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À l’échelle mondiale, la pêche reste un angle mort de la coopération internationale
En mars 2021, le service de streaming Netflix a diffusé le film documentaire intitulé « Seaspiracy » montrant l’impact écologique des pêches mondiales. L’importance de la demande, le buzz sur les réseaux sociaux et le soutien accordé par certaines célébrités ont littéralement catapulté ce documentaire dans le Top 10 de plusieurs pays. Tout d’un coup, un sujet auquel on accordait généralement peu d’intérêt était le centre d’attention d’un public international. En même temps, le documentaire a été fortement critiqué par des spécialistes de la pêche et de l’alimentation qui se sont montrés particulièrement sceptiques face à son parti pris occidental. Malgré la critique justifiée de la surexploitation des océans, les communautés locales de pêcheurs n’ont pas eu droit à la parole et trop peu d’intérêt a été accordé au rôle des océans dans le maintien des moyens de subsistance, notamment dans les pays en développement et les pays à revenu moyen.
Le documentaire et l’accueil que lui a réservé le public pointent du doigt des tensions qui se sont intensifiées au cours des dernières décennies. Il s’agit notamment de tensions entre pêche industrielle et pêche artisanale, entre pays à revenu élevé et pays à revenu moyen possédant des flottes de pêche, et entre pays en développement connus pour avoir de riches réserves halieutiques, malheureusement de plus en plus surexploitées, et sociétés qui dépendent des produits de la mer. Ces tensions traduisent des rapports de force transrégionaux et sont négligées par la politique de développement et la coopération internationale.
Épuisement des ressources et concurrence
La pêche et l’aquaculture sont la principale source de revenu de dix à douze pour cent de la population mondiale. En 2018, près de 3,3 milliards de personnes vivant essentiellement en Afrique et en Asie dépendaient du poisson pour assurer environ 20 pour cent de leur consommation moyenne de protéines animales par habitant (voir également l’article « Petite taille, mais valeur élevée. Célébration de la pêche et de l’aquaculture artisanales en 2022 »).
Depuis des décennies, la concurrence croissante entre pêche artisanale, pêche côtière et pêche industrielle est à l’origine de processus importants d’appauvrissement dans le secteur de la pêche artisanale exigeante en main-d’œuvre, de surpêche et de surexploitation écologique par des flottes de pêche industrielles.
Le manque de ressources techniques et financières nécessaires pour constituer des flottes de pêche modernes et par conséquent tirer parti d’importantes réserves halieutiques a, par exemple, poussé de nombreux gouvernements ouest-africains à conclure des partenariats de pêche avec des pays de l’Union européenne, ainsi qu’avec des pays d’Asie qui pratiquent la pêche, tels que le Japon et la Corée du Sud et, de plus en plus, la Chine. Dans ce contexte, les flottes de pêches européennes et asiatiques se disputent les ressources halieutiques sur le déclin de l’Afrique de l’Ouest (voir également « Préparer un meilleur avenir pour les communautés de pêcheurs du littoral africain »).
Les subventions gouvernementales, qui représentent de 20 à 40 pour cent de la valeur des captures, sont autant d’incitations supplémentaires à développer ces flottes hauturières.
Les quotas de capture fixés à un niveau trop élevé, les manques de capacités gouvernementales, ou la réticence des administrations locales à évaluer la viabilité des réserves halieutiques dans leur zone économique exclusive (ZEE) et à contrôler leur exploitation durable sont autant de facteurs qui contribuent à une surpêche considérable. Il en résulte que, dans certaines régions d’Afrique, la production régionale et les chaînes d’approvisionnement sont continuellement sur le déclin, lorsqu’elles ne s’effondrent pas.
On constate des tendances semblables dans certaines parties d’Amérique latine et d’Asie du sud et du sud-est. L’année dernière, les mesures de confinement imposées pour lutter contre la pandémie de Covid-19 ont contribué à aggraver cette situation, comme on peut le voir dans une étude réalisée avec des partenaires du Centre Leibniz pour la recherche marine tropicale (Allemagne). L’accès restreint aux marchés, la hausse des prix du pétrole et des intrants de transformation du poisson ont par ailleurs contribué à réduire les gains tirés de la production.
