Patrick Sakyi à la tête des activités de commerce mobile de Farmerline.

Les jeunes et l’agrobusiness en Afrique : passer de la connaissance à l’action

Comment persuader les jeunes ruraux de ne pas migrer vers les villes ? L’auteur souligne la possibilité d’encourager l’entrepreneuriat et de créer des modèles de référence.

Il y a quelques mois, j’ai eu la chance de prendre la parole à l’occasion des Briefings de Bruxelles sur le développement rural (Briefing numéro 49) qui ont eu lieu au secrétariat ACP dans la capitale belge. Le briefing mettait l’accent sur « Les jeunes dans l’agrobusiness : l’avenir de l’agriculture ». Une des principales leçons que j’ai tirées de la conférence, c’est qu’on ne peut pas forcer les jeunes ruraux à travailler dans l’agriculture. Il faudrait au contraire créer un environnement favorable pour que les jeunes réussissent dans l’agriculture et l’agrobusiness. Il faudrait encourager les jeunes à tirer parti des nombreuses opportunités prometteuses offertes par le secteur, notamment de nouveaux emplois dans la chaîne de valeur agricole.

Les jeunes ruraux sont actuellement confrontés à de nombreux problèmes. L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a identifié six difficultés majeures auxquelles sont confrontés les jeunes qui choisissent de travailler dans l’agriculture :

  • accès insuffisant aux connaissances, aux informations et à l’éducation ;
  • accès limité à la terre ;
  • accès insuffisant aux services financiers ;
  • accès difficiles aux emplois verts ;
  • accès limité aux marchés ; et
  • participation limitée au dialogue politique.

Mais nous avons de nombreux exemples de jeunes de divers pays africains qui sont déterminés à réussir malgré ces difficultés. Ces « agripreneurs » progressent à pas de géant dans tous les domaines du secteur – de l’activité agricole et la transformation à la gestion de l’épargne, la communication et aux plateformes de collecte de données intelligentes.

Mon entreprise, Farmerline, est une entreprise ICT4Ag (TIC pour l’agriculture) installée au Ghana. Grâce à la téléphonie mobile, elle permet aux agriculteurs d’avoir accès à d’importants conseils et d’importantes informations agricoles, accès qu’ils n’avaient pas auparavant. Elle offre également une plateforme de collecte de données intelligentes aux organisations qui collaborent avec les agriculteurs.

Parmi les autres exemples d’innovations, citons la Lakeshore Agro-Processing Enterprise, au Malawi, qui produit et transforme la fève de soja et le manioc avec des agriculteurs qui, là encore, n’auraient pu le faire auparavant. Ensibuuko, une start-up ougandaise, contribue à moderniser l’infrastructure bancaire pour les coopératives d’épargne et de crédit (Savings and Credit Cooperatives – SACCO) afin d’améliorer la prestation de services financiers à la population ougandaise non bancarisée. Elle a mis au point un logiciel de microfinance hébergé « dans le nuage » (cloud-based) spécialement conçu pour les coopératives financières. Il y a également Jangolo, une entreprise de technologie agricole qui élabore des solutions qui facilitent la vie aux agriculteurs et leur permettent de promouvoir leur marque et leurs produits au Cameroun et à l’étranger.

Ce ne sont là que quelques exemples parmi les nombreuses entreprises gérées par de jeunes entrepreneurs ayant identifié des stratégies gagnantes. Avec ce type d’engagement actif de jeunes, l’avenir de l’agriculture et de l’agrobusiness semble prometteur dans de nombreux pays africains. Si cet élan est soutenu et perdure au cours de la prochaine décennie, notre réalité sera bien différente de celle de la génération précédente.

Le rôle des jeunes fait l’objet de nombreuses discussions. En Afrique, on estime que les trois quarts de la population ont moins de 35 ans. Cette statistique donne une bonne indication de la tranche d’âge porteuse de notre avenir ; or l’agriculture et l’agrobusiness offrent aux jeunes une opportunité prometteuse. Mais lorsqu’on parle de l’avenir des jeunes, il ne faut pas oublier qu’ils manquent souvent d’expérience en matière de développement économique et qu’ils peuvent avoir besoin d’un espace dans lequel structurer leurs idées et devenir des leaders. J’entends par là qu’ils ont besoin d’être encadrés et d’être formés au leadership et au développement d’entreprises.

