Dans de nombreux pays en développement, la législation concernant la gestion sécuritaire des pesticides et des engrais chimiques est insuffisante. Les agriculteurs ignorent souvent les risques que présentent ces agents actifs.
Photo: Jörg Böthling

La pollution de l’eau par l’agriculture – un défi à relever pour le 21ème siècle

L’agriculture est un levier économique essentiel des pays en développement. C’est la source fondamentale de l’approvisionnement alimentaire et un important contributeur au développement économique. Mais cela a un coût. Aujourd’hui, la pollution de l’eau par l’agriculture compromet la croissance économique et menace la santé environnementale et physique de millions de personnes dans le monde. Les coûts sociaux et économiques annuels de la pollution de l’eau par l’agriculture se chiffrent en milliers de milliards de dollars. Pourtant, la recherche mondiale et le débat international accordent relativement peu d’intérêt à cette question.

L’agriculture est la principale source d’alimentation, de revenu et d’emploi pour les populations rurales et elle joue un rôle clé pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, le développement économique et la santé. Malheureusement, elle est également la principale cause de la pollution de l’eau dans de nombreux pays, devant la vie en milieu urbain et l’industrie. La croissance démographique rapide, associée au changement des régimes alimentaires, a entraîné une intensification non durable de l’agriculture.

Un problème à multiples facettes 

L’agriculture, élevage compris, utilise bien plus de terres aujourd’hui qu’il y a 50 ans, souvent au détriment des forêts ou des prairies. L’expansion agricole sur des terres marginales, ainsi que les changements d’utilisation des terres, de la sylviculture à l’agriculture, ont accéléré le ruissellement et l’érosion, et les surcharges sédimentaires affectent la qualité des cours d’eau, la vie aquatique et le fonctionnement des retenues d’eau. 

La croissance de la production agricole au cours des cinq dernières décennies doit beaucoup à l’utilisation intensive de pesticides et d’engrais chimiques. Le recours excessif et inadapté à ces intrants peut empoisonner la flore et la faune, et menacer les ressources en eau, y compris en eau potable. De nombreux pays en développement ne disposent pas d’une législation appropriée garantissant une gestion sûre de tels produits chimiques, et les agriculteurs ignorent souvent les risques qu’ils présentent. 

La superficie irriguée est passée de 139 millions d’hectares en 1961 à 320 millions en 2012. Bien qu’elle reste un élément essentiel de toute stratégie d’accroissement de la production alimentaire, l’agriculture d’irrigation peut entraîner une perte de la qualité de l’eau en raison du ruissellement de pesticides et d’engrais, et de la lixiviation. L’irrigation accroît également les infiltrations d’eaux souterraines salines dans les cours d’eau : tous les ans, ce phénomène transporte des milliards de tonnes de sels dans les masses d’eau douce. 

Compte tenu de la demande croissante de produits à base de lait et de viande stimulée par la croissance démographique, une plus grande prospérité et l’urbanisation, la production animale est passée de 7,3 milliards de têtes en 1970 à 24,2 milliards en 2011. Aujourd’hui, l’élevage est probablement la plus importante source de pollution de l’eau. Dans de nombreuses parties du monde, notamment dans les zones arides, le surpâturage a entraîné la dégradation et l’érosion des terres qui, à leur tour, ont accru les charges sédimentaires dans l’eau. Le fumier animal et le lisier contiennent des agents pathogènes, de l’ammoniac et du phosphate et, de plus en plus, de grandes quantités d’antibiotiques, de vaccins et d’hormones de croissance. 

Pour leur part, les chiffres de l’aquaculture, notamment de l’aquaculture terrestre, ont été multipliés par 20 depuis les années 1980, surtout en Asie ; cela a entraîné une plus grande utilisation d’antibiotiques, de fongicides et d’agents antisalissure. Tous ces contaminants peuvent facilement atteindre les écosystèmes aquatiques et les sources d’eau potable situés en aval en raison de phénomènes de lixiviation et d’infiltration depuis les fermes d’élevage et d’aquaculture, ainsi que de l’application de fumier et de lisier sur les terres agricoles.  