Les conséquences sociales des processus d’appauvrissement de la pêche artisanale et côtière, ainsi que du secteur local de transformation du poisson et des chaînes d’approvisionnement régionales, varient en fonction du genre, des tranches d’âge et de l’ethnicité. En raison d’un manque d’éducation formelle, les personnes touchées ont rarement la possibilité de trouver un autre emploi sur le marché du travail. Le secteur de la transformation du poisson, et de sa commercialisation, notamment, offre des opportunités de revenus aux femmes dans de nombreuses parties de l’Afrique de l’Ouest et de l’Asie. Ces femmes sont de plus en plus menacées par les processus d’appauvrissement du secteur. Par ailleurs, les impacts de la pandémie de Covid-19 ne font qu’exacerber ces tendances.
Pour compenser, les pêcheurs restent plus longtemps en mer, adaptent leurs méthodes de capture aux ressources disponibles, ou ont recours à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN). D’autres diversifient leurs stratégies pour assurer un revenu à leurs familles (y compris la migration saisonnière) ou abandonnent purement et simplement le secteur pour passer dans celui des services – qui, souvent, n’a pas grand-chose à offrir – et travailler comme chauffeurs de taxi, kiosquiers ou des métiers de ce type. Ainsi, les activités de pêche illicites, non déclarées et non réglementées, dont se rend également coupable la pêche artisanale, continuent de poser un problème majeur croissant, malgré les efforts internationaux pour les contenir.
Un énorme secteur commercial Saiko
Dans le contexte ouest-africain, parallèlement à la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, le transfert de poisson en mer (qu’on appelle commerce Saiko) pose un important problème. Ce type de commerce affaiblit encore plus les marchés du travail locaux et sape les efforts consacrés à la lutte contre la surpêche. Au cours des dix dernières années, le long de la côte centrale du Ghana et venant plus particulièrement du port de pêche d’Elmina, un commerce offshore prospère s’est développé, par exemple entre des équipages de chalutiers appartenant à des Chinois mais sous pavillon ghanéen et la population locale. Ce commerce est axé sur les prises accessoires commercialement non lucratives de petits et de jeunes poissons. Au lieu de rejeter à la mer ces prises accessoires, elles sont congelées et vendues à des pêcheurs artisanaux, la nuit.
Le poisson congelé est ensuite vendu à l’intérieur du pays, parfois loin de la côte, ce qui entraîne une chute des prix du poisson non congelé pêché de manière légale. Selon des estimations de la Fondation pour la justice environnementale, les prises accessoires ainsi débarquées s’élèvent à environ 80 000 tonnes par an, ce qui est plusieurs fois plus que les prises officielles de la flotte de pêche chinoise dans les eaux ghanéennes.
En même temps, la production aquacole progresse rapidement depuis des années. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), cette progression a été de 528 pour cent de 1990 à 2018. La farine de poisson, qui est fabriquée à partir de poisson frais, y compris de prises accessoires, est un intrant très utilisé par l’aquaculture. Elle joue également un rôle dans l’élevage de volailles et, au même titre que les habitudes de consommation, qui changent d’une région à l’autre, elle est en partie responsable de l’élargissement de l’éventail d’espèces pêchées.
Cependant, une étude sur le terrain (Hornidge 2018) portant sur les usines de production de la farine de poisson, par exemple en Mauritanie, explique rapidement l’impact limité des quotas de capture soigneusement négociés (concernant les volumes et les espèces) comme instruments d’orientation. Ce sont au contraire les organismes gouvernementaux de mise en œuvre et la volonté politique locale qui déterminent dans quelle mesure les poissons juvéniles, par exemple, sont protégés au moyen de contrôles et de sanctions, ou qui décident si des chalutiers industriels utilisent des tuyaux de plastique opaque pour pomper toutes sortes de poissons et de fruits de mer et alimenter directement les usines de farine de poisson (also see article "Aquaculture feeding – problematic, but not without alternatives").
However, a look at factories producing fishmeal e.g. in Mauritania (field research Hornidge 2018) quickly explains the limited impact of carefully negotiated catch quota relating to volume and species as a steering instrument. Rather, government implementation bodies and local political willingness determine to what extent juvenile fish, for example, are protected via checks and sanctions, or whether industrial trawlers are using opaque plastic pipes to pump all kinds of fish and seafood directly into the fishmeal factories (voir également l’article « Plus d’aquaculture pour nourrir le monde ? Pas aux dépens des communautés de pêcheurs africains »).
