Les Ouest-Africains deviennent des acheteurs – plutôt que des producteurs – de denrées alimentaires et consacrent une part croissante de leur budget alimentaire aux marchés.
Photo: FAO/Carl de Souza

Conséquences du prix élevé des denrées alimentaires en Afrique de l’Ouest

Dans les pays d’Afrique de l’Ouest, les prix des denrées alimentaires sont nettement plus élevés que dans d’autres parties du monde dont les niveaux de développement sont comparables. Cette situation a de graves conséquences sur le bien-être des ménages et la sécurité alimentaire. Raison de plus pour libérer le potentiel commercial de la région.

La crise mondiale des prix alimentaires de 2007-2008 a été à l’origine d’agitations politiques et de troubles sociaux dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest. Les ménages urbains pauvres, notamment, n’avaient pas les moyens d’acheter de la nourriture et ont manifesté bruyamment dans des villes telles que Dakar et Abidjan. Le prix est un facteur déterminant de l’accès d’un ménage à l’alimentation. Face à l’urbanisation rapide de la région, de plus en plus de consommateurs deviennent dépendants des marchés alimentaires.

Or, indépendamment du contexte mondial, les changements structurels de la demande poussent les prix des aliments à la hausse. Au cours des 60 années passées, la demande alimentaire a été multipliée par cinq et les habitudes alimentaires se sont considérablement transformées. Les consommateurs cherchent de plus en plus des produits alimentaires faciles à acheter, à préparer et à consommer ; aujourd’hui, 39 pour cent des produits alimentaires consommés en Afrique de l’Ouest sont transformés. L’offre s’adapte à cette tendance à l’augmentation et à la diversification des habitudes de consommation, mais à un rythme moins élevé que la demande, ce qui a une incidence sur les conditions du marché et entraîne une augmentation des prix.

Fixer des prix qui reflètent les coûts

Les prix ont une incidence variable sur le bien-être des ménages. D’un côté, leur augmentation se traduit par une amélioration des revenus des producteurs, mais de l’autre, elle entraîne une augmentation des coûts alimentaires pour les consommateurs. Le résultat net dépend de la structure de l’économie et de la part de la consommation alimentaire des ménages qui est assurée par les marchés. Dans les pays essentiellement agricoles, l’augmentation des prix alimentaires peut être bénéfique pour la majorité des ménages. Toutefois, l’urbanisation rapide que connaît l’Afrique de l’Ouest remet en question certaines hypothèses quant à ce que devrait être le « juste » niveau des prix alimentaires.  

Une part de plus en plus importante et un nombre croissant des ménages ouest-africains dépendent aujourd’hui d’activités non agricoles pour gagner leur vie. C’est notamment le cas de la plupart des ménages urbains qui représentent 45 pour cent de la population totale de la région. C’est également le cas de nombreux ménages ruraux dont on estime que 25 pour cent d’entre eux ont des activités essentiellement non agricoles. En conséquence, un nombre croissant et une proportion de plus en plus importante de consommateurs ont besoin des marchés pour s’approvisionner en produits alimentaires. D’une manière générale, les marchés fournissent actuellement au moins deux tiers de l’approvisionnement alimentaire des ménages, dans la mesure où les Ouest-Africains deviennent des acheteurs – plutôt que des producteurs – de denrées alimentaires et consacrent une part croissante de leur budget alimentaire aux marchés. Ce nombre croissant de ménages a tout à perdre d’une augmentation des prix. Ces mêmes ménages sont également très sensibles aux fluctuations des prix dans la mesure où l’alimentation représente 50 pour cent de leur budget total. Il est par conséquent temps que les responsables des orientations politiques fixent des prix qui reflètent les coûts, aussi bien pour le bien-être des ménages que pour la sécurité alimentaire.

