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Un facteur important mais non pas une panacée
L’année 2012 a été déclarée « Année internationale des coopératives » par les Nations unies, qui reconnaissent ainsi l’importance économique et sociale des coopératives dans le monde entier : « Les coopératives rappellent à la communauté internationale qu’il est possible d’atteindre à la fois la viabilité économique et la responsabilité sociale » (Ban Ki-moon).
L’idée de la coopérative à vocation entrepreneuriale, telle qu’elle a été définie par Friedrich Wilhelm Raiffeisen et Hermann Schulze-Delitzsch (voir l’article Les coopératives, clé magique dans la lutte contra la pauvreté ?), a une longue tradition et est restée moderne jusqu’à nos jours. Son succès est visible dans de nombreux pays. Dans le monde entier, les structures coopératives sont des piliers importants de l’économie, que ce soit dans le secteur financier, dans le secteur des petites et moyennes entreprises ou dans l’agriculture, et ce aussi bien dans les pays émergents que dans les pays en développement.
Les zones rurales trop longtemps négligées
En raison de la situation critique de l’alimentation et des revenus dans de nombreux pays, l’importance d’une agriculture performante et du milieu rural est de nouveau au cœur de la discussion et des considérations politiques. Les causes de la crise alimentaire sont nombreuses : changements climatiques, manque de capitaux, absence de savoir-faire, infrastructures déficientes, transformations erratiques du marché et des structures au niveau national et international et absence d’accès au marché pour la grande masse des paysans. Il est consternant que la grande majorité des personnes souffrant de la faim vivent en milieu rural. Le secteur agricole a été trop longtemps négligé par les gouvernements des pays concernés de même que par les organisations internationales ; dans bien des pays, aucune politique agricole ou politique en faveur du milieu rural n’a été poursuivie par le gouvernement.
Il importe que les gouvernements des pays concernés de même que la communauté internationale réagissent. Leur objectif doit être de produire davantage de denrées alimentaires, d’acheminer celles-ci jusqu’au consommateur et d’accroître les revenus des producteurs afin que ceux-ci puissent servir de base au développement rural en général.
Importance de l’économie rurale
La mondialisation a donné lieu à de profonds changements des relations économiques et des marchés, et ce jusqu’au niveau local. Il faut dépasser l’intégration unilatérale des économies nationales en développement, et en particulier celle du secteur agricole dans l’économie, en renforçant les marchés. C’est là le seul moyen de garantir la création de valeur ajoutée dans le secteur agricole, et en même temps, l’accroissement des revenus dans les zones rurales.
Ce processus doit s’appuyer sur une approche multisectorielle et tenir compte des relations systémiques et des liens possibles en amont et en aval ; il ne doit donc pas se limiter à l’agriculture, mais doit englober la petite industrie et le secteur des services en milieu rural : le développement agricole et le développement hors agriculture doivent se compléter mutuellement et donner lieu à la création de circuits économiques et chaînes de résultats viables.
Il faut donc que l’agriculture exploite mieux son potentiel. En s’intégrant dans les marchés, le secteur agricole peut contribuer de façon considérable au développement local, à condition que la valeur ajoutée créée dans le secteur agricole soit effectivement restituée aux régions rurales ou génère ici une augmentation des recettes qui permettra de tirer profit du progrès technique et économique grâce à des investissements, à l’extension des capacités, etc.
Le développement et la structure sociale dans les zones rurales et dans les régions urbaines sont étroitement liés et ne peuvent pas être considérés séparément l’un de l’autre ; cela signifie aussi que les relations économiques entre les zones rurales et urbaines doivent être conçues de façon à ce que les opportunités de développement qu’elles génèrent réciproquement ne soient pas exploitées économiquement et politiquement par la partie la plus forte au détriment de l’autre partie. La création de circuits économiques locaux et régionaux et d’institutions favorisant l’intégration au marché en milieu rural permet non seulement de réduire le transfert interrégional de la valeur créée en milieu rural et de régionaliser en même temps les impulsions de développement positives suscitées par une valeur ajoutée accrue, mais encore de profiter au niveau local des valeurs qui ont été générées au niveau local.
