Les éleveurs nomades exploitent des terres qui, souvent, ne présentent pas d’intérêt pour d’autres utilisations agricoles.

Garantir les droits fonciers des éleveurs nomades

Les titres de propriété officiels sont rares dans les communautés pastorales du monde entier. Autrefois, cette situation posait rarement de problèmes car les terres pastorales étaient considérées comme de peu d’utilité par la plupart des autres segments de la population. Mais en raison de la concurrence croissante pour les espaces disponibles, l’incertitude juridique est devenue une menace croissante pour les moyens de subsistance des éleveurs nomades.

Le pastoralisme est un système de subsistance basé sur l’élevage d’animaux en pâture libre, pratiqué par des communautés vivant dans des régions marginales. Ces terres peuvent être peu productives pour diverses raisons – faible approvisionnement en eau, mauvaise qualité du sol, températures extrêmes, pentes abruptes et isolement. Le pastoralisme permet aux communautés pastorales de gérer leurs ressources de manière durable, indépendante et souple. Ses caractères distinctifs sont les droits aux ressources communes, les valeurs coutumières et les services écosystémiques.

On estime aujourd’hui que dans le monde entier, près de 200 millions d’éleveurs nomades assurent une production alimentaire et des revenus pour leurs communautés et contribuent à la préservation de la biodiversité et à l’atténuation du changement climatique. Si on ajoute ceux qui pratiquent l’agro-élevage extensif à ces éleveurs nomades et transhumants, ce nombre passe à 600 millions. Les systèmes pastoraux sont des systèmes durables à faible apport d’intrants qui sont extrêmement adaptables à leur environnement et à des conditions socio-économiques spécifiques. Pourtant, les communautés pastorales sont souvent marginalisées ; elles sont exposées à une absence de reconnaissance politique et ne bénéficient pas d’un soutien institutionnel et politique suffisant. En conséquence, elles sont souvent confrontées à des difficultés d’accès aux ressources naturelles et à un manque de garantie en matière de droits fonciers et d’accès à l’eau, ce qui peut, dans certains cas, être la source de conflits. Par ailleurs, souvent, les populations vivant dans les zones pastorales ne disposent pas d’infrastructures appropriées, ont difficilement accès aux marchés et les services de base dont ils disposent sont généralement limités et éloignés.

Vétérinaires Sans Frontières (VSF) International et ses organisations membres mettent en œuvre un projet visant à identifier les facteurs clés de promotion du pastoralisme durable, à faire des recommandations pour l’efficacité des politiques et programmes, et à renforcer le potentiel de mobilisation des organisations communautaires locales et leurs réseaux. Pour cela, nous avons réalisé une étude sur le pastoralisme dans 26 pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, et notamment une enquête sur six régions particulièrement sensibles où le pastoralisme est une forme majeure de subsistance. Nous avons également organisé cinq réunions de parties prenantes régionales au cours desquelles, entre autres, les priorités d’investissement dans le développement du pastoralisme ont été définies (voir encadré). À ce niveau, il s’est également avéré que la protection des droits fonciers coutumiers devait figurer en tête de l’ordre du jour.

L’accès à la terre est crucial

Le pastoralisme est souvent associé aux pâturages, aux parcours ou aux zones arides (ces termes se chevauchent mais ne sont pas synonymes). Mais cette association est loin d’être parfaite : les éleveurs nomades élèvent également leurs animaux dans la toundra, dans les montagnes, les forêts, les zones désertiques et la brousse, alors que certains pâturages accueillent des ranches ou sont utilisés pour de l’élevage intensif de bétail. Les estimations de la superficie des pâturages varient considérablement, entre 18 et 80 pour cent de la surface terrestre. Cette imprécision est en partie due (contrairement aux forêts, par exemple) au fait qu’aucune organisation n’est chargée de dresser un inventaire de ces types de terre.

L’accès aux pâturages est vital pour le mode de production pastoral. Les éleveurs nomades utilisent peu ou pas d’intrants et ils exploitent des terres qui, souvent, se prêtent mal à d’autres utilisations agricoles. Dans de nombreuses régions, le pastoralisme est le seul type viable d’utilisation des terres. Il utilise la terre, l’eau et la végétation de manière durable. Il a façonné de nombreux paysages naturels, contribue à les entretenir et préserve la biodiversité.

Les acquisitions de terres menacent les moyens de subsistance et alimentent les conflits

Les éleveurs nomades comptent sur la mobilité des animaux et sur les terres communautaires pour assurer leurs moyens de subsistance. La propriété foncière est un des principaux problèmes auxquels ils sont confrontés et elle est à l’origine de nombreux conflits. Les règles de propriété foncière varient considérablement d’un pays à l’autre, mais la plupart des systèmes juridiques officiels ne reconnaissent pas ou ne garantissent pas les droits coutumiers de propriété. Dans notre étude, 42 pour cent des éleveurs nomades ont déclaré posséder individuellement leur terre et 15 pour cent de plus ont déclaré que leur communauté possédait les terres. Toutefois, les titres officiels sont rares : seulement 15 pour cent des propriétaires individuels et six pour cent des propriétaires communautaires disposaient de titres officiels. La propriété coutumière est bien plus courante.

Autrefois, cette absence de droits officiels n’avait pas d’importance : vues de l’extérieur, les terres pastorales présentaient peu d’intérêt. Mais cela a changé : les découvertes de pétrole et de minerais, l’expansion de l’agriculture intensive, l’urbanisation et la création de réserves et de parcs naturels sont à l’origine d’un intérêt marqué pour les zones pastorales. Ces activités occupent souvent les terres les plus arrosées et bloquent l’accès des éleveurs aux pâturages et aux sources d’eau sur lesquelles ils comptent dans la saison sèche. Souvent, les gouvernements favorisent les investissements extérieurs mais ignorent les droits des éleveurs nomades qui sont considérés comme des criminels et sont forcés d’aller dans des zones encore plus sèches et éloignées, ou d’opter pour la sédentarisation.

