Jour de marché à Djenné, devant la mosquée célèbre dans le monde entier pour son architecture d'argile.
Photo: A. Wilcke

Le tourisme malien sous la menace terroriste

Celui qui visite le Mali, ce pays sahélien de l’Afrique de l’ouest, se trouve comme transporté dans le passé. Aujourd’hui encore, l’architecture en argile et les cultures des villes de Djenné, Mopti, Tombouctou sont l’expression d’un artisanat des plus impressionnants ainsi que de la prospérité des royaumes d’antan. Pour que le tourisme puisse profiter de ces trésors, le Mali a massivement investi dans le secteur touristique. Cependant, en raison d’avertissements aux voyageurs émis par les pays européens et des attaques renouvelées d’Al-Qaïda au Maghreb, le nombre de touristes ne cesse de baisser, surtout dans le Nord. Les attaques lancées par les Touaregs en janvier 2012 sont en train de peser encore plus lourdement sur le secteur du tourisme dans le Nord du Mali.

Du XVe au XVIIe siècle, l’ancien Royaume du Mali a été considéré par les Européens et les Arabes comme l’Eldorado, le pays de l’or. Dans la légendaire Tombouctou, à l’orée du Sahara, on prétend que les rues étaient pavées d’or. Il reste peu de choses de cette splendeur. De nos jours, le Mali est parmi les pays les plus pauvres de la planète. En 2010, il occupait le 160ème rang sur 169 pays de l’indice des Nations-unies pour le développement humain. Cependant, la visite des anciennes villes royales de Tombouctou, Ségou, Djenné et Mopti offre une rencontre avec cette architecture unique en argile et avec les traditions des nombreuses tribus du pays qui, depuis l’indépendance il y a de cela 50 ans, vivent paisiblement ensemble. L’or continue d’être une importante source de revenus pour le Mali qui est le troisième producteur d’or en Afrique. Toutefois, avec près de 80 pourcent du produit intérieur brut, l’agriculture est le secteur économique le plus important. Le coton est le produit agricole le plus exporté ; il est cultivé dans la région fertile du sud-est du pays, à la frontière avec le Burkina Faso. A la troisième place des secteurs les plus importants, le tourisme a bénéficié de 630 milliards de francs CFA investis par le pays au cours des quelques dernières années (1 000 francs CFA = 1,5 euros). Ces investissements ont concerné le développement des secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, y compris en zones rurales, et l’amélioration de l’infrastructure comme les routes et les transports publics à travers le pays. Le projet de visa commun que le gouvernement malien compte mettre en place avec les pays voisins (Mauritanie, Burkina Faso et Niger) est un autre pas vers le développement du tourisme.

Ségou, la capitale du Royaume Bambara du XVIe au XVIIIe siècle
Non loin de la capitale Bamako, se trouve Ségou. A première vue, l’ancienne ville royale et la ville coloniale de garnison sur les rives de l’indolent Niger semblent avoir peu de choses à offrir. Mais cela vaut la peine de s’y attarder un peu. Le Royaume Bambara de Ségou est parvenu à son apogée sous Mansa, (le Roi) Monzon à la fin du XVIIIe siècle. Le palais royal, situé non loin, à Sékoro, a été restauré grâce à l’aide internationale ; il témoigne de la puissance dont jouissait le Royaume Bambara. Celui-ci ne fut mis en échec qu’à la deuxième moitié du XIXe siècle par le Musulman El-Hadj Omar Saidu. Pour parvenir au Palais de Ségou, les sujets du Roi devaient passer à travers sept galeries gardées que l’on  peut de nouveau admirer de nos jours. Les bâtiments administratifs et les villas de maîtres des colons français valent eux aussi le détour.