L’intégration à l’économie domestique n’est pas possible sans la création de marchés locaux et régionaux, la facilitation de l’accès à ces derniers et l’existence d’institutions assurant le lien avec le marché, telles que les coopératives. Ce n’est qu’alors que les producteurs agricoles peuvent devenir les promoteurs et, en même temps, les bénéficiaires du développement. Le développement économique d’un pays et de ses zones rurales dépend de différents facteurs pour lesquels les gouvernements, en particulier, assument une coresponsabilité.
Ce que l’État doit faire
L’objectif principal de tout gouvernement doit être de créer et de garantir des conditions de vie aussi bonnes que possible à toutes les couches de population et de veiller en particulier à l’approvisionnement de la population en denrées alimentaires de qualité.
L’État exerce une influence déterminante sur l’évolution du développement par le biais des décisions qu’il prend en matière de processus politiques et réglementaires. L’État peut, par sa politique économique, et en particulier par sa politique agricole en tant que politique sectorielle spécifique et par la promotion régionale, créer des conditions favorables au développement de l’économie rurale :
- le cadre politique réglementaire (économie sociale de marché) ;
- la garantie des droits de propriété et/ou d’usage ;
- la politique agricole ;
- l’amélioration de la dotation en ressources, de la formation et du savoir-faire technique ;
- l’amélioration de l’infrastructure économique et sociale ;
- le renforcement du milieu rural en promouvant des transformations structurelles dans l’agriculture et en créant de nouvelles opportunités d’emploi ;
- l’accès au financement pour des exploitations agricoles de taille variable et/ou pour l’agro-industrie ;
- l’exploitation des avantages comparatifs dans le commerce extérieur des produits agricoles de base et des produits transformés.
Il en résulte la nécessité de créer un secteur financier décentralisé et performant dont l’accès n’est pas obstrué par des obstacles de quelque nature que ce soit.
Dans de nombreux pays, la rentabilité de l’agriculture est faible, ce qui, associé à des risques plus élevés, tels que le climat, la volatilité des prix, etc., ainsi que l’absence fréquente de garanties et l’éloignement des institutions financières, fait que les petites et moyennes exploitations agricoles présentant un potentiel de croissance ont précisément des problèmes d’accès à un financement extérieur. C’est là que l’État peut, en plus de créer des assurances agricoles et des institutions de garantie, renforcer le système de financement rural par des mesures de refinancement et poursuivre en même temps une politique structurelle active dans le secteur agricole.
Dans de nombreux pays, les institutions de financement de type coopératif jouent un rôle important à cet égard. L’État doit veiller en même temps au développement des marchés réels qui offrent des débouchés aux produits agricoles et aux prestations en amont, et s’assurer que des obstacles n’en bloquent pas l’accès.
Quel rôle les coopératives peuvent-elles jouer ?
La coopération entre exploitations agricoles à différents niveaux de la chaîne de création de valeur et de fournitures revêt une très grande importance, en particulier pour les exploitations de petite et moyenne taille. Ce constat s’applique également à la coopération dans le cadre de l’agriculture sous contrat, celle-ci permettant de générer une valeur ajoutée supplémentaire tout en garantissant en même temps la qualité. Il importe de renforcer les formes de coopération qui facilitent l’intégration des producteurs au marché. Les coopératives opérant dans les zones rurales des pays en développement peuvent-elles jouer un rôle actif à cet égard ? On peut certainement répondre à cette question par l’affirmative dès lors que certaines conditions préalables sont respectées.
