J. Boethling (gauche) et J. Muchoki/giz (droite) ; montage : A. Trapani

La mécanisation – un catalyseur du développement rural en Afrique sub-saharienne

La modernisation et l’intensification des systèmes de production agricole sont des étapes cruciales à franchir pour mettre fin à la pauvreté dans le monde. La mécanisation a ici un rôle important à jouer à tous les niveaux de l’ensemble de la filière. Les auteurs prennent l’exemple de la production de pommes de terre au Kenya pour mettre en évidence les options disponibles et montrer comment elles peuvent être mises en œuvre dans le cadre d’un partenariat public-privé.

L’agriculture représente environ 50 pour cent du produit intérieur brut de l’Afrique. La majorité de la population – en fait 80 pour cent – travaille dans l’agriculture. Toutefois, malgré l’importance de ce secteur, le niveau des investissements publics et privés est insuffisant pour qu’il réalise pleinement son potentiel. La forte croissance démographique exerce une énorme pression supplémentaire sur le secteur agricole. De plus, face à la rapide croissance démographique des villes (en Zambie, plus de personnes vivent actuellement dans les villes qu’en milieu rural), la population rurale est vieillissante car les jeunes et les personnes éduquées migrent vers les villes pour chercher de nouvelles possibilités d’emploi et de revenus. Parallèlement à la croissance des populations urbaines, les habitudes des consommateurs changent. La consommation de protéines sous forme de viande et de poisson explose, notamment dans de nombreux pays à revenus intermédiaires de la tranche inférieure (PRITI). Par conséquent, la demande  de produits agricoles augmente également. En Afrique, la productivité agricole a tendance à stagner et l’offre actuelle ne peut faire face à l’accroissement de la demande. L’augmentation des prix pourrait toutefois inciter les producteurs de denrées alimentaires à intensifier leur production. Ces incitations nécessiteraient des investissements dans l’infrastructure, l’éducation et les services. De même, des institutions fonctionnelles sont indispensables pour que la population rurale ait accès aux ressources naturelles (terres, eau), aux capitaux dont elle a besoin pour investir et aux connaissances dispensées par les services de conseil agricole. Il est nécessaire d’effectuer des recherches supplémentaires sur les méthodes de culture efficaces, sur l’amélioration des variétés cultivées et sur l’efficacité des intrants agricoles, tout comme il est nécessaire d’améliorer la diffusion des technologies prometteuses (y compris en matière de mécanisation).

La mécanisation est un important facteur de production agricole et un catalyseur du développement rural, et à ce titre elle s’efforce :

  • d’améliorer l’exécution et l’efficacité des activités agricoles,
  • de créer des emplois (entreprenariat) et d’assurer des moyens de subsistance durables en milieu rural,
  • de favoriser une industrialisation et la création de marchés s’appuyant sur le développement agricole pour assurer la croissance économique des zones rurales,
  • d’améliorer la qualité des produits primaires et transformés,
  • d’améliorer les conditions de travail et les niveaux de vie.

La mécanisation a un rôle considérable à jouer sur l’ensemble de la filière en termes de modernisation et d’intensification de l’agriculture ; elle crée de l’emploi dans les zones rurales – facteur crucial du développement rural – et, en fin de compte, conduit à la sécurité alimentaire (voir le diagramme).

 

Au niveau de la production, la mécanisation est la principale contribution opérationnelle permettant d’améliorer la productivité de la main-d’œuvre et de la terre. Les machines permettent de préparer le sol effectivement sans la charge de travail physique habituelle tout en veillant à l’efficacité d’utilisation des intrants, pour faire en sorte que la récolte soit bonne, qualitativement et quantitativement. Tirer parti de la mécanisation aux stades de la production, du stockage et de la transformation contribue également à réduire les pertes après récolte. Une étude actuelle de la GIZ sur les pertes post-récolte de pommes de terre au Kenya montre que 95 pour cent des dégradations et des pertes de pommes de terre se produisent au niveau de la production et peuvent être imputables à l’inadéquation des techniques de récolte et au manque de connaissances des agriculteurs. 

