Dans le domaine de l’agroécologie, les approches holistiques nécessitent l’intégration des connaissances et de l’expérience des agriculteurs.
Photo : Jan Börner

Il faut plus de recherche interdisciplinaire et transdisciplinaire dans le domaine de l’agroécologie

L’agroécologie englobe différentes disciplines allant de l’agriculture et de l’agroécologie à la théorie politique. Une plus forte reconnaissance de l’agroécologie dans la recherche agricole, qui met souvent fortement l’accent sur la production, pourrait contribuer à atteindre les objectifs de développement durable à condition d’adopter des approches de recherche plus holistiques et transdisciplinaires.

Selon les projections des Nations unies, la population mondiale actuelle, qui se situe aux environs de 7,6 milliards de personnes, devrait approcher des dix milliards d’ici à 2050. La dernière évaluation de la dégradation des sols effectuée par la Plateforme intergouvernementale pour la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) prévoit, d’ici là, une réduction des rendements agricoles mondiaux pouvant aller jusqu’à 50 pour cent dans différentes régions d’Amérique centrale et du Sud, en Afrique sub-saharienne et en Asie, cette réduction étant essentiellement due à la dégradation des sols et au changement climatique. L’agroécologie va jouer un rôle essentiel dans la résolution du problème consistant à nourrir la population mondiale en tenant compte du besoin d’écosystèmes fonctionnels sains comme condition préalable à des moyens d’existence durables. C’est ce que reflète la pertinence croissante des questions agroécologiques dans les initiatives politiques actuelles telles que l’IPBES et les ODD (objectifs de développement durable). Bon nombre d’ODD ne peuvent être atteints que si l’alimentation humaine et animale est assurée de manière durable face à une population mondiale croissante. Il faut pour cela que la recherche élargisse les concepts souvent étroits des systèmes agricoles. Elle exige un point de vue plus global des systèmes socio-écologiques, l’interconnexion de leurs composantes et la pertinence de la contribution de la nature à la population pour un développement durable.  

Dans ce contexte, la recherche agroécologique offre un cadre permettant d’évaluer des concepts et des stratégies, par exemple le lien eau-énergie-aliment, la durabilité des bioéconomies nationales et internationales et le potentiel des pratiques agricoles alternatives (l’agriculture biologique, par exemple) pour nourrir la population croissante de la planète. De plus, le terrain aide à déterminer les voies de développement favorables en analysant et identifiant les compromis entre production alimentaire et conservation de la biodiversité, entre moyens d’existence locaux et intérêts des consommateurs mondiaux et entre gains économiques à court terme et gestion des risques naturels à long terme. Les évaluations de la pollinisation et de la dégradation des sols donnent des exemples de la nécessité de ces capacités de recherche. En particulier, dans les pays en développement, les changements sociaux, économiques et écologiques exigent que la recherche tienne compte de problèmes selon différents angles scientifiques et culturels. Par conséquent, la collaboration entre diverses disciplines et divers acteurs est primordiale pour réunir des connaissances, approches et méthodes multiformes d’agroécologie pour i) des estimations fiables des changements développementaux, ii) des estimations réalistes de l’adoptabilité des innovations basées sur la recherche, et iii) des recommandations d’ordre pratique pour le développement rural.

Comprendre les systèmes agroécologiques

Malgré les progrès récents, les déficits de recherche persistent et nous empêchent de bien comprendre les systèmes et fonctions agroécologiques. La complexité et la diversité des systèmes agroécologiques ainsi que les incertitudes quant à la détermination des avantages du fonctionnement des écosystèmes et des services écosystémiques pour le développement humain, sont des problèmes majeurs à résoudre par la recherche agroécologique. Par exemple, pour les petits exploitants d’Afrique, la pertinence de nombreuses interventions agroécologiques n’est pas très bien comprise. L’applicabilité des stratégies de gestion écologique pour le contrôle des espèces invasives, des maladies et des nuisibles tels que le légionnaire d’automne, ou l’irrigation complémentaire nécessaire pour s’adapter au changement des conditions climatiques (périodes de sécheresse et changements de durée et de date de la saison des pluies, par exemple) ne sont que deux exemples de thèmes de recherche auxquels il est urgent de s’attaquer. De plus, une vive discussion a actuellement lieu quant aux avantages globaux de durabilité que présentent différents systèmes de production agricole (biologique, faible approvisionnement en intrants externes, mixte ou intercalaire, de conservation ou conventionnelle). On a un besoin urgent de meilleures méthodes d’évaluation de la productivité globale des exploitations, d’intégration des effets externes et d’évaluation des services écosystémiques non commerciaux dans l’agriculture. Diverses approches inter- et transdisciplinaires sont nécessaires pour comprendre les compromis entre productivité agricole et conservation de la biodiversité dans les systèmes agroécologiques gérés de manière extensive et intensive et pour qu’il en soit tenu compte dans les décisions concernant l’utilisation des terres. Elles peuvent être appliquées dans les processus d’identification des programmes de recherche, d’élaboration d’application des résultats des recherches et de mise en œuvre des stratégies. Ces approches permettent de comprendre de manière plus globale les fonctions et les processus des systèmes et elles peuvent contribuer à l’élaboration de voies de mise en œuvre de solutions durables. Le concept « Une seule santé », par exemple, tient compte du bien-être environnemental, animal et humain pour s’attaquer aux questions complexes de santé dans les agro-écosystèmes. Le contrôle des zoonoses (maladies pouvant se transmettre entre les animaux et les êtres humains) ou l’atténuation des mycotoxines (substances toxiques produites par des champignons qui colonisent les cultures) grâce à des interventions agroécologiques sont des exemples des avantages potentiels des approches inter- et transdisciplinaires « Une seule santé ».

