Pour les producteurs, la hausse des prix agricoles peut être un catalyseur ou un obstacle. C’est un obstacle lorsque ce sont les prix des intrants (engrais ou main-d’œuvre, par exemple) qui sont concernés.
Photo: Jörg Böthling

Prix agricoles et sécurité alimentaire – une relation complexe

Lorsqu’ils sont élevés, les prix agricoles touchent aussi bien les pays développés que les pays en développement, mais pour ces derniers, le problème est aggravé par l’insuffisance ou le manque de mesures de résilience. Les auteurs expliquent ce qu’on peut faire pour atténuer les effets négatifs sur la sécurité alimentaire dans les pays pauvres.

Les prix agricoles sont des outils pertinents dans les chaînes d’approvisionnement, avec un impact sur la sécurité alimentaire. L’augmentation des prix agricoles – intrants et produits alimentaires – accroît le nombre de ceux qui sombrent dans la pauvreté et l’insécurité alimentaire. C’est ce qu’ont mis en évidence la pandémie de Covid-19 et la crise entre la Russie et l’Ukraine, événements au cours desquels les prix sont montés en flèche et sont devenus volatiles, en particulier au début du conflit, avec une incidence sur la sécurité alimentaire dans de nombreuses parties de la planète, notamment dans les pays en développement.

Mais les conséquences de l’évolution des prix agricoles sur la population sont hétérogènes et affectent différemment les consommateurs, les producteurs, ceux qui ont un revenu et les régions, en fonction de leur capital social et sur des points tels que la couverture sociale, l’état de préparation et la résilience. Cet article examine la configuration des prix agricoles mondiaux, leurs avantages et les défis pour la sécurité alimentaire.

Transmission des prix des produits alimentaires et prix des intrants

Les prix mondiaux élevés des produits agricoles peuvent se répercuter sur les prix intérieurs, les consommateurs et les producteurs agissant comme preneurs de prix. Leur comportement, le niveau d’intégration des marchés intérieurs dans l’économie mondiale, les politiques commerciales, les taux de change, les coûts commerciaux et les contrôles des prix à la consommation/ prix producteurs, entre autres, déterminent les prix intérieurs correspondants.

Par ailleurs, la réactivité des prix intérieurs aux prix internationaux serait cumulative pour les importateurs nets de produits alimentaires, ce que sont de nombreux pays africains. Cela les rend plus susceptibles aux chocs des prix internationaux en raison de leur forte dépendance aux importations et de leur faible suffisance alimentaire intérieure. On constate cette transmission de prix à l’occasion du conflit russo-ukrainien et des crises financières mondiales qui ont fait basculer de nombreux ménages dans la pauvreté et la malnutrition, réduit les revenus et accru l’insécurité alimentaire de certains pays, notamment les pays importateurs nets.

De plus, au plan national, on constate une transmission spatiale des prix d’un marché alimentaire à un autre face aux conflits nationaux et aux périodes de sécheresse ou de pluie qui imposent des contraintes aux prix alimentaires et à la production agricole. Néanmoins, la transmission des prix varie selon les produits de base et les marchés – par exemple, on a constaté que les marchés des oléagineux et des céréales sont plus mondialisés que ceux des produits à base de viande.

Les prix ont été volatiles, comme on peut le voir sur la figure ci-dessour, qui montre les variations des prix nominaux des produits alimentaires et des intrants, avec des pics importants lors de crises telles que celles de 2007/08 et 2011 et lors des récentes crises de la Covid-19 et de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui ont entraîné des interruptions d’approvisionnement et des flambées des prix alimentaires.

Conséquences des prix élevés des produits agricoles

L’augmentation des prix agricoles accroît les coûts de production agricole et réduit la productivité, ce qui exerce une pression sur les prix alimentaires et la sécurité alimentaire. Cependant, les prix agricoles élevés présentent des avantages et des inconvénients pour les producteurs et les consommateurs. Pour ces derniers, l’augmentation des prix alimentaires entraîne généralement une consommation réduite des aliments préférés et une diminution du nombre de repas, ce qui entraîne une plus grande insécurité alimentaire pour les populations urbaines et rurales, notamment pour les pauvres (vivant en milieu urbain) qui sont essentiellement des consommateurs nets de produits alimentaires.

En outre, les prix agricoles élevés, surtout les prix alimentaires, réduisent le revenu net et le pouvoir d’achat, et peuvent entraîner une réduction de l’apport calorique ou de la diversité alimentaire, les consommateurs adaptant leur consommation à la montée des prix. Tous ces ajustements peuvent être improvisés par les consommateurs, notamment par les pauvres, ce qui améliore leur sécurité alimentaire.

