Oasis dans la région du Kanem, bassin du Lac Tchad. Femmes du village participant au programme Grande muraille verte.
Photo : Andrea Borgarello pour TerrAfrica / Banque mondiale

L’Afrique prend en main la restauration des écosystèmes et des paysages

Près des deux tiers des terres africaines sont dégradées. La situation est d’autant plus grave que les populations rurales, et surtout les petits exploitants agricoles et les ménages, dépendent largement de terres saines et du couvert arboré. Les auteurs montrent comment le continent réagit face à ce problème en mettant en œuvre des initiatives de restauration des paysages forestiers dont une des plus récentes est l’initiative AFR100.

Les communautés rurales africaines dépendent essentiellement des forêts pour leurs besoins quotidiens et leur survie. Des habitants de communautés africaines rurales vont régulièrement dans la forêt ramasser du bois pour préparer leur prochain repas, alors que d’autres vont cueillir des champignons, des fruits, des fruits à coque, des baies et des herbes qu’ils vendent localement pour gagner leur vie. Les forêts assurent donc le bien-être et les moyens d’existence des populations du continent africain.

Une autre fonction importante des forêts africaines est leur potentiel de création d’emplois. Le secteur de production du bois d’œuvre emploie des dizaines de millions de personnes, et par conséquent de ménages, qui ramassent du bois à petite échelle, produisent du charbon de bois, le transportent et le vendent au détail.  

La population rurale tire environ un quart de ses revenus de la collecte et de la vente directe de semences végétales, de pousses et de racines, de champignons, d’animaux sauvages et d’insectes. Les produits forestiers non ligneux sont également récoltés et vendus comme médicaments, éléments de décoration, huiles essentielles et produits cosmétiques. En Afrique, nous utilisons beaucoup d’huile de palme dans nos produits ; cette huile provient des forêts de palmiers.

Certaines familles gagnent leur vie en cueillant les fruits de ces palmiers, fruits dont ils se servent pour produire et vendre localement le vin de palme – une boisson alcoolisée très populaire en Afrique de l’Ouest. Toutefois, cette forte demande de services assurés par les forêts entraîne une situation difficile : nous sommes confrontés à la déforestation accrue et à une dégradation rapide de nos paysages forestiers.   

Un cercle vicieux de pauvreté et de surexploitation des ressources

Tous les ans, le continent perd près de trois millions d’hectares de forêt et de terres, cette perte s’accompagnant d’un recul estimé à trois pour cent du PIB en raison de l’épuisement des sols et des nutriments. Il résulte de ce processus que près des deux tiers des terres africaines sont dégradées et que des millions de personnes sont confrontées à la faim, la malnutrition et la pauvreté et qui, pour survivre, doivent encore plus déboiser et, souvent, surexploiter les ressources naturelles du continent. Non seulement ces actions intensifient les effets du changement climatique, mais elles freinent gravement le développement économique et menacent les fonctions écologiques vitales pour les économies des pays africains.

Les petits exploitants agricoles et les ménages ruraux sont ceux qui souffrent le plus de la détérioration des terres dans la mesure où leurs activités dépendent en grande partie de la stabilité des régimes climatiques, de la salubrité des sols et du couvert forestier, ainsi que de l’eau. Souvent, les conditions cadres telles que la gouvernance des richesses naturelles et la cohérence des politiques ne favorisent pas la restauration à grande échelle, sans compter que de nombreux autres obstacles freinent le progrès. Ces obstacles sont notamment les suivants : faiblesse de la coordination institutionnelle, inadéquation des mécanismes de dévolution aux utilisateurs locaux des ressources, et insuffisance des incitations économiques pour les investissements locaux et étrangers dans la gestion durable des terres.

Ces problèmes, qu’on rencontre à l’échelle mondiale, ont entraîné une plus grande sensibilisation au potentiel que la restauration des paysages forestiers (RPF) a d’offrir de nombreux avantages aux populations et de soutenir l’évolution vers la réalisation de multiples objectifs nationaux et des objectifs de développement durable (ODD), en favorisant la sécurité alimentaire, la réduction de la pauvreté, la réhabilitation, la régénération et la restauration des terres, la conservation de la biodiversité et la résilience au changement climatique. Diverses initiatives de restauration mondiales et régionales en ont découlé (voir l’encadré).

