- Share this article
- Abonnez-vous à notre newsletter
Lorsqu’une trop grande proximité devient dangereuse
Le développement rural a considérablement progressé ces dernières décennies, mais les disparités en matière de santé entre le monde rural et le monde urbain perdurent. Les principaux indicateurs de santé, notamment l’espérance de vie et la mortalité infantile et maternelle, montrent que dans ces domaines, les résultats obtenus pour les populations rurales sont pires que pour les populations urbaines. Le rapport 2017 des Statistiques sanitaires mondiales publié par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) attire l’attention sur le fait que les populations rurales ont moins accès à des infrastructures essentielles telles que l’assainissement et l’eau potable, l’électricité et les technologies de communication, ainsi qu’aux services de santé. Les disparités entre zones rurales et zones urbaines ont certes diminué quant à l’amélioration de l’accès à l’assainissement et à l’eau potable pendant la période des OMD (objectifs du millénaire pour le développement), mais 14 pour cent de la population rurale utilisent encore des sources d’eau potable n’ayant pas été améliorées, contre trois pour cent pour la population urbaine. De même, l’accès aux services de santé essentiels tels que les soins prénatals, les services de santé reproductive, les services de vaccination, ainsi que le diagnostic et le traitement des maladies infectieuses, reste inférieur dans les communautés rurales. Une multitude de facteurs économiques sous-tendent les disparités en matière de santé entre communautés rurales et communautés urbaines (revenu, consommation, richesse, etc.), mais le faible accès aux infrastructures et aux services de santé essentiels est un déterminant clé de ces différences.
Alors que persistent des disparités sanitaires entre l’un et l’autre, la dichotomie entre monde rural et monde urbain en tant que lieux distincts présentant des caractéristiques différentes s’est estompée au cours des dernières décennies. La réduction des distances spatiales et l’accroissement des interdépendances entre zones rurales et zones urbaines ont diverses conséquences économiques, sociales et écologiques qui interagissent dans un système complexe pour déterminer la santé et le bien-être de la population. On sait aujourd’hui qu’il n’est pas possible de faire face à de telles répercussions sur la santé avec des disciplines individuelles ou une approche sectorielle, mais qu’il faut adopter une approche holistique interdisciplinaire. L’approche « Un monde, une santé » est un concept qui présente un intérêt particulier à l’interface du monde rural et du monde urbain, car elle reconnaît l’interdépendance de la santé de l’homme, de celle des animaux et de celle de l’environnement et nécessite de ce fait une collaboration intersectorielle pour optimiser la santé de tous (voir encadré).
Maladies zoonotiques – la contagion pathogène
Les maladies zoonotiques, qui se transmettent entre l’homme et les animaux, sont un thème essentiel de l’approche « Un monde, une santé ». Selon le Center for Disease Control (CDC – principale agence des États-Unis en matière de protection de la santé publique), les maladies zoonotiques représentent six maladies infectieuses sur dix et trois maladies émergentes (infections récemment apparues) sur quatre. La grande majorité des épidémies mondiales des dernières décennies, par exemple la fièvre Ébola, la maladie à virus Zika, le SRAS, la grippe (aviaire, porcine, etc.), sont d’origine zoonotique, et la circulation mondialisée des êtres humains, des animaux et du matériel aggrave les risques de pandémies. La « contagion pathogène » (transfert de l’animal à l’homme) passe souvent de la faune sauvage, au bétail puis à la population humaine, c’est-à-dire à l’interface zones rurales-zones urbaines. Avec le changement rapide de l’environnement, où la transformation de l’utilisation des sols et la déforestation s’ajoutent à l’intensification agricole, la croissance démographique et la densification de la population, le niveau d’interaction entre les animaux et l’homme augmente, ce qui accroît le risque de contagion pathogène et d’épidémie. Il est par conséquent essentiel de contrôler la santé des animaux et celle des hommes avec un réseau de surveillance intégrée permettant une détection rapide des agents pathogènes affectant le bétail et un déploiement non moins rapide de mesures de lutte. Au niveau mondial, la FAO, l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’OMS gèrent conjointement le système mondial d’alerte rapide (Global Early Warning System – GLEWS) pour les menaces de santé et les risques émergents à l’interface entre l’animal, l’homme et l’écosystème. Ces trois organisations sœurs mettent en commun leurs données sur l’apparition de maladies collectées sur leurs réseaux respectifs et assurent conjointement le suivi, l’analyse et la modélisation des tendances pour envoyer des messages d’alerte précoce aux régions concernées. Ce système surveille six maladies non-zoonotiques et 19 maladies zoonotiques.