Le lancement des espaces de travail collaboratif et de pépinières d’entreprises est louable. Toutefois, un examen rapide montre que les pépinières d’entreprises sont situées dans les capitales ou de grandes villes. Comme nous encourageons les jeunes à se lancer dans l’agriculture et l’agrobusiness et décourageons la migration rurale-urbaine motivée par la recherche d’emplois non existants, la mise en place de ces importantes pépinières d’entreprises plus près des communautés rurales dans lesquelles vivent les jeunes agriculteurs et agripreneurs pourrait s’avérer essentielle. Les pépinières d’entreprises devraient non seulement mettre l’accent sur les TIC, mais aussi sur le développement des compétences entrepreneuriales et la formation au leadership. Nous devons également penser aux réseaux de leadership qui permettront aux jeunes d’améliorer leurs compétences en leadership et leur donneront la possibilité de participer au dialogue politique.

De plus, il faudrait prendre plus en considération ces jeunes qui font un travail remarquable dans les zones rurales. Un système d’attribution de prix a déjà été lancé en Gambie. Le Rural Youth Award, créé par le chapitre gambien du Réseau mondial des jeunes pour l’innovation (RMJI), a pour objectif de célébrer la réussite, motiver et inspirer les jeunes ruraux participant à la chaîne de valeur, et ainsi les aider à devenir autonomes, l’investissement dans la chaîne de valeur incluant l’encadrement, le mentorat,  des conseils en matière de développement économique et l’accumulation d’actifs pour les entreprises. Je considère que cette initiative est une bonne chose et qu’elle est digne d’éloges.
Nous avons également besoin d’une campagne mondiale délibérée et soutenue visant à améliorer l’image de la profession. Dans le passé, des campagnes sur la santé publique dans le monde, sur le changement climatique et sur les objectifs de développement durable ont connu une belle réussite. L’agriculture et l’agrobusiness pourraient bénéficier d’une campagne de ce type.

Aujourd’hui, de jeunes entrepreneurs sont actifs et connaissent la réussite dans ce secteur. Dans chaque pays nous pouvons cibler les jeunes entrepreneurs déterminés et visionnaires qui sont les éléments moteurs d’innovations dans la chaîne de valeur agricole. Nous devons également reconnaître et soutenir le travail d’institutions telles que le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) dans ses efforts et son engagement à soutenir les activités des jeunes agripreneurs. Le CTA a publié un « Guide de l’agripreneuriat digital : La voie du succès pour les entrepreneurs des pays ACP ». Ce guide est le premier du genre et les jeunes aspirant à travailler dans le domaine ICT4Ag se doivent de le lire.

Comme l’a dit un jour Herbert Spencer (1820 –1903) : « The great aim of education is not knowledge but action » (l’objectif principal de l’éducation n’est pas le savoir mais l’action). En Afrique, les jeunes entrepreneurs qui se sont engagés dans l’agriculture et ses chaînes de valeur préparent la voie à d’autres. Ils deviennent progressivement les modèles et les mentors qu’ils n’ont jamais eus. J’encourage d’autres jeunes à utiliser leur savoir et leur éducation pour s’engager dans ce secteur. Lorsqu’ils le feront, il est probable qu’ils en bénéficieront. Même si les bénéfices ne sont pas immédiats, ils tireront les leçons de leurs actions et d’autres jeunes en bénéficieront également.

Patrick Sakyi a grandi au Ghana. Né dans une famille d’agriculteurs, il a choisi d’étudier l’agriculture. Il a étudié l’économie rurale et la gestion à l’université de Gand, en Belgique. Passionné d’agriculture et de développement rural, il est rentré au Ghana juste après ses études et a travaillé comme assistant de recherche à la réalisation de plusieurs projets agricoles. Patrick Sakyi dirige aujourd’hui les activités de commerce mobile de Farmerline.

Contact : patrick (à) farmerline.co
patrick@farmerline.co

Liens et autres lectures
Briefings de Bruxelles sur le développement rural (Briefing numéro 49)
brusselsbriefings.net/past-briefings/49-youth-in-agribusiness/

Farmerline
http://farmerline.co/

Publication de la FAO : Les jeunes et l’agriculture : principaux enjeux et solutions concrètes
http://www.fao.org/3/a-i3947e.pdf

Lakeshore Agro-Processing Enterprise
http://malawi.searchinafrica.com/business/6020106/malawi/lilongwe/agro-processing/lakeshore-agroprocessors-enterprise

Ensibuuko
http://www.ensibuuko.com/

Jangolo
https://www.jangolo.cm/

The Rural Youth Award
http://www.siani.se/event/gambia-rural-youth-award-2017/april-2017

Réseau mondial des jeunes pour l’innovation
http://www.gyin.org/

Guide de l’agripreneuriat digital
https://publications.cta.int/media/publications/downloads/1984_PDF_2YAJVKe.pdf

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www.rural21.com/francais/regardons-de-plus-pres/detail/article/de-la-finance-agricole-a-lutilisation-de-drones-les-debuts-dune-nouvelle-generation-dagripreneu/www.rural21.com/francais/regardons-de-plus-pres/detail/article/la-connaissance-au-service-du-developpement-00002525/

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