Essai préliminaire de vente aux enchères d’arachides certifiées exemptes d’aflatoxines au Mali.
Photo: M. Tiongco

Ne laisser aucune chance aux aflatoxines

La contamination des aliments par les aflatoxines est l’une des conséquences les plus graves que peuvent avoir de mauvaises pratiques de gestion post-récolte. En mai 2004 par exemple, de nombreux décès, dont on a pu prouver qu’ils étaient dus à la consommation de maïs contaminé par cette mycotoxine, ont été enregistrés au Kenya. Le projet Aflacontrol avait pour but de démontrer de façon empirique le rapport coûts/bénéfices des stratégies de réduction des risques liés aux aflatoxines dans les chaînes de valeur du maïs et des arachides en Afrique et de comprendre ce qui empêche l’adoption de telles stratégies de lutte.

Pendant toute la durée du projet Aflacontrol (voir encadré) mis en œuvre entre 2009 et 2011, des échantillons de maïs ont été prélevés chaque mois avant la récolte ainsi que dans les stocks (à des intervalles de 15 à 30 jours) et sur les marchés des régions Upper Eastern (Embu/Mbeere), Lower Eastern (Makueni, Machakos) et South Western (Kisii/Rongo/Homa Bay), et les niveaux de prévalence d’aflatoxines ont été analysés. Au cours de l’analyse, Mahuku et al. (2011) ont constaté qu’au Kenya, les aflatoxines étaient bien plus répandues et que leur prévalence était considérablement plus élevée que ce que l’on pensait. Si la région orientale Eastern Kenya était celle où le nombre recensé de décès dus aux aflatoxines était le plus important en 2004, les échantillons prélevés dans différentes zones agro-écologiques ont permis de constater que, dans les parties occidentales du Kenya, les niveaux d’aflatoxine dans les champs des agriculteurs étaient également bien au-dessus des dix parties par milliard (ppb) légalement autorisées. En outre, la proportion du maïs présentant des niveaux d’aflatoxines supérieurs aux 10 ppb autorisés était encore plus élevée dans les entrepôts des agriculteurs et sur les marchés, ce qui laisse présumer que les pratiques actuelles de séchage et de stockage du maïs ne contribuent pas à minimiser l’exposition aux aflatoxines.

Le projet Aflacontrol
Le projet Aflacontrol est une initiative pluridisciplinaire qui a été engagée par plusieurs instituts de recherche et qui est coordonnée par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI). Il implique des scientifiques du Centre international pour l’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT), de l’Institut international de recherches sur les cultures des zones tropicales semi-arides (ICRISAT), de l’Institut d’économie rurale (IER-Mali), du Kenya Agricultural Research Institute (KARI – Kenya), de l’ACDI/VOCA (Kenya), de l’Université de Pittsburg et de l’Uniformed Services University for the Health Sciences. Un résumé complet du projet et de ses activités est disponible sur le site : http://programs.ifpri.org/afla/afla.asp

En outre, des échantillons d’arachides ont également été prélevés aux mêmes intervalles dans les régions de Kayes, Kita et Kolokani au Mali et les niveaux de prévalence d’aflatoxines ont été analysés. Lors de ces analyses, Waliyar et al (2011) ont établi des niveaux supérieurs à 20 ppb dans plus de 33 pour cent des champs des régions étudiées. En outre, comme au Kenya, les niveaux d’aflatoxines augmentaient dans les entrepôts et sur les marchés, ce qui, comme dans le cas du maïs, indique que les pratiques actuelles de séchage et de stockage des arachides sont inappropriées.

Des enquêtes socioéconomiques ont été menées dans les mêmes régions auprès de ménages, de communautés et de commerçants, ce qui a permis de réunir une base d’informations sur le rôle du maïs comme moyen de subsistance pour les ménages ainsi que sur les connaissances, aptitudes et perceptions des gens en ce qui concerne les aflatoxines. Les enquêtes ont également révélé comment ces connaissances, aptitudes et perceptions influençaient les pratiques des ménages et leur disposition à payer pour des technologies susceptibles de réduire la prévalence des aflatoxines ainsi que la disposition des consommateurs à payer un prix plus élevé pour du maïs ou des arachides certifiés exempts d’aflatoxines.

