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Les groupes d’entraide mutuelle vont de l’avant
Kamu Kamu (Un par Un) est le nom que s’est donné le groupe de petits exploitants agricoles auquel Henry Kiwanuka et sa fille Joyce Kiziito appartiennent. Le père et la fille, ainsi que 38 autres exploitants agricoles de trois villages de la paroisse de Kasaala, se réunissent toutes les semaines pour se donner mutuellement des conseils, économiser de l’argent, s’en prêter entre eux, et s’entraider en cas d’urgence. L’organisation Caritas Kasanaensis, dans le diocèse de Luweero (à 60 kilomètres au nord de Kampala, la capitale de l’Ouganda), a constitué ce groupe ainsi que plus de 500 autres du même type. Au lieu d’attendre une aide matérielle de l’extérieur, les membres agissent de manière à améliorer leurs conditions de vie et, pour cela, ils reçoivent de Caritas une assistance technique pour tout ce qui concerne les questions financières et agricoles.
Une vache, les uns après les autres
La famille d’Henry Kiwanuka a de quoi manger, même si elle vit dans des conditions relativement précaires. Le maïs est mûr et il va falloir le récolter, c’est-à-dire éplucher et décortiquer à la main les épis produits sur une superficie de 1,5 hectare. Dans un autre champ, l’agriculteur de 64 ans a extrait les arachides du sol quelques jours plus tôt et les a mises à sécher au soleil. Il cultive également du café, des bananes, du manioc, des courges et des aubergines. Ce qui n’est pas consommé est vendu.
Henry Kiwanuka construit un abri neuf pour ses deux truies et leurs porcelets. 25 poulets grattent le sol dans la basse-cour; 20 têtes de bétail sont mises à l’engrais dans une prairie éloignée pour être vendues au marché, et quelques chèvres fournissent la viande nécessaire à l’alimentation de la famille. Tous les matins, l’agriculteur mène sa future vache à lait au champ dans la plantation. Quand Caritas la lui a fournit gratuitement, ce n’était encore qu’une génisse. Il devra, en retour, donner son veau à une autre famille. Avec le temps, de plus en plus de familles rurales seront ainsi en mesure de produire leur propre lait.
Henry Kiwanuka cultive un total de 15 hectares qu’il a hérités de son père. Le partage des biens est une pratique courante en Ouganda, ce qui veut dire que même si les terres continuent d’appartenir à l’ensemble de la famille, elles sont, en pratique, continuellement subdivisées (partage de facto). Ainsi, Kiwanuka a déjà donné 1,5 hectare à son fils Andrew, qui enseigne dans l’école élémentaire locale et cultive «sa» terre le week-end, en complément de ses activités d’enseignant. Il prévoit de continuer à le faire, même si, comme de nombreux autres jeunes, il va s’installer en ville après avoir poussé ses études plus loin. Par conséquent, malgré la migration entre milieu rural et milieu urbain, les terres ne sont pas laissées à gérer par les exploitants agricoles restés au village.
Des idées nouvelles pour diversifier les revenus
Il y a quatre ans, Henry et les membres de sa famille vivaient dans une petite cabane en pisé au toit de chaume. Il a depuis construit une maison solide avec un toit en tôle, un salon et deux chambres, pour lui, sa femme Magdalena et sept petits enfants (leurs douze enfants survivants sont aujourd’hui adultes). La maison comporte même une buanderie. Un générateur tourne pendant quatre heures tous les soirs pour fournir le courant nécessaire pour charger un téléphone portable et pour faire fonctionner la dernière acquisition de la famille, un téléviseur. 80 pour cent de la population ougandaise vit encore dans des villages dispersés. L’électricité n’est disponible que dans des cas exceptionnels, le long des principales lignes électriques. Néanmoins, un réseau fonctionnel de téléphonie mobile couvre tout le pays et grâce aux prix très abordables des téléphones portables et aux faibles tarifs pratiqués, même la population rurale a accès à l’information.
Comme Henry possède le seul téléviseur sur des kilomètres à la ronde, les voisins se réunissent chez lui pour regarder la télévision. Ceux qui viennent de plus loin paient une petite contribution. Henry a acheté ce téléviseur grâce à un microcrédit offert par le groupe d’entraide Kamu Kamu. Sa fille Joyce a acheté un panneau solaire avec lequel elle charge les téléphones portables des voisins en plein milieu de la brousse et loin du magasin le plus proche, contre une petite somme. Les familles des deux exploitants agricoles disposent ainsi de deux autres sources de revenu.