Initiatives de restauration mondiales et régionales

Des douzaines de gouvernements nationaux se sont engagés à restaurer les terres déboisées et dégradées dans le cadre d’initiatives de restauration mondiales et régionales, parmi lesquelles le Défi de Bonn, qui a été lancé en septembre 2011 et a été approuvé et prolongé par la Déclaration de New York sur les forêts du Sommet 2014 des Nations unies sur le climat. Le Défi de Bonn vise la restauration de 150 millions d’hectares d’ici à 2020 et de 350 millions d’hectares d’ici à 2030. Il est soutenu par l’Initiative 20x20, qui cherche à restaurer 20 millions d’hectares en Amérique latine et aux Caraïbes d’ici à 2020. L’Initiative AFR100 soutient également le Défi de Bonn.

La réaction de l’Afrique

Les pays africains ont, eux aussi, de nombreuses opportunités d’accélérer la restauration des paysages forestiers en rétablissant les forêts déboisées, ainsi que les paysages agricoles et pastoraux dégradés où le couvert boisé a en partie disparu. Avec plus de 700 millions d’hectares de paysages dégradés, l’Afrique est unique en ceci qu’elle a la plus grande opportunité de restauration de tous les continents de la planète. Des expériences menées dans de nombreux pays africains, dont le Malawi, le Rwanda, l’Éthiopie et le Niger, pour n’en citer que quelques-uns, ont montré que la RPF offre un large éventail d’avantages et peut être réalisée sur des millions d’hectares.

Des expériences menées à terme avec des pratiques de restauration éprouvées telles que la régénération naturelle gérée par les agriculteurs (RNGA ; voir l’article « Reverdir d’abord les mentalités, puis les paysages » ), la régénération naturelle assistée (RNA), etc., ont amélioré la gestion des parcelles boisées de petits exploitants agricoles, la reforestation, l’agriculture de conservation avec des cultures arborées intercalaires et des pratiques associées de gestion durable des terres et des eaux (GDTE), par exemple la collecte des eaux et la lutte contre l’érosion ont été documentées, ainsi que les mesures pratiques pouvant être encouragées pour catalyser leur adoption à grande échelle. L’initiative Grande muraille verte (voir l’encadré du bas) est un effort majeur qui a été lancé en 2007.

L’Initiative pour la restauration des paysages forestiers africains (AFR100) est une mesure plus récente. Elle a été lancée en décembre 2015 à l’occasion du Forum mondial sur les paysages de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques. Le fait qu’à ce jour 28 pays africains participent à l’initiative et se sont engagés à restaurer un total de 113 millions d’hectares de forêt dégradée d’ici à 2030, ainsi que les progrès déjà réalisés au cours des quatre premières années, est extrêmement prometteur.

Actuellement, 20 pays partenaires ont achevé leur évaluation de la restauration en utilisant la méthodologie d’évaluation des opportunités de restauration des paysages (Restoration Opportunities Assessment Methodology – ROAM). Cette méthodologie a été mise au point par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) et l’Institut des ressources mondiales (WRI) ; elle aide les pays à identifier et analyser les zones qui sont prêtes pour la restauration des paysages forestiers (RPF). Grâce à cette évaluation, les pays ont commencé à élaborer des stratégies RPF en coopération avec toutes les parties prenantes nationales concernées qui guideront et coordonneront les activités de mise en œuvre.   

En ce qui concerne la mise en œuvre, chaque pays a sa propre stratégie en fonction de la présence de partenaires techniques et financiers, de leurs besoins et des opportunités. Certains gouvernements, par exemple celui du Malawi, ont affecté des fonds pour les activités de mise en œuvre de la RPF, alors que d’autres collaborent avec le secteur privé et des partenaires gouvernementaux et financiers tels que la Banque mondiale, le ministère fédéral allemand du Développement (BMZ), le ministère fédéral allemand de l’Environnement (BMU) ou le Fonds pour l’environnement mondial (FEM).

La mise en œuvre de la RPF sur le terrain est conforme à la stratégie adoptée et est guidée par les pays. Elle est généralement dirigée par le gouvernement lui-même, par le biais de campagnes de plantation d’arbres, par plus de 30 partenaires techniques tels que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Fonds mondial pour la nature (WWF), le WRI, l’UICN, etc., par des entreprises du secteur privé ou par des partenaires locaux tels que des organisations de la base, des communautés, des associations de femmes ou des groupes de jeunes.