Au Kenya, près de la moitié des ménages enquêtés ont déclaré qu’ils transportaient le maïs chez eux pour le sécher sur des bâches. Environ 30 pour cent des répondants ont fait savoir qu’ils laissaient le maïs sur les champs à découvert. Seul un petit nombre d’entre eux utilisaient des structures de stockage. Au Mali, près de la moitié des ménages enquêtés ont affirmé qu’ils laissaient sécher les arachides en grands tas sur le champ. Comme au Kenya, peu d’agriculteurs maliens utilisent des structures de stockage. Parmi les structures utilisées, les plus populaires sont les greniers traditionnels.

Peu de structures de stockage et un faible niveau de connaissances
Les connaissances de base sur l’aflatoxine étaient très faibles dans les deux pays (Narrod et al, 2011). Au Kenya, les ménages vivant dans les régions sèches où des aflatoxicoses avaient été enregistrées en 2004, la perception du risque était plus élevée, comme l’on attendait, mais les connaissances sur les attributs en matière de sécurité et les mesures à prendre pour minimiser l’exposition aux aflatoxines étaient faibles. Ces observations donnent à penser que le manque de compréhension du problème contribue à un contrôle médiocre des aflatoxines dans la région. L’enquête a également montré que la plupart des agriculteurs qui avaient entendu parler des aflatoxines avaient obtenu ces informations par la radio en langue locale et par des agents de vulgarisation. Les résultats de la recherche indiquent que le fait d’être impliqué dans la vente de maïs ne se traduit en aucune façon par des actions visant à réduire le risque d’aflatoxines au Kenya.

Au mali, les ménages qui étaient davantage orientés vers le marché (c’est-à-dire qui vendaient plus de 25 pour cent de leur production) étaient plus enclins à prendre des mesures visant à leur garantir de meilleures récoltes et à utiliser des structures de stockage pour atténuer les risques.

L’enquête s’est également intéressée à l’influence des facteurs comportementaux sur l’adoption individuelle de stratégies visant à réduire les risques d’aflatoxines. Tiongco et al. (2011) concluent qu’aussi bien au Kenya qu’au Mali les producteurs possédant plus de biens étaient en principe plus disposés à payer pour des technologies leur permettant de réduire les risques d’aflatoxine. Dans les régions sèches du Kenya où on avait enregistré des cas répétés d’aflatoxicose, les répondants étaient plus disposés à payer pour des semences améliorées, des bâches et des silos métalliques pour le stockage et le séchage des céréales que ceux vivant dans d’autres régions. D’autres recherches seront nécessaires pour analyser la propension à adopter des stratégies visant à minimiser les risques, peut-être sous forme d’essais expérimentaux randomisés permettant d’étudier les comportements adoptés face à différentes stratégies de réduction des risques.

Les mycotoxines ne peuvent être perçues ni à l’odorat ni au goût. Des tests sont donc nécessaires pour déterminer si les taux présents dans un produit dépassent le seuil de sécurité acceptable. L’analyse des données collectées dans le cadre d’une vente expérimentale (De Groote et al., 2011) ont permis de prouver que les consommateurs étaient plus enclins à payer un prix légèrement plus élevé pour le maïs certifié « testé » et que cette disposition à payer ce prix plus fort était liée à un taux de scolarisation plus élevé et était plus marquée dans les régions affectées. Au Mali, Tiongco et al. (2011) ont également identifié des personnes qui étaient disposées à payer un prix plus élevé pour des arachides testées et certifiées exemptes d’aflatoxines.

