Photo: S. Kirse / giz

Une alternative viable pour les petits paysans ?

La question de savoir si une conversion mondiale et intégrale à l'agriculture biologique serait à la fois possible et adéquate fait l'objet d'un vif débat au niveau international. Même si une transition à une telle échelle est, pour l'instant, purement hypothétique, l’adoption immédiate de méthodes de production biologiques ouvre de nombreuses possibilités aux petits agriculteurs des pays en développement. Cet article étudie le pour et le contre de l'agriculture biologique comme solution à la mise en place d'un système agricole durable au niveau mondial, et passe en revue les possibilités que cette forme d'agriculture offre actuellement aux petits agriculteurs des pays en développement.

Toutes les personnes concernées par la question de la sécurité alimentaire sont conscientes du problème majeur que pose la croissance démographique mondiale. Le débat règne toujours au sujet des surfaces encore inutilisées qui pourraient être mises à disposition, mais personne ne peut nier que les surfaces cultivables sont, quant à elles, limitées. De nombreuses autres ressources cruciales pour les agriculteurs sont également en situation de pénurie. Les experts s'accordent donc pour dire que la seule méthode de production agricole viable sera une méthode qui, au lieu de consommer ces ressources, les utilisera de manière durable et rentable. En 2050, cette méthode aura la lourde tâche de nourrir quelques neuf milliards de personnes : quelle forme devra-t-elle donc prendre ?

Pour l’IFOAM (International Federation of Organic Agriculture Movements – Fédération internationale des mouvements de l’agriculture biologique), il est évident qu’il peut et doit s’agir d’un système d’agriculture biologique. L’IFOAM imagine déjà une conversion mondiale de toutes les exploitations conventionnelles à l’agriculture biologique, la certification s’accompagnant d’une hausse des prix de commercialisation, sachant, toutefois, que la majeure partie de la conversion se ferait probablement sans certification. Aux yeux de la Fédération, la conversion à l’agriculture biologique relève du bon sens et pourrait également s’avérer rentable même si les produits ne sont pas commercialisés à des prix plus élevés, particulièrement si l'agriculture conventionnelle internalise les coûts environnementaux externes qu’elle supporte en les affectant directement aux produits agricoles produits de manière conventionnelle.
 

Agriculture biologique sans certification

Si les agriculteurs adoptaient les méthodes de l'agriculture biologique sans vendre leurs produits à des prix plus élevés, il faudrait que cette forme d’agriculture produise des rendements similaires à ceux d'autres formes d'agriculture durable sur des surfaces identiques, sans requérir d’intrants supplémentaires ou plus onéreux. Si cette condition n’était pas respectée, de nombreux agriculteurs refuseraient le changement.

Le niveau de rendement de l’agriculture biologique fait l'objet d'un vif débat scientifique. Il semblerait que certaines cultures biologiques obtiennent des rendements similaires à ceux obtenus dans l'agriculture conventionnelle, mais pas toutes. En agriculture biologique, les rendements sont étroitement liés aux conditions agro-climatiques locales et à la teneur en nutriments des sols. Les études concluent qu'en fonction de la localisation géographique et du produit cultivé, les rendements de l'agriculture biologique sont entre 5 pour cent et 34 pour cent inférieurs à ceux de l'agriculture conventionnelle (Seufert et al. 2012; de Ponti et al. 2012). Si la quantité de terres disponibles était suffisante, il serait possible de compenser cette baisse des rendements par des surfaces plus importantes, mais cela reviendrait alors à encourager le changement climatique, à moins de réduire la production animale en conséquence. En ce qui concerne les intrants, le facteur de la main-d'œuvre est particulièrement crucial dans l'agriculture biologique, car celle-ci a généralement besoin de davantage de main-d'œuvre, par exemple pour le désherbage. Il faudrait donc disposer d'une main-d'œuvre suffisante et peu onéreuse, ce qui n'est pas toujours le cas, même dans les pays en développement qui sont largement confrontés au phénomène de la migration urbaine.

La question de l'approvisionnement en nutriments doit également être prise en compte. Si les engrais synthétiques sont interdits dans l'agriculture biologique et que seuls certains engrais minéraux sont autorisés, il faudra mettre en place des cycles régionaux de substances nutritives afin de produire suffisamment d'engrais organiques ou de compost pour disposer des mêmes nutriments en quantité suffisante.

