Les spéculateurs sont actifs sur les marchés à terme, pas sur les marchés au comptant où se négocient les produits de base.
Photo: J. Boethling

Une simple question d’offre et de demande

Pendant plus d’un siècle, l’agriculture mondiale a produit de plus en plus de denrées alimentaires pour de plus en plus d’êtres humains à des prix toujours plus bas. Le début du nouveau millénaire est témoin d’une formidable inversion de tendance des marchés agricoles internationaux. Depuis 2000, les prix des produits agricoles de base ont tendance à augmenter et, comme par le passé, avec d’importantes fluctuations. Pourquoi une ère nouvelle a-t-elle commencé pour l’alimentation et l’agriculture mondiales et quelles sont les raisons de la forte volatilité des prix des produits agricoles de base?

Les prix des produits agricoles de base seront plus élevés demain qu’ils l’étaient hier. La raison en est simple: la croissance de la demande agricole dépasse largement l’augmentation de l’offre. La demande agricole va au moins doubler dans la première moitié du 21e siècle en raison de l’accroissement rapide et continu de la population et des revenus dans les pays en développement et les nouveaux pays industrialisés. On peut faire face à l’augmentation rapide de la demande de denrées alimentaires en accroissant les superficies cultivées ou en produisant plus sur les terres actuellement cultivées. Mais l’accroissement des superficies n’est pas vraiment une solution dans la mesure où on dispose de peu de terres permettant une production agricole. De plus, l’eau freine de plus en plus la croissance de la productivité. Selon certaines estimations, environ 90 pour cent de l’augmentation de la production doivent passer par une amélioration de la productivité.

Comment combler le déficit des importations?

À une certaine époque, les pays pauvres étaient des exportateurs nets de produits alimentaires vers les pays riches. Aujourd’hui ils sont des importateurs nets de ces mêmes produits. La FAO s’attend à ce que le déficit des importations de produits alimentaires soit multiplié par cinq entre 2000 et 2030. Ce déficit ne peut être comblé que si les pays riches et les pays nouvellement industrialisés produisent et exportent plus de produits alimentaires. L’Union européenne aurait beaucoup à gagner si elle cessait d’être le plus gros importateur net du monde. En 2008, elle a utilisé environ 35 millions d’hectares hors de son territoire pour répondre à sa demande de produits d’alimentation humaine et animale, de fibres et de biocarburant. Cette superficie correspond plus ou moins à celle de l’Allemagne.
 
Une telle amélioration de la productivité n’est toutefois pas simple. Depuis l’époque de la Révolution verte des années 1960 et 1970, la croissance de la productivité au niveau mondial est passée d’environ quatre à un pour cent.  Dans l’Union européenne, elle est actuellement de 0,6 pour cent par an. Cela tient notamment aux insuffisances de la recherche agricole,  plus particulièrement de la recherche axée sur l’amélioration de la productivité.

À qui la faute?

L’augmentation de la production de biocarburant est souvent citée comme une des principales causes de l’augmentation des prix des produits de base (voir également l’article Croissance de la demande de biocarburants et prix internationaux des produits alimentaires. Son importance relative est toutefois surestimée. Depuis le début du millénaire, la superficie consacrée à la production de biocarburant a atteint deux pour cent. Cela donne à penser qu’elle n’a contribué qu’à hauteur d’environ sept pour cent à l’augmentation globale des prix des produits de base.

Certains estiment souvent que ce sont les spéculateurs qui ont fait grimper les prix des produits agricoles de base. Toutefois cet argument ne tient pas. Les spéculateurs veulent faire de l’argent et ils ne le peuvent que s’ils prévoient correctement les prix futurs. Sinon, ils perdent de l’argent et disparaissent vite du marché. Il faut également tenir compte du fait que les spéculateurs sont actifs sur les marchés à terme, pas sur les marchés au comptant où se négocient les produits de base (voir également l’article De la perticence de la spéculation. Par ailleurs, il est important de garder à l’esprit que les marchés à terme servent également à protéger les acteurs du marché du risque de fluctuation des prix. Ils ne peuvent assurer cette fonction que si des spéculateurs sont prêts à courir certains risques.

