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Il est grand temps de mettre fin au mariage des enfants !
Tous les ans, douze millions de filles se marient avant d’avoir 18 ans – pratiquement un mariage toutes les deux secondes. C’est en Afrique sub-saharienne, où 38 pour cent des filles se marient avant d’avoir 18 ans, que les taux de mariage précoce sont le plus élevés.
Il y a plein de bonnes raisons à mettre un terme au mariage des enfants. C’est non seulement une violation des droits de l’homme, mais aussi un obstacle majeur à l’égalité de genre. Pour les filles concernées, le mariage précoce représente un manque général de liberté et de choix ; c’est un frein à la croissance durable et, surtout, il est coûteux. Certains gouvernements se sont attaqués juridiquement à ce problème et des révisions du cadre législatif sont en cours, mais la lutte contre les causes profondes progresse lentement.
Le cercle vicieux de la pauvreté – causes profondes et conséquences du mariage des enfants
L’étude approfondie du mariage des enfants met le doigt sur trois sujets qui sont à la fois ses causes et ses conséquences et auxquels nous devons nous attaquer si nous voulons mettre un terme à cette pratique.
i) Accès à la santé sexuelle et reproductive et grossesses précoces et non désirées. Le taux de mortalité des filles qui se marient à un jeune âge est élevé. Leurs enfants courent également le risque de mourir en bas âge, comme en témoigne la forte mortalité infantile chez les jeunes mères.
ii) Normes et pratiques traditionnelles. Le mariage des enfants est motivé par des pratiques et coutumes traditionnelles et par le faible statut social accordé aux femmes et aux filles. Il y a également des contradictions entre ce que prévoient le droit commun et le droit coutumier en ce qui concerne la protection des enfants, le droit coutumier permettant aux filles de se marier dès qu’elles ont atteint la puberté. Les données dont nous disposons indiquent que pour chaque année qu’une fille se marie avant l’âge adulte, son niveau d’alphabétisation baisse de 5,6 pour cent. Ce faible niveau d’alphabétisation a une incidence sur l’hygiène et la santé au niveau du ménage et sur la future éducation des enfants élevés dans un tel ménage. De plus, les filles mariées courent un risque plus élevé de violences sexospécifiques que les femmes en général.
iii) Faibles niveaux d’éducation. L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) estime qu’en Afrique sub-saharienne, au moins la moitié des jeunes ne sont pas scolarisés. Pour cette raison, un nombre énorme de jeunes sont incapables d’exploiter leur potentiel et, par conséquent, ne contribuent pas à la croissance économique du pays. Le mariage des enfants déscolarise les filles et a des chances de démarrer un cycle de réduction des perspectives d’éducation pour la prochaine génération. Par conséquent, dans de nombreux cas, les filles mariées ainsi que leurs enfants restent dans un cercle vicieux de pauvreté et leur contribution potentielle au développement national n’est pas utilisée. C’est pourquoi, lorsque nous nous attaquons au problème du mariage des enfants, nous devons non seulement nous adresser aux ministres de la Condition féminine et du Bien-être social, mais aussi aux ministres des Finances, de l’Éducation et de la Planification.
Le dividende démographique et les efforts de l’Afrique
Comme nous l’avons brièvement indiqué ci-dessus, le problème est particulièrement répandu en Afrique, notamment dans les zones rurales. Sur les vingt pays ayant le taux de mariage d’enfants le plus élevé, quinze se trouvent en Afrique sub-saharienne. Par conséquent, en juin 2014, en partenariat avec le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) et le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA), l’Union africaine (UA) a lancé la Campagne pour mettre fin au mariage des enfants, dans le but de mieux sensibiliser le continent aux conséquences néfastes du mariage des enfants et de prendre des mesures juridiques, sociales et économiques appropriées. En juin 2015, l’UA a officiellement adopté une position commune sur la fin du mariage des enfants en Afrique. Depuis, les États membres de l’Union africaine on tenu le premier sommet des filles africaines sur la fin du mariage des enfants en Afrique (Africa Girls’ Summit on Ending Child Marriage in Africa) en Zambie, en novembre 2015, et ils préparent actuellement un second sommet des filles africaines.
Au cours des 35 ans à venir, 1,8 milliard de bébés naîtront en Afrique ; la population du continent va doubler et le nombre de jeunes de moins de 18 ans va augmenter de deux tiers pour atteindre près d’un milliard.
UNICEF : « Génération 2030. Afrique : La démographie enfantine en Afrique »
Nous constatons une réelle volonté politique et un élan certain, mais les progrès sont lents et bien que le nombre de filles qui se marient diminue, le recul n’est pas suffisamment rapide pour compenser la croissance démographique sur le continent. De plus, l’âge moyen de mariage n’a guère évolué. De fait, dans certains pays, par exemple le Burkina Faso et le Niger, le nombre réel de filles qui se marient devrait augmenter, ce qui s’explique par le nombre croissant des moins de 18 ans, notamment en Afrique sub-saharienne. Ainsi, à la mi-2016, la Zambie avait une population de 16,6 millions d’habitants, avec un taux de croissance démographique annuel de 3,0 pour cent ; et 45,4 pour cent de la population avait moins de 15 ans. Entre 1990 et 2015, on n’a constaté qu’un faible recul du taux de fécondité total et le nombre moyen d’enfants par femme, au cours de sa vie, est passé de 6,5 à 5,5. Pour que la Zambie ait un dividende démographique, la fécondité doit diminuer considérablement. Associée à des investissements judicieux dans la santé, notamment dans les services de santé sexuelle et reproductive, dans l’éducation et dans la création d’emplois, une telle diminution pourrait ouvrir une porte sur la croissance économique.
