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Négocier des règlements équitables
Les protocoles communautaires sont avant tout des outils d’autonomisation juridique. Ils visent à assurer une place à la table des négociations à ceux qui, en temps normal, n’ont pas leur mot à dire concernant des décisions susceptibles d’avoir une incidence sur leur vie, les territoires sur lesquels ils vivent et les ressources dont ils dépendent. Les protocoles communautaires ont été appliqués pour la première fois dans le cadre de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique (CDB) afin de conclure des accords renforcés de partage des avantages entre les communautés et des entités commerciales et de recherche. Mais il est possible de les développer pour un large éventail de questions et d’intérêts. Par exemple, en Inde, une communauté pastorale a rédigé un protocole pour demander que soient reconnues leurs connaissances traditionnelles en matière d’élevage de buffles et de chameaux, alors qu’en Afrique du Sud, des guérisseurs traditionnels de différentes origines ethniques se sont réunis pour demander à avoir accès à certaines plantes, accès qui leur avait été refusé par une zone protégée. Les protocoles communautaires jouent également un rôle croissant en matière d’extraction de ressources naturelles et de planification des infrastructures, par exemple au Zimbabwe, où une communauté utilise ce processus pour s’attaquer aux impacts sociaux et environnementaux des exploitations minières.
En quoi les protocoles communautaires sont-ils utiles ?
Les nombreux exemples d’entreprises et de gouvernements collaborant avec des communautés, notamment dans le contexte des industries extractives, sont émaillés de litiges. D’une manière générale, un fort déséquilibre des rapports de force fait obstacle à une collaboration significative entre les communautés et les parties externes. Les protocoles peuvent contribuer à donner aux communautés un accès à des informations relatives au projet et à garantir qu’il y aura, en interne, une position sur la base de laquelle les négociations pourront avoir lieu. Par ailleurs, les communautés définissent souvent leur structure de gouvernance et les règles coutumières, mais également des procédures qui réglementent le fonctionnement interne ainsi que les interactions entre elles et les parties externes dans les protocoles. Ces informations peuvent contribuer à empêcher d’éventuels litiges. Au Zimbabwe, par exemple, une communauté a fait appel au processus de protocole communautaire pour collaborer avec trois compagnies minières, à la suite de quoi elle a désigné certaines zones interdites, comme les cimetières où sont enterrés ses chefs. Dans d’autres cas, le simple fait de savoir qui représente légitimement la communauté est un atout certain.
L’élaboration de protocoles communautaires peut également contribuer à mieux informer les communautés de leurs droits, ces dernières étant alors mieux à même de comprendre et d’utiliser la législation plus efficacement. « L’accès à la justice » est un des objectifs de développement durable (ODD) adoptés par les Nations unies, mais dans ce domaine, les communautés locales sont confrontées à différents obstacles, et notamment à la difficulté d’accès aux mécanismes de recours, à la corruption, à la complexité des systèmes procéduraux et à des législations défavorables aux droits communautaires. L’autonomisation juridique des communautés est par conséquent importante car elle leur permet de comprendre et d’exprimer leurs droits à l’intérieur de cadres juridiques nationaux et internationaux.
Le processus de protocole communautaire crée également une plateforme de réflexion et d’action collective au sein de la communauté. Il offre à ses membres un espace leur permettant de discuter conjointement des nouveaux problèmes auxquels ils sont confrontés et d’adopter une position interne de collaboration avec les parties externes. Grâce à des procédures appropriées, cela permettra l’inclusion de groupes marginalisés dans la communauté tout en créant un espace d’autonomisation et d’auto-mobilisation. Au Zimbabwe, par exemple, les consultations communautaires ayant fait partie intégrante du processus de protocole ont contribué à la création de deux syndicats – la Mining Communities Coalition (coalition des communautés minières) et le Zimbabwe Diamond and Allied Workers Union (syndicat zimbabwéien des travailleurs des mines de diamant et des travailleurs assimilés).
Extraction du sel en Argentine
Le désert de sel isolé couvrant en partie le nord de l’Argentine, le sud de la Bolivie et le nord-est du Chili est appelé « triangle du lithium » et il contient de 60 à 80 pour cent des réserves de lithium du monde. La « communauté » qui a élaboré le protocole comprend en fait 33 petites communautés comptant, en tout, environ 6 500 habitants. Ces communautés parlent la même langue, ont la même origine ethnique et les mêmes moyens de subsistance basés sur l’extraction traditionnelle du sel, le tissage, ainsi que l’agriculture et l’élevage à petite échelle. Chacune d’elles a un représentant élu mais la plupart des décisions sont prises collectivement par la «communauté ». Le concept de protocole communautaire a été inculqué à la communauté par l’ONG Fundación Ambiente y Recursos Naturales (FARN) qui collabore avec elle depuis de nombreuses années. À cette époque, les communautés revendiquaient le droit de donner leur consentement libre, préalable et éclairé (CLPE) dans le contexte de l’extraction du lithium qui devait commencer dans leur territoire et risquait de menacer l’extraction traditionnelle du sel.
