Sécurité alimentaire mondiale, quelle est la responsabilité de l’Europe ?

Carl-Albrecht Bartmer est le Président de la Société allemande d’agriculture (DLG)

D’après les dernières estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), il faudra d’ici 2050 doubler la production alimentaire mondiale par rapport à la production actuelle afin de faire face à la croissance démographique et à l’augmentation de la demande. Les zones agricoles fertiles se font de plus en plus rares ; tout comme les facteurs qui en déterminent la productivité comme l’eau et les nutriments. Les erreurs commises dans le passé et qui ont provoqué la salinisation, l’érosion et l’encroûtement sont en train de porter préjudice à des zones jadis fertiles. Enfin, les effets des changements indéniables qui se sont opérés au niveau du climat mondial ont non seulement ouvert de nouveaux espaces de production à l’est et au nord, mais ils provoquent aussi une dégradation de la productivité dans les espaces actuellement cultivés en raison de longues périodes de sécheresse et aussi d’incidents fréquents liés à des phénomènes climatiques extrêmes.

De plus en plus, les stratégies nationales de réduction mettent l’accent sur les zones agricoles afin de maintenir les changements climatiques à un niveau gérable. Ces zones sont perçues comme émetteurs naturels et, plus particulièrement, comme vecteurs biogènes et comme une alternative sérieuse aux précédentes sources d’énergie fossile. Aujourd’hui, la population mondiale est sept milliards de personnes et les besoins de consommation sont en augmentation constante. Il est de plus en plus clair que notre planète est en train d’épuiser ses ressources biotiques et abiotiques, lesquelles sont les principaux déterminants de son avenir. Les refuges naturels consacrés aux espèces menacées imposent d’importantes exigences supplémentaires aux rares zones terrestres et aquatiques.

Nous sommes confrontés à l’un des défis les plus importants du XXIe siècle, un défi que nous sommes tenus de relever aujourd’hui, car le temps de réaction des systèmes biologiques, mais aussi les cycles d’innovation en matière de développement humain sont trop longs pour pouvoir être réajustés, pour ainsi dire, au cas par cas, par une simple commande ou pour être régénérés. Certes, ce défi du Centenaire affecte les biotopes, les Etats-nations et les continents séparément, mais aujourd’hui, ces biotopes ne peuvent être compris que dans leur ensemble et dans leur dimension planétaire. C’est précisément la raison pour laquelle, toutes les régions de la planète, y compris l’Europe, sont responsables, en fait triplement responsables, de la sécurité alimentaire mondiale, du climat et de la protection de l’environnement.

L’Europe, qui est l’une des régions les plus importantes et les mieux loties en matière de production de biens agricoles, est-elle en train de remplir ses obligations à cet égard ? Ce qui pourrait donner à le penser, ce sont le rôle qu’elle joue actuellement dans les conférences sur le climat, une politique agricole qui tient vraiment compte des questions environnementales, de nombreuses initiatives distinctes comme la Directive sur les habitats naturels par la protection des oiseaux et la Directive-cadre sur l’eau. En effet, l’Europe y apparaît comme le bon élève en matière de responsabilité planétaire, un exemple à suivre si l’on veut entamer une réorientation vers la pérennisation.
Ce qui est surprenant, toutefois, c’est qu’une analyse plus approfondie révèle que, malgré ses atouts en matière de production agricole, la Communauté européenne demeure le premier importateur net de biens agricoles dans le monde. L’Europe produit beaucoup moins de denrées pour sa propre consommation qu’elle ne consomme dans les faits. “Virtuellement”, l’Europe utilise au-delà de ses frontières trois fois la superficie de l’Allemagne en terres cultivées (plus de 30 millions d’hectares) pour produire des denrées pour ses propres besoins, et la tendance va en s’accentuant. Si les terres agricoles, telles qu’elles sont présentées ici, sont un bien rare, les importations agricoles, elles, n’ont pas pour effet premier l’augmentation du revenu des agriculteurs de par le monde, augmentation que l’on ne peut qu’appeler de ses vœux. Au lieu de cela, avec son pouvoir d’achat, l’Europe est en train de créer une demande supplémentaire en produits agricoles, ce qui en renchérit le prix. Il s’ensuit que le prix des denrées alimentaires est ainsi appelé à augmenter, ce qui aura pour effet d’accroître la faim dans certaines régions. A moyen terme, on assistera à l’intensification de la production agricole ainsi qu’à son expansion vers des zones qui n’ont pas encore permis de procurer des bons niveaux de production et qui, implicitement, avaient d’autres fonctions comme la protection de l’environnement ou la conservation de la nature.

Ainsi, la responsabilité européenne signifie aussi que l’on se rend compte que les mesures que l’on prend à l’intérieur de ses propres frontières ont toujours une dimension planétaire : les denrées alimentaires que je ne produis pas en Europe doivent être produites ailleurs, souvent dans des contextes naturels plus pauvres. C’est ainsi que les stratégies de l’Europe sont en train d’impacter le monde au-delà de ses propres frontières, qu’il s’agisse de mesures visant à protéger et à étendre les biotopes, de vastes programmes à financement public d’extensification des zones rurales, de l’utilisation substantielle des énergies alternatives et de la biomasse ou de l’option, prise en connaissance de cause, pour la non-utilisation de technologies innovantes dans les étables ou dans les champs.

Ces décisions, prises, par une Europe souveraine, sont soumises à des conditions restrictives de responsabilité. Leurs effets doivent être soigneusement analysés. Ce serait désastreux si, d’ici quelques années, on se rendait compte que les stratégies nationales modèles des pays européens n’étaient pas bénéfiques aux fondements biotiques et abiotiques de la vie sur la planète ; ce serait tout aussi désastreux si l’on devait admettre que la non-utilisation des innovations équivaut à de l’auto-culpabilisation.
D’après le rapport de la FAO sur l’objectif de la sécurité alimentaire publié en novembre 2011, la référence à la nécessité d’une « intensification durable » ne se justifie pas. Même une région innovante et disposant d’excellentes qualifications comme l’Europe doit tirer les enseignements d’un tel constat et doit faire le meilleur usage de ses potentialités intellectuelles et naturelles tout en veillant à la viabilité de son action, ce qui ne saurait être compris que dans le contexte mondial. Les rendements potentiels possibles doivent être exploités en ayant recours au savoir-faire et aux technologies et à l’ingénierie de pointe. Toutes ces activités doivent être efficaces dans l’utilisation des ressources et doivent tenir compte des critères sociaux. A cette fin, il est nécessaire d’entreprendre des recherches intensives, interdisciplinaires et portant sur plusieurs pays.

Pour résoudre le problème de la sécurité alimentaire mondiale, il conviendrait de commencer d’abord par les pays pauvres. Il ne s’agit pas d’y livrer les anciennes “batailles” pour les ressources agricoles, mais d’y installer des systèmes de production intelligents et adaptés aux lieux et aux conditions sociales qui y prévalent. La responsabilité de l’Europe va de pair avec l’échange transfrontalier sans restriction des idées et des biens afin de maintenir plein le « grenier à blé mondial » dans un effort conjoint. En assumant cette responsabilité, l’Europe ne ferait que servir ses propres intérêts. Elle éviterait les flux d’immigrés attirés par les “greniers encore pleins” et protégerait les ressources naturelles de la planète.

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