Même si les villes prennent de plus en plus d’importance, c’est dans les zones rurales que l’avenir de l’humanité continuera en grande partie d’être déterminé.
Photo: FAO/O. Argenti

Faire en sorte que la transformation rurale soit durable

À l’échelle mondiale, de nombreuses régions rurales traversent une période de transition. La forme que prend cette transition et la vitesse à laquelle elle évolue dépendront en partie de l’intérêt que lui porteront les responsables des orientations politiques. L’auteur explique pourquoi cette transformation rurale est nécessaire – et comment la coopération au développement devrait la soutenir.

Nous vivons dans un monde en urbanisation constante. Cela pose un problème majeur à la résolution duquel nous devons consacrer toute notre énergie. Néanmoins, l’importance croissante des villes et la réduction de la fracture entre monde rural et monde urbain ne doivent pas être une raison ou un prétexte pour négliger les zones rurales qui, pour de multiples raisons, nécessitent, de la part des responsables des orientations politiques, autant d’attention que les centres urbains.

Premièrement, la forte urbanisation à l’échelle mondiale et l’expansion spectaculaire de certaines mégapoles – objet de bien des débats – ne doivent pas masquer le fait que de nombreux pays d’Asie et d’Afrique subsaharienne restent essentiellement ruraux. Selon la Banque mondiale, en Afrique subsaharienne, la population urbaine ne représente que 37 pour cent de la population totale, cette proportion étant encore plus faible (33 pour cent) en Asie du sud. Le passage à une population essentiellement urbaine n’est pas prévu avant le milieu du siècle. De fait, en Afrique, par rapport à 2010, la population rurale totale devrait augmenter de 300 millions d’individus d’ici à 2050 pour approcher le milliard.

Deuxièmement, la pauvreté et la faim sont des phénomènes essentiellement ruraux. Au niveau mondial, environ les trois quarts des personnes victimes de la pauvreté et de la faim vivent en zones rurales. Pour éradiquer la pauvreté et la faim, ce qu’il faut avant tout, ce sont des stratégies de développement rural.

Troisièmement, l’avenir de l’humanité se décidera, du moins en partie, dans les zones rurales. Cela est vrai, même si, à un moment donné, leur population est inférieure à celle des villes et si la pauvreté rurale a été éradiquée. La majorité de nos ressources naturelles – pas seulement celles dont on a besoin dans l’agriculture – se trouvent dans les zones rurales où il faudra les gérer de manière durable. Ces régions devront produire de quoi nourrir une population mondiale croissante, mais elles seront également confrontées à d’autres problèmes majeurs tels que la nécessité de préserver les ressources en eau douce et d’assurer la sécurité de l’approvisionnement en énergie. La production d’électricité éolienne, hydraulique et solaire devra également avoir lieu dans les zones rurales une fois que l’ère des combustibles fossiles sera achevée. La bioéconomie toute entière – le grand espoir de demain, dont les principales dimensions sont la conservation des puits de carbone et l’utilisation durable des forêts et de la biodiversité – sera également basée dans les régions rurales. L’objectif de développement durable 15 est le suivant : « Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des terres et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité. » Par conséquent, ce qu’il nous faut aujourd’hui et nous faudra à l’avenir, ce sont des régions rurales avec des cycles durables en matière d’économie et de ressources.

Bref, nous devons faire en sorte que nos régions rurales soient prêtes pour l’avenir. Nous devons nous assurer qu’elles offrent à la population des moyens d’existence stables et qu’elles servent de point focal pour le développement durable. Pour atteindre ces objectifs avec des mesures appropriées, nous devons déterminer exactement les problèmes auxquels les régions rurales sont actuellement confrontées ainsi que les potentialités qu’elles offrent. Aujourd’hui, dans de nombreuses parties du monde, les zones rurales ne sont ni statiques ni figées, elles sont au contraire très dynamiques et ce dynamisme est souvent associé à la notion de « transformation rurale ». 

Comprendre la transformation rurale

La transformation rurale est un concept extrêmement vague. En gros, il s’agit d’un processus de changement profond et complexe à dimensions économiques, mais aussi sociales et culturelles. Le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD) caractérise ce processus comme suit : « On peut dire de la transformation rurale que c’est un processus de changement sociétal complet selon lequel les sociétés rurales diversifient leur économie et réduisent leur dépendance à l’agriculture, deviennent dépendantes de lieux éloignés pour faire du commerce et acquérir des biens, des services et des idées, quittent des villages dispersés pour vivre dans des villes petites, moyennes et grandes, et deviennent culturellement semblables à de grandes agglomérations urbaines. »

Souvent, toutefois, la « transformation rurale » n’est pas une simple description d’un processus exempte de toute valeur.  Pour beaucoup, c’est une menace à éviter ou au contraire une aspiration majeure et peut-être pas pleinement réalisable. De nombreux facteurs indiquent qu’en raison des puissantes forces économiques et sociétales en jeu, la transformation rurale est en fin de compte inévitable. C’est pourquoi nous devrions la voir comme une opportunité et faire tout notre possible pour l’orienter dans la bonne direction, aussi bien socialement qu’économiquement – ce qui revient à dire l’orienter vers la durabilité.