L’union fait la force
Avec l’aide du diocèse de Luweero et de l’organisation Caritas Kasanaensis, les petits exploitants agricoles se sont regroupés en 2001. Ils ont appris à fonctionner en groupe et ont élu un président (Henry Kiwanuka) ainsi qu’un comité exécutif, avec un secrétaire, un comptable et des responsables de la mutualisation de l’information. Chaque groupe compte de 30 à 40 membres et il faut onze groupes pour constituer une association régionale. Chaque groupe comprend un nombre égal d’hommes et de femmes, avec une bonne représentation des générations, et chrétiens et musulmans travaillent ensemble. Au moment de pourvoir les postes du comité exécutif tous les deux ans, on veille à s’assurer qu’ils sont bien répartis et que tous les villages sont représentés.
Toutes les semaines, les exploitants agricoles se réunissent pendant environ trois heures chez un des membres du groupe, à l’ombre des arbres. Ils discutent de problèmes techniques liés à l’agriculture et se donnent mutuellement des conseils. Certains d’entre eux cultivent la banane, la patate douce ou le café dans des champs de démonstration pour montrer à leur collègues comment améliorer la production ou résoudre les problèmes. Ils sont aidés par Denis Kabiito, un jeune consultant de Caritas Kasanaensis qui a fait de solides études. Il est très compétent en matière d’agriculture et de production d’herbicides et de fongicides organiques, et a également une excellente connaissance des marchés et des prix.
Gestion collective des économies et des microcrédits
Les dépôts et paiements hebdomadaires sont un point important des réunions: chaque membre vient chaque semaine avec de 1 000 à 5 000 shillings ougandais (UGX; 1 EUR vaut plus ou moins 3 700 UGX). La somme est inscrite dans un livret de banque. Tout l’argent recueilli et les livrets de banque sont gardés dans une grande boîte pourvue de multiples verrous. Les trois clés et la boîte sont gardées en des lieux séparés. La rigueur des règles et du suivi, ainsi que la transparence des décisions, donne un sentiment de sécurité et renforce la confiance.
Les sommes déposées ne produisent pas d’intérêt. Toutefois, elles servent de base à des microcrédits valant trois fois leur montant. Tout membre peut demander un microcrédit qui doit être remboursé avec un intérêt de 10 pour cent dans un délai de trois mois. L’argent emprunté peut servir à améliorer la production agricole, à couvrir les frais de scolarité ou les dépenses du ménage. Ce taux d’intérêt est considérablement inférieur à ceux qui sont pratiqués par les banques (environ 20 %). Mais ce qui compte surtout, c’est que les banques sont éloignées dans les villes et que certains exploitants agricoles cultivant des terres ne sont pas considérés comme propriétaires et ne disposent par conséquent d’aucune garantie pour un prêt bancaire. Souvent, par le passé, le seul moyen de s’en sortir était d’accepter un crédit des négociants. Comme avec les banques de crédit coopératif et les banques Raiffeisen créées en Allemagne, les agriculteurs ougandais ont maintenant, eux aussi, accès à l’entraide et au soutien mutuel.
À la fin d’une année donnée, la somme versée par chaque membre lui est remboursée, les intérêts lui sont payés proportionnellement, et le cycle recommence. Kamu Kamu, par exemple, a ainsi réussi à mettre 3,58 millions d’UGX (un peu moins de 1 000 Euros) de côté pendant la première moitié de 2011, montant dont plus des trois quarts ont été utilisés pour des prêts. Mais le groupe ne se considère pas seulement comme une banque d’épargne communautaire; il a également créé un fonds social abondé petit à petit chaque semaine. Une petite somme est accordée par ce fonds en cas d’urgence. Ce n’est pas beaucoup mais cela aide lorsque les temps sont durs et permet aux gens dans le besoin d’acheter des produits de première nécessité tels que de la farine de maïs ou du lait.
Les agriculteurs vendent généralement ce dont ils n’ont pas besoin pour subsister à des commerçants. Une partie des produits est vendue dans un magasin tenu par un membre du groupe dans le but d’améliorer la commercialisation collective et la commercialisation en général à moyen terme. La certification de produits commercialisables tels que le café, le maïs et l’ananas en tant que produits bio et du commerce équitable est un autre objectif poursuivi.
