Femmes arrosant les cultures en Éthiopie. L’irrigation s’est montrée pleine de promesses pour améliorer la nutrition et les moyens d’existence.
Foto : IFPRI/F.G. Mariam

Des solutions spécifiques au genre pour une meilleure nutrition

La sécurité alimentaire et nutritionnelle ne peut être garantie sans tenir compte de la dimension de genre. On en sait déjà beaucoup sur les liens étroits qui existent entre l’agriculture, la nutrition et la santé, et sur les rôles que jouent respectivement les femmes et les hommes dans ce contexte, mais il reste encore de nombreuses questions sans réponses.

S’assurer que les pauvres ont accès à une alimentation nutritive et de qualité représente un défi de taille. D’une manière générale,  les ménages pauvres ont une alimentation de subsistance peu variée, essentiellement constituée de produits de base et pauvre en aliments nutritifs tels que les fruits, les légumes, les produits d’origine animale tels que le poisson, la viande, les œufs et les produits laitiers, ou en  aliments sauvages à forte teneur en nutriments. Le manque de diversité du régime alimentaire est étroitement lié à des apports insuffisants et aux risques de carence en oligoéléments essentiels. Les insuffisances alimentaires qui en résultent ont d’importantes conséquences en matière de santé et de nutrition, à court terme comme à long terme. Les contraintes économiques, le manque de connaissances et d’informations et l’absence de demande d’aliments nutritifs sont autant de facteurs qui limitent l’accès des populations pauvres à de tels produits alimentaires.

Comprendre les liens qui existent entre agriculture, nutrition et dimension de genre

Les hommes et les femmes jouent des rôles importants en matière de bonne santé et de nutrition. Ils travaillent ensemble dans les exploitations familiales et sur le marché du travail pour gagner l’argent qui leur permet d’acheter de la nourriture et d’autres biens et services pour leurs familles. Toutefois, on constate de plus en plus souvent que des contraintes liées au genre peuvent limiter encore plus la capacité des pauvres à améliorer leur nutrition. Un peu partout dans le monde, en plus de jouer un rôle dans la production agricole et de gagner de l’argent, les femmes ont plus de chances de s’occuper des membres de leur famille et de pourvoir à leur alimentation et sont, de ce fait, considérées comme les gardiennes de la sécurité alimentaire et de la nutrition de leur ménage.

Parallèlement, des facteurs économiques et culturels, y compris les rôles de genre  – différences entre les hommes et les femmes dans le comportement social – empêchent plus ou moins les femmes et les filles de participer activement à des activités économiques susceptibles d’améliorer leur situation et le bien-être du ménage, ainsi que d’avoir leur mot à dire dans les décisions concernant les achats de nourriture susceptibles d’améliorer leur statut nutritionnel. Des facteurs biologiques accroissent les risques que courent les femmes et les filles d’être carencées en oligoéléments et d’être en mauvaise santé, notamment lorsqu’elles sont en âge de procréer. Les adolescentes, en particulier, peuvent être vulnérables en raison de leur jeune âge et de leur faible statut social dans de nombreuses sociétés, ce qui les expose à l’éventualité d’être mariées à un jeune âge ou d’avoir un comportement sexuel à risque pendant une période critique pour l’investissement dans leur propre capital humain. Les hommes sont confrontés à leurs propres risques sociaux et biologiques pouvant les empêcher de vivre en bonne santé et de bien se nourrir. Il ne suffit pas de considérer les femmes comme les éléments clés de la sécurité alimentaire et nutritionnelle ; elles doivent également être perçues dans le contexte de leurs relations avec les hommes qui peuvent les influencer, mais qu’elles peuvent aussi influencer.