Tenir compte des spécificités régionales

Le développement rural est indissociable de l’avenir de l’agriculture. Dans l’agriculture notamment, l’accroissement de la productivité du travail de l’homme résultant de l’utilisation de connaissances et de capitaux (intrants agricoles et technologie, essentiellement) est un des moteurs de la transformation rurale. Lorsque la production totale dépasse la demande du marché, des travailleurs sont licenciés, ce qui entraîne souvent des modifications du nombre et de la taille des exploitations agricoles. Ce sont là des signes de transformation rurale qui sont souvent associés à un plus grand degré de spécialisation agricole, c’est-à-dire à l’accent mis sur certaines cultures et à des changements des niveaux d’autosuffisance.  

Il y a un lien étroit entre transformation rurale et développement économique urbain. Le développement économique des villes, dans les secteurs du commerce, de l’industrie et des services, encourage la migration de la main-d’œuvre entre milieu rural et milieu urbain. La situation se complique lorsqu’à un surplus de main-d’œuvre agricole (facteur favorisant la migration) ne correspond pas une demande de main-d’œuvre dans l’économie formelle. Lorsque tel est le cas, les travailleurs concernés n’ont souvent pas d’autre choix que celui de s’orienter vers des travaux occasionnels ou des emplois dans l’économie informelle synonymes de pauvreté. Il faut donc que la création d’emplois dans l’économie rurale non agricole, notamment pour les femmes et les jeunes, soit une priorité.

À cet égard, il y a des différences notables entre l’Asie et l’Afrique et, dans une moindre mesure, entre divers pays africains, quant à la manière dont la transformation s’effectue. En Asie, la croissance agricole s’est accompagnée d’un fort développement industriel, alors qu’en Afrique elle est liée à une expansion vigoureuse du secteur informel. Face à la concurrence mondiale avec l’Asie, il est peu probable que l’Afrique, aujourd’hui ou demain, crée dans l’industrie, à grande échelle, de nouveaux emplois qui permettraient d’absorber les travailleurs agricoles ayant perdu leur emploi.

Il est donc encore plus important que les responsables des orientations politiques africains trouvent une alternative aux emplois industriels dans l’économie mondiale en créant un environnement favorable à l’emploi en milieu rural utilisant le potentiel endogène des régions et ancré dans l’économie locale. La priorité doit donc être donnée au soutien de la mise en place d’un système agroalimentaire indépendant et efficace mettant l’accent sur l’ensemble de la chaîne de production agricole, aussi bien en amont qu’en aval, et encourageant la création de chaînes de valeur complexes et de réseaux de production de richesses. L’accroissement de la demande de produits agricoles de qualité dans les villes en expansion doit être considéré comme une opportunité majeure.

Ce système agroalimentaire efficace et indépendant doit donc s’appuyer sur des entreprises agricoles de diverses tailles et de divers types, et tout particulièrement sur les petites exploitations familiales bénéficiant de droits fonciers sûrs et membres d’associations d’agriculteurs, ce qui leur faciliterait l’accès aux marchés. Elles doivent avoir facilement accès aux semences, aux engrais, au crédit et aux assurances et doivent pouvoir utiliser des techniques et moyens de production modernes pour obtenir des récoltes et des produits d’élevage variés et nourrissants, très supérieurs à leurs besoins de subsistance.

Une fois mis en place, un système agroalimentaire efficace produira des revenus qui contribueront à accroître la demande de matériaux de construction, de services d’artisanat, de commerce et de réparation, d’opportunités commerciales, de moyens de transport, de vêtements et, enfin, d’éducation et de santé. Ils créeront ainsi des emplois dans ces secteurs et engageront un processus de développement endogène durable dans les régions rurales.

Services fournis en amont par le secteur public

Enfin, la transformation sera entraînée par les décisions d’investir prises par des millions de parties prenantes du secteur privé : petits exploitants agricoles, fournisseurs d’intrants, entreprises de transformation des aliments, distributeurs, sociétés de services financiers, entreprises artisanales et commerciales, etc. Toutefois, le rythme et la composition de ces investissements privés dépendront de l’environnement favorable créé par les gouvernements. Selon M. Thomas Jayne et Mme Lulama Traub, « les résultats des études effectuées dans les pays en développement convergent vers des actions publiques qui, d’une manière générale, incluent ce qui suit : investissements dans les infrastructures (par ex. électrification, accroissement de la capacité du réseau, réseau routier) ; remise en état des installations ferroviaires et portuaires délabrées ; R&D agricoles adaptés aux petites exploitations ; programmes bidirectionnels efficaces d’éducation des agriculteurs et de vulgarisation ; irrigation ; et politiques favorisant l’entrée et la concurrence dans les chaînes de valeur agricoles. »