Le pays Dogon : opportunités et risques liés au tourisme
Le pays Dogon, 500 kilomètres au nord-est de la capitale Bamako, abrite l’une des cultures les plus importantes d’Afrique. Elle s’est développée à partir du XIVe siècle. L’accès au pays Dogon est toujours difficile. Les villages nichés dans la Falaise de Bandiagara, un escarpement de quatre-vingt kilomètres de long, ne peuvent être atteints qu’à pieds et le seul moyen de traverser la région, c’est de s’engager dans les pistes poussiéreuses dans un véhicule tout-terrain. Néanmoins, grâce à ce mélange unique de nature et de culture, le pays Dogon est devenu l’attraction touristique la plus importante du Mali.
Avec l’agriculture, le tourisme représente une importante source de revenus pour les habitants du pays Dogon. Des guides locaux expérimentés sont nécessaires pour accompagner les visiteurs jusqu’aux villages. De petites auberges sont en cours de création ainsi que des musées dans les agglomérations les plus importantes. Des danses masquées sont exécutées à l’adresse des touristes si la réservation en a été faite d’avance. Des mesures préliminaires ont été prises en matière d’écotourisme. La capitale du pays Dogon, Bandiagara, a vu l’ouverture de deux nouveaux hôtels qui répondent à des normes plus strictes. On trouve un peu partout des camps offrant des services de restauration pour les touristes « sac à dos ».

Les groupes d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (GAQMI) que l’on soupçonne d’être présents au Nord du Mali, constituent une menace qui a amené un certain nombre de pays occidentaux, notamment la France, à déclarer le pays Dogon zone d’alerte rouge, ce qui a eu pour conséquence la forte baisse du nombre de touristes.

Une menace pour le tourisme: les attaques d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique
Depuis 2008, le groupe terroriste Al-Qaïda au Maghreb Islamique a considérablement déstabilisé les pays du Sahel –le Mali, la Mauritanie et le Niger— en commettant de nombreux assassinats dans la région alors que le conflit avec les Touaregs venait tout juste d’être réglé. Les provinces du Nord du Mali, et en particulier Tombouctou jadis si importante, qui peut encore s’enorgueillir de tellement de légendes, a été déclarée zone d’alerte rouge par des pays européens comme la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne. Cette décision fut un coup fatal pour le tourisme. Après une accalmie de près d’une année, les GAQMI ont lancé une attaque contre Tombouctou en novembre 2011, tuant un touriste allemand et en kidnappant trois autres. A la suite de cette attaque, les touristes vont probablement éviter la région ; les hôtels et restaurants nouvellement ouverts et dont la création s’est faite grâce à l’appui de l’Etat au cours des dix dernières années attendront des clients en vain.

D’après les statistiques, 45 000 personnes ont visité Tombouctou en 2006 ; en 2009, ils étaient 4 000 et, pour les six premiers mois de 2011, ils n’étaient plus que 429. Selon les estimations, AQMI serait constitué d’environ 200 personnes. Bien que leurs effectifs aient été considérablement réduits suite aux attaques militaires algériennes et maliennes, ils continuent d’entretenir des sanctuaires dans le désert, y compris au Nord du Mali. D’après des études effectuées par la Fondation Friedrich Ebert, AQMI disposerait de près de 100 millions de dollars des Etats-Unis  acquis dans la prise d’otages, mais aussi dans le trafic illicite de drogues et d’armes, trafic en augmentation au Sahara, une région qui ne peut guère être mise sous surveillance (Annette Lohmann: Who Owns the Sahara? Friedrich-Ebert-Stiftung, 2011).

Conséquences pour la population
Le Mali qui avait fondé de grands espoirs sur le secteur du tourisme, comptait y créer de nombreux emplois grâce aux sites touristiques les plus importants du pays, y compris non seulement Tombouctou, mais aussi Djenné et le Pays Dogon, sites inscrits par l’UNESCO sur la liste du Patrimoine Mondial. Mais la fréquentation des hôtels et des restaurants laisse à désirer et les nombreux voyagistes et guides attendent les touristes en vain. C’est ainsi que l’on redoute que l’investissement dans le tourisme, composante importante de la politique malienne de lutte pour la réduction de la pauvreté, n’aboutira à rien. Comme partout ailleurs dans le monde, les plus touchés sont les jeunes. Ils sont nombreux à avoir reçu une formation de guide touristique officiel ou à avoir ouvert de petites agences de voyages. S’ils perdent leur emploi, beaucoup d’entre eux se dirigeront vers la capitale Bamako où ils viendront gonfler les rangs des nombreux demandeurs d’emploi. Ils peuvent aussi tomber dans les griffes des trafiquants de drogues et d’armes de Côte d’Ivoire et d’autres pays voisins qui, de plus en plus, font transiter leurs marchandises par le Mali. La Fondation Friedrich Ebert estime que l’ampleur prise par le crime organisé dans le trafic de drogues et d’armes constitue une menace à la stabilité du pays. Les attaques d’Al-Qaïda semblent elles aussi poursuivre les mêmes objectifs.

