Photo: Houssou et al.

Traction animale – potentiel et contraintes

La traction animale conviendrait bien pour répondre à une partie de la demande d’énergie dans les exploitations agricoles de l’Afrique sub-saharienne, pourtant l’utilisation d’animaux de trait est limitée dans cette région. Les auteurs montrent pourquoi c’est le cas au Ghana.

Le développement agricole est invariablement associé à la disponibilité d’une énergie suffisante dans les exploitations agricoles. En Afrique sub-saharienne, de nombreux pays connaissent un accroissement de la demande alimentaire dû à la croissance démographique, à la migration entre le milieu rural et le milieu urbain et à l’urbanisation. Il existe par conséquent un besoin croissant d’énergie dans le secteur agricole de cette sous-région. En 2003, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), seulement 35 pour cent de l’énergie nécessaire dans les exploitations agricoles n’étaient pas fournis par l’homme, ce qui montre qu’il existe un fort potentiel d’utilisation de l’énergie mécanique dans les exploitations agricoles sub-sahariennes.

En réponse à ce besoin, la mécanisation agricole a récemment refait surface dans de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne. Plusieurs gouvernements africains ont fait des efforts considérables pour répondre aux besoins en énergie du secteur agricole. Au Ghana, par exemple, ces efforts sont en grande partie axés sur la fourniture de tracteurs subventionnés à la population agricole (voir Houssou et al., 2013). La traction animale est restée au second plan. En même temps, la forte demande de services de mécanisation et le nombre insuffisant de tracteurs pour répondre à la demande appellent à maîtriser d’autres sources d’énergie et à les utiliser efficacement pour répondre aux besoins alimentaires croissants du pays.

La technologie de la traction animale est une composante non négligeable de la mécanisation agricole. Les animaux de trait sont une source majeure d’énergie agricole dans les exploitations pratiquant l’agriculture pluviale de l’Afrique sub-saharienne, notamment chez les petits exploitants agricoles. Des études suggèrent que cette technologie reste d’actualité pour les communautés agricoles de certaines régions du Ghana. Compte tenu de la pénurie croissante de main-d’œuvre dans la plupart de ces communautés, de la disponibilité limitée de tracteurs et des différences régionales dans les caractéristiques du sol, les animaux de trait conviennent particulièrement bien aux travaux agricoles dans certaines parties du Nord du Ghana. La présente note documente le potentiel et les contraintes du développement de la traction animale dans le pays. Elle est la synthèse des travaux réalisés par Houssou et al. (2013) et des résultats d’une étude réalisée par l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires en collaboration avec l’Institut de recherche agricole sur la savane en 2013 (IFPRI/SARI, 2013). Les résultats et les conclusions de ce document peuvent être élargis à d’autres pays d’Afrique sub-saharienne où les animaux de trait sont utilisés comme source d’énergie agricole.

Qui a recours à la traction animale, et à quelle fin ?

La traction animale représente une étape intermédiaire à l’utilisation de tracteurs ailleurs, mais pas tellement en Afrique sub-saharienne. Les animaux de trait sont très utilisés en Asie qui en compte le plus grand nombre à l’échelle mondiale. De même, l’utilisation d’animaux de trait remonte à des siècles en Afrique du Nord et en Éthiopie. Au Ghana, la traction animale a été introduite par les Britanniques pendant la période coloniale. En 2007, seulement trois pour cent de l’énergie utilisée dans le secteur agricole du pays était fournis par des animaux de trait, deux pour cent par des tracteurs et 95 pour cent par la main-d’œuvre manuelle. Certaines parties du Ghana, et notamment les trois régions du nord, conviennent naturellement à l’utilisation d’animaux de trait en raison de la nature sableuse et peu profonde des sols qui nécessitent moins d’efforts de traction que les sols lourds du Sud qui est plus humide.

En ce qui concerne les activités agricoles, tout comme les tracteurs, les animaux de trait sont utilisés pour labourer, butter et/ou herser. La technologie est également utilisée pour transporter les produits agricoles, l’eau, le charbon de bois et le bois de chauffage, mais aussi les écoliers et les familles d’agriculteurs, dans des chariots. Les propriétaires utilisent essentiellement les animaux dans leurs propres exploitations, mais ils offrent également des services à leurs voisins qui louent les animaux et paient en espèces ou en nature. Comme ceux qui utilisent des tracteurs, les utilisateurs d’animaux de trait  pratiquent des cultures variées telles que le maïs, le riz, le mil, le sorgho, l’arachide, le niébé et le soja, entre autres. Ils utilisent des niveaux similaires d’intrants et obtiennent des rendements comparables. Surtout, l’étude IFPRI/SARI révèle également qu’un nombre considérable d’exploitations agricoles de moyenne importante (plus de deux hectares de terres cultivées) ont recours à des animaux de trait pour leurs besoins en énergie.

La traction animale est-elle rentable ?