Quelles mesures faut-il recommander ?
Les données dont on disposait au moment du démarrage du projet Aflacontrol sur l’efficacité de la mise en œuvre de mesures de contrôle dans le contexte africain étaient limitées. C’est pourquoi un groupe d’experts a été créé afin de donner des conseils sur l’efficacité potentielle de mesures sélectionnées visant à réduire le risque d’Aflatoxine dans le maïs et les arachides. Ces données ont été mises en relation avec des données d’enquête non publiées du CIMMYT sur les coûts de différentes méthodes de stockage et avec des données fournies par l’IITA sur les coûts estimés de méthodes de contrôle biologique afin d’effectuer une analyse sur l’efficacité des coûts (voir Narrod et al., 2011). Ces recherches ont mis en évidence qu’il existait un ordre naturel pour évaluer chaque option de réduction globale du risque. Les différences dépendaient non seulement des coûts établis et de l’efficacité démontrée, mais également de la durée de vie de l’option considérée (périodicité de renouvellement de l’achat de celle-ci). Pour le maïs par exemple, un petit nombre d’options à faible coût qui doivent être remplacées à périodicité régulière ou semi régulière, telles que le séchage sur bâche, ont été jugées comme ayant un bon rapport coût/efficacité, ce qui était le cas également de certaines options plus onéreuses ayant des durées de vie plus longues telles que les silos en plastique ou les silos métalliques. Les résultats de l’analyse coût/efficacité doivent être interprétés avec prudence jusqu’à ce que l’on dispose de données expérimentales de bonne qualité sur l’efficacité de différentes mesures dans le contexte africain et que l’on ait établi la durée de vie des différentes méthodes pour obtenir une idée de leur coût.

Des efforts sont actuellement déployés avec les membres de l’équipe du projet Aflacontrol, le Partenariat pour lutter contre l’aflatoxine en Afrique (PACA), le programme de recherche sur le maïs du CGIAR et des organisations commerciales régionales tel que le COMESA pour capitaliser sur les acquis du projet Aflacontrol et d’autres initiatives. Ces efforts visent à comprendre l’efficacité des mesures existantes, à actualiser l’analyse coût/efficacité et à mettre en œuvre une étude visant à améliorer la disponibilité de maïs ne présentant pas de danger pour la santé grâce à des interventions et opérations étayées par des résultats scientifiques dont le but est de réduire la présence d’aflatoxines et de fumosines (un autre groupe de toxines fongiques) de même que de renforcer les capacités locales en matière de réduction de l’exposition aux mycotoxines. Des efforts sont également déployés pour coopérer avec des nationaux africains dans divers domaines tels que l’éducation des familles, des agriculteurs et des gouvernements sur les risques de santé et sur ce que coûterait la réduction de ces risques, la réduction du risque de contamination du maïs par l’adoption de pratiques appropriées, le renforcement des capacités locales en vue de soutenir la réduction des mycotoxines dans les produits agricoles ainsi que la fourniture d’outils destinés à la mise en œuvre de réformes politiques initiées et soutenues localement qui visent à garantir la sécurité alimentaire et des opportunités commerciales dans la région. Les investissements nécessaires doivent mettre l’accent sur la fourniture d’informations appropriées et de mesures d’éducation destinées à différentes parties prenantes de même que sur la mise en place d’un environnement favorisant le renforcement des capacités locales.

Clare Narrod et son équipe *
Joint Institute for Food Safety and
Applied Nutrition (JIFSAN)
Université de Maryland
Maryland, USA
cnarrod@umd.edu

*M. Tiongco, De Lasalle Université, Philippines / G. Mahuku, CIMMYT, Mexique / H. de Groote, CIMMYT, Kenya / J. Hellin, CIMMYT, Mexique / C. Bett, KARI, Kenya / H. Nzioki, KARI, Kenya / S. Collins, ACDI-VOCA, Kenya / S. Guantai, ACDI-VOCA, Kenya / F. Waliyar, ICRISAT, Mali / J. Ndjeunga, ICRISAT, Niger / D. Bamory, IER, Mali / K. Ondie, IER, Mali / D. Lamissa, IER / P. Masuoka, US Uniform Health Services / F. Wu, Université de Pittsburgh
 

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