Après la récolte et pendant le stockage, une forte proportion de la production est perdue en raison d’une manipulation inadéquate et de l’insuffisance des capacités de stockage. De bonnes installations de stockage (silos et systèmes de refroidissement) contribuent à réduire les pertes alimentaires et, en permettant aux agriculteurs de vendre leurs produits plus tard, les aident à en tirer un meilleur prix. Ces installations jouent également un rôle crucial dans le contexte de la conservation des aliments et de la sécurité alimentaire.

Dans le domaine de la transformation, la bonne technologie est un facteur majeur d’assurance qualité. Elle garantit que la qualité des produits finis répond à la demande des consommateurs à divers niveaux et qu’ils peuvent ainsi être vendus en réalisant un bénéfice. Dans bien des cas, toutefois, les machines adéquates pour transformer les produits agricoles – moudre le grain, presser les oléagineux et produire de l’amidon à partir de racines et de tubercules, par exemple – ne sont tout simplement pas disponibles.

Mécanisation et changement structurel

Il est bien évident que pour contribuer positivement à la modernisation et l’intensification de l’agriculture, la mécanisation doit se faire correctement. Autrement dit, elle doit correspondre aux conditions locales, préserver les ressources naturelles et l’environnement, et accroître la production. Si on prend l’Allemagne pour exemple, aujourd’hui seulement 1,6 pour cent de la population active travaille dans l’exploitation des ressources agricoles, forestières et halieutiques, mais un emploi sur neuf est lié à l’agroalimentaire (secteurs amont et aval). Au cours des dernières décennies, la qualité et la transformation des aliments se sont considérablement améliorées. L’énorme bond en avant de la productivité résulte de l’économie de main-d’œuvre, de la grande efficacité des équipements et de la mécanisation de l’agriculture.

Le recours à des formes de production nécessitant de gros investissements en capitaux est ainsi considéré comme la raison la plus importante du changement structurel accéléré de l’agriculture. Pour financer ces équipements, il a été vital, en Allemagne, de créer des associations coopératives et des cercles de machines. Ces derniers visaient à utiliser les machines disponibles à leur pleine capacité et à créer des sources de revenus supplémentaires et ils se sont développés dans de nombreuses régions. Ils sont devenus un important facteur économique et ont créé des emplois dans le secteur des services (entretien et réparation, utilisation).

Il ressort clairement des tendances constatées à l’échelle mondiale qu’il existe de fortes corrélations entre croissance économique et mécanisation : les pays qui, au cours des 30 dernières années, ont connu une croissance économique et résolu leur problème de la faim sont également ceux qui sont allés de l’avant dans la mécanisation de l’agriculture. Par contre, ceux dont les taux de croissance économique ont été faibles et où la pauvreté est restée élevée ont également pris du retard dans la mécanisation agricole. Si on prend le nombre de machines agricoles utilisées comme indicateur des progrès de la mécanisation, ce qui suit est révélateur de l’évolution au cours des 50 dernières années.

Nombre de tracteurs utilisés (mil.)

 196119702000
Afrique sub-saharienne0,1720,2750,221
Asie0,120,66
Proche-Orient0,1260,261,7
Amérique latine0,8380,6371,8

Comparativement aux autres régions, c’est l’Asie qui a connu la plus forte augmentation du nombre de tracteurs (y compris les tracteurs à deux roues). Le passage d’une production et d’activités post-récolte traditionnelles à forte intensité de main-d’œuvre à des technologies permettant de faire des économies de main-d’œuvre a été la réponse du continent à l’accroissement de la pénurie de main-d’œuvre, au vieillissement de la population et à l’accroissement du coût de la main-d’œuvre. Cette évolution montre à quel point l’agriculture de la région s’est transformée ces dernières années. Les investissements dans la mécanisation ont permis aux agriculteurs d’intensifier leur production, d’améliorer leur qualité de vie et de contribuer à la prospérité nationale et locale. Dans des pays tels que l’Inde, la Chine, le Brésil et la Turquie, l’accroissement rapide de la demande de machines agricoles a stimulé la croissance de la fabrication locale de machines et contribué à créer un important secteur industriel. Ces nations sont aujourd’hui d’importants producteurs de machines agricoles. Alors que l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient ont accru leur utilisation de machines agricoles ces dernières années, en Afrique sub-saharienne le nombre de tracteurs a diminué entre 1970 et 2000. Aujourd’hui encore, ce sont les traditions historiques de l’agriculture de subsistance qui prédominent. Les faibles niveaux de mécanisation et de professionnalisation du secteur sont inquiétants. Du point de vue de la politique de développement, la solution réside clairement dans la formulation – et la mise en œuvre – d’une stratégie nationale de mécanisation intégrée dans la politique agricole nationale. Aux Philippines, par exemple, le ministère de l’Agriculture applique une stratégie de mécanisation qui vise à accroître la productivité et les revenus des petits agriculteurs. Dans le cadre de cette stratégie, des machines de production et des équipements post-récolte sont achetés sur le budget du  programme national du riz et mis à la disposition de groupements, de coopératives et de communautés d’agriculteurs qualifiés.