Les coopératives sont souvent jugées de façon très contradictoire : leur rôle en tant qu’instrument peut soit être totalement surestimé soit être entièrement dénié. S’il ne fait aucun doute qu’il y a eu des échecs, en particulier dans le cadre de la coopération au développement, ceux-ci ne s’expliquent pas cependant par le type d’organisation caractérisant des coopératives. Dans la coopération au développement de même qu’au sein des organisations internationales, on a souvent considéré que le seul fait de créer une coopérative suffisait pour résoudre tous les problèmes économiques et sociaux, et notamment ceux des petits paysans. Les coopératives ont été instrumentalisées par les gouvernements de même que par les organisations internationales et, avant tout, elles ont souvent été mises sur pied avec des moyens externes. C’était une erreur de tenter de transposer un type d’organisation qui, en Europe par exemple, a mis des décennies pour s’organiser et se développer en négligeant le fait que les coopératives sont des entreprises et en ne tenant pas compte des réalités particulières du pays concerné. Les aspects liés à la gestion d’entreprise, la nécessité d’intégrer les différentes coopératives dans des réseaux et systèmes interreliés, l’importance d’un audit externe, etc. sont autant de questions qui ont souvent été négligées, en particulier dans les projets de promotion. L’image de marque des « coopératives » a également souffert des mauvaises expériences faites dans les pays à régime communiste.
Le principe de la « taille unique » ne s’applique pas non plus aux coopératives : chaque pays est autre, les cultures, le contexte économique et les problèmes y étant différents. La capacité d’adaptation organisationnelle de l’idée coopérative a fait ses preuves dans les systèmes ayant démontré leur efficacité en Europe, en Amérique du Nord, au Brésil, en Inde, en Corée du Sud, au Japon et aussi dans de nombreux pays en développement. Il existe des éléments de base qui doivent être réunis partout et dans tous les cas : les coopératives sont les entreprises de leurs membres et sont financées et contrôlées par ces derniers. Leurs principes de base sont l’entraide, la responsabilité propre des membres et l’auto-administration. Ce processus peut être accompagné de l’extérieur mais doit être axé sur les besoins des membres. Cette mission de promotion économique est l’élément central de la coopérative : ce qui compte, c’est d’optimaliser la valeur au profit des membres. Dans les coopératives liées à l’agriculture, tout membre qui cherche l’accès au marché de façon indépendante est entrepreneur, peu importe qu’il s’agisse d’une exploitation de petite, moyenne ou grande taille.
Dans le cas des coopératives, le résultat de l’activité entrepreneuriale est centré sur les besoins et aspirations économiques des membres. L’individu et l’entreprise individuelle occupent une position relativement faible sur le marché. Aussi doivent-ils coopérer afin d’avoir accès à des prestations et services, de réaliser des économies d’échelle et d’accroître leur part dans la création de valeur. L’établissement de liens avec le marché ou le renforcement de leur rôle de contrepoids sur le marché sont des fonctions décisives des coopératives. La fonction d’intégration des coopératives dans l’économie intérieure se manifeste par le fait qu’elles établissent des liens avec les marchés éloignés. En particulier, la création de centrales coopératives régionales et nationales qui regroupent diverses coopératives individuelles, contribue à accélérer l’intégration des différentes coopératives, et donc de leurs membres, dans l’économie nationale.
Faiblesses
Un point faible commun à de nombreuses coopératives est constitué par les problèmes de gouvernance, c’est-à-dire l’abus partiel de pouvoir au sein des coopératives, en particulier par des membres mieux formés et plus influents, de même que par l’absence chez de nombreux membres des connaissances nécessaires à l’autocontrôle. Il est possible de remédier à cette situation par un système conséquent de formation, de contrôle et de surveillance externe de même que par l’adhésion à des systèmes intégrés. Le développement de l’entreprise coopérative n’est pas possible si les membres ne font pas confiance à leur propre entreprise.