Aujourd’hui, près de 40 pour cent des masses d’eau de l’Union européenne sont touchées par la pollution agricole alors qu’en Chine, l’agriculture est la principale activité responsable de la pollution des eaux souterraines par l’azote. Par ailleurs, la pollution de l’eau due à l’agriculture constitue une menace croissante pour la santé humaine et l’environnement dans de nombreux pays en développement.

Atténuer la pollution de l’eau par l’agriculture 

L’intensification non durable de l’agriculture va continuer de contaminer les cours d’eau, les lacs, les aquifères et les eaux côtières jusqu’à ce que nous trouvions un moyen d’augmenter la production alimentaire et les revenus agricoles avec des charges polluantes minimales ou nulles. Il faut bien l’admettre, l’entreprise est de taille. Pour résoudre ce problème, il faudra mettre en œuvre des politiques qui incitent à changer les pratiques agricoles et investir considérablement dans la recherche et le développement. 

On a besoin de politiques et de mesures incitatives pour limiter les polluants à leur source ou les empêcher d’atteindre les écosystèmes vulnérables. Les instruments réglementaires pourraient inclure des normes de qualité de l’eau, des meilleures pratiques environnementales obligatoires et des restrictions applicables aux pratiques agricoles ou à l’emplacement des exploitations. Comme on le voit au Danemark, la taxation des produits chimiques dangereux tels que les pesticides peut encourager l’adoption de solutions moins dangereuses de lutte contre les parasites, ainsi qu’une utilisation plus efficace. 

Une nouvelle approche attribue des charges polluantes maximales tolérables aux propriétaires fonciers en fonction de la concentration maximale tolérable d’un polluant donné dans une masse d’eau. Cela exige des agriculteurs qu’ils mettent l’accent sur des pratiques visant à minimiser la pollution, au lieu de réduire les intrants agricoles. Une telle approche a été adoptée, par exemple, dans région de la Baie de Chesapeake, aux États-Unis, et dans celle du lac Taupo, en Nouvelle-Zélande, et les résultats sont prometteurs. 

Des incitations économiques et autres peuvent être utilisées pour encourager les agriculteurs à adopter de bonnes pratiques agricoles. Il pourra s’agir de services de conseil gratuits et de dédommagement des agriculteurs pour l’amélioration de la gestion des aliments pour animaux, des additifs et des produits pharmaceutiques. L’éducation et la sensibilisation sont à l’origine de changements de comportement et aident à convaincre les gens d’adopter des régimes alimentaires et des pratiques agricoles plus durables. 

La mise en application reste toutefois difficile, comme est difficile l’évaluation de l’efficacité des mesures antipollution, particulièrement lorsqu’elles viennent de diverses sources. Une combinaison d’approches stratégiques de gestion de l’eau agricole a tendance à être la solution la plus efficace ; idéalement, il faudrait qu’elles entrent dans le cadre de politiques nationales exhaustives et de stratégies de gestion de la pollution. 

On dispose également de diverses mesures de gestion rentables pour atténuer la pollution de l’eau agricole. Par exemple, la gestion intégrée des cultures, du bétail, des arbres et du poisson peut optimiser l’utilisation des ressources en employant les déchets d’une activité comme intrants d’une autre activité. Parallèlement, un effort visant à limiter les pertes alimentaires post-récoltes et les déchets peut contribuer à réduire la perte de ressources productives et les impacts environnementaux qui leur sont associés. 

Des mesures pratiques peuvent améliorer l’efficience des programmes d’irrigation et le type, la quantité et le moment d’application des engrais sur les cultures. Une gestion plus efficace de l’alimentation des animaux, des additifs alimentaires et des médicaments, visant à réduire au minimum l’utilisation de médicaments, de nutriments et d’hormones, peut aider à contrôler la pollution de l’eau par le bétail. 

En veillant à ce que la production aquacole ne dépasse pas la capacité de charge du bassin d’élevage, on peut améliorer la durabilité de cette production, tout comme en standardisant les apports alimentaires de manière à éviter les excès, en utilisant correctement les médicaments pour poisson et en enlevant l’excédent de nutriments dans l’eau. La mise en place de zones de protection autour des eaux de surface et de zones tampon en bordure des exploitations et le long des cours d’eau, peut réduire la concentration de polluants pénétrant dans les masses d’eau. La production animale industrielle peut être décentralisée, de manière à pouvoir recycler les déchets sans surcharger les sols. 