En Éthiopie, dans la région Afar, par exemple, les éleveurs nomades et autres ont déjà perdu plus de 75 pour cent de leurs zones de pâturage fertiles et humides au profit du gouvernement et d’investisseurs étrangers mettant en œuvre de gigantesques projets tels que la construction de la route transnationale vers Djibouti, des plantations de canne à sucre ou des programmes de repeuplement. De même, en Amérique latine, les questions foncières sont une source majeure de préoccupation pour les mouvements autochtones et paysans qui luttent pour protéger leurs droits fonciers face aux manœuvres d’accaparement des terres des compagnies minières et agroalimentaires.

L’accès à l’eau est intrinsèquement lié à l’accès à la terre. L’empiétement sur les terres pastorales peut souvent se traduire par une sur-utilisation des ressources en eau, par ex. par l’agriculture ou l’exploitation minière, ce qui aggrave encore plus la situation. Et le fait que les éleveurs nomades disposent de moins de terres peut alimenter des conflits entre différents groupes d’utilisateurs en concurrence pour de maigres ressources.

Les résultats de notre étude reflètent le fait que les communautés pastorales ont leurs propres règles et normes traditionnelles de gestion des pâturages qui prévoient également de confier les terres, collectivement ou individuellement, à des éleveurs nomades. Dans les huit territoires où le pastoralisme est pratiqué, la majeure partie des terres relève de règles coutumières régissant la propriété et l’utilisation collective et individuelle des terres. Pour garantir les droits d’accès aux terres et à l’eau et de leur utilisation, les gouvernements doivent reconnaître et protéger les droits fonciers coutumiers, les règles traditionnelles et les normes de gestion des pâturages. Les communautés doivent pouvoir formaliser leurs systèmes coutumiers de propriété foncière.

Par ailleurs, les gouvernements devraient garantir une application effective des instruments et mécanismes internationaux qui protègent les droits des communautés pastorales, comme le stipulent les Directives volontaires des Nations unies pour une gouvernance responsable des régimes fonciers applicable aux terres, aux zones de pêche et aux forêts (voir également l’article „Faire en sorte que les ODD comptent pour les droits fonciers“).

Nécessité d’une approche territoriale

Comme le pastoralisme est par définition nomade et comme il occupe de vastes territoires, il importe d’accorder une attention particulière aux accords et harmonisations politiques entre pays voisins lorsqu’on aborde les questions foncières dans les zones transfrontalières. La coopération transfrontalière est cruciale pour diverses raisons : promouvoir le commerce, faciliter la circulation, contrôler les maladies transfrontalières, atténuer les conflits, etc. L’établissement de contacts entre les autorités coutumières, les représentants des communautés pastorales et les autorités locales de chaque côté de la frontière concernée est souvent le meilleur moyen de traiter les questions transfrontalières.

Pour permettre un développement durable du pastoralisme, il est important d’adopter une approche territoriale de gestion des pâturages et des terres arides. La question de la planification régionale doit être abordée d’un point de vue territorial dans le cadre duquel toutes les parties prenantes apprennent les unes des autres et trouvent collectivement des solutions adaptées. La création d’unités pastorales (UP) de planification et de gestion des territoires et ressources pastoraux, encouragée au Sénégal par plusieurs organisations, notamment l’association AVSF, en est un exemple. Les UP constituent un cadre de dialogue auquel participent toutes les parties prenantes : représentants des villages, gardiens de troupeaux transhumants, agriculteurs et éleveurs locaux, comités de gestion de chaque infrastructure et des équipements communs locaux (eau, réserves et magasins de fourrage, parcs de vaccination, etc.) et autorités locales. La création d’unités pastorales basée sur des principes de transparence et d’équité permet aux parties prenantes (y compris les transhumants et les autochtones) participant directement au développement local de mieux s’approprier le territoire. Elles permettent de mieux réglementer l’accès aux ressources naturelles – surtout les terres et l’eau – et leur utilisation, et contribuent à réduire les litiges.

Contexte de l’étude

L’étude fait partie d’un projet sur la promotion du pastoralisme durable cofinancé par le Fonds international de développement agricole (FIDA). Elle s’appuie sur des données tirées d’enquêtes sur l’environnement et les politiques favorables au pastoralisme dans 26 pays et sur une étude des pratiques pastorales dans huit zones sensibles dans lesquelles le pastoralisme est une forme majeure de moyen de subsistance : l’Arkhangai en Mongolie ; l’Altiplano et le Chaco en Amérique du Sud ; le Wagadou et le Gourma au Sahel ; le Tiris Zemmour au Sahara, et l’Afar et le Chalbi dans la Corne de l’Afrique. Par ailleurs, cinq réunions participatives de parties prenantes régionales ont été organisées à Bamako (Mali), Nairobi (Kenya), Hammamet (Tunisie), Hustai (Mongolie) et La Paz (Bolivie) en janvier 2016. Chacune de ces réunions a donné lieu à une déclaration de priorités d’investissement dans le développement pastoral, ainsi qu’à des recommandations de dialogue politique et de partenariat avec des organisations de développement. En tout, les expériences de 122 organisations pastorales de 38 pays ont été utilisées.
 

Margherita Gomarasca
coordinator@vsf-international.org
Cornelia Heine
Vétérinaires Sans Frontières International
Bruxelles, Belgique

 

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