Toutefois, dans bien des cas, les efforts de mécanisation échouent faute de possibilités de financement. Individuellement, les agriculteurs ne sont pas en mesure d’acheter seuls des machines coûteuses. Par ailleurs, dans de nombreux pays africains, le manque d’accès aux terres pose un énorme problème car les agriculteurs n’ont aucune chance d’obtenir des crédits. Il est fréquent que la technologie disponible ne corresponde pas aux conditions locales et aux exigences des agriculteurs, ces derniers étant par ailleurs mal organisés. Il y a un besoin urgent de mettre des services financiers à la disposition des petits exploitants et de structurer les coopératives pour qu’elles soient plus attrayantes et permettent d’accéder aux machines. Il faudrait également mettre des formations et des conseils organisationnels à la disposition de ceux qui souhaitent améliorer leurs compétences. La participation active du secteur privé est essentielle, par exemple en offrant des services après-vente (formation, réparations, etc.). Il y a beaucoup à apprendre de l’expérience asiatique à cet égard.

Culture de la pomme de terre au Kenya

Au Kenya, la pomme de terre est une importante culture de base qui assure un revenu à plus de 800 000 personnes. Le marché prend rapidement de l’expansion car la pomme de terre devient une source d’alimentation abordable et est, par conséquent, recherchée par une population urbaine de plus en plus nombreuse. Toutefois, la production ne peut suivre l’accroissement de la demande. Actuellement, la pomme de terre est majoritairement cultivée par de petits exploitants agricoles sur des superficies allant de un à cinq hectares. La majeure partie (80 %) des pommes de terre produites est encore vendue sur des marchés informels et elles sont essentiellement consommées fraîches.

La plupart des agriculteurs utilisent des outils et des méthodes de production traditionnels pour cultiver leurs terres, ce qui se traduit par de faibles rendements (de 3 à 7 tonnes de pommes de terre à l’hectare), de lourdes pertes et une mauvaise qualité du produit. La terre est essentiellement travaillée à la main avec une houe. Cela demande un travail physique pénible et le sol est uniquement travaillé en surface. Même lorsque des machines sont disponibles, les agriculteurs ne savent souvent pas comment bien les utiliser. Par exemple, les tracteurs équipés de charrues à disques sont conduits trop vite et le sol est mal préparé pour l’ensemencement. La plantation se fait également à la main, ce qui prend du temps et constitue une tâche laborieuse. Le manque d’installations de stockage oblige les agriculteurs à vendre leurs produits immédiatement après la récolte, ce qui ne leur permet pas de réagir aux signaux du marché. Pour améliorer la productivité et la valeur du produit, les machines doivent être utilisées au stade du travail du sol et à celui de la préparation des planches de culture. Un tracteur équipé d’une planteuse peut être utilisé sur de petites superficies (à partir de 0,2 ha) mais son utilisation n’est avantageuse que si des organisations d’agriculteurs sont en place. Les mesures de protection des récoltes doivent également être mises en œuvre au moyen de pulvérisateurs motorisés ou, sur de grandes superficies, de tracteurs. Le recours à des  systèmes d’irrigation prolonge la saison de la pomme de terre. L’utilisation de telles machines et la mise en place d’installations de stockage (systèmes de refroidissement) peuvent stabiliser l’approvisionnement en pommes de terre et permettre d’appliquer des prix plus élevés. À cette fin, il est essentiel que les agriculteurs s’organisent – en cercles de machines/coopératives ou en entreprises, par exemple, de manière à pouvoir partager les coûts d’investissement – et fassent en sorte que la mécanisation choisie soit compatible avec les conditions et les sites locau

