La modification du régime des précipitations et l’insuffisance des rendements agricoles sont des causes importantes de migration pendant la saison sèche pour les personnes vivant dans le Sahel ouest-africain.
Photo: D. Hummel

Changement climatique, environnement et migration dans le Sahel

Dans le débat sur le changement climatique, certains font fréquemment valoir que le nombre de « réfugiés climatiques » va augmenter à l’échelle mondiale. Mais pour l’instant, il existe peu de témoignages d’un lien entre le changement climatique, les modifications environnementales et la migration. Le projet de recherche transdisciplinaire « micle » (migration, climat et environnement) a examiné ce lien dans différentes régions du Sahel.

Le projet de recherche interdisciplinaire « micle » (migration, climat et environnement) a été financé par le ministère fédéral allemand de l’Éducation et de la Recherche (BMBF) et mené par l’Institut de recherche socio-écologique (Francfort, Allemagne), en coopération avec l’Institut de géographie de l’université de Bayreuth. Il a examiné le lien entre le climat, la dégradation de l’environnement et la migration dans différentes régions du Sahel.

Le Sahel ouest-africain est une des régions les plus vulnérables au changement et à la variabilité climatiques. L’étude « micle » (migration, climat et environnement) a mis l’accent sur la dégradation des terres comme exemple de modification environnementale qui évolue lentement et progressivement et sur ses impacts sur la mobilité des populations. Elle a suivi une approche inter- et transdisciplinaire associant des méthodes de science naturelle et de science sociale et incluant des informations fournies, par exemple, par des agriculteurs, des migrants et des organisations de développement.

Des études de cas ont été réalisées dans deux régions : Linguère, au Sénégal, et Bandiagara, au Mali (voir carte). Les deux zones étudiées sont situées dans le Sahel semi-désertique et ont toujours connu des périodes de sécheresse et souffert, en partie, de la dégradation des terres. Les changements climatiques et les activités humaines ont contribué à d’importantes modifications de la flore, de la faune et des sols dans les zones rurales étudiées. Après une période de sécheresse extrême, des années 1970 aux années 1990, les chutes de pluie ont augmenté dans les deux régions, tout comme a augmenté leur variabilité. Ces changements entraînent un accroissement de la végétation dans de nombreuses zones (phénomène de verdissement). Cette tendance est soutenue par des activités agroforestières gérées par les agriculteurs, des programmes de reboisement et des mesures de préservation de la nature.

Malgré cette tendance positive, les effets du changement climatique (accroissement des températures et réduction des précipitations par exemple) ont contribué à une réduction de la diversité des espèces ligneuses et ont favorisé l’augmentation d’espèces robustes résistant mieux à la sécheresse. Dans certaines zones, le surpâturage, la déforestation et l’expansion des zones agricoles ont considérablement contribué à la dégradation des terres. Les causes des modifications environnementales sont donc climatiques et anthropiques.

Les moyens de subsistance à Bandiagara et à Linguère – et l’impact du changement climatique

Les deux régions étudiées au Mali et au Sénégal ont également été choisies pour une autre raison : elles connaissent une émigration croissante. Le projet « micle » a examiné en détail la façon dont les populations locales perçoivent les modifications environnementales, ainsi que leurs motifs de migration. En plus d’autres méthodes telles que les entretiens approfondis et l’observation participante, une enquête normalisée a été réalisée auprès de plus de 900 personnes : villageois vivant dans les zones rurales de Bandiagara et de Linguère et migrants vivant dans les capitales, Bamako et Dakar, deux importantes destinations.

Les résultats montrent que l’agriculture est l’activité économique et la source de revenus les plus importantes dans les deux zones rurales étudiées. La majorité des personnes interrogées et des membres de leur famille pratiquent l’agriculture et, notamment au Sénégal, l’élevage. Dans bien des cas, l’agriculture est associée à d’autres activités telles que le jardinage ou une activité lucrative à petite échelle.
Le niveau d’éducation est très bas – près de 80 pour cent des personnes ayant participé à l’étude n’ont pas été scolarisées et le taux d’analphabétisme (70 pour cent) est très élevé. Plus le niveau d’éducation est bas, plus l’agriculture a de chance d’être la principale source de revenu dans les zones rurales.

Les ménages dont la dépendance à l’agriculture pluviale est forte sont particulièrement vulnérables à la variabilité des pluies et à la dégradation des écosystèmes, ces facteurs environnementaux ayant une incidence négative sur les rendements et les récoltes. Selon un villageois de Linguère, « les précipitations sont de plus en plus irrégulières et depuis quelques années on ne peut plus tellement se fier à la saison des pluies. » De même, un vieil agriculteur de Bandiagara faisait remarquer : « Depuis la sécheresse des années 1970, on constate de plus en plus d’anomalies dans les rendements en grains, ainsi qu’une insuffisance des chutes de pluie. » Ce déficit pluvial peut avoir des conséquences directes sur les revenus des ménages ruraux dans la mesure où il a une incidence sur la production et les rendements agricoles.

