Les eaux usées municipales sont une source précieuse d’eau et de nutriments.
Photo: Manzoor Qadir

De l’eau de médiocre qualité pour irriguer les zones déficitaires en eau

Assurer la sécurité alimentaire pour tous dans une population croissante est un important problème qui se pose au monde entier, compte tenu de la rareté croissante de l’eau à l’échelle planétaire. Comme les précipitations, le ruissellement fluvial et les chutes de neige dans les zones déficitaires en eau deviennent insuffisants pour répondre à la demande, il faut envisager l’utilisation planifiée d’eaux de médiocre qualité pour irriguer et améliorer de façon durable le rendement des systèmes de production agricole.

Les régions et les pays déficitaires en eau doivent avoir un accès durable à toutes les ressources en eau possibles afin de minimiser la pression de plus en plus forte exercée sur les sources traditionnelles d’approvisionnement en eau que sont les pluies, les chutes de neige et le ruissellement fluvial. Les ressources en eau non conventionnelles offrent la possibilité de diminuer l’écart entre l’offre et la demande en eau dans ces régions.

Certaines de ces ressources en eau non traditionnelles sont de médiocre qualité mais peuvent malgré tout être utilisées pour l’irrigation. Elles peuvent nécessiter un traitement préalable approprié ou une gestion pertinente sur l’exploitation lorsqu’elles sont utilisées pour l’irrigation. En réponse à la rareté croissante de l’eau, elles sont des exemples dispersés mais de plus en plus nombreux de ressources en eau de médiocre qualité utilisées pour irriguer.

Il existe deux grandes catégories de ressources en eau de médiocre qualité. La première comprend les eaux usées des municipalités, qui sont produites par une éventuelle combinaison d’effluents domestiques comprenant les eaux noires provenant des toilettes, des eaux grises provenant des cuisines, des salles de bain et d’autres usages domestiques, des flux de déchets provenant des établissements commerciaux et des institutions, des effluents industriels lorsqu’ils sont déchargés dans les réseaux d’égouts municipaux, et des eaux pluviales collectées par les réseaux d’égouts municipaux.

La seconde comprend les eaux salines provenant de l’agriculture irriguée et du ruissellement de surface ayant traversé le profil du sol et pénétré dans le système de drainage, ainsi que l’eau saline souterraine provenant de différentes sources, par exemple de formations salines sous-jacentes, d’intrusion d’eau de mer dans les zones côtières et d’infiltration depuis des zones de drainage agricole et d’irrigation avec des eaux usées.

Eaux usées municipales – valeur élevée, mais solution encore trop peu étudiée

À une époque stigmatisées comme déchets, les eaux usées municipales sont de plus en plus reconnues comme une source précieuse d’eau d’irrigation et de nutriments. À l’échelle mondiale, leur disponibilité annuelle s’élève à 380 milliards de m3 (1 m3 = 1 000 l), soit un volume cinq fois plus important que celui qui franchit les Chutes du Niagara annuellement. Le potentiel d’irrigation avec les eaux usées municipales est très sous-exploré dans la mesure où d’importantes quantités d’eaux usées ne sont même pas collectées mais sont libérées dans l’environnement, qu’elles soient traitées ou non, et ont un impact sur l’environnement et la santé.

Lorsque ces eaux usées municipales sont disponibles, les agriculteurs des pays en développement déficitaires en eau ont tendance à les utiliser comme eau d’irrigation pour un certain nombre de raisons. C’est une source d’eau fiable, lorsqu’elle n’est pas la seule, pour irriguer pendant toute l’année. Son utilisation réduit souvent la nécessité d’appliquer des engrais car elle est une source de nutriments.

De plus, l’utilisation des eaux usées est moins gourmande en coûts énergétiques, même en cas de pompage, que celle des eaux souterraines potables profondes. Enfin, elle présente des avantages supplémentaires, par exemple en permettant d’améliorer les revenus tirés de la culture et de la vente de produits agricoles à forte valeur ajoutée, tels que les légumes, qui offrent des possibilités d’emploi pendant toute l’année. 