L’intérêt accru porté à la dimension de genre comme facteur à prendre en compte pour améliorer la nutrition résulte d’un large faisceau de preuves montrant que les ménages ne fonctionnent pas unitairement en ce qui concerne l’attribution des ressources alimentaires et non alimentaires.  De nombreuses informations empiriques provenant de pays développés et en développement montrent que dans un ménage, l’homme et la femme ne mettent pas nécessairement leurs ressources en commun et ont souvent des préférences divergentes quant à la façon d’utiliser les ressources limitées du ménage pour atteindre divers objectifs. La femme a tendance à consacrer les revenus supplémentaires à la nourriture, aux soins de santé et à l’éducation des enfants, alors que l’homme dépense une plus grande partie de ses revenus pour acheter des biens personnels.

Au Bangladesh, les femmes consacrent une part importante de leurs ressources à l’amélioration de la santé de leurs filles. Par ailleurs, des simulations faites à partir de données de l’enquête sur la démographie et la santé (Demographic and Health Survey) réalisée dans 36 pays en développement donnent à penser que le rapprochement du statut de la femme de celui de l’homme (en accroissant le rôle qu’elle joue dans les prises de décisions par rapport à celui de son mari et en améliorant l’égalité entre les genres dans la société) pourrait réduire la malnutrition infantile de 13 pour cent en Asie du Sud (13,4 millions d’enfants) et de 3 pour cent en Afrique subsaharienne (1,7 million d’enfants). De plus, les rôles de genre dictent souvent aux femmes et aux hommes ce qu’ils doivent cultiver et comment les ressources sont affectées aux parcelles des unes et des autres. Par exemple, au Burkina Faso, dans un même ménage, une des raisons pour lesquelles le rendement de maïs de la femme est inférieur à celui de l’homme tient à ce que l’engrais et la main-d’œuvre ont tendance à être affectés aux parcelles de l’homme.  

De plus, l’homme et la femme jouent un rôle différent dans la filière agricole, de la production à la commercialisation. Ce rôle varie selon le contexte. Dans de nombreux pays en développement, aussi bien la femme que l’homme cultivent le sol et élèvent des animaux dans l’exploitation, mais c’est plus souvent l’homme qui s’occupe de la commercialisation, du fait de sa plus grande mobilité pour se rendre sur les marchés. Dans d’autres contextes, par exemple en Asie du Sud-Est et en Afrique occidentale, la femme joue un rôle important dans la vente des produits agricoles sur les marchés. Malgré tout, au Kenya et en Tanzanie, par exemple, la formation pour l’acquisition des bonnes pratiques continue de s’adresser surtout aux hommes.

L’accès aux marchés n’est pas le même pour la femme et pour l’homme. La femme participe plus à la vente des produits animaux mais elle dispose de moins d’options, sur les marchés, que l’homme. Les différents rôles assumés par l’homme et la femme dans les systèmes agricoles montrent que l’un comme l’autre ne sont pas exposés de la même façon aux risques pour la santé associés à l’agriculture. Par exemple, nous avons constaté que les femmes d’une communauté pastorale nomade du Tibet étaient considérablement plus exposées à l’infection par E. multilocularis (petit ténia) que les hommes. Cela tient peut être au fait que les responsabilités traditionnelles des femmes les mettent en contact avec les chiens et leurs excréments (facteur de risque d’infection par E. multilocularis) plus souvent que les hommes.

Enfin, la fonction reproductrice de la femme a d’importantes répercussions sur la production agricole pendant sa durée de vie, mais aussi sur l’impact intergénérationnel de sa nutrition et de son état de santé. Lorsqu’elles sont fréquentes, les grossesses et périodes d’allaitement peuvent épuiser les réserves de la mère en éléments nutritifs et risquent ainsi de réduire l’accès de l’enfant à ces éléments nutritifs. Cette situation accroît le risque que l’enfant naisse de petite taille, qu’il continue d’avoir des problèmes de croissance pendant la petite enfance, qu’il connaisse une altération de son développement cognitif, que ses résultats scolaires soient insuffisants, et qu’il devienne un adulte de petite taille, de santé précaire et économiquement moins productif. Dans de nombreux pays en développement où les normes sociétales sont discriminantes pour les filles, ces effets touchent les filles et les femmes de manière disproportionnée et perpétuent la transmission de la pauvreté, de la mauvaise santé et de la sous-alimentation à la génération suivante.  Par exemple, dans ces pays, les mariages et les grossesses précoces font que de nombreuses adolescentes deviennent mères alors qu’elles n’ont pas encore atteint leur pleine maturité physique, avec toutes les conséquences négatives que cela peut avoir sur leur santé et celle de leurs enfants.