Comparativement aux tracteurs, les animaux de trait et le matériel qui leur est associé représentent un investissement plus abordable. Par exemple, en 2012, une paire de bœufs de trait et le matériel nécessaire (charrue à versoir, soc et joug) coûtaient environ 1 800 cedis ghanéens (GHȼ), à comparer aux 17 000 GHȼ qu’il faut débourser pour un tracteur d’occasion et une charrue. De plus, il revient moins cher de labourer avec des animaux de trait qu’avec un tracteur (69 GHȼ contre 86 GHȼ à l’hectare labouré). Par conséquent, ceux qui utilisent des animaux de trait s’en tirent mieux en se contentant de cette technologie sur leurs petites exploitations si on prend en considération les coûts associés à l’utilisation de la technologie pour la préparation des terres cultivées. Néanmoins, le faible taux d’adoption de la traction animale pose la question de savoir si cette technologie est rentable au niveau de l’exploitation. Une étude antérieure (Panin,1989) donne à penser qu’investir dans la traction animale est rentable dans le nord-est du Ghana. Les conclusions de l’étude IFPRI/ SARI semblent aller dans ce sens, 80 à 87 pour cent des utilisateurs d’animaux de trait tirant un profit de leurs activités agricoles. De plus, lorsqu’elle est utilisée dans le cadre d’une prestation de service, la traction animale est rentable pour les propriétaires qui associent leur propre utilisation à des services, 71 pour cent des prestataires interrogés (17 sur 24) réalisant des bénéfices. Ces résultats donnent à penser qu’il est économiquement justifié d’utiliser des animaux de trait dans les régions qui s’y prêtent.

Quels sont les problèmes auxquels sont confrontés les utilisateurs ?

L’adoption de cette technologie est décevante dans la majeure partie de l’Afrique sub-saharienne. Un des principaux obstacles à l’utilisation de la traction animale a peut-être été la soudaine importance accordée à la « tractorisation » après l’indépendance et la volonté de sauter l’étape de la traction animale dans la sous-région (Pingali et al., 1987). Toutefois, les organismes nuisibles et les maladies, entre autres, ont également fait obstacle à l’utilisation généralisée de cette technologie dans cette partie du monde. Au Ghana, l’adoption de la traction animale est essentiellement freinée par des problèmes de conception et des questions socio-économiques. Un des problèmes de conception tient à ce que la plupart des charrues et butteuses utilisées dans le pays sont des copies du matériel agricole européen Eberhardt mis au point pour les animaux de plus grande taille qu’on trouve dans les régions tempérées. Pour les petits animaux utilisés au Ghana, les modèles Eberhardt élèvent trop les points d’attache entre le harnais et le matériel si bien que le centre de résistance est repoussé loin derrière ce dernier. Cela stresse les animaux, impose une pression inutile au conducteur de l’attelage et entraîne une fatigue précoce.

Les jougs de garrot actuels et l’harnachement traditionnel sont inconfortables pour les animaux. Les points de contact du joug sont si petits que la pression exercée entraîne des douleurs au niveau du harnais et gêne les animaux pendant les travaux. Par ailleurs, les agriculteurs se sont plaints de l’usure rapide de leurs socs de charrue. Les socs locaux fabriqués par des forgerons s’usent très rapidement en raison de la dureté insuffisante du métal utilisé. Le soc amélioré en acier moulé, qui a été mis au point par des chercheurs locaux, n’est pas connu de ceux qui utilisent la traction animale. Les outils de travail du sol forgés localement sont réalisés à partir de ferraille métallique dont le traitement thermique est insuffisant si bien qu’ils s’usent très rapidement.

La prévalence de maladies est également un obstacle considérable au développement de la traction animale au Ghana. Les races de bœufs utilisées sont notamment le Shorthorn d’Afrique occidentale, le Sanga et le N’dama. Ces races sont trypano-tolérantes mais elles sont peu résistantes. Dans les régions infestées par la mouche tsé-tsé, vecteur de la trypanosomiase, les bœufs de trait deviennent très improductifs en raison d’avortements, de stérilité, de faible croissance et de la longueur des intervalles de vêlage. Mais la plupart des agriculteurs locaux et des pasteurs peulhs savent identifier les symptômes de la trypanosomiase et ont généralement des connaissances autochtones leur permettant de soigner certaines maladies animales.

Sur le plan socio-économique, on constate une pénurie de main-d’œuvre et, en raison de l’accélération de la scolarisation, un manque de jeunes garçons qui avaient l’habitude de conduire les animaux de trait. De même, les régions dans lesquelles la traction animale est prédominante sont situées dans la partie la plus sèche du Ghana. Dans ces régions, la disponibilité de l’alimentation animale et de l’eau pendant la saison sèche pose des problèmes. Enfin, le vol est un obstacle majeur au développement de la traction animale dans le pays.

Que faire pour soutenir le développement de la traction animale ?

Comme pour le tracteur, la traction animale peut contribuer à améliorer la production agricole et la sécurité alimentaire dans de nombreux pays d’Afrique sub-saharienne où cette technologie reste applicable. En s’attaquant aux problèmes auxquels sont confrontés les utilisateurs d’animaux de trait il est probable qu’on créerait un environnement favorable au développement de cette technologie. La recherche et une politique appropriée sont indispensables au renforcement et à la modernisation de la technologie de la traction animale. Au Ghana, par exemple, pour que la traction animale prenne une autre dimension, il faudrait remettre en service  les centres de formation abandonnés, aider les forgerons locaux et investir dans la recherche sur la traction animale. De même, la réduction des besoins de main-d’œuvre doit faire partie intégrante de l’amélioration de la technologie de la traction animale dans le pays.

Nazaire Houssou, Shashidhara Kolavalli
Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)
Washington D.C., États-Unis

Emmanuel Bobobee, Victor Owusu
Université des sciences et technologies Kwame Nkrumah (KNUST)
Kumasi, Ghana
Contact: N.Houssou@cgiar.org

Bibliographie (en anglais)
Houssou, N., S. Kolavalli, E. Bobobee, and V. Owusu. 2013: Animal Traction in Ghana. Ghana Strategy Support Program Working Paper No. 34. Accra: International Food Policy Research Institute.

IFPRI/SARI (International Food Policy Research Institute/Savannah Agricultural Research Institute). 2013. Survey Data. 


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