Cependant, comparativement aux pays à revenu élevé, les consommateurs des pays à faible revenu souffrent de manière disproportionnée, dans le premier cas les ménages consacrant environ 44 pour cent de leur revenu à leur alimentation, contre 16 pour cent dans le second cas. Néanmoins, l’augmentation de certains prix agricoles peut profiter aux pauvres car elle accroît la demande de main-d’œuvre non qualifiée, niveau de qualification qui caractérise la majorité des pauvres, et entraîne de ce fait une augmentation des salaires.

Pour les producteurs, l’augmentation des prix agricoles peut être un avantage ou un inconvénient, selon que l’augmentation concerne les prix des intrants agricoles (les engrais ou la main-d’œuvre, par exemple) ou les prix de la production (les produits alimentaires, par exemple). L’augmentation des prix des intrants accroît les coûts de production et peut réduire les profits et le bien-être des producteurs.

Toutefois, l’augmentation des prix de la production (alimentaire, par exemple) peut faire progresser leur marge bénéficiaire alors que les pics du prix des produits de base peuvent également leur être néfastes car les petits exploitants agricoles sont également des consommateurs de leurs produits. Cela peut avoir un effet aggravant pour la pauvreté et la sécurité alimentaire des petits exploitants agricoles. De fait, l’incidence d’une telle augmentation des prix à la production peut être atténuée ou négative si elle est accompagnée d’une augmentation des prix des intrants agricoles.

Cela est possible, certains prix des intrants ayant récemment dépassé ceux de la production (voir figure ci-dessus). Selon la Banque mondiale, sur la planète, le nombre des petits exploitants agricoles s’élève à deux milliards et celui des ménages de petits exploitants à environ 500 millions. Pour la plupart, ils dépendent beaucoup de leur production de produits agricoles de base comme source de revenu – ce qui accroît leur exposition à l’augmentation et à la volatilité des prix de ces produits de base.

Par conséquent, toute augmentation des prix agricoles, qu’il s’agisse des intrants ou de la production, aura plus d’incidence sur les petits exploitants, qui sont à la fois producteurs et consommateurs de leurs produits, ce qui constitue un problème majeur pour la sécurité alimentaire mondiale. En ce qui concerne la répartition, des données factuelles donnent à penser que l’insécurité alimentaire grave augmente dans le monde, et sur tous les continents, l’Afrique étant le continent le plus touché. En outre, suite à la pandémie et à l’augmentation des prix alimentaires qui en a résulté, la gravité de l’insécurité alimentaire a augmenté depuis 2020, les pays à faible revenu et à déficit alimentaire étant les plus touchés (voir figure ci-dessous).

Production de subsistance, cultures commerciales et sécurité alimentaire

Pour les petits exploitants, la production de subsistance peut être une solution viable d’amélioration de leurs moyens de subsistance et elle peut atténuer les effets négatifs des prix alimentaires élevés, réduisant de ce fait la vulnérabilité des ménages à l’insécurité alimentaire. Son rôle peut toutefois être limité pour ce qui est de garantir la diversité alimentaire dans la mesure où elle ne permet pas de réaliser des gains suffisants.

L’accroissement des revenus monétaires étant important pour réduire l’insécurité alimentaire, la culture commerciale peut être plus avantageuse que la production de subsistance pour améliorer la sécurité alimentaire. La culture commerciale a une valeur marchande et des retombées monétaires supérieures qui peuvent aider les petits exploitants à financer leurs dépenses alimentaires (accès aux aliments), à améliorer la diversité alimentaire de leur ménage (utilisation des aliments) et leur permettre de se sortir de l’insécurité alimentaire.

Toutefois, l’accroissement des revenus ne garantit pas nécessairement la sécurité alimentaire dans la mesure où les revenus des ménages peuvent servir à autre chose qu’à acheter des produits alimentaires. En outre, l’augmentation de la culture commerciale peut se faire aux dépens de la production agricole alimentaire qui, de ce fait, dispose de moins de terres, ce qui affecte la disponibilité d’aliments, notamment dans les pays africains disposant de moyens technologiques limités pour améliorer les rendements.

Une telle réduction de la production alimentaire fait grimper les prix alimentaires et les revenus tirés de la culture commerciale peuvent, ou non, être suffisants pour compenser ces augmentations de prix et risquent ainsi de diminuer la sécurité alimentaire.

Par ailleurs, les effets exacts des revenus tirés de cette culture commerciale sur la sécurité alimentaire dépendront du soutien accordé, ou non, par les politiques gouvernementales aux cultures commerciales ou alimentaires, de la taille de l’exploitation et du ménage, du genre, des politiques commerciales, etc. Par exemple, les éléments dont on dispose montrent que l’accès des femmes aux ressources accroît la part de ces dernières consacrée aux achats alimentaires, ce qui peut assurer une plus grande sécurité alimentaire pour le ménage.