La question des prix est une question difficile. Dans les pays industrialisés, la nourriture est devenue un produit de masse qui est souvent vendu à des prix bas, alors même que les consommateurs pourraient certainement consacrer une part largement plus importante des revenus du foyer à l'alimentation. Cette tendance a un impact très négatif sur le caractère durable de l'agriculture, car elle incite les parties concernées à produire de la nourriture toujours moins chère. Au contraire, pour de nombreux consommateurs pauvres des pays en développement, les prix des aliments sont déjà tellement élevés qu'ils sont pratiquement inabordables. La majorité de ces consommateurs serait dans l'incapacité de débourser davantage pour des produits biologiques que pour les produits provenant de l'agriculture conventionnelle ou d'autres moyens de production durables.

Il existe diverses alternatives durables à l'agriculture intensive. Un système intégré de production animale et végétale, qui serait adapté aux conditions du site et utiliserait des mesures intégrées de protection des plantes, pourrait satisfaire à tous les critères de durabilité, sans, pour autant, pouvoir être considéré comme biologique en raison de l'utilisation de modestes quantités d'engrais et de pesticides. Les systèmes de production agricole intégrés peuvent produire des rendements supérieurs à ceux de l'agriculture biologique et se retrouvent donc en concurrence directe avec la méthode biologique.


Opportunités pour les petits agriculteurs

Où se situent les opportunités pour les petits agriculteurs ? Tant que l’agriculture conventionnelle et les autres formes d'agriculture durable parviendront à produire davantage à des prix de plus en plus bas, il sera probablement difficile pour l'agriculture biologique d’occuper une place dominante ou même de devenir la seule forme d'agriculture à court terme. Résultat, si la certification et la commercialisation aux normes biologiques sont impossibles, les opportunités pour les petits agriculteurs doivent aussi être envisagées à la lumière des alternatives existantes.

La situation est différente pour l'agriculture biologique certifiée, dont les produits sont principalement exportés vers les pays développés. C'est à ce niveau que se situe la meilleure opportunité pour l'agriculture biologique. Pour les agriculteurs qui disposent d’un produit adapté et de bonnes opportunités de commercialisation, il peut s'avérer très rentable de passer à l'agriculture biologique. Il n'est même pas toujours nécessaire de se lancer dans l'exportation vers les pays développés. Même s'il reste encore marginal, le marché des produits biologiques gagne peu à peu du terrain dans les pays émergents et même dans les pays en développement.
 

Hausse de la demande de produits biologiques

La hausse de la demande mondiale de nombreux produits alimentaires et autres produits agricoles entraîne une hausse des prix. Cette tendance représente une excellente opportunité pour les petits agriculteurs qui ont ainsi la possibilité de commercialiser leurs produits au-delà du marché local. Mais les petites exploitations des pays en développement sont confrontées à un certain nombre de désavantages structurels. La taille réduite des parcelles et la faible productivité limitent les quantités produites ; l'absence de connaissances sur les techniques de culture et de transformation aboutit à des produits de qualité inférieure ; la mauvaise organisation et l'accès limité aux informations sur les marchés rendent la commercialisation des produits plus difficile ; et l'absence de financement limite les investissements.

Au niveau mondial, les ventes de produits biologiques augmentent régulièrement. Le commerce mondial des produits biologiques a plus que triplé depuis 1999 : selon le FiBL (Institut de recherche de l'agriculture biologique, www.fibl.org), les ventes de produits biologiques ont atteint 44,5 milliards d'euros en 2010 (Willer, Kilcher 2012). Excepté en 2009, le taux de croissance annuel est toujours à deux chiffres (Willer, Kilcher 2011). Toutefois, par rapport au marché de l’alimentation dans son ensemble, le marché des produits biologiques reste un marché de niche : en 2011, les produits biologiques ne représentaient que 3,7 pour cent du marché de l’alimentation en Allemagne (BÖLW 2012), la moyenne étant de 2 pour cent dans l'ensemble de l’UE en 2007 (Commission européenne 2010).



La majeure partie du marché des produits biologiques se situe dans l'hémisphère Nord, sachant que plus de 90 pour cent des ventes ont lieu dans les pays industrialisés, notamment en Europe et en Amérique du Nord. Toutefois, grâce à l’évolution des modèles de consommation d’une classe moyenne toujours plus importante, les produits biologiques deviennent de plus en plus populaires dans les pays émergents et dans les pays en développement.