Le processus a débuté en mars 2014. En décembre 2015, les communautés ont finalisé et rendu public leur protocole baptisé « Kachi Yupi » (traces dans le sel). Ce document décrit l’identité, l’histoire et les droits des communautés et il définit le processus CLPE devant être respecté par tout projet concernant leur territoire. Ce qui a donné plus de force au protocole, c’est qu’il a été officiellement reconnu par le médiateur national d’Argentine qui a adopté une résolution exigeant que le processus CLPE soit reconnu et respecté. Le protocole a déjà servi de plateforme pour des processus de consultation supplémentaire, notamment avec le ministère du Tourisme, relativement au rallye Dakar qui, depuis peu, traverse le territoire.
Un mégaport au Kenya
Le comté de Lamu, qui occupe une île sur la côte nord du Kenya, a été choisi comme site de création d’un mégaport dans le cadre d’un projet d’infrastructure multisectoriel de 23 milliards de dollars US, le Lamu Port South Sudan Ethiopia Transport Corridor (LAPPSET). Tous les groupes concernés par le port ont participé à l’élaboration du protocole. Cela a notamment été le cas de diverses communautés qui diffèrent non seulement en raison de leurs identités ethniques, mais aussi de leurs moyens de subsistance (pêche, pastoralisme, dépendance à la forêt, commerce et agriculture). Sans compter qu’elles n’ont pas le même avis en ce qui concerne le projet de port, certaines se montrant favorables aux opportunités d’emploi potentielles et aux infrastructures, d’autres décriant le projet en raison des conséquences néfastes qu’il pourrait avoir pour les moyens de subsistance actuels des communautés et pour leur environnement.
Le processus de protocole a débuté en 2010, lorsque des membres des communautés concernées ont contacté des organisations de la société civile travaillant dans la région pour leur demander de les aider à obtenir des informations sur le projet et à participer au processus décisionnel. Ces membres des communautés se sont ensuite mobilisés sous la bannière de Save Lamu (sauver Lamu), une coalition qui a été enregistrée comme organisation communautaire en 2011. 72 réunions ont été organisées dans 46 villages. Alors que le protocole mettait initialement l’accent sur le port, il prend aujourd’hui en compte l’impact que pourrait avoir une centrale électrique au charbon dont la construction est prévue dans la région. Le protocole a été rédigé par des membres des communautés et son contenu a été renforcé par une cartographie des ressources, une vidéo participative et des projets d’autonomisation juridique. Il présente les souhaits et les inquiétudes de la communauté relativement au port et à la centrale. Il est utilisé pour appuyer une pétition déposée devant la Haute-Cour du Kenya pour demander des informations et une concertation sur le projet.
Forces et faiblesses
Les protocoles sont très contextuels et nécessitent une très bonne connaissance de la dynamique et du contexte locaux. Ils sont conçus pour être un processus et un résultat qui renforcent le consensus et le dialogue. Natural Justice plaide en faveur d’un processus inclusif offrant un espace aux groupes marginalisés tels que les femmes, les sous-tribus, les personnes âgées, les jeunes et les personnes handicapées. La création de cet espace peut souvent entraîner une rupture de la dynamique communautaire interne et les facilitateurs doivent trouver des moyens de faire en sorte que le processus soit inclusif sans perturber la cohésion communautaire. Au Zimbabwe, des réunions séparées ont été organisées pour les femmes afin de garantir la prise en compte de leurs points de vue.
Les protocoles communautaires peuvent être de puissants outils d’autonomisation et de collaboration des communautés. Ils ont un potentiel considérable de création d’espaces permettant aux communautés autochtones et locales d’exercer un contrôle plus strict sur les processus politiques et décisionnels ayant une incidence sur leur vie. Toutefois, ils ne sont pas censés être des outils autonomes et doivent aller de pair avec d’autres méthodologies et outils d’autonomisation communautaire. Par exemple, l’autonomisation juridique des communautés est une part importante de la collaboration avec des communautés cherchant à élaborer un protocole communautaire. La capacité qu’a un protocole, processus et résultat communautaire à s’adapter aux exigences spécifiques du contexte est peut-être sa principale force.
Natural Justice utilise les protocoles communautaires depuis 2007 dans un certain nombre de régions et de contextes différents. En 2013, en collaboration avec la Fondation Heinrich Böll, l’organisation a conçu un projet visant à examiner l’utilité particulière des protocoles communautaires dans le contexte des industries extractives, avec des études de cas pilotes en Argentine, au Kenya, au Zimbabwe et en Inde, y compris celles qui sont mentionnées dans le présent article. Pour en savoir plus, voir : http://naturaljustice.org/representative-work/community-engagement-extractive-industries
Stella James, Johanna von Braun, Gino Cocchiaro
Natural Justice
Le Cap, Afrique du Sud
johanna@naturaljustice.org
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