En outre, l’accès aux marchés (mondiaux) peut être découragé par des politiques commerciales, en particulier par des mesures de sécurité alimentaire, qui peuvent être très rigoureuses et coûteuses et peuvent exclure les petits exploitants de la chaîne d’approvisionnement mondiale.

Implications pour l’aide humanitaire et rôle des exploitants du secteur agroalimentaire

Les crises mondiales telles que celle de la Covid-19, le changement climatique, les épidémies et la guerre russo-ukrainienne ont donné lieu à un besoin accru d’aide humanitaire. Toutefois, la hausse des prix alimentaires fait que les programmes d’aide et les mesures palliatives, l’aide alimentaire, les subventions et la protection sociale sont coûteux dans la mesure où cette hausse des prix grève les budgets des gouvernements, des institutions donatrices et des partenaires de développement pour soulager le fardeau des personnes vulnérables. Cela pousse à la hausse le niveau de pauvreté et d’insécurité alimentaire.

Les variations de prix des produits alimentaires de base sont parfois influencées par les activités répréhensibles de certains opérateurs des chaînes de valeur de ces produits de base : ruptures des chaînes d’approvisionnement, thésaurisation des produits, constitution de cartels, et/ou scénarios oligopolistiques et monopoles. Ces activités influencent souvent la disponibilité et la stabilité des produits alimentaires, et sont à l’origine de pénuries artificielles et d’augmentations des prix.

Pour atténuer ces problèmes, on a besoin d’un cadre réglementaire approprié et exhaustif régissant les activités des opérateurs des chaînes d’approvisionnement alimentaires et limitant les comportements abusifs dans les systèmes alimentaires. Il y a en outre le risque d’augmentations futures des prix alimentaires si l’Accord céréalier de la mer Noire échoue et si l’accès aux engrais est restreint. Pour résoudre les problèmes, il faut réduire les restrictions commerciales et éliminer les difficultés d’accès aux chaînes d’approvisionnement et/ou au marché.

Conclusion

Les niveaux élevés des prix agricoles affectent les pays développés comme les pays en développement mais, pour ces derniers, le problème est aggravé par l’absence de mesures de résilience ou, lorsqu’elles existent, par leur insuffisance. L’institutionnalisation de mécanismes d’aide à la stabilisation des prix tels que le soutien de la production et des prix agricoles est une intervention susceptible de stabiliser les revenus, d’inciter les agriculteurs, notamment les petits exploitants agricoles, à investir et à accroître leur production agricole alors que les prix agricoles sont élevés.

À court terme, le subventionnement de la consommation, les transferts en espèces et autres formes de soutien des personnes vulnérables pourraient être des solutions viables. Les interventions à long terme pourraient inclure la mise en œuvre de modèles de prix minimums permettant aux agriculteurs de dégager un excédent sur les coûts de production, mettant en œuvre des programmes d’assurance récolte et subventionnant les intrants pour faire en sorte que les agriculteurs soient plus résilients aux augmentations brutales des prix. Ces mesures sont importantes pour protéger les agriculteurs et les consommateurs des fluctuations des revenus et des prix et de l’insécurité alimentaire. En outre, l’utilisation d’une plateforme commune de marché national pour commercer peut contribuer à minimiser les augmentations brutales directes des prix aux producteurs et à réaliser des profits.


Fatima Olanike Kareem iest économiste ; elle travaille comme chercheuse principale chez AKADEMIYA2063, Rwanda.

Olayinka Idowu Kareem est économiste en alimentation ; il travaille à l’université de Hohenheim, Stuttgart, Allemagne.
Contact: fkareem(at)akademiya2063.org

Références:

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Brown, S. & Kennedy, G. (2005). A case study of cash cropping in Nepal: Poverty alleviation or inequity? Agriculture and Human Values, 22, 105-116.

Kareem, O.I. (2022). Agricultural and trade policies and the developing countries’ competitiveness and food security. G20-Think20 (T20) Indonesian Presidency, Task Force 4 Policy Brief: Food Security and Sustainable Agriculture.

Kareem, F. O. & Kareem, O. I. (2021). Employment responses to EU food safety regulations: a gendered perspective. The European Journal of Development Research, 33, 1899-1929.

Matz, J. A., Kalkuhl, M. & Abegaz, G. A. (2015). The short-term impact of price shocks on food security-Evidence from urban and rural Ethiopia. Food Security, 7, 657–679.

OECD/FAO (2022), OECD-FAO Agricultural Outlook 2022-2031, OECD Publishing, Paris.

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