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Manquements de la réponse à l'épidémie d'Ébola
Deux ans après l'annonce de la première victime de la récente épidémie d'Ébola en Afrique de l'Ouest, les rapports sur l'évolution de la maladie mortelle ont cessé. En septembre 2015, l'OMS a déclaré que le virus Ébola avait été éradiqué au Libéria, puis en Sierra Leone en novembre. Les trois pays les plus touchés par l'épidémie (Guinée, Libéria et Sierra Leone) semblent être en voie de rétablissement. Est-il donc nécessaire de continuer à en parler ?
Selon Joanne Liu, présidente de l'organisation Médecins sans frontières (MSF), c'est absolument indispensable. Dans une interview accordée à la BBC en octobre 2015, Mme Liu a insisté sur le fait que certains facteurs responsables de l'échec des interventions de lutte contre Ébola existaient toujours, notamment des systèmes de santé défaillants, l'incompréhension de la maladie par les communautés et les règles sanitaires internationales [...] « dont nous ne respectons toujours pas les critères minimum ».
Commençons par un petit rappel sur la crise du virus Ébola (voir également le schéma). Le 26 décembre 2013, un petit garçon a été contaminé par le virus Ébola en Guinée. Il est mort deux jours plus tard. La maladie n'a pas été détectée tout de suite, car le virus Ébola était jusque-là inconnu dans ce pays. Le 30 mars 2014, la présence d'Ébola a été confirmée au Libéria. Fin mars 2014, MSF a déclaré que la propagation de l'épidémie était « sans précédent ». Le 26 mai, le gouvernement de la Sierra Leone a officiellement déclaré une épidémie d'Ébola. Vers la fin du mois de juin, Médecins sans frontières a une nouvelle fois tiré la sonnette d'alarme en déclarant qu'Ébola était « hors de contrôle » et en insistant sur le fait que l'organisation ne pouvait plus, à elle seule, gérer la situation en raison du nombre de nouveaux cas et de leur dispersion géographique.
Cette déclaration n'a entraîné aucune réaction. Ce n'est qu'au mois d'août 2014, lorsque les premiers cas d'Ébola ont été diagnostiqués aux États-Unis et en Europe, que la communauté internationale s'est réveillée. Mi-août, l'OMS a fait d'Ébola une « urgence de santé publique de portée internationale ». Mais il a fallu attendre encore plusieurs semaines avant que les acteurs internationaux se décident enfin à mettre en place des mesures à grande échelle. Le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine a lancé son initiative ASEOWA, le Secrétaire général des Nations unies a créé, en collaboration avec l'OMS, la mission de santé publique UNMEER, et de nombreux gouvernements ainsi que l'Union européenne se sont engagés à apporter un soutien financier, matériel, humain et politique. Plusieurs fondations philanthropiques ont également offert leur contribution. À ce moment-là, le nombre de cas avait déjà atteint des proportions dramatiques, avec plus de 6 300 morts rien que pour les quatre derniers mois de 2014, un chiffre qui avait grimpé jusqu'à plus de 11 300 à la fin (initiale) « officielle » de l'épidémie.
Mauvaises notes pour les systèmes de santé
Ces derniers mois, de nombreuses études se sont penchées sur les lacunes de la réponse mondiale à l'épidémie d'Ébola. Dans leur document de travail « La réponse à Ébola en Afrique de l'Ouest : présentation de la politique et de la culture de l'aide internationale » (The Ébola response in West Africa: exposing the politics and culture of international aid), Marc DuBois, Caitlin Wake et leurs collègues du groupe Humanitarian Policy Group (HPG) de l'Institut du développement d'outre-mer (Overseas Development Institute – ODI, Royaume-Uni) tentent d'analyser les défaillances systémiques sous-jacentes. Dans le cadre de cette analyse, ils ont étudié l'état, avant la crise, des systèmes de santé dans les trois pays concernés et constaté que le nombre de travailleurs de santé était insuffisant, que ces derniers étaient mal formés, que le niveau d'accès aux établissements de santé était particulièrement faible et que les financements étaient insuffisants.
En Sierra Leone et au Libéria, cette situation était également due aux longues années de guerre civile. Les mesures de prévention et de contrôle des infections étaient en outre très insuffisantes et la population manquait totalement de confiance dans le système de santé. Les trois pays concernés par l'épidémie d'Ébola font partie des pays qui dépensent le moins pour la santé ; aucun d'eux n'approche de près ou de loin la norme minimale recommandée par l'OMS, qui est d'un travailleur de santé pour 439 habitants. Le manque de lits, de personnel, d'équipements de protection, de désinfectant, de fournitures médicales de base et d'infrastructures auquel les rares hôpitaux étaient confrontés est devenu encore plus criant pendant l'épidémie d'Ébola. De nombreux patients ne pouvaient pas être suffisamment traités et étaient renvoyés chez eux par des hôpitaux et des centres de soins aux capacités insuffisantes. En outre, les laboratoires ne parvenaient pas à répondre aux demandes de dépistage, ce qui entraînait des retards de diagnostic et un risque accru de transmission. Le manque d'équipements a eu des conséquences dramatiques, et pas uniquement pour les patients. Selon les chiffres de l'OMS, à compter de mai 2015, 881 médecins et infirmières ont contracté le virus Ébola dans les trois pays : 512 d'entre eux sont morts.