Combler les lacunes en matière de financement et de capacités

L’AFR100 est toutefois confrontée à des difficultés qu’il faut surmonter dans les années à venir pour que tous les pays puissent atteindre leurs objectifs de mise en œuvre de la RPF. Il est à noter que la présence des partenaires techniques et financiers n’est pas la même dans les pays partenaires. Alors que certains pays bénéficient du soutien de plus de dix partenaires techniques et financiers, par exemple le Kenya, Madagascar et la Tanzanie, d’autres pays n’ont pas de partenaires, ou alors un ou deux, pour les aider, comme c’est le cas du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Mozambique. L’AFR100 va devoir trouver des moyens d’améliorer l’assistance technique et financière dans les pays qui en sont dépourvus ou dans lesquels elle sous-représentée. Cela permettrait également d’aborder la question du manque de capacités locales et nationales pour la mise en œuvre et les bonnes pratiques de la RPF dans certains pays partenaires.   

L’AFR100 s’efforce de combler ces lacunes en organisant des échanges de connaissances tels que les webinaires que nous avons prévus entre nos pays partenaires et les partenaires financiers afin d’améliorer l’accès aux possibilités de financement. L’AFR100 comble également le fossé financier d’une autre façon, grâce au Land Accelerator annuel, une initiative dirigée par les partenaires de l’AFR100 et visant à former les entrepreneurs des pays africains au moyen de sessions de planification des activités et d’incubation d’entreprises.

À ce jour, le Land Accelerator, organisé par le WRI et Fledge (réseau mondial d’accélérateurs d’entreprises et de fonds de lancement), a eu lieu deux fois à Nairobi, Kenya, en 2018 et 2019. Sur les 335 entreprises ayant demandé à bénéficier du Land Accelerator 2019, 14 entrepreneurs de huit pays africains sont venus à Nairobi pour présenter leurs idées à une salle comble d’investisseurs. S’appuyant sur cette réussite, l’agence de développement de l’Union africaine (NEPAD) vise à étendre le Land Accelerator dans les années à venir.

En conclusion, nous sommes tous d’accord pour dire que d’importants travaux supplémentaires sont nécessaires pour faire un bilan des exemples de réussite de restauration des paysages forestiers, pour développer la communication, la promotion et la vulgarisation, et pour appuyer la mise en œuvre de stratégies exhaustives et de plans concrets pour amorcer une large adoption des pratiques de RPF. L’initiative AFR100 va contribuer à accélérer la restauration dans le but d’améliorer la sécurité alimentaire, d’accroître la résilience/l’adaptation au changement climatique et d’atténuer ses effets, de soutenir la conservation de la biodiversité et de lutter contre la sécheresse, la désertification et la pauvreté en milieu rural.

L’Initiative Grande muraille verte

Le Sahel est une région où la dynamique humaine et environnementale est très sensible. C’est un de ces écosystèmes extrêmement fragiles dans lesquels les signaux du changement climatique ont été les plus apparents. Cette région a connu des périodes de sécheresses majeures et le manque de pluie constitue une crise permanente pour le Sahel. La région souffre d’une pauvreté multidimensionnelle et connaît parallèlement une croissance démographique régulière qui se poursuivra dans le siècle prochain.

La communauté sahélienne dépend fortement des ressources naturelles pour sa production agricole et/ou son élevage de bétail qui sont ses principaux moyens de subsistance. Toutefois, l’agriculture est essentiellement une agriculture pluviale, ce qui rend la production incertaine compte tenu de la faible pluviosité de la région. L’accroissement de la demande de ressources naturelles entraîne une dégradation continue des terres du Sahel.

Pour réagir à cette situation critique, l’Union africaine a lancé l’initiative Grande muraille verte (IGMV) pour le Sahel et le Sahara en 2007. Cette initiative africaine a pour objectif de restaurer les paysages dégradés de l’Afrique en plantant une muraille d’arbres et de végétaux de 8 000 kilomètres de long à travers tout le Sahel, de la côte atlantique du Sénégal à la côte est de Djibouti. Cette initiative vise à réduire la désertification et à transformer des millions de vies dans une des régions les plus pauvres du monde.

Actuellement, environ 1 000 kilomètres ont été plantés d’arbres et de végétaux et assurent la sécurité alimentaire, offrent des emplois et constituent une raison de rester aux millions de personnes vivant le long de cet axe forestier.

Mamadou Moussa Diakhité, Petra Lahann, Diana Mawoko, Teko Nhlapo et Camilla Shiluva Holeni travaillent tous pour le Secrétariat de l’agence AUDA-NEPAD/AFR100.
Contact : MamadouD@nepad.org

 

 

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