Une Afrique où les prix sont élevés

Les prix alimentaires actuellement pratiqués en Afrique de l’Ouest sont-ils trop élevés ? Sur la base de données du Programme de comparaison internationale (PCI) de 2011, nous considérons que les prix alimentaires en Afrique subsaharienne sont de 30 à 40 pour cent supérieurs à ceux d’autres régions du monde ayant des niveaux comparables de développement. La figure ci-dessous illustre le lien qui existe entre les niveaux des prix des denrées alimentaires et le PIB par habitant. Elle montre que la majorité des pays africains se situent au-dessus de la ligne, ce qui indique que, comparativement à d’autres pays ayant un niveau comparable de développement, les prix des denrées alimentaires y sont plus élevés.



Ces résultats corroborent ceux d’une étude de Gelb et al. (2013) dont il ressortait que dans les pays d’Afrique subsaharienne, les niveaux généraux des prix sont 35 pour cent supérieurs à ce qu’ils devraient être. De plus, les denrées alimentaires sont très coûteuses comparativement aux produits non alimentaires. En Afrique de l’Ouest, les prix des denrées alimentaires sont de 50 à 130 pour cent supérieurs à l’indice global des prix, ce qui indique que les denrées alimentaires sont plus coûteuses, dans l’absolu, que les produits non alimentaires. Ces prix plus élevés des denrées alimentaires se traduisent par une perte de bien-être pour les ménages.

Une comparaison avec l’Inde donne une image saisissante de la façon dont les prix élevés des denrées alimentaires ont un impact sur le pouvoir d’achat des Africains. Si on examine les différentiels de prix des denrées alimentaires entre les pays d’Afrique de l’Ouest et l’Inde, ainsi que les parts de budget consacrées aux dépenses, on peut faire une estimation approximative de ce que coûterait un panier alimentaire ouest-africain type en Inde. Cette analyse comparative montre que les ménages pourraient économiser jusqu’à 20 pour cent de leur revenu dans des pays tels que la Côte d’Ivoire, la Gambie et la Mauritanie, et jusqu’à près de 30 pour cent au Tchad et au Liberia (voir figure). Ces résultats donnent une indication du degré de perte de bien-être des ménages dû aux différences de prix constatées entre l’Inde et l’Afrique de l’Ouest. Cela confirme que les ménages ouest-africains sont durement touchés par les prix élevés imputables au système alimentaire ouest-africain. Cela donne également une explication de la tendance à l’augmentation des importations alimentaires.

Que doivent faire les responsables des orientations politiques ?

Sous l’impulsion de la croissance démographique, de l’urbanisation et de l’augmentation des revenus, le système alimentaire de l’Afrique de l’Ouest change. Les consommateurs changent également leurs habitudes en diversifiant leur alimentation, en se tournant vers les aliments transformés qui sont pratiques à préparer et consommer, et en attachant plus de valeur à d’autres attributs des produits tels que la qualité, leur avantage pour la santé et leur conditionnement. Ce changement d’habitudes des consommateurs va nécessairement orienter la demande accrue d’activités post-récolte dans la production alimentaire. L’élaboration des politiques alimentaires doit tenir compte de ces changements et s’efforcer d’établir un équilibre entre les besoins des consommateurs et ceux des producteurs.

Un examen des niveaux des prix par groupes alimentaires peut donner des informations intéressantes sur les options politiques. Pour commencer, il existe une hiérarchie évidente des prix dans tous les pays de la région, les produits laitiers ainsi que les graisses et les huiles étant toujours les plus coûteux alors que le poisson, les céréales, les fruits et les légumes sont les moins chers. Dans l’absolu, les aliments transformés sont plus coûteux dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest qu’aux États-Unis, et pourtant ils font l’objet d’une demande accrue.