L’intégration des connaissances traditionnelles est un élément clé

En agroécologie, les approches holistiques nécessitent l’intégration des connaissances et de l’expérience des agriculteurs. Ces connaissances sont souvent le reflet de la longue expérience des communautés rurales. L’intégration de ces connaissances dans le processus de recherche appuie les efforts scientifiques en donnant un aperçu élargi et localement ancré de l’agroécologie. Du point de vue de la recherche et de la pratique agroécologiques, la participation des communautés rurales au processus de recherche aide tous les acteurs à définir leur rôle dans le processus de collaboration visant à trouver des solutions pratiques. Elle renforce la confiance entre les chercheurs, les responsables des orientations politiques et les praticiens. Les agriculteurs sont considérés comme des partenaires de recherche et non pas simplement comme des sources d’information, des objets de recherche ou des adopteurs de technologies. Leurs connaissances peuvent servir à identifier les problèmes propres aux systèmes agroécologiques et s’y attaquer, de sorte que les résultats soient pertinents et exploitables. Ils orientent également les futures recherches en définissant les programmes de recherche appropriés et en offrant des retours d’information primordiaux sur les solutions scientifiques.

Recherche de mise en œuvre pour accompagner l’application pratique

Des connaissances agroécologiques considérables basées sur la recherche ont déjà été générées. Il s’agit notamment d’innovations telles que des bonnes pratiques de gestion des sols ou l’internalisation de la valeur économique des services de pollinisation. Mais dans la plupart des cas, ces innovations ne deviennent pratiques agricoles que très lentement, voire pas du tout. Cela tient à ce que les innovations basées sur la recherche et les interventions correspondantes ne tiennent souvent pas compte des connaissances et des pratiques traditionnelles des agriculteurs. De ce fait, l’adoption d’innovations agricoles peut prendre plusieurs années (par ex. nouvelles variétés, moyens de transport), voire des décennies (par ex. installations d’irrigation). La recherche de mise en œuvre est transdisciplinaire par nature et peut être utilisée pour assurer l’adoption de résultats de recherche pertinents. Elle vise à comprendre les obstacles et à élaborer des solutions de mise en pratique des résultats de la recherche et elle doit se faire en collaboration avec les parties prenantes qui utiliseront les innovations. Compte tenu de l’importance des femmes et des tendances démographiques dans de nombreuses zones rurales des régions en développement, la recherche de mise en œuvre doit être sensible au genre et doit tenir compte des jeunes ruraux. Elle doit faire appel à des chercheurs de divers domaines d’activité (agronomes, spécialistes en sciences sociales, économistes, psychologues, chercheurs en éducation, anthropologues sociaux et experts en communication, entre autres). En plus des chercheurs, les parties prenantes à inclure sont les agriculteurs, les vulgarisateurs agricoles, les autorités locales et nationales, les entreprises agricoles et commerciales, les banques, les grossistes, les détaillants et les consommateurs. Les pratiques de recherche de mise en œuvre ont de vastes domaines d’application en agroécologie. Par exemple, ces pratiques sont indispensables pour assurer un lien entre les phases de découverte et de validation du concept, d’une part, et les phases de projets pilotes et d’application à grande échelle, d’autre part, dans le cadre de « la continuité de la recherche pour le développement » du système du CGIAR.

Coopération nord-sud

Les problèmes agroécologiques sont complexes et nécessitent l’engagement de toutes les parties prenantes à définir des questions de recherche appropriées aux contextes socio-économiques et écologiques locaux. L’identification de ceux qui définissent et hiérarchisent les questions de recherche agroécologique est très importante pour la coopération Nord-Sud et pour atteindre les objectifs de développement. La recherche axée sur la demande garantit l’engagement de tous les partenaires et met les collaborateurs sur un pied d’égalité. Des compétences interculturelles sont nécessaires pour faciliter l’identification des problèmes communs et la détermination des priorités de manière à pouvoir préparer des programmes réalistes de recherche appliquée. Concrètement, cela nécessite un financement approprié et des délais plus longs de manière à pouvoir effectuer des visites exploratoires sur le terrain et réunir les parties prenantes afin de définir des questions de recherche appropriées et les adapter aux priorités des agriculteurs. Par ailleurs, les résultats des recherches doivent être partagés ailleurs que dans des publications scientifiques de manière à être accessibles aux responsables des orientations politiques et aux praticiens. À la fin du projet de recherche, un délai supplémentaire, des fonds et l’engagement continu de tous les partenaires sont nécessaires pour faciliter la mise en œuvre des résultats de la recherche selon des processus de politique scientifique, de pratique scientifique et de pratique politique.

Lisa Biber-Freudenberger et Manfred Denich sont chercheurs au Centre de recherche pour le développement (ZEF), et Cory Whitney est chercheur à l’INRES – sciences horticoles. Les deux instituts appartiennent à l’université de Bonn, Allemagne.*
Contact : m.denich@uni-bonn.de

* avec la contribution de Tina Beuchelt, Hannah Jaenicke, Girma Kelboro, Christine B. Schmitt et Jan Henning Sommer

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