Conclusions
Pour la plupart des pays en développement, le tourisme est devenu un secteur d’activité important dont peuvent bénéficier en particulier les populations rurales locales. Que ce soit en Afrique, en Asie ou en Amérique Latine, plusieurs de ces pays disposent d’importants atouts naturels et culturels qui attirent de véritables nuées de touristes d’Europe ou d’Amérique du nord. Bien qu’il n’ait pas de plages de cocotiers, le Mali s’enorgueillit de monuments culturels qui sont probablement parmi les plus beaux ainsi que de l’architecture d’argile la plus saisissante d’Afrique de l’Ouest. Au cours des dix dernières années, le pays a procédé à des investissements massifs pour le développement du secteur touristique, alors que de nombreuses entreprises privées créaient de petites entreprises touristiques à travers le pays et ouvraient des hôtels dans les sites les plus attractifs comme Tombouctou, Mopti, Djenné et Bandiagara dont certains sont très confortables. A cause des attaques d’Al-Qaïda au Maghreb Islamique contre les touristes à Tombouctou vers fin novembre 2011 et des avertissements aux voyageurs concernant l’ensemble de la région Nord du Mali (qui inclut aussi le Pays Dogon), ces investissements semblent avoir été faits en vain. Il va de soi qu’au-delà du secteur touristique, c’est la stabilité de la région tout entière qui a été frappée par les activités d’AQMI. Des mesures volontaristes doivent être prises pour empêcher davantage de déstabilisation, par exemple en apportant un appui politique et économique au développement des provinces du Nord durement touchées. Il faut que des emplois soient créés pour, entre autres, compenser les emplois perdus dans  le secteur du tourisme. Une possibilité serait de développer l’agriculture le long du fleuve Niger comme le prévoient les plans du gouvernement malien. Les partenaires européens du Mali –la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni— devraient contribuer à cet effort car le Mali est incapable de faire face à ce défi tout seul. L’action militaire contre les organisations terroristes ou le trafic organisé de drogues et d’armes ne suffira pas.

Les révoltes Touaregs, une nouvelle menace au Nord du Mali
Les révoltes des Touaregs constituent une nouvelle menace, surtout au Nord du Mali. D’après un rapport de la Société pour les Peuples Menacés (STP) daté de février 2012, le secteur touristique a été durement touché à Tombouctou et risque l’effondrement total. La Société pour les Peuples Menacés soutient que les Touaregs ont deux objectifs : débarrasser la région d’Al-Qaïda par leur révolte et, de nouveau, affirmer leur droit à l’autodétermination à l’égard du gouvernement malien. Egalement selon le rapport de la STP, les rebelles accusent le gouvernement du Mali de ne pas exécuter l’ensemble des Accords de paix signés à Alger en 2009 et de ne pas s’occuper suffisamment du Nord du pays, région qui a été trop longtemps négligée. Par ailleurs, il semble y avoir un afflux massif de jeunes Touaregs venus de Libye. Suite à l’effondrement du régime de Kadhafi, un très grand nombre de Touaregs ont dû quitter la Libye.  « Ces jeunes Touaregs n’ont aucune perspective ; ils reviennent dans une région contrôlée par des islamistes radicaux appartenant à AQMI (Al-Qaïda au Maghreb Islamique) » s’inquiète la STP.

Angelika Wilcke
DLG-Verlag GmbH
Frankfurt/Germany
a.wilcke@dlg.org

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