Développement intégré des villages
Avec la constitution de ces groupes, Caritas Kasanaensis Luweero a ouvert un chapitre du développement rural axé sur l’avenir. Il existe 537 groupes de la sorte comprenant chacun de 35 à 45 membres dans la zone d’action de Caritas Kasanaensis. Ils s’intéressent aux questions de participation et de codétermination, de développement professionnel, de mise en place de réseaux entre les villages, d’égalité et d’appréciation des rôles des femmes et des hommes, de participation des jeunes comme des vieux. La protection de l’environnement, les soins de santé et la qualité de l’eau sont autant d’autres sujets d’intérêt. Selon le père Hilary Muheezangango, directeur de Caritas Kasanaensis, depuis la fin de la guerre en 1986, le gouvernement n’a mené, dans le meilleur des cas, que des actions sporadiques et a trop peu fait pour soutenir ou structurer de tels groupes. Il préconise un renforcement des réseaux et une interaction constructive des structures gouvernementales, religieuses et privées.
Ainsi, l’Église, qui est spécialement bien implantée dans les zones rurales de l’Ouganda, souhaite collaborer avec les consultants agricoles des agences gouvernementales et coopère avec des organisations privées telles que la Fondation Hanns Neumann en Allemagne. Cette dernière collabore avec d’importantes entreprises de torréfaction, finance des projets durables dans le secteur de la caféiculture et apporte une aide technologique et commerciale aux petits exploitants agricoles: l’Uganda Natural Coffee Farmers Alliance, une association de petits exploitants agricoles qui cherchent à améliorer la productivité dans le domaine de la caféiculture, qui coopèrent entre eux et génèrent de la valeur ajoutée en transformant le café et en réduisant le nombre d’intermédiaires, a son siège dans la ville de Mityana. Les intermédiaires continuent d’occuper une position dominante presque partout ailleurs dans le monde des affaires et de déterminer les prix à leur guise, une réalité quotidienne à laquelle est confronté Henry Kiwanuka lui aussi. Souvent les agriculteurs doivent vendre prématurément leurs récoltes à bas prix car ils ont besoin d’argent pour payer les frais de scolarité de leurs enfants. La coopération les aide à surmonter cette situation en garantissant la transparence du marché et en les aidant à traverser les périodes difficiles.
Un engagement bipartite
Le régime du président Yoweri Museveni, en place depuis maintenant 25 ans, a instauré une ère de stabilité et de paix dans le pays mais, selon le père Hilary, le gouvernement doit planifier pour son propre peuple et, en pratique, il y a des tas de choses qui ne marchent pas. Il n’y a toujours pas de routes rurales, la qualité des écoles publiques laisse à désirer et le système public de soins de santé ne dispose pas d’assez de médicaments abordables. Le taux d’inflation élevé (près de 13 % en 2010) et la corruption pèsent lourdement sur la population, par exemple en ce qui concerne les dépenses quotidiennes ou l’octroi de titres de propriété foncière. L’«accaparement des terres» est un problème à prendre au sérieux. Les titres de propriété foncière sont fréquemment attribués «sous le manteau», à l’insu des propriétaires et des agriculteurs qui cultivent les terres. Ces derniers doivent être mieux informés des lois en vigueur et être aidés pour l’acquisition de terres – sans avoir à verser de pots-de-vin.
Pour le père Hilary Muheezangango, l’union de la population locale constitue le meilleur moyen de renforcer et consolider le pouvoir de marché des petits exploitants agricoles et de s’exprimer d’une même voix sur le plan politique. Par ailleurs, la professionnalisation des agriculteurs et la commercialisation de leurs produits sont inévitables. Ils doivent plus se spécialiser, se limiter à quelques produits clés et mettre l’accent sur l’amélioration de ces derniers et sur leur «commerciabilité». Un petit jardin privé suffit pour assurer les moyens de subsistance, fait remarquer le père Muheezangango.
Les groupes de la paroisse de Kasaala prouvent qu’une telle union porte ses fruits – grâce à la solidarité et l’échange d’expérience, à l’éducation et au soutien technique, au transfert des responsabilités et aux structures démocratiques. Et grâce au temps.
Luise Richard
Journaliste indépendante
Drensteinfurt, Allemagne
info@redaktionsbuero-richard.de
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