Détermination transrégionale des sphères juridiques
Il y a longtemps que l’humanité souhaite que les océans et leurs ressources soient reconnus comme un bien commun. À la suite de la Deuxième guerre mondiale, la communauté internationale a posé les bases de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM), adoptée en 1982, et du principe de « patrimoine commun de l’humanité » inscrit dans le droit international. Toutefois, au cours des négociations, qui avaient déjà commencé en 1967, ses partisans, Arvid Pardo, ambassadeur de Malte aux Nations unies, et Elisabeth Mann-Borgese, n’avaient réussi à inscrire ce principe que pour les fonds marins et leurs ressources minérales au-delà des frontières nationales « la Zone »).
À ce jour, ce principe n’a toujours pas été étendu aux ressources biologiques de la colonne d’eau. Au contraire, la gestion de la pêche dans les eaux côtières (jusqu’à douze milles marins au large des côtes) et dans la zone économique exclusive d’un État côtier (ZEE ; 200 milles marins, extensible à 350 milles marins au large de la côte) reste soumise à la législation nationale. En haute mer, au-delà de la ZEE, le principe de « liberté des mers » s’applique au transport maritime, à la pêche et à la recherche. Dans le domaine de la pêche, ses dispositions précises sont déterminées par les Organisations régionales de gestion de la pêche (ORGP) et mettent l’accent sur certaines zones de pêche régionales et certaines espèces de poissons migrateurs.
De fait, la mise en œuvre d’une gestion durable dépend des infrastructures maritimes, des capacités institutionnelles et de la détermination politique, dont les résultats sont reflétés par des négociations et des accords transrégionaux. Par exemple, dans l’ODD (« Vie aquatique »), l’agenda 2030 souligne la nécessité de lutter contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée et de créer des zones protégées. Parmi les importantes mesures prises en ce sens, citons le Fichier mondial des navires de pêche, des navires de transport frigorifique et des navires de ravitaillement (FAO – depuis 2014) ou l’Accord relatif aux mesures de l’État du port (PSMA) pour prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (Nations unies, depuis 2016).
La FAO estime malgré tout que les captures illégales continuent de représenter environ 20 pour cent de la pêche mondiale. La coopération entre l’Union européenne et l’Allemagne d’une part, et la Mauritanie d’autre part (voir encadré), est un exemple concret de l’urgence d’associer la politique de la pêche et les objectifs de la coopération au développement dans l’intérêt d’une politique structurelle durable et transformative.
L’accord de pêche entre l’Union européenne et la Mauritanie
Les réserves halieutiques de la zone de remontée au large de la côte mauritanienne constituent la richesse naturelle la plus importante de ce pays. L’accord de pêche entre l’Union européenne et la Mauritanie conclu en 2015 (valide jusqu’au 15 novembre 2021 sur la base de deux prorogations) est l’accord de pêche de l’UE financièrement le plus important. Son montant annuel s’élève à 61,625 millions d’euros. Sur ce total, 57,5 millions d’euros doivent être dépensés pour accéder aux eaux de la Mauritanie et contribuent à améliorer le budget public de ce pays de 4,2 millions d’habitants. Seuls les 4,125 millions d’euros restants sont explicitement réservés à des programmes de soutien de la pêche artisanale, par exemple sous la forme de renforcement des coopératives de pêche, du secteur de la transformation et des programmes de formation. Alors que les sommes dépensées depuis 2015 ont contribué à renforcer un système autocratique dans lequel l’esclavage existe encore (des ONG fixent à 2,4 pour cent la part de la population réduite à l’esclavage), le gouvernement formé en août 2019 sous la présidence de Mohamed Ould Ghazouani permet de faire preuve d’un optimisme mesuré quant au renforcement progressif de l’État de droit.
À quoi la coopération au développement doit-elle répondre ?
Les océans sont un bien commun qui agit comme un régulateur du climat mondial, un pôle de biodiversité et une source essentielle de protéines pour l’alimentation humaine. Ils fixent le carbone en grandes quantités et produisent environ la moitié de la quantité totale d’oxygène atmosphérique. Parallèlement, ils souffrent de plus en plus des eaux usées venant de la terre. L’eutrophisation et l’acidification vont de pair avec le réchauffement de la planète. La concurrence croissante que se livrent, d’une part, les flottes de pêche industrielle venant presque exclusivement de pays industrialisés et à revenu moyen et, d’autre part, la pêche côtière à petite échelle que pratiquent de nombreux pays en développement, entraîne une surexploitation accrue de réserves halieutiques déjà mises à mal par le réchauffement de la planète dans les zones tropicales et subtropicales.