Comme l’irrigation avec des eaux usées fait, dans la plupart des cas, partie du secteur d’irrigation informel, les autorités sont confrontées à des problèmes liés au contrôle ou à la réglementation de cette pratique. Les principales préoccupations sont liées à la protection de la santé des consommateurs et des agriculteurs, et à celle de l’environnement.

Par conséquent, l’utilisation durable des eaux usées doit tenir compte de trois aspects majeurs : pertinence des politiques, réglementations et dispositions institutionnelles, traitement des eaux usées en fonction de leur utilisation prévue, et pratiques de gestion des risques éliminant ou minimisant les impacts sur la santé et l’environnement, notamment lorsque le traitement des eaux usées est limité.

Le coût élevé perçu de la mise en place d’un réseau de collecte des eaux usées et d’installations satisfaisantes de traitement de ces eaux est une contrainte majeure qui crée des incertitudes en termes d’adoption de programmes exhaustifs de traitement et de réutilisation des eaux usées. L’amélioration initiale de la qualité de l’eau est possible dans de nombreux pays en développement grâce à au moins un traitement primaire, alors qu’un traitement secondaire peut être mis en œuvre à coût raisonnable dans certaines régions, selon des normes pouvant être respectées dans le contexte local.

Certains pays de régions sèches tels que la Tunisie, la Jordanie, Israël et Chypres, appliquent des normes et des réglementations nationales pour la réutilisation de l’eau. Dans ces pays, les responsables des orientations politiques considèrent la réutilisation de l’eau récupérée comme un aspect essentiel de la planification et de la gestion stratégiques du secteur de l’eau et des eaux usées.

Par exemple, en Jordanie, la politique de gestion des eaux usées prend trois aspects majeurs en considération : la récupération de l’eau doit faire partie du budget « eau » du pays ; la réutilisation de l’eau doit être planifiée à l’échelle du bassin et les coûts de traitement des eaux usées sont facturés aux utilisateurs. En Jordanie, la réutilisation de l’eau se fait selon un mode d’utilisation directe planifiée dans ou à proximité directe des installations de traitement des eaux usées, un mode de réutilisation non planifiée de l’eau récupérée dans les wadis et un mode de réutilisation indirecte après mélange avec l’eau de surface, formule surtout pratiquée dans la vallée du Jourdain où les eaux usées récupérées représentent environ la moitié de l’eau d’irrigation utilisée dans la vallée.

La mise en œuvre de solutions techniques basées sur la recherche pour le traitement des eaux usées et leur réutilisation dans les zones sèches des pays en développement, soutenue par des interventions souples au niveau politique et par des institutions pertinentes disposant de ressources humaines compétentes, est très prometteuse pour la protection de l’environnement et de la santé, ainsi que pour la résilience des moyens de subsistance grâce à l’amélioration de la productivité agricole, même si ces résultats ne seront pas atteints dans les quelques années à venir.

Par conséquent, des mesures provisoires seraient nécessaires pour assurer le recyclage et la réutilisation de l’eau et progressivement atteindre un niveau auquel la majeure partie des eaux usées du pays seraient collectées, traitées et utilisées sans risques à des fins productives. La bonne nouvelle, c’est qu’un changement est en cours en matière de recherche et de pratique facilitant la collecte, le traitement et l’utilisation productive des eaux usées municipales comme eau d’irrigation, comme le montre l’exemple jordanien.