On peut admettre que c’est exact lorsqu’il s’agit de tendances à long terme des marchés internationaux de produits agricoles de base, mais malgré tout se demander si les spéculateurs sont une cause majeure de la volatilité des prix à court terme. Pour répondre à cette question, il est utile d’examiner les fluctuations de prix du passé. Les séries chronologiques concernant les produits agricoles de base mettent en évidence des fluctuations de prix mensuelles limitées avec des pointes occasionnelles en 1973–1974, 1996 ou 2007–2008, mais sans fortes baisses. Cette asymétrie des fluctuations de prix dans le temps s’explique par l’importante capacité de stockage qui, au niveau mondial, et grâce à l’accroissement des stocks, permet d’absorber tout surplus de production pendant une période donnée. Il en va de même pour les périodes de faible production qui entraînent une baisse des stocks mais ont peu d’impact sur les prix. Toutefois, lorsque l’épuisement des stocks correspond à une faible production, les prix augmentent rapidement et les spéculateurs amplifient alors cette hausse des prix.

C’est exactement ce qui s’est produit lors de l’envolée des prix de 2007–2008. Pendant sept des huit précédentes années, la production mondiale avait été supérieure à la consommation et les stocks mondiaux étaient bas (alors qu’assurément, la production ayant été supérieure à la consommation, ils auraient dû être élevés!). Là-dessus, la Russie, l’Europe du sud-est et l’Australie ont connu de mauvaises récoltes (de blé, notamment). De plus, les restrictions à l’exportation imposées par les principaux exportateurs ont réduit encore plus l’approvisionnement mondial, ce qui, ajouté à l’action des spéculateurs, a aggravé la flambée des prix.

Les études donnent une autre image de la situation

Une analyse des facteurs ayant influencé l’envolée des prix de 2007–2008 (voir tableau) devait démontrer si cette explication répandue était la bonne. Il s’est avéré que la situation n’avait pas été celle qu’on croyait être et que les spéculateurs n’avaient pas joué un rôle majeur dans la flambée des prix de 2007–2008. Ce sont les variations de l’offre et de la demande qui ont fait grimper les prix. Un exemple est donné pour le blé. Le tableau indique la contribution de chaque variable à l’envolée des prix, les autres variables restant inchangées, et inclut l’effet combiné de toutes les variables. Il est à noter que la somme des effets de chaque variable ne correspond pas à l’effet combiné de toutes les variables car il existe un lien multiplicatif entre ces dernières.


Pendant la période examinée, le prix du blé a augmenté de 99,28 dollars US la tonne, soit une augmentation de 77,8 pour cent. L’effet combiné de toutes les variables de l’analyse donne 78,4 pour cent. Cela correspond presque exactement à l’augmentation de prix observée pendant la période de l’analyse.

Principaux facteurs: prix de l’énergie et taux de fret

Ce qui est étonnant, c’est que les deux variables les plus importantes, et de loin, pour expliquer l’envolée des prix sont le prix de l’énergie et les taux de fret. Le prix de l’énergie est un important déterminant du coût de production. De lui dépendent des variables telles que le prix des engrais et les taux de fret. Les taux de fret, quant à eux, déterminent le coût du transport et varient en fonction du prix de l’énergie.

Les restrictions à l’exportation et la dévaluation du dollar US ont également considérablement contribué à l’envolée des prix. Aucune autre variable n’a un impact majeur – à une exception près, le volume de production. Contrairement aux idées reçues, dans certaines grandes régions de production, les mauvaises récoltes n’ont eu aucune incidence sur la hausse des prix. En effet, les mauvaises récoltes constatées dans certaines parties du monde ont été très largement compensées par l’accroissement de la production, au point que l’augmentation mondiale de la production de blé pendant notre période d’analyse a, de fait, limité l’augmentation de prix.

Notre analyse donne à penser qu’il n’y a aucune raison de penser que la spéculation a contribué à la flambée des prix de 2007–2008. De fait, sur la base des données mensuelles, les variables traditionnelles de détermination de l’offre et de la demande, notamment le prix de l’énergie et les taux de fret, peuvent entièrement expliquer la hausse des prix. Nous avons démontré par ailleurs que des constats similaires ont été faits pour le maïs et le soja.

En résumé, non seulement le prix de l’énergie est devenu le déterminant le plus important de l’augmentation à long terme des prix internationaux des produits agricoles de base, mais il a également contribué,  bien plus que toute autre variable, à l’envolée des prix de 2007–2008, ce qui donne à penser qu’il en est de même pour la présente hausse des prix commencée en 2010.

Dr Harald von Witzke
Professeur, Commerce agricole international et développement
Université Humboldt de Berlin
Berlin, Allemagne

hvwitzke@agrar.hu-berlin.de

 

 

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