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De la finance agricole à l’utilisation de drones : les débuts d’une nouvelle génération d’agripreneurs
Octobre 2013, à Kigali, Rwanda. David et Gerald, deux jeunes Ougandais, viennent de remporter un concours de création de logiciels organisé par le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) grâce à leur application de gestion financière agricole Ensibuuko (aujourd’hui appelée MOBIS).
Avril 2017, quatre ans plus tard, au Malawi et en Zambie. Avec une impatience non dissimulée, les deux amis ont lancé un service de franchise MOBIS à Lilongwe, capitale du Malawi. Des milliers d’agriculteurs bénéficient déjà des services de MOBIS en Ouganda par le biais de coopératives agricoles. Ensibuuko est aujourd’hui une entreprise reconnue qui compte plusieurs salariés et réalise quotidiennement un chiffre d’affaires. Les jeunes entrepreneurs rêvent d’étendre leur activité à toute l’Afrique afin d’améliorer l’accès aux capitaux et les revenus de millions d’exploitants agricoles …
Ce bref récit illustre une partie de la vision du CTA relativement aux avantages à plusieurs niveaux qu’il est possible de tirer de la participation des jeunes (jusqu’à 35 ans) au secteur agricole grâce aux TIC. Cette vision s’inscrit dans la stratégie Youth in Agriculture de l’organisation, créée en 2013, qui a défini quatre objectifs pour la réalisation desquels le CTA soutient les jeunes :
- promouvoir des politiques cohérentes fondées sur des données factuelles concernant la place des jeunes dans l’agriculture et le développement rural ;
- inciter les jeunes à s’engager dans les chaînes de valeur agricoles ;
- inciter les jeunes à s’engager dans l’agriculture grâce aux innovations en matière de TIC, à leur utilisation et à la gestion des connaissances ; et
- renforcer la participation de jeunes professionnels dans les sciences agricoles et l’enseignement supérieur.
Valeurs et approches visant à intéresser les jeunes à l’agriculture grâce aux TIC
Il est devenu urgent d’exploiter des stratégies pluridimensionnelles et de déployer des efforts pour inciter les jeunes à jouer un rôle actif dans les chaînes de valeur agricoles. Dans le secteur agricole, le vieillissement de la population et la préparation relative du secteur agroalimentaire (comparativement aux autres secteurs) à proposer divers emplois à une part considérable des jeunes, sont d’importants facteurs de motivation. Par exemple, 60 pour cent des jeunes Africains sont sans emploi, n’étudient pas, ou ont un emploi irrégulier (Global Entrepreneurship Monitor, 2015), alors qu’environ douze millions d’entre eux entrent chaque année sur un marché de l’emploi qui offre relativement peu de possibilités.
Conformément au troisième objectif de sa stratégie pour les jeunes citée plus haut, le projet ARDYIS (agriculture, développement rural et jeunesse dans la société de l’information) du CTA, qui encourage l’utilisation des TIC par les jeunes dans l’agriculture depuis 2010, a élaboré un cadre à quatre volets les incitant à tirer parti des technologies numériques.
La première approche concerne l’utilisation des réseaux sociaux pour promouvoir les possibilités agricoles, alors que la deuxième met l’accent sur la nécessité d’accroître l’utilisation des TIC dans les entreprises agricoles et agroalimentaires dirigées par des jeunes, afin d’améliorer l’accès au marché et les processus commerciaux. La troisième approche concerne la création, par de jeunes entrepreneurs, de services TIC visant le secteur agricole et la quatrième encourage l’amélioration du recours aux TIC dans tous les autres domaines professionnels agricoles auxquels les jeunes peuvent participer, notamment au niveau de la vulgarisation, de la gestion des connaissances agricoles, etc. Le CTA a mis en œuvre diverses activités dans ce cadre (AGRA 2015, chapitre 4).
Le programme AgriHack Talent
Le programme AgriHack Talent est une initiative du CTA qui soutient spécialement les innovations TIC et l’esprit d’entreprise des jeunes dans l’agriculture. Il comprend cinq composantes : des concours de création d’applications TIC pour l’agriculture (hackathons) lorsqu’il existe un besoin, un concours de start-ups s’adressant aux entreprises offrant déjà des services, des opportunités de renforcement des capacités, de mentorat et d’incubation, des opportunités de promotion et de mise en réseau, et la facilitation de l’accès aux subventions et aux investissements pour mettre en œuvre et développer les services offerts.