Il est donc probable que la demande de produits biologiques certifiés continuera à augmenter, une tendance que les petits agriculteurs peuvent et doivent exploiter. Grâce à des programmes de certification groupée, l'agriculture biologique certifiée aide ces agriculteurs non seulement à accéder au marché, mais aussi à devenir plus compétitifs et donc à améliorer leur position au sein de la chaîne de valeur.

Par exemple, en formant des groupes de producteurs ou en cultivant leurs produits sous contrat pour des exportateurs, les agriculteurs peuvent accéder à des marchés (internationaux) de produits agricoles axés sur la qualité. Il arrive également souvent que les programmes de groupe facilitent l'accès aux intrants agricoles (par exemple, par le biais d'un préfinancement) et aux services financiers (prêts et programmes d'épargne) pour les petits agriculteurs. Les services de vulgarisation à destination des petits agriculteurs leur permettent aussi de se conformer aux normes de l'agriculture biologique en améliorant leurs méthodes de culture, de récolte, de stockage et de transformation. La qualité produit qui en résulte leur permet d'accéder à un marché de niche dans lequel leurs produits sont généralement vendus à un meilleur prix. La production sous contrat offre fréquemment aux petits agriculteurs un débouché garanti pour leurs produits. Lorsqu'ils se regroupent, les agriculteurs bénéficient également de la commercialisation conjointe de leurs produits. Et l'utilisation réduite d’intrants externes (engrais et pesticides) permet de réduire les coûts, ce qui fait de l'agriculture biologique un système de production adapté à la situation économique des petits agriculteurs.

Enjeux

Le passage à une production biologique certifiée présente cependant quelques difficultés. Il n'existe, par exemple, aucune garantie quant à l'obtention de prix plus élevés, car le système ne dispose pas de prix minimum comme c'est le cas pour la certification FairTrade et pour d’autres programmes similaires. Quant à la vente sous contrat avec un seul acheteur ou exportateur, elle oblige le fermier à renoncer aux autres options de vente qui s’offrent à lui, ce qui n’est pas toujours une bonne solution. La quantité de connaissances requises par l'agriculture biologique n’est pas sans risque puisqu’elle oblige les agriculteurs à consulter des services de vulgarisation agricole. En outre, au-delà du coût de la certification elle-même, la transition vers l'agriculture biologique coûte cher, particulièrement si, comme c'est généralement le cas, il n'est pas possible d'obtenir des prix plus élevés pendant les deux ou trois années de la période de transition. Sans oublier la main-d'œuvre supplémentaire que requiert l'agriculture biologique et qui peut également entraîner des coûts supplémentaires.

En fonction des conditions locales, les rendements des agriculteurs biologiques sont parfois inférieurs à ceux des agriculteurs conventionnels. Toutefois, sachant que le niveau de productivité des petits agriculteurs des pays en développement est généralement très faible, toute intensification quelle qu'elle soit, associée à des conseils appropriés (y compris la conversion à l'agriculture biologique), peut conduire à une hausse des rendements.

Pour limiter les risques liés au marché et à la production, il est important que les agriculteurs diversifient leur production afin de limiter leur vulnérabilité à la volatilité du marché. De même, il est possible d'améliorer la stabilité des rendements et la capacité d'adaptation aux fluctuations météorologiques en cultivant des variétés adaptées aux conditions locales. Enfin, il est préférable pour la sécurité alimentaire de trouver un juste équilibre entre une agriculture orientée sur le marché et une agriculture de subsistance.

Même si l'agriculture biologique n'apparaît pas immédiatement comme un modèle agricole mondial satisfaisant, l'agriculture biologique certifiée offre néanmoins aux petits agriculteurs des pays en développement une alternative viable à l'agriculture conventionnelle. Elle requiert simplement un cadre favorable (notamment de bonnes conditions agro-climatiques), une formation adéquate, des services de vulgarisation agricole et l'accès à des marchés demandeurs de produits de qualité.

Consciente que l'agriculture biologique peut favoriser la sécurité alimentaire et la croissance économique des pays en développement, la GIZ apporte son soutien au renforcement des capacités des agriculteurs (voir encadré), mais aussi au renforcement des capacités des services de vulgarisation agricole publics et privés ainsi que des organismes de certification locaux.

 

Dr. Stephan Krall
Stefanie Kirse
Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ) GmbH
Eschborn, Allemagne
Stephan.Krall@giz.de

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