Une autre lacune révélée par la publication du HGI concerne la classification de l'épidémie d'Ébola en crise de santé sans tenir compte de la crise humanitaire que l'épidémie a déclenchée. En concentrant le travail des services de santé sur Ébola, le traitement d'autres maladies importantes comme le paludisme ou le VIH/SIDA ainsi que les programmes de vaccination ou de prise en charge des femmes enceintes et des jeunes mères ont été négligés. En outre, la prédominance des communications verticales, particulièrement dans les premiers stades de l'intervention, a eu un impact négatif. « De nombreuses communications destinées à lutter contre Ébola ont eu l'effet inverse. Certains messages étaient inexacts, tandis que d'autres donnaient naissance à des perceptions erronées », écrivent les auteurs, expliquant que les mauvaises nouvelles ont conduit de nombreux patients à hésiter à se rendre dans les centres de soins préférant s'appuyer sur leurs familles ou sur les guérisseurs traditionnels. Ces aspects sont décrits plus en détail dans la contribution sur la Sierra Leone. (BITTE VERLINKEN MIT BEITRAG La crise Ébola et ses conséquences sur la Sierra Leone rurale).
Dans un récent article publié dans The Lancet, Suerie Moon et son équipe du Panel indépendant de Harvard sur la réponse internationale au virus Ébola (Independent Panel on the Global Response to Ebola) décrivent les réformes qui doivent être lancées pour réparer le fragile système mondial de prévention et de réponse aux épidémies et, surtout, éviter de futures catastrophes. Pour cela, ils ont soigneusement étudié les différentes phases de l'épidémie d'Ébola et de la réponse apportée. Dans leur analyse, ils arrivent à la conclusion que « des réformes majeures sont indispensables et faisables ». Dans ce contexte, ils critiquent également sévèrement la réponse de l'OMS à la crise, comme le reflète leurs 10 recommandations (voir l'encadré).
Recommandations pour la prévention et la réponse aux grandes épidémies
- Tous les pays doivent disposer d'un minimum de capacités de base leur permettant de détecter, signaler et répondre rapidement aux épidémies. La communauté mondiale doit se mettre d'accord sur une stratégie claire pour obliger les gouvernements à investir dans le renforcement de ces capacités et pour mobiliser une aide externe adéquate afin de soutenir les efforts des pays les plus pauvres. Ce plan doit être appuyé par un système central et transparent de suivi et de contrôle des résultats obtenus par ces flux de ressources.
- L'OMS doit promouvoir le signalement précoce des épidémies en félicitant les pays qui partagent rapidement et publiquement des informations et en publiant une liste des pays qui tardent à signaler les problèmes. Les financeurs doivent créer des incitations économiques au signalement précoce en s'engageant à verser rapidement des fonds d'urgence pour aider les pays touchés par des épidémies et pour compenser les pertes économiques qui peuvent en résulter.
- Un centre dédié aux interventions en cas d'épidémie, doté de capacités techniques solides, d'un budget protégé et de lignes de responsabilité clairement définies, doit être mis en place à l'OMS et géré par un comité distinct.
- L'OMS doit déléguer à un comité d'urgence permanent, transparent et politiquement protégé, la responsabilité de déclarer les urgences de santé publique.
- Une commission indépendante de l'ONU sur la responsabilisation doit être créée pour mener des évaluations globales sur les réponses apportées aux grandes épidémies à travers le monde.
- Les gouvernements, le monde de la recherche scientifique, l'industrie et les organisations non-gouvernementales doivent commencer à élaborer un cadre normatif et réglementaire qui sera utilisé pendant et entre les épidémies pour favoriser et accélérer la recherche, superviser les travaux de recherche et garantir l'accès aux bénéfices de la recherche.
- Les financeurs des travaux de recherche doivent créer un dispositif de financement pour la recherche et le développement de médicaments, de vaccins, de diagnostics et de fournitures non pharmaceutiques (équipements de protection personnelle, etc.) destinés aux épidémies lorsque les incitations commerciales n'ont pas leur place.
- La création d'un Comité mondial de la santé est recommandée au sein du Conseil de sécurité de l'ONU pour motiver le leadership de haut niveau et renforcer systématiquement l'attention politique portée aux problèmes de santé, en reconnaissant la santé comme une composante essentielle de la sécurité humaine.
