Les bidons de lait en métal peuvent améliorer les conditions d’hygiène pendant le transport du lait.

Des revenus plus élevés grâce à l’amélioration des normes d’hygiène du lait

Le lait est crucial pour la population de la Somalie du Nord, comme aliment et comme source de revenu, mais le manque d’hygiène des conditions de transport et de stockage entraîne une perte de qualité et par conséquent une diminution de la valeur marchande. Un projet mis en œuvre par Vétérinaires sans Frontières-Allemagne cherche à améliorer la gestion de l’hygiène sur l’ensemble de la filière lait.

Quatre-vingt deux pour cent de la population de la Somalie du Nord dépend du lait produit par les chamelles, les chèvres et les vaches vivant en troupeaux nomades. Le lait constitue la base de son alimentation et est une source importante de protéines animales et de vitamines. L’urbanisation et la sédentarisation accrues ouvrent des marchés pour le commerce informel du lait essentiellement organisé selon les liens de parenté et clairement dominé par les femmes qui collectent et vendent le lait. En Somalie du Nord, jusqu’à 48 pour cent du lait produit est envoyé sur des marchés urbains lointains, environ 19 pour cent est vendu directement dans les villages à l’intérieur des zones de production et au moins 33 pour cent est consommé par les ménages producteurs de lait. Le commerce du lait assure un revenu aux communautés pastorales qui produisent le lait et à ceux qui le collectent, le transportent et le vendent dans les villes. Les producteurs de lait perçoivent environ 54 pour cent de la valeur du lait au détail, ce qui traduit bien l’équité des liens commerciaux dans la chaîne informelle de commercialisation du lait. Dans une économie pastorale, le lait vaut presque deux fois plus que la viande.

Mauvaise qualité hygiénique du lait
Le lait est fourni par des troupeaux nomades qui paissent dans des régions semi-arides dépourvues d’infrastructures et n’offrant aucun accès à de l’eau propre. Le lait cru destiné à la vente est transporté sur de longues distances, sur des chemins accidentés, dans des récipients bon marché en plastique recyclés, sans moyen de refroidissement et sous des températures ambiantes très élevées.

Si une partie du lait est directement transportée sur les marchés urbains par des véhicules spécialisés dans la collecte du lait, une part considérable utilise des moyens de transport publics véhiculant aussi bien des passagers que du bétail et d’autres marchandises. L’inadéquation des services de transport et les mauvaises conditions de manutention du lait entraînent sa contamination, son acidification et, parfois, sa détérioration avant qu’il atteigne les consommateurs urbains. Dans les villes, des marchandes de lait gèrent des micro-entreprises  qui écoulent en moyenne de 25 à 35 litres de lait par jour. Dans leur grande majorité, elles n’ont ni boutique ni étal et vendent leur lait directement en bord de route, dans la poussière et la chaleur. Pour toutes ces raisons, la majeure partie du lait vendu sur les marchés urbains est de très mauvaise qualité hygiénique. Toutefois, le prix très élevé auquel il est vendu (1,33 USD le litre) est révélateur de l’importance de la demande. Le lait importé (essentiellement du lait en poudre mais aussi du lait UHT) comble l’écart entre la demande et l’offre locale. La plupart des Somaliens préfèrent le lait produit localement. Les prix de vente au détail sont directement liés à la fraîcheur du lait.

Comme on le voit dans le tableau, il n’y a pas de perte de lait en Somalie. Au lieu de jeter le lait qui a « tourné », il est vendu sous forme de lait acidifié ou très acidifié ou transformé en ghee. Ce sont les producteurs et les commerçants qui subissent un manque à gagner en raison de la mauvaise qualité hygiénique.

Le lait de chamelle est clairement privilégié
En Somalie du Nord, les chèvres et les vaches ne donnent du lait que quelques mois par an, pendant et immédiatement après les pluies. Comparativement, les chamelles donnent du lait pendant 12 à 18 mois et donc pendant toute l’année. Elles sont indispensables pour la sécurité alimentaire des ménages des communautés pastorales. Le lait de chamelle a certaines propriétés antibactériennes qui lui donnent une qualité supérieure à celle du lait de chèvre et du lait de vache et qui lui permettent d’être transporté sur de plus longues distances. Par ailleurs, contrairement au lait de chèvre et au lait de vache, le lait de chamelle peut être vendu frais ou acidifié dans la mesure où les consommateurs somaliens apprécient le lait de chamelle acidifié. C’est ce qui explique que le lait de chamelle est le plus vendu en Somalie. Pendant de courtes périodes, l’excédent de lait de chèvre et de lait de vache est généralement transformé en ghee qui se vend de 12 à 15 dollars US (USD) le kilo. Le ghee élaboré à partir du lait de chèvre se vend un peu plus cher que celui qui est élaboré à partir du lait de vache.