Le programme AgriHack a déjà donné naissance à des start-ups qui connaissent la réussite. Par exemple, la plateforme ougandaise MOBIS citée plus haut a été créée lors du premier hackathon organisé par le CTA. La suite d’applications FarmDrive, autre plateforme créée à la suite d’un hackathon, est aujourd’hui devenue une entreprise florissante au Kenya. Le propriétaire de cette start-up a aidé des agriculteurs à avoir accès à des prêts grâce à l’amélioration de leur solvabilité et à la création de liens avec des prestataires de services financiers. L’entreprise est internationalement reconnue comme entreprise de services financiers innovants.
Après avoir organisé une série de hackathons, le CTA a décidé d’axer ses efforts sur des applications et services existants afin de faciliter leur maturation et leur développement. Organisé en 2016, un concours de start-ups e-agricoles (appelé Pitch AgriHack) s’adressait exclusivement aux entreprises dirigées par des jeunes. Consciente de la valeur de cette activité, la Banque africaine de développement (BAD) a décidé de collaborer avec le CTA et a fourni une aide financière et logistique à cet événement. Parmi les autres partenaires impliqués, citons l’incubateur de TIC mLab East Africa au Kenya, les entreprises de capital-risque ProHaus Group (États-Unis) et Devlabs (Amérique latine), le réseau African Agribusiness Incubator Network (AAIN), et bien d’autres.
Le concours s’adressait à deux catégories de services : catégorie de démarrage (ciblant des prototypes à leur tout début) et une catégorie de stade avancé (ciblant des services déjà en activité et générant des recettes). Au total, 152 candidatures ont été reçues de 30 pays d’Afrique et des Caraïbes, et en fin de compte, 25 finalistes ont été sélectionnés par un jury international (voir encadré). Les finalistes ont participé à des tests sur le terrain au Kenya, en novembre 2016, et ils ont bénéficié d’un soutien en matière de renforcement des capacités dans les activités e-agricoles, de conception de modèles financiers et de conseils en matière de mobilisation de capitaux.
Les lauréats de Pitch AgriHack 2016
Sur les 25 finalistes, sept lauréats (tous en activité) ont été sélectionnés. Quatre principaux lauréats ont obtenu des subventions (de 5 000 à 15 000 euros) offertes par le CTA pour les aider à développer leurs services :
• Sooretul (Sénégal) – un marché en ligne pour des produits agricoles transformés offerts par des coopératives de femmes.
• Brastorne Enterprises (Botswana), avec la plateforme mAgri – une application USSD permettant aux agriculteurs d’avoir accès à des informations pertinentes et à un marché sur téléphone portable. Elle compte déjà 150 000 utilisateurs.
• Daral Technologies (Sénégal) – une application de gestion du bétail qui offre un système d’alerte et de gestion.
• MobFit (Ouganda) – un logiciel de chaîne d’approvisionnement agricole sur GSM établissant un lien entre les petits exploitants agricoles et les acheteurs.
D’autres lauréats ont été sélectionnés par le partenaire ProHaus Group ; ils bénéficieront d’opportunités d’investissement et de renforcement des capacités : Kuza, du Kenya, Agro-Centa, du Ghana, et FarmAfriQue, du Nigéria.
À ce jour, environ 600 jeunes innovateurs et entrepreneurs ont participé aux hackathons et concours de start-ups. Plus de 20 pôles ou institutions TIC de 15 pays ont prêté leur concours (par exemple Outbox Hub, de l’Ouganda, qui a soutenu Ensibuuko, ou Wennovation Hub du Nigéria). Le programme a mobilisé des institutions telles que les ministères en charge des TIC et de l’agriculture, la BAD, des organisations régionales (y compris l’Alliance pour une révolution verte en Afrique, l’AAIN, l’institut caribéen de recherche et de développement agricoles (CARDI), la Confédération des syndicats agricoles d’Afrique australe) et le secteur privé (par ex. Microsoft, ProHaus Group et Telesur). À ce jour, les meilleures start-ups ayant participé ont bénéficié d’environ un milliard de dollars US (investissements et subventions de diverses parties nationales et internationales). Les services fournis ont touché plusieurs centaines de milliers d’agriculteurs.
Services de conseil utilisant des drones pour les petits exploitants agricoles
De l’avis général, les petites exploitations agricoles doivent être plus productives, plus durables et plus rentables. Les services de systèmes aériens sans pilote (UAS) – ou systèmes utilisant des drones – peuvent contribuer à faire que ce soit possible en mettant certains outils de l’agriculture de précision à la disposition des producteurs, au nombre desquels figurent de grandes et moyennes exploitations et des associations de petits exploitants agricoles cultivant le même produit dans des zones contigües. Généralement, les services UAS sont assurés par des entrepreneurs qui investissent dans les équipements, apprennent à les utiliser, effectuent ou sous-traitent l’analyse des données, interprètent les résultats et conseillent leurs clients.