Dans ce contexte, la migration peut être une stratégie permettant de réduire les risques et de compenser les pertes dues aux mauvaises récoltes par une diversification des revenus. Toutefois, ce n’est pas la seule stratégie de minimisation des risques citée par les personnes interrogées. À Bandiagara et à Linguère, les gens adoptent différentes stratégies pour faire face aux effets négatifs (les mauvaises récoltes, par exemple) des modifications environnementales. Au Mali, par exemple, parmi d’autres stratégies de compensation il y a celle, importante, qui consiste à demander un soutien financier accru aux membres de la famille qui ont déjà migré et à augmenter le nombre de migrants dans la famille. Au Sénégal, il existe d’autres stratégies non moins importantes, la vente de bétail, par exemple. Dans les deux régions, l’entraide entre villageois est mentionnée comme un important moyen de faire face aux mauvaises récoltes et aux pertes de revenus.

Mobilité de la population et motifs de migration

La migration joue un rôle important dans la culture sahélienne. Ce fait a été vérifié par les résultats d’une analyse empirique sociale : 87 pour cent des participants à l’enquête ont personnellement fait l’expérience de la migration et dans leur grande majorité (86 %) ils considèrent que la migration est quelque chose de positif et sont prêts à conseiller à d’autres membres de leur famille de migrer. Les mouvements temporaires (de 10 mois à moins de cinq ans) et la migration saisonnière (de 3 à 9 mois) sont les modes de migration temporaire les plus courants (environ 40  % dans les deux cas). Ceux qui pratiquent une migration saisonnière  quittent leur village pendant la saison sèche et y reviennent au moment des récoltes. La migration permanente (plus de cinq ans d’absence du lieu d’origine) est relativement faible (environ 24 pour cent).

Comme dans les autres pays d’Afrique occidentale, au Mali et au Sénégal la migration est essentiellement interne et régionale. Quatre-vingt-six pour cent des répondants ont migré à l’intérieur de leur pays, notamment vers de grandes zones urbaines, Bamako et Dakar, les capitales, étant les destinations les plus importantes. Au Sénégal, seulement quatre pour cent des répondants ont migré à l’étranger, essentiellement vers des destinations européennes (France, Espagne, Italie). Au Mali, la migration internationale est nettement plus importante (25 %) et se fait essentiellement vers la Côte d’Ivoire. Généralement, les migrants gardent des liens étroits avec leur famille et leur village d’origine.

Lorsqu’on leur demande pourquoi elles migrent, les personnes répondent que les motivations économiques (quête d’un emploi et d’un revenu) sont les raisons les plus importantes pour lesquelles elles quittent leur village, même si ces motivations se chevauchent généralement avec d’autres. Les raisons familiales, les visites et l’éducation sont d’autres causes importantes de migration. La sécurité alimentaire est citée par 29 pour cent des répondants au Sénégal et par six pour cent au Mali. Cette cause est étroitement liée à des facteurs environnementaux et économiques.

Pour de nombreuses personnes interrogées, le changement du régime pluvial et l’insuffisance des rendements sont une cause importante de migration pendant la saison sèche. Toutefois, la migration saisonnière est une stratégie de lutte contre les rudes conditions environnementales des régions rurales semi-arides qui ne date pas d’hier. La migration saisonnière est encore pratiquée de nos jours, même lorsque le régime des pluies est favorable et lorsque les récoltes sont bonnes. Ce fait montre que les causes de la migration sont multiples, qu’elles changent avec le temps et que la décision de migrer n’est généralement pas motivée par une unique raison. Les relations sociales et les réseaux de migrants sont d’importants facteurs quant à la décision de migrer et au choix de la destination.
De plus, les motifs de migration diffèrent considérablement en fonction du sexe, de l’âge et du niveau d’éducation. Si la quête d’un emploi et d’un revenu est le motif le plus important pour les hommes comme pour les femmes, ce motif est plus souvent cité par les répondants masculins. Si les raisons familiales et les visites sont particulièrement importantes pour les femmes en général, les raisons économiques prennent de l’importance pour les jeunes femmes.



La migration est étroitement liée au niveau d’éducation. Plus leur niveau d’étude est élevé, moins les personnes sont vulnérables aux risques environnementaux car elles sont moins dépendantes d’activités économiques sensibles à l’environnement. Ces résultats de l’enquête montrent que les caractéristiques individuelles telles que le sexe, l’âge et le niveau d’éducation jouent un rôle crucial dans la détermination de ceux qui migrent et des raisons pour lesquelles ils migrent.