Amélioration de la filière lait informelle
Les distances de transport entre les régions productrices de lait et les marchés urbains varient de 40 à plus de 400 kilomètres, avec des points de collecte situés de 10 à 80 kilomètres des sites de production. L’amélioration des conditions de manutention et d’hygiène du lait pendant la production, la collecte, le transport et la vente au détail peut potentiellement accroître le revenu des acteurs de la filière lait et offrir un produit plus sain aux consommateurs. L’amélioration de la qualité du lait renforce également la position sur le marché du lait produit localement qui doit être compétitif face au lait en poudre importé dont les ventes vont croissant. En 2008, le projet de développement de l’industrie laitière dans les communautés pastorales somaliennes (Somali Pastoral Dairy Development Project – SPDDP) de l’ONG Vétérinaires sans Frontières-Allemagne (VSF-Allemagne) financée par l’Union européenne, a mis en place 25 centres villageois de collecte du lait (CVCL) en Somalie du Nord. Ces CVCL ont été construits aux points de collecte du lait existants ou à proximité et servent de points de départ pour les véhicules qui transportent le lait vers les marchés finaux. Des bidons de lait métalliques ont été vendus à prix abordable aux utilisateurs des CVCL qui ont également été aidés à s’organiser en groupes de gestion des CVCL et d’exploitation de leur activité de commercialisation du lait. Les sommes versées pour les bidons de lait par les collecteurs de lait et les commerçants restent la propriété des CVCL, comme capital de départ, pour les aider à élargir leur activité laitière. Le regroupement des collecteurs de lait en organisation est crucial pour améliorer leurs relations avec les transporteurs et les marchands de lait dans les villes. Le rôle principal des CVCL est de fournir aux collecteurs et marchands de lait une installation de lavage des bidons qui peuvent ensuite être retournés aux producteurs ou utilisés pour transporter le lait dans les villes. Les CVCL sont équipés d’un réservoir de stockage d’eau, d’un chauffe-eau solaire et d’une salle de lavage, avec des robinets, des bacs et des égouttoirs. Les collecteurs, transporteurs et marchands de lait ont également été formés aux conditions d’hygiène à respecter pour la manutention, le transport et la vente au détail du lait. Des formations complémentaires concernant l’élevage et la production de lait dans le respect des principes d’hygiène sont offertes aux producteurs pour leur permettre d’améliorer la quantité et la qualité hygiénique du lait. Des congélateurs solaires destinés à refroidir les bidons de lait dans des bains d’eau glacée pour limiter l’acidification du lait pendant et après le transport sont actuellement fournis aux CVCL et aux groupements de marchands de lait dans les villes.

Des formations à l’utilisation d’écrémeuses manuelles permettent aux producteurs de maintenir leurs revenus en améliorant la production de ghee lorsque le lait est plus abondant. À Galkayo, en 2010, le projet de soutien des activités d’élevage en Somalie (Supporting Activities of Livestock Entrepreneurs in Somalia – SALES) de VSF-Allemagne, financé par l’Union européenne, a construit une halle de commercialisation du lait qui a considérablement contribué à améliorer les conditions de ventes du lait.

Selon une étude externe réalisée en 2012, le projet CVCL profite à 750 collecteurs, transporteurs et marchands fournissant du lait à entre 50 000 et 100 000 clients. Ces marchands de lait s’approvisionnent auprès de 15 000 familles d’éleveurs nomades producteurs de lait qui bénéficient également de l’amélioration des ventes de lait.

Avantages directs pour la population locale

Vendeur de lait au détail et membre d’un CVCL

Mariam Mohamed Ali, 45 ans, réside à Ainabo et a six enfants. Elle est membre du Centre villageois de collecte du lait (CVCL) d’Ainabo et vend également du lait dans sa petite boutique où on peut aussi trouver d’autres provisions de base, y compris de la nourriture. Mariam achète directement son lait aux producteurs, des éleveurs nomades, et est également approvisionnée par le CVCL d’Ainabo qui achète également le lait aux producteurs. Le même jour, elle achète 150 kombos (1 kombo = 750 ml) qu’elle paie 4 000 shillings somaliens (SOS) l’unité et qu’elle revend 5 000 SOS le kombo.

Avec le revenu qu’elle tire de la vente du lait, Mariam répond aux besoins de son ménage, y compris sur le plan alimentaire. Elle économise également une partie de cet argent qu’elle utilise pour améliorer son activité commerciale (essentiellement les deux sources de revenu que sont la vente de lait et d’autres produits dans sa boutique). Le revenu que Mariam tire de la vente du lait (moins les taxes) s’élève à 750 000 SOS par jour (l’équivalent de 23 USD).