- Des réformes décisives et rapides de la gouvernance seront nécessaires pour rétablir la confiance dans l'OMS après les défaillances enregistrées pendant l'épidémie d'Ébola. En ce qui concerne la réponse aux épidémies, l'OMS doit mettre l'accent sur quatre fonctions essentielles : appuyer le renforcement des capacités nationales par le biais de conseils techniques ; évaluer et répondre rapidement et suffisamment tôt aux épidémies (notamment en publiant des déclarations d'urgence potentielle) ; élaborer des normes techniques, des normes opérationnelles et des conseils ; et mobiliser la communauté mondiale afin qu'elle définisse des objectifs, mobilise des ressources et négocie des règles. En dehors des épidémies, l'OMS doit conserver sa définition élargie de la santé mais réduire de manière substantielle ses nombreuses activités onéreuses pour se recentrer sur ses fonctions de base (qui devront être définies par le biais d'un processus lancé par le Conseil exécutif de l'OMS).
- Le Conseil exécutif doit prescrire des réformes de la bonne gouvernance, notamment l'élaboration d'une politique sur la liberté d'information, un bureau de l'inspecteur général et une réforme de la gestion des ressources humaines, qui seront mis en œuvre d'ici à juillet 2017 par une personne désignée pour s'occuper provisoirement des réformes administratives. En échange de réformes réussies, les gouvernements devront financer la plus grande partie du budget avec des fonds libres dans le cadre d'un nouvel accord en faveur d'une OMS recentrée. Enfin, les États membres doivent insister sur la nomination d'un directeur général ayant la volonté et la capacité de s'opposer, si nécessaire, aux gouvernements les plus puissants lorsque la protection de la santé publique en dépend.
Source : Moon et al., 2015 : Will Ébola change the game? Ten essential reforms before the next pandemic (Ébola changera-t-il la donne ? Dix réformes indispensables avant la prochaine pandémie). Résumé, version abrégée.
Cet article est accessible à l'adresse : www.thelancet.com
Des raisons d'être optimiste ?
Nous disposons donc à la fois d'analyses des défaillances et de recommandations d'action. Comme cela a été récemment démontré lors du 8e sommet mondial de la santé de Berlin en Allemagne en octobre 2016, le renforcement des systèmes de santé africains joue un rôle crucial dans ce contexte. Tout le monde n'est toutefois pas convaincu que les choses seront si faciles. Par exemple, en faisant référence aux plus de 500 travailleurs de santé qui sont morts en soignant des patients souffrant d'Ébola en Afrique de l'Ouest, la présidente de MSF, Mme Liu, prévient qu'« il va falloir des années pour remplacer ces ressources humaines. Nous savons combien de temps il faut pour former un médecin ou une infirmière, cela ne se fera pas du jour au lendemain. Nous aimerions pouvoir dire que les systèmes vont être renforcés mais, sans médecins ou infirmières, sans personnel pour gérer les hôpitaux et les cliniques, il est impossible de consolider le système de santé. »
Bon nombre des quelques 15 000 survivants d'Ébola au Libéria, en Sierra Leone et en Guinée continuent à être stigmatisés parce qu'ils sont considérés comme contagieux. En outre, ils souffrent fréquemment de graves problèmes de santé désignés sous le terme de syndrome post-Ébola. Ces problèmes vont de douleurs aux articulations au syndrome de stress post-traumatique, en passant par des maux de tête, des problèmes de vue, des inflammations aux yeux, des problèmes d'audition, des vertiges, des insomnies et des dépressions.
En octobre 2015, un article publié dans le New England Journal of Medicine a montré que les hommes qui ont survécu à Ébola continuent à être porteurs d'éléments du virus dans leur liquide séminal pendant au moins trois mois. Les chercheurs ont examiné des échantillons de sperme provenant de 93 survivants du virus Ébola en Sierra Leone. Pour tous les hommes qui étaient encore malades moins de trois mois avant le test, le matériel génétique des virus Ébola était présent dans tous les échantillons. Dans le groupe des hommes ayant été malades entre quatre et six mois auparavant, la présence d'éléments a été détectée chez un peu moins de deux tiers des hommes et, pour ceux qui avaient été malades sept à neuf mois auparavant, chez un peu plus d'un quart d'entre eux. Les auteurs écrivent que la détection du matériel génétique d'Ébola n'implique pas obligatoirement que les virus infectieux sont encore présents, même si ce n'est pas exclu. « Ces résultats arrivent au bon moment pour nous rappeler que, même si le nombre de cas d'Ébola diminue régulièrement, les survivants et leurs familles continuent à lutter contre les impacts de la maladie », explique Bruce Aylward, représentant spécial de l'OMS pour la riposte à Ébola. Il n'a pas encore été possible de déterminer si des femmes ont été infectées par du liquide séminal porteur des virus ; il n'a pas non plus été possible de savoir avec certitude si les femmes qui ont survécu à une infection par le virus Ébola peuvent s'attendre à des impacts lorsqu'elles seront enceintes et si cela peut entraîner des malformations pour le fœtus.
En septembre 2015, l'OMS a officiellement déclaré l'éradication du virus Ébola au Libéria. Deux mois plus tard, le pays signalait trois cas confirmés d'Ébola chez un garçon de 15 ans, son frère de huit ans et son père. L'adolescent de 15 ans est mort le 23 novembre.
Silvia Richter
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