Les UAS peuvent alimenter en données toute une gamme de services, notamment de cartographie et d’arpentage (par ex. délimitation d’exploitations agricoles, calcul des superficies cultivées, élaboration de modèles altimétriques numériques, etc.), d’inventaire des récoltes (par ex. dénombrement des cultures arbustives, estimation de rendements), de dépistage agricole (par ex. identification du stress végétal à certains endroits, évaluation du développement de la biomasse, etc.), d’évaluation des dommages aux cultures (par ex. à des fins d’assurance), de conseils en gestion des récoltes (par ex. application d’engrais azoté – sur certaines cultures lorsque des solutions sont disponibles), de contrôle de l’infrastructure (par ex. systèmes d’irrigation, routes entre l’exploitation et les marchés, etc.) et, d’amélioration de la solvabilité des agriculteurs grâce à l’intégration de profils lointains et de données à haute résolution, précises et actualisées.
Les UAS peuvent donc contribuer à accroître les recettes des agriculteurs et à créer de nouvelles opportunités d’emplois axés sur les connaissances dans les zones rurales, en offrant aux jeunes ruraux instruits une autre solution que celle qui consiste à migrer vers les villes. Le CTA a pris ces opportunités en compte, a instauré des partenariats avec les principaux opérateurs du secteur privé et a aidé des start-ups TIC à acquérir la capacité de fournir des services UAS au Bénin, au Ghana, en Tanzanie, en RDC et en Ouganda.
Cela s’est concrétisé, en 2017, par une série d’activités, notamment en matière de formation au pilotage de drones et de capteurs multispectraux embarqués, de compréhension des principes et règlements de sécurité et de respect de la vie privée, de gestion et de traitement de données de télédétection, d’élaboration d’un plan d’affaires et de création d’un réseau.
Par ailleurs, le CTA a offert un soutien financier pour l’acquisition du matériel nécessaire. Des entreprises techniquement compétentes, dirigées par des jeunes ayant l’esprit d’entreprise, ont diversifié la gamme de leurs services ICT4Ag et sont actuellement en train de conclure des accords contractuels avec des entreprises agroalimentaires, des associations d’agriculteurs, des agences de développement, des instituts de recherche et des semenciers, pour commencer. Une communauté de pratique croissante (UAV4ag) et des espaces spéciaux sur les médias sociaux (Twitter et Facebook) sous-tendent l’initiative.
… mais un soutien reste nécessaire
Malheureusement, mais c’est bien compréhensible, le secteur d’activité ICT4Ag, notamment dans les pays en développement (et au-delà), est encore naissant et a besoin d’un soutien considérable. D’une manière générale, dans ces pays, l’entrepreneuriat représente un grand défi, comme le montrent notamment les rapports Doing Business de la Banque mondiale. Une part considérable des jeunes entrepreneurs n’a pas fait d’études ou n’a aucune connaissance en matière de gestion d’une entreprise. Les écosystèmes d’entreprises, y compris les infrastructures de soutien gouvernementales, sont faibles et l’accès aux capitaux est une épreuve qui limite gravement le potentiel de croissance.
Plus particulièrement, dans une grande mesure, le marché (les clients) des services ICT4Ag, bien que jeune et en plein développement, n’est pas solvable lorsque seuls les agriculteurs sont ciblés. Inversement, comme l’indique le rapport de la Banque mondiale intitulé Growing Africa: Unlocking the Potential of Agribusiness, le marché alimentaire africain va créer des opportunités de mille milliards de dollars US d’ici à 2030. Les services e-agricoles entrent dans le cadre de ces opportunités.
Pour toutes ces raisons, mais aussi pour face au problème crucial de l’emploi chez les jeunes, il faut accroître le soutien au niveau national et international pour encourager les innovateurs à concevoir des stratégies d’entreprises florissantes et les aider à avoir accès aux ressources leur permettant de se développer. Ce n’est que dans ces conditions qu’ils peuvent efficacement contribuer à l’amélioration de la productivité et de la croissance dans le secteur agricole.
Ken Lohento
Giacomo Rambaldi
Coordonnateurs du programme ICT4Ag
Centre technique de coopération agricole et rurale ACP-EU (CTA)
Wageningen, Pays-Bas
lohento@cta.int
rambaldi@cta.int
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