Les maladies vectorielles constituent une autre catégorie de maladies fortement influencées par les transformations urbaines et les interactions entre zones rurales et zones urbaines. Il s’agit de maladies qui sont transmises par des organismes vivants (moustiques, mouches, tiques, escargots aquatiques, rongeurs) entre les êtres humains ou des animaux aux êtres humains. Les maladies vectorielles peuvent donc être également zoonotiques. La fièvre du Nil occidental, pour laquelle les oiseaux sauvages constituent le réservoir d’agents pathogènes et les moustiques Culex transmettent le virus à la population humaine et animale, est un exemple de maladie zoonotique vectorielle. La voie complexe de transmission est influencée par des dynamiques rurales-urbaines à mesure que les pratiques agricoles, les changements d’utilisation des sols, l’urbanisation sauvage et des facteurs climatiques déterminent la distribution spatiale et temporelle, ainsi que l’abondance des vecteurs et des réservoirs. La migration entre milieu rural et milieu urbain entraîne la création de bidonvilles dans les zones périurbaines où les constructions utilisent des matériaux de mauvaise qualité, qui se caractérisent par le manque d’accès à l’eau potable et à l’assainissement, et qui sont souvent surpeuplées, créant ainsi des sites de reproduction pour les moustiques, les rats et autres vecteurs. Parallèlement, l’intensification agricole et les changements d’utilisation des sols dans les zones rurales ont une incidence sur l’intensité des contacts entre les réservoirs, les vecteurs et les êtres humains, ce qui accroît la transmission tout en incitant les vecteurs à chercher de nouveaux habitats (urbains).
Résistance aux antimicrobiens
Selon l’OMS, le phénomène croissant de résistance aux antimicrobiens (RAM) constitue la plus importante menace pour le développement durable et est un pilier central du concept « Un monde, une santé ». Les agents pathogènes résistants causent des infections qui ne peuvent être traitées par les antibiotiques courants mais qui nécessitent le recours à ce qu’on appelle les antibiotiques « de réserve » ou « de dernier recours ». L’utilisation de ces antibiotiques de dernier recours a augmenté et a entraîné l’apparition de souches multi-résistantes aux médicaments qui ne peuvent être traitées. La cause profonde du développement de la RAM est la sur-utilisation des antibiotiques dans la médecine agricole, vétérinaire et humaine. Malgré une réglementation de plus en plus rigoureuse (interdiction d’utiliser des aliments pour animaux auxquels on a ajouté des antibiotiques ou d’utiliser des antibiotiques de manière préventive), le secteur du bétail reste le principal utilisateur d’antibiotiques. Les types d’antibiotiques utilisés sont les mêmes pour les animaux et l’homme et il est établi que les agents pathogènes résistants peuvent transmettre leur gène de résistance à d’autres microorganismes.
La chaîne alimentaire, dans laquelle les denrées alimentaires produites dans les zones rurales sont transportées sur les marchés urbains et consommées par la population urbaine alors que les intrants de production suivent le chemin inverse, est le lien traditionnel entre milieu rural et milieu urbain. Le long de cette liaison entre le milieu urbain et le milieu rural, les gènes de résistance peuvent se propager directement ou indirectement. Les produits d’origine animale qui transportent les agents pathogènes résistants des zones rurales aux consommateurs urbains constituent la voie de transmission la plus directe. L’utilisation de fumier dans la production agricole constitue une voie de transmission indirecte car les excréments du bétail (contenant potentiellement des antibiotiques résiduels et des gènes de résistance) sont alors épandus dans les champs. Les produits pour l’alimentation humaine ou animale peuvent donc être contaminés par la RAM avant d’être distribués sur la chaîne alimentaire et d’atteindre les consommateurs urbains.
Les antibiotiques consommés par les animaux et les humains sont partiellement évacués dans les urines et les selles. Par conséquent, le système de traitement des eaux usées joue un rôle important dans la propagation de la RAM. L’eau est un lien important entre le milieu rural et le milieu urbain. Les contaminations sont transportées par les cours d’eau selon les relations amont-aval classiques. Même les installations modernes de traitement des eaux usées ne peuvent totalement éliminer les gènes résistants qui sont en partie et inévitablement libérés dans les eaux de surface. Par conséquent, la consommation urbaine d’antibiotiques (sous forme de médicaments et via la chaîne alimentaire) entraîne une plus forte concentration de gènes de résistance dans le réseau hydrographique, ce qui contribue à propager la résistance des zones urbaines vers les zones rurales. Cela est particulièrement préoccupant dans la mesure où les eaux de surface constituent une source majeure d’eau d’irrigation et contaminent donc potentiellement les cultures destinées à l’alimentation humaine et animale, ce qui amplifie encore plus le développement de la RAM par la diffusion via la chaîne alimentaire.