En plus de ces services publics, qui ont une importance directe pour le développement agricole, d’autres services sociaux et infrastructures matérielles – essentiellement écoles, centres de santé, eau et assainissement – sont indispensables pour améliorer l’attrait des régions rurales. En substance, ce sont-là les services qui doivent être fournis en amont par le secteur public même si, dans certains cas et dans le cadre d’une réglementation gouvernementale adaptée, ils peuvent être fournis par le secteur privé. L’État a également un rôle à jouer dans la préservation des ressources naturelles et dans la garantie qu’elles sont gérées selon le principe de durabilité. La planification générale de l’occupation des sols vise à préserver la gestion efficace des ressources en eau et des pâturages, à maintenir la fertilité des terres, à prévenir l’érosion du sol et à préserver la biodiversité.

L’action gouvernementale de soutien du développement rural et la gestion durable de la transformation doivent par conséquent aller au-delà de stratégies purement sectorielles et chercher à adopter une approche territoriale. La politique structurelle régionale, qui met en cohérence les diverses dimensions du développement économique dans les zones rurales, est un point important à prendre en compte. Le soutien constant de la diffusion des innovations dans le système agroalimentaire en est un exemple. Cela est possible grâce à l’intégration de mesures visant à renforcer les capacités du système de connaissances nécessaire (recherche agricole, éducation et formation techniques professionnelles, services de vulgarisation), à l’amélioration de l’accès aux capitaux, aux intrants et aux marchés, et au développement des infrastructures matérielles (réseau routier rural, électricité). Une volonté constante d’améliorer l’accès aux technologies modernes d’information et de communication (TIC) doit également faire partie intégrante de cette politique structurelle régionale.

Une planification globale de l’espace des zones rurales est le deuxième point clé à prendre en compte. L’objectif est ici d’obtenir un équilibre entre les intérêts variés des utilisateurs des zones rurales et de tirer parti, autant que possible, des potentialités existantes. Des zones prioritaires doivent être déterminées, par exemple pour le peuplement, l’activité agricole et la protection de la biodiversité, de manière à mettre en place un cadre indispensable au développement durable. 

Soutien de la coopération au développement

L’investissement dans la fourniture de biens et services publics ruraux a un rôle clé à jouer pour stimuler le développement rural et promouvoir la transformation socialement équitable et durable des zones rurales. La coopération au développement peut appuyer ce processus de multiples façons. Elle peut fournir des services de vulgarisation et des fonds, par ex. pour le développement des infrastructures. Grâce à l’initiative « Un seul monde sans faim »,, la coopération allemande au développement finance un large éventail de mesures en faveur d’une transformation rurale durable dans divers pays, essentiellement en Afrique. Les Centres d’innovation verte actuellement mis en place se distinguent dans ce contexte : leur rôle est de promouvoir la diffusion d’innovations qui accroissent la productivité et l’efficacité des ressources dans le système agroalimentaire. La préservation / régénération des sols et le régime foncier sont d’autres domaines d’action prioritaires. Par ailleurs, la communauté internationale a une vaste expérience dans le soutien de l’approche « chaînes de valeur », dans la promotion de la transformation et de la commercialisation dans les zones rurales, et dans la mise en place d’administrations décentralisées offrant des possibilités de participation publique locale. Cela offre également de fortes potentialités de développement rural.

Ce ne sont là que quelques-uns des moyens de gérer et soutenir la transformation rurale. Toutefois, pour promouvoir les régions rurales d’une manière plus générale, ces interventions, qui ont souvent une orientation sectorielle, doivent entrer dans le cadre d’une stratégie intégrée de développement rural. Cette condition est cruciale pour assurer la complémentarité. Les mesures adoptées doivent s’appuyer sur les réflexions des communautés locales quant à l’utilisation des terres et doivent soutenir le renforcement des capacités structurelles, par ex. en contribuant à l’élaboration de la politique structurelle régionale ou à la mise en œuvre de plans de gestion de l’espace. Partout où existe un cadre politique intersectoriel, cela vaut la peine de le soutenir au niveau local. En l’absence d’un tel cadre, il faut en élaborer un en collaboration avec les partenaires.

Les objectifs de développement durable définissent les éléments clés des approches territoriales intersectorielles nécessaires pour rendre justice aux zones rurales en reconnaissant leur importance pour le développement et en servant les intérêts des personnes qui y vivent.
 

Stefan Schmitz
Commissaire de l’initiative  « Un seul monde sans faim  »
Ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement (BMZ)
Bonn, Allemagne
Stefan.Schmitz@bmz.bund.de
 

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