La migration – une stratégie de subsistance

Dans les zones étudiées, au Mali comme au Sénégal, la majeure partie de la population vit de l’agriculture à petite échelle et de l’agriculture de subsistance. Malheureusement, pour la plupart des ménages des zones rurales, la sécurité alimentaire ne peut être garantie par la production agricole locale. Il est impossible de déterminer le rôle exact joué par les facteurs environnementaux dans les décisions de migration, mais l’étude « micle » a montré comment le changement climatique et la dégradation  des terres ont une incidence sur les décisions de migration sur la base des facteurs suivants :

  • lorsque la population est très dépendante de l’agriculture et par conséquent des conditions agro-écologiques et des régimes de pluie locaux ;
  • lorsque les opportunités de diversification des revenus et lorsque les activités non agricoles sont rares ; et
  • lorsque l’accès au capital social et au capital financier (par ex. pour les engrais, la technologie agricole, etc.) est difficile.

Les individus, les ménages et les communautés ne sont pas touchés de manière identique par le changement climatique et la dégradation de l’environnement. Les plus vulnérables sont les ménages dont le niveau d’éducation est peu élevé et qui dépendent fortement de l’agriculture à petite échelle. Un grand nombre de personnes pauvres disposent de peu d’options pour maîtriser les crises et les facteurs de perturbation de l’environnement. Pour elles, la migration peut effectivement être l’unique possibilité d’améliorer leur sécurité alimentaire. Pour d’autres, la migration peut être un moyen de minimiser les risques provoqués par les facteurs environnementaux. Toutefois, la migration n’est pas une simple question d’adaptation et n’est pas automatiquement l’unique dernier recours. Globalement, elle traduit une volonté de vivre mieux.

Options politiques

Les conclusions du projet « micle » confirment que les changements climatiques et la dégradation des écosystèmes peuvent effectivement avoir une incidence sur la mobilité des personnes. Toutefois, les résultats montrent également que le lien entre climat, environnement et migration est complexe et que les contraintes environnementales ne constituent généralement pas le facteur le plus important poussant les gens à migrer.

La prévention de la migration ne peut pas être considérée comme une solution politique appropriée dans la mesure où la mobilité est profondément enracinée dans l’histoire et la culture de l’Afrique occidentale. Au contraire, les politiques doivent tirer parti du potentiel positif de la migration pour assurer un développement durable. Par exemple, les approches existantes de « codéveloppement » favorisent le transfert de fonds, de connaissances et de compétences, ainsi que les investissements des migrants dans leurs régions d’origine.
Les investissements dans l’agriculture durable doivent être associés à des impulsions en faveur d’opportunités d’emploi et de revenu dans d’autres secteurs économiques. On a par conséquent besoin de stratégies de développement régional intégré mettant l’accent sur les liens entre les zones urbaines et les zones rurales. Elles doivent par exemple tenir compte du développement de l’infrastructure et de la promotion de la gestion intégrée des terres et des ressources en eau pour prévenir la dégradation des terres.

Surtout, la jeune génération a besoin de bien meilleures opportunités éducatives dans la région. L’éducation a une importance capitale en matière de réduction de la vulnérabilité, d’amélioration de l’égalité des genres et d’autonomisation. Des stratégies politiques intersectorielles intégrant les questions de migration, de développement socio-économique et d’environnement et tenant compte de la participation des parties prenantes et des acteurs de la société concernés sont par conséquent nécessaires.


PD Dr Diana Hummel
ISOE – Institut de recherche socio-écologique
Francfort-sur-le-Main, Allemagne
hummel@isoe.de

 

References and sources for further reading

Brandt, M./Romankiewicz, C./Spiekermann, R./Samimi, C. (2014): Environmental change in time series – An interdisciplinary study in the Sahel of Mali and Senegal. In: Journal of Arid Environments, 105, 52–63.

Hummel, D./Doevenspeck, M./Samimi, C. (Eds.) (2012): Climate Change, Environment and Migration in the Sahel. Selected Issues with a Focus on Senegal and Mali. micle working paper 1. Frankfurt/Main.

Hummel, D. (in print): Climate change, land degradation and migration in Mali and Senegal – some policy implications. In: Migration and Development, Special Issue “Migration: Between Climate Adaptation and Development”.

Romankiewicz, C./Doevenspeck, M. (2014): Climate and Mobility in the West African Sahel: Conceptualising the local dimensions of the Environment and Migration Nexus. In: Greschke, H. M., Tischler, J. (Eds.): Grounding Global Climate Change. Contributions from the Social and Cultural Sciences. Springer: Dordrecht.

van der Land, V./Hummel, D. (2013): Vulnerability and the Role of Education in Environmentally Induced Migration in Mali and Senegal. In: Ecology & Society 18(4): 14.

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