L’effondrement des marchés du travail dans le secteur de la pêche côtière artisanale, dans celui de la transformation et dans les réseaux commerciaux régionaux qui étaient des sources traditionnelles d’emploi pour les hommes et les femmes dont les perspectives d’éducation formelle sont limités, a encouragé la pratique de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée, les actes de piraterie dus à la pauvreté et le commerce en dehors des routes maritimes légales. Leur illégalité contribue à éroder encore plus des capacités institutionnelles déjà indigentes, tout en encourageant la corruption et en exacerbant les inégalités.
Ce sont là autant de problèmes auxquels le développement durable est confronté. Ils continuent toutefois d’échapper aux domaines de responsabilité et d’intérêt de différents secteurs politiques, essentiellement l’environnement, l’alimentation et l’agriculture, l’industrie et le commerce, le développement, la sécurité et la défense, ainsi qu’aux différents niveaux de gouvernance, par exemple de l’Allemagne et de l’UE, jusqu’au niveau multilatéral de la FAO et des ORGP, ou aux responsabilités des zones côtières et de la haute mer.
La politique internationale de coopération et de développement devrait s’attaquer explicitement aux problèmes du secteur de la pêche. En raison de sa dépendance naturelle à des nappes d’eau transfrontalières, ce secteur économique est prédestiné à associer la protection de l’environnement avec la création d’emplois, l’atténuation de la pauvreté, le développement des capacités institutionnelles et de bonnes structures de gouvernance, ainsi qu’une coopération régionale ambitieuse.
Nous considérons que les actions concrètes et les domaines d’action suivants sont essentiels pour mieux positionner la pêche dans la coopération au développement et la coopération internationale afin de répondre aux problèmes actuels.
- Suppression des subventions accordées à la pêche industrielle. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la part de l’aide publique au développement (APD) accordée au développement durable de l’économie bleue de 2013 à 2018 est en moyenne de 2,9 milliards USD par an (1,6 pour cent de l’APD totale). Ce montant est à comparer aux 35,4 milliards USD de subventions accordées à l’échelle mondiale, en 2018, au secteur de la pêche avec, pour résultat prévisible, l’échec de la lutte contre la surpêche.
- Interdiction de toutes les activités de pêche en haute mer. À l’avenir, il faudrait limiter la pêche aux mers côtières, à l’intérieur des zones économiques exclusives. En plus de protéger les écosystèmes de la haute mer, cela améliorerait la situation de la pêche artisanale par rapport à la pêche industrielle dans l’exploitation des réserves halieutiques dans les pays en développement.
- Renforcement des institutions et des capacités de gestion de la pêche régionale. Il faudrait accorder un soutien ciblé aux programmes et accords collaboratifs de gestion durable de la pêche, en association avec des principes de bonne gouvernance et d’État de droit, par l’intermédiaire des Organisations régionales de gestion de la pêche.
- Soutien spécial accordé à la pêche artisanale et côtière dans les pays en développement et à revenu moyen ayant accès à des lieux de pêche traditionnellement riches, et conformément aux directives de la FAO sur la pêche artisanale.
- Développement ciblé des industries locales de transformation du poisson et du commerce (trans)régional, y compris au niveau des mesures de création d’emplois sensibles au genre, des normes sociales et environnementales, du renforcement des capacités et de la formation.
- Promotion de la coopération et de la coordination intersectorielles dans les secteurs de l’économie basés sur les océans. Garantir l’application des normes de durabilité (écologique, sociale, économique, culturelle) dans la poursuite du développement de « l’économie bleue » avec un soutien ciblé des approches intégrées (telles que la Stratégie maritime intégrée de l’Union africaine).
Anna-Katharina Hornidge est directrice de l’Institut allemand de développement (Deutsches Institut für Entwicklungspolitik – DIE) et elle enseigne le développement durable au plan mondial à l’université de Bonn.
Contact: anna-katharina.hornidge@die-gdi.de
Niels Keijzer est chercheur senior dans le programme de recherche du DIE sur la coopération transnationale et internationale.
Contact: niels.keijzer@die-gdi.de
Cet article a été initialement publié en allemand dans la publication en ligne « Welternährung » de l’organisation Welthungerhilfe.
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