En raison de son lien direct avec les taux de fécondité et, donc, avec la croissance démographique, le mariage des enfants est un élément clé auquel s’attaquer dans les années à venir pour récolter les fruits d’un dividende démographique. La Banque mondiale déclare que « les avantages sociaux résultant d’une moindre croissance démographique lorsqu’on met fin au mariage des enfants sont estimés mondialement (pour 106 pays) à 22 milliards en 2015 et 566 milliards USD en 2030 ».
La stratégie de la Zambie
La Zambie est un des quelques pays qui ont élaboré des stratégies visant à mettre fin au mariage des enfants. En plus du cadre juridique et politique, le gouvernement a formé un consortium de ministères sectoriels collaborant avec un réseau d’organisations de la société civile (OSC) et des partenaires. Les travaux sont guidés par la stratégie nationale visant à mettre fin au mariage des enfants (Strategy on Ending Child Marriage – 2016–2021) et doivent être réalisés dans le cadre d’un plan d’action bénéficiant d’un budget spécial. Les mesures prévoient notamment une enquête sur le projet « From Boys to Men » et sur le rôle que doivent jouer les garçons et les hommes pour mettre fin au mariage des enfants ainsi que pour réduire la forte prévalence des violences contre les femmes en Zambie.
La participation des autorités traditionnelles est la clé de la réussite
Le gouvernement coopère avec ses partenaires, les médias, les groupes confessionnels et les leaders traditionnels pour attester de ce qui fonctionne dans les communautés. C’est la participation des leaders traditionnels qui a le plus d’impact. Par exemple, en 2017, le chef Chamuka, avec un groupe de travail, a élaboré, promulgué et appliqué des règlements visant à mettre fin aux relations sexuelles avec des enfants, aux grossesses chez les adolescentes, au mariage des enfants et au travail des enfants dans sa chefferie de la province Centrale. Le groupe de travail a été constitué en 2015, dans sa chefferie. Les parents ayant l’intention de marier leurs filles doivent présenter un certificat de naissance au chef pour confirmer que la fille a atteint l’âge légal du mariage.
Le mariage d’enfants et les ODD
Compte tenu de son incidence générale sur le développement économique, l’élimination du mariage des enfants et des pratiques traditionnelles néfastes est également abordée dans les Objectifs de développement durable, plus particulièrement dans la cible 5.3 « éliminer toutes les pratiques préjudiciables, telles que le mariage des enfants, le mariage précoce ou forcé et la mutilation génitale féminine » d’ici à 2030.
Pour renforcer la lutte, les chefs de villages ont le pouvoir d’approuver le mariage à condition que toutes les conditions soient remplies. Lorsqu’on découvre qu’une famille force une fille à se marier, elle doit payer une amende de 10 000 Kwachas (environ 1 000 dollars US) et toutes les recettes tirées du mariage sont confisquées et versées sur le compte bancaire pour la protection des enfants (Child Protection Bank Account) de la chefferie. Cette dernière comprend une unité de protection des enfants qui est chargée de vérifier les fonds. Ces fonds sont utilisés pour payer les frais de scolarité et faire face aux autres exigences scolaires des enfants vulnérables.
Mettre argent sur table !
Aux fins de communication et de mobilisation des ressources, la communauté internationale aime trouver des solutions « taille unique ». Néanmoins, rien n’est jamais aussi simple et pour vraiment comprendre les pratiques traditionnelles et culturelles sous-jacentes et s’y attaquer, des efforts conjoints doivent soutenir les solutions communautaires axées sur les jeunes pour s’attaquer aux causes profondes. Il faut par ailleurs axer les débats sur les outils et les instruments permettant de contrôler la mise en œuvre du cadre juridique et disposer du budget nécessaire pour mettre fin au mariage des enfants, assurer une éducation sexuelle en milieu scolaire et extrascolaire, et financer la planification familiale.
Il ne sera pas facile de mettre fin au mariage des enfants car c’est une question multidimensionnelle complexe qui doit tenir compte des droits à la santé sexuelle et reproductive, des changements d’état d’esprit, de comportement et d’éducation, et par conséquent de ce que le pays est prêt à investir dans ces domaines. Il ne suffit pas de laisser le mouvement des femmes s’occuper de cette question – leurs ressources étant généralement très limitées et les ministères ne disposant pas de budgets suffisants.
Il est important de ne pas se contenter de belles paroles mais de voir le montant des budgets alloués et consacrés à l’égalité de genre. Oui, l’action politique est essentielle – mais elle ne suffira pas.
Dr Auxilia Ponga est secrétaire permanente au ministère de la Condition féminine et du Développement de la République de Zambie.
Monika Bihlmaier est cheffe d’équipe pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, chez Plan International Allemagne.
Contact : Monika.Bihlmaier@plan.de
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