Machines testées dans le cadre du projet Potato Initiative Africa

Étape de productionAvantMaintenantAvantages potentiels
Préparation du solHoueButteuse rotative : pour former les buttes 
  • La machine effectue deux opérations en une seule passe (pulvérisation du sol et formation de la butte) ; par conséquent, elle fait gagner du temps et économiser du carburant ; elle contribue également à réduire la compaction du sol.
  • Il n’est pas nécessaire d’enlever les mauvaises herbes qui germent après la préparation du sol car la butteuse rotative assure également le désherbage.
  • L’opération crée un environnement favorable à la germination des semences de pommes de terre. Cela tient au fait que les matières du sol qui auraient freiné ou empêché la formation des jeunes pousses de pommes de terre sont ameublies.
  • La machine forme des buttes qui ont le même espacement que la planteuse, ce qui contribue à harmoniser toute l’opération d’ensemencement.
 
Préparation du solHoueFraise butteuse :
pour affermir et consolider les buttes
 
  • Réduit le risque d’érosion des buttes par les fortes pluies.
  • Améliore le contact entre les particules du sol et la semence. Accroît également la capillarité du sol pour une absorption rapide de l’eau et des minéraux par la semence.
  • Réduit le risque d’exposition des tubercules à la lumière du soleil et leur risque de verdissement.
 
PlantationHouePlanteuse :
pour planter les pommes de terre
 
  •  Place la semence entre 12,5 et 15 cm à l’intérieur de la butte, ce qui accélère l’émergence des pousses lors de la germination.
  • La population végétale recommandée est facile à obtenir dans la mesure où le placement des semences dans le sol est spécifique et standard, conformément au réglage d’espacement choisi.
  • Rapporte du sol autour de la semence pour un bon développement des tubercules.
  • Il n’est pas nécessaire de butter après la germination. 
 
RécolteHoueArracheuse :
pour arracher les pommes de terre
 
  • N’endommage pas les tubercules.
  • Ne laisse pas de tubercules dans le sol.
  • Récolte rapide comparée à la main-d’œuvre humaine.
 

Le tableau  présente les machines qui ont été testées pendant l’actuelle période de végétation. Leur impact sur les rendements et les revenus est en cours d’évaluation. 

Le projet Potato Initiative Africa du Partenariat alimentaire allemand

Le projet-pilote Potato Initiative Africa (PIA) du Partenariat alimentaire allemand (PAA) a été lancé en 2012 sous les auspices du ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement (BMZ). Le PAA concentre ses efforts sur la modernisation du secteur de la pomme de terre au Kenya et au Nigéria. Son objectif est d’élaborer un concept intégré de promotion de filières concurrentielles dans le secteur, concept qui pourra ensuite être élargi à d’autres régions.

Pour tirer pleinement parti du potentiel des pays et encourager la compétitivité des filières, de nouvelles méthodes de culture sont testées, les possibilités d’intégrer les petits exploitants agricoles sur les marchés locaux sont examinées et les solutions de mécanisation appropriées aux conditions locales sont adoptées. Le secteur agricole de l’Allemagne participe à l’initiative. Des sociétés mettent des équipements agricoles et des moyens de production tels que des semences de pommes de terre, des engrais, des produits phytosanitaires et des machines à disposition pour les soumettre à des tests sur des (petites) exploitations agricoles afin de déterminer leur potentiel en matière d’accroissement des rendements et des revenus.


Thomas Breuer
Karina Brenneis
Dominik Fortenbacher

Deutsche Gesellschaft für Internationale
Zusammenarbeit (GIZ) GmbH
Bonn, Allemagne
dominik.fortenbacher@giz.de

 

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