Cartographie des liens spécifiques au genre entre agriculture, nutrition et santé

Les rôles joués par les hommes et les femmes le long de la chaîne agriculture-nutrition-santé sont soulignés dans la figure et peuvent être différenciés comme suit :
 

  1. l’agriculture comme source d’alimentation : les exploitants produisent pour leur propre consommation, mais les rôles de genre ont une influence sur ce que les femmes et les hommes cultivent ;
  2. l’agriculture comme source de revenu couvrant les dépenses alimentaires et non alimentaires : en tant que source principale de revenu en milieu rural, l’agriculture a une influence sur l’alimentation et sur les dépenses liées à la nutrition et la santé ;
  3. politique agricole et prix des aliments : les conditions agricoles peuvent modifier les prix relatifs et l’abordabilité d’aliments particuliers et des aliments en général.  Lorsque les hommes et les femmes cultivent des végétaux différents, les politiques des prix peuvent avoir une incidence sur le rapport différentiel de ces cultures. Lorsque les prix des aliments augmentent, les hommes (qui sont souvent considérés comme les principaux soutiens de familles) peuvent être favorisés lors de l’attribution des aliments au sein du ménage, aux dépens des femmes et des enfants ;
  4. le rôle des femmes dans l’agriculture, les décisions prises au sein du ménage et l’attribution des ressources peuvent être influencés par les activités agricoles et le contrôle spécifique au genre des biens, ce qui influence ensuite l’affectation des ressources liées à l’alimentation, à la santé et aux soins à l’intérieur des ménages ;
  5. emploi de la mère dans l’agriculture, prise en charge et alimentation des enfants : la capacité d’une mère de s’occuper de ses enfants peut dépendre de ses activités agricoles. Les femmes assument des responsabilités multiples au sein des ménages dans la mesure où elles gagnent de l’argent et où ce sont elles qui s’occupent principalement des enfants. Des facteurs tels que la pauvreté, un emploi à horaires fixes ou qui prend du temps, les autres solutions disponibles pour s’occuper des enfants et la libre utilisation de l’argent gagné peuvent avoir une incidence négative sur la croissance des enfants ;
  6. femmes travaillant dans l’agriculture et état nutritionnel et sanitaire des mères : l’état de nutrition et de santé des mères peut être compromis par les conditions souvent difficiles et dangereuses de l’activité agricole, ce qui peut à son tour avoir une influence sur la nutrition des enfants.


Ces liens tiennent compte du rôle multifonctionnel unique de l’agriculture. Contrairement à d’autres secteurs productifs, l’agriculture assure aux ménages ruraux des aliments ainsi qu’un revenu ; elle emploie fréquemment plusieurs membres du ménage ; elle a une incidence directe sur la dépense d’énergie des membres du ménage et elle dépend des décisions du ménage. En fin de compte, la bonne santé et la bonne alimentation d’un homme ou d’une femme dépendent de sa capacité à se procurer les bons aliments, en termes de qualité et de quantité, et les facteurs favorables en matière de santé, de soins et de temps. La dimension de genre a son importance pour les six liens susmentionnés parce que 1) les différences de genre en matière de rôles, de préférences et de pouvoir atténuent les résultats en matière de nutrition et de santé ; 2) les liens entre agriculture, nutrition et santé peuvent présenter des avantages et des risques différents pour l’homme et la femme et pour différents groupes sociaux, compte tenu du fait que l’homme et la femme ont des besoins spécifiques de santé et des sources de résilience variables en fonction des contextes et du cycle de vie ; et 3) ces liens offrent également la possibilité de modifier les relations de genre en améliorant l’autonomisation des femmes et leur propre bien-être.

