Madame Njeri, marchande de fruits et légumes au Kenya. La riche diversité des ressources biologiques de l'Afrique de l'Est constitue une base solide pour une bioéconomie.
Photo: Valine Moraa

Pourquoi l’Afrique de l’Est a choisi d’élaborer une stratégie régionale de bioéconomie

En 2019, sept pays d'Afrique de l'Est ont décidé d’élaborer une stratégie de bioéconomie pour la région. L'objectif est d’exploiter les riches ressources biologiques du continent de manière durable tout en favorisant la diversification économique. Le potentiel d'innovation de cette stratégie est également apparu dans la réponse des scientifiques de Tanzanie et d'Ouganda à l'avènement de la pandémie à coronavirus 2019.

L'Afrique de l'Est est dotée de végétaux, d'animaux, d'insectes et de microorganismes (minuscules êtres vivants qui ne peuvent être vus à l'œil nu) de différentes sortes. Cette grande diversité de ressources biologiques constitue une base solide pour une bioéconomie. Dans la région, le terme « bioéconomie » désigne généralement l'utilisation qui est faite des connaissances scientifiques pour ajouter, de manière durable, une valeur sociale et économique aux ressources biologiques. Cette valeur ajoutée s'exprime par des aliments plus sains, des médicaments plus sûrs, des substances utiles provenant de déchets biologiques et d'autres processus respectueux de l'environnement dans la fabrication, la distribution et la consommation de biens et de services.

La région a choisi d'élaborer une stratégie de bioéconomie axée sur l'innovation, la première du genre en Afrique, qui permettra de déterminer les priorités, de créer des partenariats autour d'objectifs communs et d'orienter les investissements dans un large éventail de ressources biologiques.

La récente pandémie à coronavirus 2019 (COVID-19), qui s’est déclarée pour la première fois en Chine, en décembre 2019, et s'est propagée dans le monde entier, a encore plus souligné l'importance d’une bioéconomie résiliente. Dans le cadre de la réponse à la pandémie, une équipe de scientifiques de Tanzanie et d’Ouganda a commencé à produire des désinfectants à base d'alcool provenant de la fermentation de pelures de manioc et de tiges de sorgho doux, respectivement. Ces matières sont généralement jetées comme déchets.

Les désinfectants à base d'alcool ayant une concentration d'alcool supérieure à 60 % v/V (c'est-à-dire que plus de 60 % du liquide est de l'alcool) sont des désinfectants efficaces, qui tuent les micro-organismes (par exemple les virus, les bactéries et les champignons). Dans une bioéconomie active, les idées scientifiques concernant les ressources biologiques et la rapidité des scientifiques à répondre à des situations émergentes (telles que les épidémies) sont des atouts essentiels pour les pays.

Rechercher dès le début une solution à faibles émissions

Les pays du monde entier se tournent progressivement vers les ressources biologiques pour réduire les émissions de dioxyde de carbone et de méthane responsables du réchauffement climatique. Ces émissions proviennent de l'utilisation de combustibles fossiles comme le pétrole, pour alimenter les automobiles ou fabriquer des matières plastiques, etc., et le charbon, pour produire de l'électricité ou du ciment pour la construction de maisons.

Si les gens changeaient leur façon de produire et de consommer et adoptaient des alternatives biologiques, les émissions diminueraient et la planète échapperait aux effets climatiques potentiellement catastrophiques du réchauffement mondial. Des régions comme l'Afrique de l'Est, qui ont encore de faibles niveaux d'émissions de carbone, peuvent choisir un mode de croissance et de développement qui évite les pièges d'une économie basée sur les énergies fossiles. Cette solution est celle d’une bioéconomie !

Le développement d'une bioéconomie est-africaine est intéressant car la région possède de multiples ressources biologiques. Elle dispose également de chercheurs qui, lorsqu'ils reçoivent le soutien nécessaire, sont capables d'exploiter les connaissances acquises dans la région et ailleurs dans le monde pour ajouter de la valeur à ces ressources de manière productive et durable. La région a les bases nécessaires à sa croissance. Elle bénéficie d’une stabilité macroéconomique relative – les marchés sont libéralisés et les politiques fiscales sont efficaces. De nombreux investissements ont été réalisés dans la sécurité des personnes et des biens. Les infrastructures (réseaux routiers et électriques, par exemple) sont en cours de construction et de nombreuses entreprises étrangères investissent également dans la région.

Ensemble, ces facteurs ont permis au taux de croissance du PIB de la région de dépasser régulièrement les cinq pour cent au cours de la dernière décennie, comme le montrent les données du Fonds monétaire international et de la Banque africaine de développement.