Lutter contre le manque de connaissances 

Malgré les avancées considérables dans notre connaissance de la pollution des eaux par l’agriculture, il reste encore beaucoup à faire en matière de recherche. Nous devons comprendre quand et pourquoi les polluants pénètrent dans les systèmes agricoles et savoir où ils finissent. Il faut pour cela élaborer des modèles de qualité de l’eau et des marqueurs chimiques et microbiens pour identifier et suivre les sources, les voies et les processus d’atténuation de la pollution. Le suivi des sources de pollution peut contribuer à optimiser les stratégies de gestion agricole, alors que la modélisation peut simuler les relations de cause à effet et, par conséquent, aider à prévoir selon divers scénarios d’atténuation. 

Des données exhaustives et de qualité sont nécessaires pour assurer la précision des modèles de qualité de l’eau et l’efficacité des politiques de l’eau. L’Institut international de gestion de l’eau (IWMI) collabore avec différents groupes de recherche pour combler le déficit de données locales et de sources de modélisation, ainsi que pour mieux savoir comment s’effectue le transport et l’élimination des polluants de l’eau et ce qu’il en advient. Il participe également à des initiatives mondiales telles que l’Alliance mondiale pour la qualité de l’eau, qui s’efforcent de combler les déficits de connaissances sur la qualité de l’eau.  

En plus de pister les suspects habituels, par exemple les pesticides et les eaux usées agricoles, nous devons affiner notre connaissance de la source, de la composition et de l’abondance de ce qu’on appelle les « contaminants émergents » dans les systèmes agricoles. Il s’agit notamment de produits pharmaceutiques, d’antibiotiques, d’hormones, de produits de soins personnels, d’agents de nettoyage antimicrobiens et de microplastiques. Bien qu’ils ne soient pas couramment suivis ou contrôlés, ces agents peuvent causer de graves problèmes écologiques et pour la santé humaine.

Nous devons trouver des pratiques plus efficaces de réduction de la pollution et déterminer le meilleur moyen de les reproduire et les partager. Nous devons identifier les politiques et les incitations susceptibles d’aider les agriculteurs à adopter ces pratiques. Nous avons besoin d’études pratiques pour vérifier l’impact environnemental et les coûts de différentes interventions dans différentes circonstances. Enfin, nous devons contrôler l’efficacité de ces interventions et déterminer le meilleur moyen de faire connaître leurs avantages aux agriculteurs. 

Synthèse

La lutte contre la pollution de l’eau due à l’agriculture va exiger de nouvelles politiques et réglementations, des incitations économiques, des initiatives d’éducation et de sensibilisation, toutes soutenues par la recherche et l’innovation. Il sera essentiel d’avoir une notion plus claire des causes, effets, coûts et impacts de la pollution pour accroître la production alimentaire et les revenus agricoles, tout en atténuant ses impacts négatifs. La sensibilisation accrue aux questions environnementales et le nouveau programme mondial de développement durable nous permettent d’être optimistes. Dans de nombreuses parties du monde, nous assistons à l’émergence de solutions efficaces pouvant être reproduites dans le Sud global où la pollution de l’eau due à l’agriculture est un problème émergent.  

Javier Mateo-Sagasta est chercheur sénior au siège de l’Institut international de gestion de l’eau (IWMI), à Colombo, Sri Lanka. Ses travaux portent sur la pollution de l’eau et sur la réutilisation sans danger de l’eau, et il coordonne les travaux de l’IWMI sur la qualité de l’eau.  

Contact : j.mateo-sagasta@cgiar.org

References:

Evans, A.E.V., Mateo-Sagasta, J., Qadir, M., Boelee, E. & Ippolito, A. Agricultural water pollution: key knowledge gaps and research needs. Current Opinion in Environmental Sustainability, 36:20–27.

J. Mateo-Sagasta, J., Marjani Zad, S. & Turral, H. 2018. More people, more food, worse water? A global review of water pollution from agriculture. FAO and IWMI, Rome.

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