Qu’est-ce que cela signifie pour les politiques de santé ?
Comme nous l’avons vu plus haut, malgré les progrès considérables réalisés en matière de développement rural et la diminution des disparités dans le domaine de la santé entre milieu rural et milieu urbain, les zones rurales restent insuffisamment desservies. Compte tenu de l’Objectif de développement durable 3, « bonne santé et bien-être », il est important d’inciter les médecins, infirmières et autres personnels de santé qualifiés à aller dans les zones rurales et d’attirer les investissements de compagnies d’assurance, de prestataires privés et de sociétés pharmaceutiques pour promouvoir les soins de santé dans les zones rurales. Les solutions numériques peuvent également contribuer à combler le fossé entre milieu rural et milieu urbain. En Inde, par exemple, un outil d’aide aux décisions cliniques basé sur une application mobile a été mis au point pour aider les agents accrédités de soins de santé publique (ASHA) à identifier et traiter un plus large éventail de maladies. Cela a permis de réduire le nombre de visites nécessaires dans des établissements de soins, de gagner du temps et de l’argent pour les individus et d’atténuer la pression exercée sur les installations surpeuplées. Parallèlement, il faut s’attaquer aux problèmes spécifiques de santé et de développement résultant de la convergence de la vie rurale et urbaine. La pression exercée sur les terres rurales par l’urbanisation et la croissance démographique, qui intensifient les flux entre zones rurales et zones urbaines, est particulièrement évidente dans les zones périurbaines. Au niveau international, on donne la priorité à la recherche visant à comprendre la transmission de la RAM, à identifier les points de contrôles critiques et à créer des interventions visant à réduire l’utilisation des agents antimicrobiens au niveau international. Toutefois, un engagement politique constant (fournitures de ressources financières et collaboration intersectorielle), des partenariats public-privé (pour la mise en œuvre durable du concept « Un monde, une santé »), un engagement public (dans l’élaboration et la mise en œuvre d’initiatives), ainsi que la poursuite de la recherche sont nécessaires pour mettre au point des politiques et des interventions efficaces.
L’approche « un monde, une santé »
L’approche « Un monde, une santé » est interdisciplinaire et rassemble les connaissances collectives de multiples disciplines (santé publique, médecine vétérinaire, écologie, recherche agricole, sociologie et économie, par exemple) pour s’attaquer aux problèmes à l’interface entre l’homme, l’animal et l’environnement. D’où la nécessité d’adopter une approche unifiée de la médecine vétérinaire et humaine pour lutter contre les maladies zoonotiques. Depuis la reconnaissance internationale du concept « Un monde, une santé », ce dernier a évolué au-delà des maladies zoonotiques, son objectif initial, pour englober des questions de résistance aux antimicrobiens, de santé urbaine et de santé écosystémique.
Forschungskolleg – Un monde, une santé et la transformation urbaine
Le projet « Un monde, une santé et la transformation urbaine » du Forschungskolleg est coordonné par le Centre de recherche pour le développement (ZEF) ainsi que par divers autres instituts de l’université de Bonn en coopération avec l’Institut pour la sécurité environnementale et humaine (UNU-EHS), de l’université des Nations unies et avec l’université des sciences appliquées de Bonn Rhein-Sieg (HBRS), tous situés en Allemagne. Dans cette école supérieure, 13 doctorants dans différentes disciplines, effectuent chacun une recherche dans un des quatre lieux suivants : Ahmedabad/ Inde, Accra/Ghana, São Paulo/Brésil et Métropole Ruhr /Allemagne. Dans le contexte d’Ahmedabad, le Forschungskolleg étudie la propagation d’une bactérie résistante aux antimicrobiens, à savoir le Staphylococcus aureus (Staphylococcus aureus) résistant à la méticilline (SARM), entre les animaux, les humains et l’environnement. Le SARM est couramment associé aux infections nosocomiales. Toutefois, le SARM communautaire devient plus fréquent. Comme S. aureus peut être zoonotique, l’étude examine sa transmission de la vache et du buffle à la population humaine, selon trois voies : contact direct, par l’intermédiaire de surfaces partagées et par l’intermédiaire de produits laitiers. Ces voies de transmission dépendent des mesures d’hygiène individuelle (et communautaire) et des mesures de sécurité alimentaire.
Timo Falkenberg est chercheur senior et coordinateur du projet « Un monde, une santé et la transformation urbaine » du Forschungskolleg au Centre de recherche pour le développement (ZEF) à Bonn, Allemagne.
Contact: falkenberg@uni-bonn.de
En savoir plus :
Visitez le site web www.zef.de/onehealth.html.
Ajoutez un commentaire
Soyez le premier à faire un commentaire