À l’avenir, le défi pour la région est de porter ce taux de croissance à au moins sept pour cent par an, si elle veut réaliser son ambition d'atteindre le statut de région à revenu moyen supérieur (où le revenu national brut par habitant se situe entre 3 996 et 12 375 USD) dans les 30 prochaines années. Dans une large mesure, cet objectif peut être atteint en diversifiant les sources de croissance. Pourquoi une bioéconomie offre-t-elle plus de possibilités de diversification économique dans la région ?

Associer les exploitants agricoles aux nouvelles chaînes de valeur

En Afrique de l'Est, plus de 65 pour de la population dépend directement des ressources biologiques pour l'alimentation, le combustible, les médicaments et d'autres usages. Ces ressources biologiques sont utilisées sous leur forme brute et sont en grande partie éliminées sous forme de déchets biologiques. En ajoutant de la valeur, on peut trouver de nombreuses autres utilisations des ressources biologiques. Par exemple, les déchets biologiques peuvent être transformés en biofertilisants et en énergie, et des produits chimiques verts de grande valeur peuvent être récupérés à partir des déchets.

Ces nouvelles utilisations ouvrent de nouvelles perspectives commerciales et créent des emplois, ce qui permet de diversifier l'économie. Avec l'urbanisation croissante des pays et du continent dans son ensemble, les agriculteurs qui produisent ou sont les dépositaires de la plupart des ressources biologiques peuvent être liés à de nouvelles chaînes de valeur ayant besoin de leurs produits.

C'est à cet égard que sept pays d'Afrique de l'Est (Burundi, Éthiopie, Kenya, Rwanda, Soudan du Sud, Tanzanie et Ouganda) ont identifié un besoin et ont choisi d’élaborer une stratégie régionale de bioéconomie axée sur l'innovation. Le besoin d’une telle stratégie a reçu un nouvel élan à la suite d'un consensus obtenu lors du Sommet mondial de la bioéconomie 2018, qui a appelé les pays et les régions à élaborer des stratégies de bioéconomie répondant à leurs propres aspirations et priorités en matière de développement.

L'élaboration de la stratégie régionale de bioéconomie pour l'Afrique de l'Est a commencé en 2019 et a déjà motivé plusieurs pays, comme l'Éthiopie, l'Ouganda et la Tanzanie, à commencer à développer leur propre stratégie nationale de bioéconomie. La stratégie régionale permettra aux pays de mettre en commun leurs ressources pour répondre à des priorités régionales communes, tandis que les stratégies nationales répondront à des besoins très contextuels et serviront également de vecteur pour l'internalisation des actions convenues au niveau régional.

Les parties prenantes donnent leur avis sur ce que devrait être la stratégie régionale de bioéconomie pour l'Afrique de l'Est et sur les questions qu'elle devrait aborder. Mais il semble déjà que se dégage une tendance croissante selon laquelle la stratégie devrait être axée sur l'augmentation de la valeur économique et sociale des biens et services biologiques commercialisés au niveau régional, sur la conversion des déchets biologiques en matière utile (favorisant ainsi la production circulaire) et sur la connexion des chaînes de valeur biologiques nationales, régionales et mondiales. Il est également de plus en plus reconnu que si elle est correctement mise en œuvre, la stratégie augmentera la capacité de la région à participer pleinement à l'accord de libre-échange continental africain, qui a été signé le 21 mars 2018 à Kigali, au Rwanda, et à en tirer profit.

Stimulation du secteur informel et des partenariats productifs

La stimulation du secteur informel, qui englobe actuellement une grande partie des entreprises et représente plus de 50 pour cent des emplois non agricoles, devrait être un élément essentiel de la stratégie. La promotion de pôles bioéconomiques d'innovation et d'activités entrepreneuriales basés sur des ressources biologiques renouvelables, est un moyen d'y parvenir.

Une autre solution consisterait à aider les universités et les organismes de recherche de la région à collaborer de manière co-créative avec l'industrie et le gouvernement pour mettre sur le marché des idées et des inventions basées sur la biologie. Cela est possible. Des initiatives régionales telles que BioInnovate Africa ont déjà montré que les scientifiques des universités, des instituts de recherche et des entreprises de la région peuvent collaborer pour ajouter une valeur économique et sociale aux ressources biologiques.

Ces types de partenariats productifs peuvent être élargis grâce au soutien des gouvernements et des partenaires de développement de la région. Les scientifiques de Tanzanie et d'Ouganda, qui ont utilisé leurs connaissances des ressources biologiques pour produire des désinfectants pour les mains en réponse à la COVID-19, ne sont qu'un exemple de la grande latitude dont dispose l'Afrique de l'Est pour innover en utilisant les ressources biologiques et contribuer à une économie durable dans la région.

Julius Ecuru, Ph.D., est directeur de BioInnovate Africa, réseau régional est-africain axé sur la science et l’innovation,  basé au Centre international de physiologie et d’écologie des insectes (icipe) à Nairobi, Kenya.
Contact: jecuru@icipe.org