments existants répondent aux risques et aux vulnérabilités et la façon dont ils peuvent être utilisés pour lutter contre la fragilité et les crises de longue durée dans le cadre de l’action la plus efficace et cohérente de l’UE.
La Communication propose quatre éléments de base pour intégrer la résilience dans l’action externe de l’UE : améliorer l’analyse des risques, des causes sous-jacentes et des facteurs de résilience ; exercer un suivi plus dynamique des pressions externes pour permettre une action rapide ; intégrer l’approche de résilience dans la programmation et le financement, par l’UE, de l’assistance extérieure ; et coopérer avec des partenaires institutionnels multilatéraux et bilatéraux.
Le « nexus » est une tentative visant à améliorer la cohérence de l’UE, à utiliser les points forts de chaque action pour sauver des vies et, à l’échelle mondiale, à aider les plus vulnérables à prospérer. Cela va de soi et pose les bases d’une action plus efficace de l’UE dans la lutte contre les crises de longue durée.
Christos Stylianides est Commissaire européen en charge de l’aide humanitaire et de la gestion des crises.
Contact : christos.stylianides@ec.europa.eu
Ajoutez un commentaire
Soyez le premier à faire un commentaire