Ces liens montrent que nous ne pouvons pas espérer une bonne sécurité alimentaire et nutritionnelle sans prêter attention à la dimension de genre. Même si les liens conceptuels entre agriculture, nutrition et santé peuvent paraître logiques, la réalité est bien plus compliquée. De nombreuses questions sont encore sans réponses. Par exemple, quelles différences spécifiques au genre ont le plus d’importance pour la nutrition et la santé dans un contexte donné ? Y a-t-il lieu de s’inquiéter des conséquences imprévues et des compromis entre les résultats des interventions agricoles ? C’est précisément à ces questions que le programme de recherche du CGIAR sur l’agriculture pour la nutrition et la santé (A4NH) espère répondre (voir encadré). La recherche agricole est par conséquent cruciale pour comprendre exactement comment la dimension de genre influence l’impact de l’agriculture sur la nutrition et la santé et pour identifier les possibilités d’améliorer l’égalité des genres.

Quelle orientation doit prendre la recherche sur la dimension de genre, l’agriculture et la nutrition ?
Le programme de recherche du CGIAR sur l’agriculture pour la nutrition et la santé (A4NH) a identifié trois courants de recherche qui méritent qu’on leur prête attention :

Impact des différences spécifiques au genre sur la nutrition et la santé (liens 1, 2 et 3) :
quelles différences liées au genre ont de l’importance pour la nutrition et la santé ? Par quels mécanismes influencent-elles la nutrition et la santé (par exemple, préférences des hommes et des femmes sur les décisions de production et de consommation, la répartition des tâches productives et reproductives, l’accès aux biens, au crédit, à l’information, au capital social, etc.). Ces questions sont primordiales pour la recherche liée aux interventions de développement agricole ou à l’exécution des projets dans la mesure où l’examen et la prise en compte des différences  spécifiques au genre sont importants pour la conception et, en fin de compte, la réussite de tels projets.

Améliorer la nutrition grâce à l’autonomisation des femmes (lien 4) : comment différents aspects de l’autonomisation des femmes affectent-ils divers résultats en matière de nutrition et de santé ? Les recherches en cours sur l’impact du pouvoir décisionnel, l’accès aux biens et leur contrôle, l’autonomie de production, les heures de travail et le temps consacré par les femmes aux questions de nutrition et de santé commencent à indiquer que différents aspects de l’autonomisation des femmes ont une influence sur certains indicateurs de santé et d’alimentation (par ex. régimes alimentaires, pratiques d’alimentation des enfants, mesures anthropométriques maternelles et infantiles). D’autres recherches sont nécessaires pour comprendre les modes d’incidence dans différents contextes, ainsi que les mécanismes de cette incidence. La dynamique des rapports hommes-femmes joue probablement un rôle important, certes, mais un rôle qui varie selon les contextes et les cultures.

Éviter les conséquences imprévues pour le bien-être et l’autonomisation des femmes (liens 4, 5 et 6) : les interventions agricoles ont-elles des conséquences imprévues pour le bien-être et l’autonomisation des femmes ? Existe-t-il des compromis entre les résultats des interventions agricoles ? Les différences basées sur le genre peuvent accroître l’exposition des femmes aux risques et potentiellement nuire à la santé et à l’alimentation des femmes et des enfants en raison de leur impact sur la dépense d’énergie des femmes, sur la charge de temps et sur l’accès aux biens et leur contrôle. Il est important de prévoir ces conséquences et compromis au stade de la conception ou de pouvoir faire des corrections à mi-parcours, pendant la mise en œuvre, pour que les interventions atteignent les objectifs souhaités tout en améliorant l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes.

 

Hazel Malapit, Agnes Quisumbing
Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)
Washington D.C., États-Unis
H.Malapit@cgiar.org
A.Quisumbing@cgiar.org

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