Les céréales continuent de représenter une part importante du budget alimentaire global des ménages, mais l’accent mis sur leur production n’est plus la seule stratégie visant à atténuer les contraintes budgétaires des ménages. Par exemple, des pays tels que la Côte d’Ivoire, la Gambie, le Ghana, le Nigeria et le Togo devraient également s’attaquer aux problèmes et contraintes qui freinent le développement des filières fruits et légumes. Au Ghana, nous estimons qu’une réduction de un pour cent du prix des céréales entraînerait une diminution de 0,19 pour cent du prix global des denrées alimentaires alors qu’une réduction du prix des fruits et légumes, dans la même proportion, aurait une incidence plus grande et entraînerait une réduction de 0,35 pour cent du prix global des denrées alimentaires. Ces secteurs alimentaires auparavant « oubliés » fourniront des produits et des emplois locaux pour un marché croissant de consommateurs du pays.  

La libération du potentiel du commerce intrarégional de l’Afrique de l’Ouest et l’extension de son marché alimentaire sont des objectifs prioritaires. Le différentiel relativement élevé du prix des denrées alimentaires dans l’ensemble de la région – de -28 pour cent en Mauritanie à +14 pour cent au Ghana, par rapport à la moyenne régionale – est une indication de l’inefficacité relative du marché alimentaire régional qui permet la répercussion des prix, mais avec des coûts de transaction considérables. Les actions publiques devraient mettre l’accent sur l’amélioration de l’infrastructure matérielle et des douanes, et sur l’élaboration et la mise en œuvre des mécanismes réglementaires nécessaires. Ces initiatives contribueront toutes à abaisser le coût du transport et, en fin de compte, le prix des produits alimentaires. L’adoption d’une approche plus globale de couloirs commerciaux pourrait constituer un cadre permettant de résoudre les problèmes d’investissement, de surmonter les difficultés institutionnelles et de faciliter le commerce régional.

L’accroissement de la productivité est au cœur de la solution qui permettra de limiter les augmentations de prix. L’approvisionnement alimentaire à long terme sera déterminé par l’importance des ressources productives disponibles pour la production ainsi que par la productivité de ces ressources. L’amélioration de la productivité aura un impact considérable sur les prix et les revenus des exploitants agricoles, et elle contribuera en fin de compte à réduire la pauvreté rurale et à faire en sorte que les produits alimentaires soient plus abordables pour les pauvres vivant en milieu urbain. De nombreuses solutions d’amélioration de la productivité sont à la portée des exploitants agricoles d’Afrique de l’Ouest, mais il faut accroître le volume et améliorer la qualité des investissements dans le secteur agroalimentaire pour répondre à la nouvelle demande et à son accroissement. Cela sera possible lorsqu’on pourra effectivement démontrer que l’investissement dans l’accroissement de la productivité joue en faveur du secteur agroalimentaire. Les acteurs du secteur public et du secteur privé doivent participer au processus et les investissements étrangers seront déterminants.  

Thomas Allen
Secrétariat du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest
OCDE – Organisation de coopération et de développement économiques
Paris, France
Thomas.Allen@oecd.org


Références et autres lectures :

  • Allen, T. and P. Heinrigs (2016), “Emerging Opportunities in the West African Food Economy”, West African Papers, No. 1, OECD Publishing, Paris. http://dx.doi.org/10.1787/5jlvfj4968jb-en
  • Gelb, A., C. J. Meyer and V. Ramachandran (2013), “Does poor mean cheap? A comparative look at Africa's industrial labor costs”, working paper, No. 325, Center for Global Development.
  • Moriconi-Ebrard, F., D. Harre and P. Heinrigs (2016), Urbanisation Dynamics in West Africa 1950–2010: Africapolis I, 2015 Update, OECD Publishing, Paris. http://dx.doi.org/10.1787/9789264252233-en
  • OECD/SWAC (2013), Settlement, Market and Food Security, OECD Publishing, Paris http://dx.doi.org/10.1787/9789264187443-en
  • Staatz, J. and F. Hollinger (2016), “West African Food Systems and Changing Consumer Demands”, West African Papers, No. 4, OECD Publishing, Paris. http://dx.doi.org/10.1787/b165522b-en

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