Problèmes et solutions
Dans la société somalienne, ce sont traditionnellement les femmes qui s’occupent du lait mais ce sont les hommes qui gèrent les biens importants. Cela a initialement donné lieu à des conflits quant à la prise en charge et la gestion des centres villageois de collecte du lait. Les différends ont été réglés dans tous les villages, sauf trois. En décembre 2012, 22 CVCL sur 25 étaient en activité et contrôlés par les femmes qui collectent le lait et celles qui le vendent.

Les femmes organisent collectivement le transport de leur lait et l’envoient sur les marchés en fonction de l’offre et de la demande à court terme. Mais financièrement, chaque collectrice et chaque marchande de lait exploite indépendamment sa micro-entreprise. Il a fallu du temps pour que les membres du CVCL s’organisent en groupes et gèrent efficacement les centres de collecte du lait. La gestion et le financement des CVCL sont cruciaux pour leur approvisionnement régulier en eau. Cette dernière doit être achetée et est expédiée par camion depuis des sources lointaines. Les femmes assurent également collectivement le nettoyage et l’entretien des CVCL. Une fois épuisé le capital d’amorçage initial provenant des bidons de lait, les CVCL les mieux gérés font payer à chaque utilisateur du CVCL une taxe minimale de manutention (par volume de lait) qui couvre totalement les frais de fonctionnement du CVCL. Mais cette pratique n’est pas encore courante dans tous les CVCL.

Les chauffe-eau solaires installés dans les CVCL se sont avérés peu fiables et tombent facilement en panne. Il a fallu les réparer. Par ailleurs, certaines citernes d’eau n’étaient pas suffisamment étanches et il a fallu intervenir pour colmater les fuites.

Comparativement aux volumes de lait quotidiennement manipulés par les marchandes de lait, le nombre de bidons initialement distribués n’était pas suffisant. D’autres bidons sont actuellement fournis, l’objectif ultime étant de remplacer tous les récipients en plastique ne répondant pas aux critères d’hygiène par des bidons métalliques. Pour atteindre cet objectif, le SPDDP encourage une étroite collaboration entre les producteurs, les collecteurs, les transporteurs, les marchands de lait et les autorités locales qui contrôlent les marchés urbains. Cette activité est complétée par des campagnes de sensibilisation des consommateurs.

Le projet cherche également à créer un environnement favorable au secteur laitier en soutenant l’élaboration d’une politique laitière et en incitant les autorités locales à faire appliquer des normes d’hygiène dans le transport et la commercialisation du lait.

Une réussite inattendue
Dans certains villages, les CVCL ont été les premières structures permanentes construites en pierre et en béton et certains sont également devenus des centres communautaires. Un certain nombre de groupements de CVCL ont trouvé des solutions qui permettent de générer des revenus n’ayant aucun lien avec le lait : location de chambres destinées à héberger des voyageurs locaux et location de salles de réunion et de formation à des organisateurs de projets. Plusieurs CVCL ont également été transformés en bases opérationnelles temporaires pour des équipes médicales de vaccination de la population. Certains groupes de femmes prévoient d’utiliser des congélateurs solaires dans les CVCL pour produire et vendre des blocs de glace aux boutiques et aux ménages locaux.

Vétérinaires sans Frontières-Allemagne
Vétérinaires sans Frontières Allemagne (VSF-Allemagne) est une organisation non gouvernementale internationale qui fournit une aide humanitaire et une aide au développement aux éleveurs nomades et aux communautés vulnérables dans les régions où le bétail joue un rôle important. Cette aide intervient au niveau de la santé des animaux, l’agriculture, la commercialisation, la sécurité alimentaire et le renforcement des capacités des communautés et des institutions gouvernementales en matière de paix et de résolution des conflits. Elle contribue ainsi à garantir la sécurité alimentaire et à améliorer les moyens de subsistance des communautés pastorales. Le bureau régional basé à Nairobi coordonne la mise en œuvre de projets au Kenya, en Somalie, en Éthiopie, en République du Soudan et au Soudan du Sud. En 1991, VSF-Allemagne a été créée à l’université vétérinaire de Hanovre, Allemagne, où se trouve encore son siège. Un nouveau bureau a été ouvert à Berlin en 2012.

Mario Younan
younan@vsfg.org

Abdirahim Gure
Friederike Schulze Hülshorst
fschulzehuelshorst@togev.de
Vétérinaires sans Frontières
Berlin, Allemagne
 

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