Un problème souvent observé est le manque de fidélité des membres, voire même des coopératives elles-mêmes lorsqu’elles doivent honorer les obligations de fourniture convenues par contrat ; en n’utilisant pas les chaînes de création de valeur, les coopératives passent à côté d’opportunités de long terme. Il arrive en outre souvent que des coopératives individuelles et des groupements coopératifs se désintègrent. D’autres fournisseurs, tels que les agriculteurs sous contrat, deviennent alors plus attrayants, en particulier pour les grands acheteurs étrangers, et ce à juste raison. Du fait de l’extension croissante des supermarchés dans de nombreux pays émergents, les débouchés pour chaque producteur individuel se modifient également. Les chaînes de supermarchés en tant que grands clients ont d’autres exigences que les petits commerçants ; les coopératives liées à l’agriculture ne peuvent ici conquérir des marchés que si elles s’adaptent à ces conditions modifiées. Bien qu’il augmente la productivité et puisse ainsi servir de base à un développement accéléré du secteur agricole, le développement technologique n’influe pas à lui seul sur le positionnement des producteurs sur le marché. Cela signifie qu’il importe d’abord et avant tout de chercher à ouvrir et à garantir l’accès au marché pour les producteurs. Toutes les possibilités existant à cet égard doivent être mises à profit.
Si les propositions discutées dans le contexte de la crise alimentaire et de la croissance de la population mondiale donnent à juste titre la priorité à un accroissement de la production agricole notamment en intensifiant la recherche agronomique, en accroissant les rendement grâce à de nouvelles méthodes de production, en augmentant la taille des unités de production, etc., elles négligent souvent le manque de connexion au marché et la faible position de la masse des petits paysans sur le marché. Ce qui importe c’est de travailler à partir des structures existantes et d’adapter ces dernières progressivement, ce qui veut dire qu’il n’en va pas de la taille des exploitations, que celles-ci soient grandes, moyennes ou petites, mais bien de l’efficience, de l’accès au marché, du positionnement sur le marché et en fin de compte également de l’importance de la coopération et des relations étroites tissées entre le secteur productif et le secteur financier.
Facteurs de réussite
Le succès des coopératives à caractère entrepreneurial et orientées vers leurs membres est, indépendamment de leur taille et de la composition de leurs membres, lié à certaines conditions :
- En tant qu’entreprise de leurs membres, les coopératives ont besoin d’un cadre juridique sûr et conforme à leur mission, sans que l’État puisse intervenir dans leurs opérations.
- Chaque coopérative doit être performante et attrayante. Il faut à cet effet que chaque coopérative individuelle ait une orientation économique systématique, possède une organisation interne adéquate de même que des cadres et des collaborateurs bien formés.
- Chaque coopérative doit régulièrement se soumettre à un audit, permettant de vérifier sa situation économique et sa gestion. Cela est important pour que la coopérative puisse durablement s’assurer la confiance de ses membres et du public.
- Les coopératives doivent faire partie de réseaux mis en place à titre subsidiaire, car c’est seulement ainsi qu’elles peuvent profiter des prestations et services d’entreprises centrales et d’associations spécialisées et réaliser des économies d’échelle et des économies de gamme supplémentaires.
À l’instar de ce qui se passe dès aujourd’hui dans de nombreux pays et aussi dans des économies émergentes, les coopératives non seulement peuvent promouvoir leurs membres en les intégrant davantage dans les chaînes de création de valeur, mais aussi peuvent renforcer l’ensemble de l’économie rurale grâce aux liens créés en amont et en aval, et donc en même temps aussi l’ensemble du milieu rural. Dans ce contexte, la coopération dans le cadre de l’agriculture sous contrat offre des possibilités de même que la création de réseaux de portée régionale. L’Année internationale des coopératives proclamée par les Nations unies offre la chance de discuter de ces aspects et de les mettre en œuvre avec succès.
Auteur: Dr Paul Armbruster
Director, International Relations
Division of Deutscher Genossenschafts- und Raiffeisenverband (DGRV)
Bonn, Germany
armbruster@dgrv.de
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