Trois options d’utilisation des eaux de drainage et des eaux souterraines salines

Les eaux salines provenant des systèmes de drainage agricole et les eaux salines souterraines peuvent être utilisées dans des systèmes pertinents de production agricole et peuvent contribuer de manière non négligeable à l’alimentation humaine et animale, ainsi qu’à la production d’énergie renouvelable. Malgré l’absence d’une évaluation mondiale exhaustive de l’importance des ressources en eaux salines (souterraines et de drainage), des estimations approximatives donnent à penser que leur volume est supérieur à celui des eaux usées municipales. En fonction des niveaux et des types de sels présents, il y a trois approches majeures d’utilisation des eaux souterraines et de drainage salines pour la production agricole :

La stratégie cyclique utilise de l’eau saline et de l’eau d’irrigation non saline dans les rotations de cultures modérément sensibles et tolérantes au sel. D’une manière générale, l’eau non saline est également utilisée avant la plantation et pendant les premiers stades de croissance de la culture tolérante au sel, alors que l’eau saline est généralement utilisée avant l’établissement des jeunes plants.

Le mélange consiste, comme son nom l’indique, à mélanger de l’eau saline et de l’eau non saline avant ou pendant l’irrigation. À partir d’un puisard de drainage, l’eau de drainage peut être pompée directement dans le canal d’irrigation le plus proche, ou bien l’eau de drainage contenue dans un puisard d’un collecteur régional, desservant plusieurs réseaux de drainage, peut être acheminée en un même lieu puis pompée dans un canal d’irrigation principal. Dans les deux cas, la quantité d’eau de drainage pompée dans le canal peut être régulée de manière à atteindre la salinité prévue de l’eau mélangée. Différentes qualités de l’eau sont obtenues en fonction de la disponibilité de qualités et de quantités individuelles de l’eau d’irrigation, entre ou pendant les périodes d’irrigation.

L’optionséquentielle (voir Figure) consiste à appliquer de l’eau de relativement bonne qualité aux cultures ayant la plus faible tolérance au sel puis à utiliser l’eau de drainage du champ concerné – obtenue à partir du système de drainage souterrain – pour irriguer les cultures ayant une plus forte tolérance au sel. La méthode de gestion la plus simple consiste à utiliser l’eau de drainage dans les champs situés en contrebas de l’endroit où l’eau de drainage est collectée. Le nombre de fois que le cycle peut être répété n’est pas fixe. Il dépend de la salinité de l’eau de drainage, du volume d’eau disponible et de la valeur économique et du rendement acceptable de la culture concernée.

Les ressources en eaux souterraines et de drainage salines sont utilisées par les agriculteurs dans divers pays tels que les États-Unis, l’Espagne, l’Inde, la Chine, le Pakistan, l’Iraq, l’Iran, l’Égypte et dans la plupart des régions d’Asie centrale. Par exemple, en Inde, on utilise de l’eau de drainage saline pour irriguer différentes cultures telles que le blé, le millet perlé et le sorgho à Karnal, Haryana. Les sels accumulés dans le sol par l’eau d’irrigation saline sont ensuite lessivés par les pluies de la mousson. Parfois, on pratique l’irrigation de pré-semis avec de l’eau canalisée à faible salinité pour favoriser le stade initial de croissance de cultures sensibles au sel.

Il faut changer de paradigme et, au lieu de s’en débarrasser, réutiliser l’eau saline jusqu’à ce qu’elle devienne inutilisable pour toute activité économique. Cette formule présente des avantages supplémentaires sous la forme d’une atténuation des impacts du changement climatique grâce à l’amélioration de la séquestration du carbone dans le sol. Par conséquent, les eaux souterraines et de drainage salines ne peuvent pas être considérées comme superflues et, par conséquent, négligeables, notamment dans les zones qui dépendent fortement de l’agriculture irriguée et dans lesquelles des investissements considérables ont déjà été faits dans l’infrastructure, par exemple en matière de transport et de distribution, pour assurer l’approvisionnement en eau pour l’irrigation et la sécurité alimentaire. Il faut revoir les politiques et les pratiques de gestion des ressources en eau dans les pays déficitaires en eau et donner la priorité aux eaux salines dans les politiques publiques, tout en favorisant les plans d’action de soutien.

Manzoor Qadir est directeur adjoint, Institut de l’université des Nations unies pour l’eau, l’environnement et la santé (UNU-INWEH) à Hamilton, Canada.

Contact : Manzoor.Qadir@unu.edu

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